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Assoir la ville - de l'accessoire haussmannien à l'enjeu urbanistique actuel


par Pierre MEDECIN
Ecole Nationale Supérieure de Paysage - Paysagiste concepteur 2023
  

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de l'accessoire « haussmannien » à l'enjeu urbanistique actuel

MéMOIRE D'INITIATION À LA RECHERCHE

Diplôme d'État de paysagiste

Enseignante encadrant: Pierre Médecin

Chiara Santini année universitaire 2022-2023

5

REMERCIEMENTS

J'adresse mes plus sincères remerciements, tout d'abord, à Chiara Santini ma tutrice de mémoire, historienne des jardins, qui m'a fait intéresser à l'histoire dès les premières années à l'École nationale supérieure de paysage. Elle m'a fait pleinement confiance tout au long de ce parcours de recherche. Nos échanges réguliers, ses commentaires judicieux m'ont permis de me fondre au coeur du sujet aussi bien dans le côté historique que paysager.

Je porte toute ma gratitude à Bernard Landau, architecte-voyer honoraire de la Ville de Paris, pour m'avoir transmis ses connaissances et son expérience de plus de trente ans au sein du système administratif de la Mairie de Paris. Son savoir et les documents remis m'ont aidé à appréhender ce mémoire.

Je souhaite remercier également l'ensemble des personnes avec lesquelles j'ai pu m'entretenir. Elles sont la véritable force sur laquelle les fondements du sujet ont pris ancrage. Leur bienveillance mais également leur passion pour le sujet ont forgé en moi une véritable motivation. Leur amour pour Paris se devait d'être retranscrit. L'accueil par les personnes de la Mairie de Paris, tous services confondus, a été particulièrement chaleureux : Michèle Zaoui, Lily Munson, Benjamin Le Masson, Jean-Christophe Choblet, Juliette Floc'h et Sarah Ananou.

Mes remerciements, et pas des moindres, sont adressés à mes proches qui m'ont soutenu tout au long de cette démarche par leur appui et leur compréhension face à une certaine absence de ma part dans leur quotidien.

A ma mère qui m'a insufflé sa passion pour les sciences sociales et qui m'a apporté son soutien inconditionnel dans ce nouveau départ professionnel. Je lui suis infiniment reconnaissant.

7

RÉSUMÉ

Les réseaux sociaux ne manquent pas depuis quelques années de mettre en exergue les moindres défauts de l'espace public parisien. Cela a conduit à une certaine polémique qui a décidé les acteurs publics depuis 2020, date de début de la deuxième mandature d'Anne Hidalgo, maire de Paris, de revoir la politique urbanistique parisienne.

Parmi les différents sujets critiqués depuis la première mandature (2014-2020), le banc a été l'excuse pour remettre en cause cette politique. La polémique a pris de l'ampleur, ayant été relayée dans la presse nationale. Le banc historique, créé au Second Empire sous Haussmann par Gabriel Davioud, en est le fer de lance. Il s'agit du banc vert à double assise en bois et aux piétements en fonte, véritable marqueur de la capitale.

Ce mémoire, après un rappel historique de l'apparition du banc dans l'espace public parisien, s'attache à démontrer comment la Ville de Paris a engagé dès les années 1970 une régulation de la multiplicité et des choix du mobilier urbain. L'étude se concentre sur le banc Davioud, sur son intégration, sur son oubli au profit d'expérimentations et sur sa remise en valeur. De plus, nous nous sommes interrogés sur la place que tient ce banc dans l'imaginaire collectif et les valeurs qu'il véhicule en tant qu'élément prépondérant de l'espace public parisien.

Les travaux de recherche, outre la bibliographie, s'appuient sur des entretiens réalisés aussi bien auprès des services techniques et des hautes instances administratives de la Mairie de Paris qu'auprès d'architectes, de paysagistes et d'internautes.

Ces échanges ont permis de faire émerger trois grandes thématiques. La première concerne l'organisation municipale dans le choix et la gestion du mobilier urbain en s'attardant plus spécifiquement sur les bancs. La deuxième est relative à la place du banc Davioud dans l'espace public et le rapport qu'entretiennent les Parisiens avec cet élément de la grammaire urbanistique. Quant au dernier thème, il s'agit de la place qu'occupe ce banc dans les projets d'aménagement et l'inte-raction entre les concepteurs et la Mairie de Paris. Comment celle-ci a remis cette icône au centre des projets par une réinterprétation de son design. Entre patrimonialisation et contemporanéité, le banc Davioud en est le trait d'union.

Mots clés : Paris, banc Davioud, marqueur, esthétique, espace public, urbanisme

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AB S T R A C T

Social networks have not failed for some years to highlight the slightest defects of the Parisian public space. This has led to some controversy that has decided public actors since 2020, date of the beginning of the second term of Anne Hidalgo, mayor of Paris, to review the Parisian urban planning policy.

Among the various topics criticized since the first term (2014-2020), the bench has been the excuse to question this policy. The polemic has gained momentum having been relayed in the national press. The historic bench created in the Second Empire under Haussmann by Gabriel Davioud, is the spearhead. This thesis, after a historical review of the appearance of the bench in the Parisian public space, aims to demonstrate how the City of Paris has engaged since the 1970s a regulation of the multiplicity and choices of urban furniture. The study focuses on the Davioud bench, on its integration, on its oblivion in favor of experimentation, and on its rehabilitation. In addition, we questioned the place that this bench holds in the collective imagination and the values that it conveys as a prominent element of Parisian public space.

The research work, in addition to the bibliography, is based on interviews conducted with the technical services and high administrative authorities of the Paris City Council as well as with architects, landscape designers and Internet users.

These exchanges have allowed three major themes to emerge. The first concerns the municipal organization in the choice and management of street furniture, focusing more specifically on benches. The second is related to the place of the Davioud bench in public space and the relationship that Parisians have with this element of urban grammar. The last theme is the place of this bench in development projects and the interaction between the designers and the Paris City Council. How the latter has put this icon back at the center of projects by reinterpreting its design. Between heritage and contemporaneity, the Davioud bench is the link.

Key words : Paris, bench Davioud, marker, aesthetic, public, area, urbanism

9

Sommaire

Avant-Propos 11

Introduction 13

Méthodologie 15

De l'origine du banc au mobilier urbain 17

Une origine diffuse, une étymologie diversifiée 17

Les promenades parisiennes : du jardin au boulevard 18

Le banc Davioud, « accessoire» des promenades plantées 21

Évolution et diversification tardive vers la fin du XXème siècle 27

Une composante du mobilier urbain 27

Diversification des modèles 27

Des expérimentations peu comprises par les usagers 29

Les années 2020, une politique liant histoire haussmannienne et modernité 32

Un marqueur de la capitale 33

Approbation et initiative 39

Politique de gestion et d'entretien 46

Un enjeu de l'espace urbain 57

Un choix intrinsèquement lié à l'usage 57

Esthétique et emplacement, des points de vue contrastés 62

Entre uniformité et spécificité de l'espace public parisien 69

La place du concepteur, un rapport ambivalent avec la Ville de Paris 74

Conclusion 85

Glossaire 93

Annexes 95

11

AVANT-PROPOS

Depuis plusieurs années, au regard de mon parcours professionnel, le sujet relatif à la place du banc dans l'espace public comme élément identitaire d'un projet ou d'une ville m'a interrogé. En effet, à peine diplômé en tant qu'ingénieur agronome, j'ai été nommé comme chef de section de la Voirie et de la Signalisation au sein du Service de l'Aménagement Urbain de la Principauté de Monaco. Cette section, dont j'avais la charge, a pour mission l'entretien du réseau viaire et des voies piétonnes, des jeux d'enfants ainsi que la création de projets urbains sur le territoire monégasque en matière de maçonneries, de réseaux et de revêtement (voies piétonnes, nouvelles routes, giratoire, jardins). De plus, la section s'occupe de l'achat et de l'entretien du mobilier urbain : bancs, bornes, potelets, signalisation routière ainsi que la passation de marchés publics.

Mes études ne m'avaient pas préparé à occuper une telle responsabilité. Mes connaissances dans ce domaine se sont élargies suite à mon expérience du terrain au cours des six années que j'ai passé à ce poste. Certaines interrogations sont également restées en suspens dont la gestion du banc.

Monaco présente une étendue géographique de 202 ha répartie en cinq quartiers. Malgré la petitesse du pays, les modèles de bancs foisonnaient (cela perdure) sans unité, ni intraquartier, ni interquartier. À chaque nouveau projet, de nouveaux modèles apparaissaient au bon gré du bureau d'études du Service de l'Aménagement Urbain sans tenir compte des contraintes d'entretien et bien entendu des impacts financiers. La vision était d'associer un mobilier particulier aux nouveaux projets urbains créés.

Alors que deux modèles de bancs étaient entretenus par les agents de la section Voirie et dont les moules en fonte étaient propriété de l'État, les autres, à la suite du vieillissement ou de dégradations, devaient être renouvelés par de nouveaux achats. Cela se faisait au risque de leur disparition des catalogues des fournisseurs engendrant sur un même espace une disparité avec de nouveaux modèles de substitution.

Je me retrouvais confronté à un système administratif où il était difficile de faire évoluer les mentalités ancrées dans un système qui en apparence fonctionnait. Le frein au changement était palpable.

Au moment de quitter ce poste, j'ai eu un sentiment d'inachèvement quant à redonner une cohérence au paysage urbain, notamment le banc. Mes questions restaient en suspens : fallait-il généraliser le banc type Belle Époque dans un souci de patrimonialisation des quartiers historiques? Proposer un catalogue limité de modèles pour donner un caractère plus moderne? Ou associer ces deux types d'approches, et comment, afin de donner une vraie particularité à l'espace public monégasque?

Lorsque mon attention a été attirée par la polémique du banc Davioud à Paris, créé par l'ar-chitecte éponyme dans les années 1860, j'ai trouvé l'occasion de revenir sur mes interrogations bien qu'appliquées à une autre ville, à une autre échelle détentrice d'un patrimoine de renommée internationale. Cette polémique, datant de 2021 et dont l'origine prend sa source dans le collectif #saccageparis sur le réseau social Twitter, a remué en moi ces souvenirs. J'ai souhaité m'intéresser à ce sujet qui, par son côté pouvant s'avérer anecdotique, est un élément fort du paysage urbain parisien. Au-delà du simple objet, par son design et sa couleur verte si caractéristique, il véhicule l'image associée à la Ville Lumière dans l'imaginaire collectif.

13

INTRODUCTION

Le banc parisien a fait l'objet d'une médiatisation depuis quelques années par son choix et par son insertion dans l'espace public en fonction du modèle. Il semble être le prétexte pour certains de s'attaquer à la politique d'urbanisme parisienne. Nous avons pu le constater depuis déjà quelques années par les vives réactions des membres du collectif #saccageparis1 sur Twitter. Sous couvert de pseudonymes, les internautes s'expriment le plus souvent de façon virulente. Cela contribue à une certaine émulation qui tend à amplifier des phénomènes que toute ville connait au quotidien avec les aléas des travaux et des mésusages.

L'événement qui a provoqué le plus grand émoi auprès de #saccageparis a été le constat des dégradations des bancs en bois dits bancs « mikado» installés depuis 2013 sur la place de la République. Ces bancs ont initialement été dessinés dans le cadre de l'opération « Paris Plages», cette même année. Leurs indignations face au changement laissent apparaître une volonté de figer dans le temps le mobilier urbain historique du Second Empire. Parmi ce mobilier, nous distinguons le banc vert parisien. Le modèle original a été conçu par l'architecte Gabriel Davioud (1824-1881) dans la deuxième partie du XIXème siècle sous l'égide de Georges-Eugène Haussmann alors préfet de Paris.

Les arts ont promu le banc Davioud comme un élément distinctif de la capitale. Ses représentations aussi bien dans la peinture de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, par le simple fait de sa présence, évoque Paris dans l'imaginaire de tout un chacun. A cette époque, la ville est un spectacle. Les peintures l'associent le plus souvent à d'autres éléments de mobilier urbain que sont la colonne Morris, les clôtures et les grilles d'arbres. En outre, la photographie de scènes de vie autour du banc Davioud, par l'appropriation de son usage participe à développer cet imaginaire. A ce propos, le domaine de la chanson n'a pas manqué de reprendre cette vie quotidienne où la ville de l'amour s'exprime. On le retrouve dans la chanson Les amoureux des bancs publics de Georges Brassens. Enfin, la riche filmographie offre aux spectateurs depuis des décennies une vision de Paris où le banc joue une place prépondérante. Ce banc vert sapin ne passe pas inaperçu, il devient lui-même un acteur aux côtés des artistes, un élément incontournable de la Ville Lumière.

Tandis que Haussmann qualifiait le banc d'« accessoire » dans les projets des promenades plantées d'Alphand, nous constatons que 160 ans plus tard il devient l'épicentre d'un enjeu beaucoup plus large que la simple assise. Il ne déchaîne pas des passions uniquement parmi les usagers mais pose aussi des questions sur la politique d'aménagement face à l'évolution des usages de l'espace public et en relation avec les enjeux climatiques. La place de la voiture s'amoindrit au profit des zones piétonnes et des pistes cyclables. Le paysage urbain se transforme, les places deviennent des lieux de promenades et de rencontres où le végétal prend de l'ampleur.

Qu'en est-il alors de l'assise qui devient un élément central au regard des espaces libérés? Le banc Davioud, témoin du passé, doit-il faire place à une nouvelle interprétation de l'espace public où le banc du Second Empire n'aurait plus sa place? Entre patrimonialisation et contemporanéité, il convient de s'interroger si le banc Davioud reste un symbole figeant Paris dans l'époque hauss-mannienne ou alors s'il est moteur d'un nouveau dynamisme assurant un lien entre le passé et le Paris des prochaines décennies.

1 Le réseau social Twitter permet à ses utilisateurs de s'exprimer et de joindre des photos sur tout sujet. Le #saccageparis qui est mentionné dans les tweets fait référence à une même thématique. Ainsi, toute recherche sur le réseau social par rapport au sujet affichera l'ensemble des tweets qui en fait mention.

14

Anne Hidalgo, maire de Paris depuis 2014, apporte déjà quelques éléments de réponses dans l'avant-propos du Manifeste pour la Beauté où elle écrit que la capitale n'est pas une ville-musée tout en précisant que ces nouveaux paysages vont « se conjuguer» avec le patrimoine parisien2. Emmanuel Grégoire, son premier adjoint chargé de l'Urbanisme, de l'Architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements, reprend cette thématique où il explique comment la ville d'aujourd'hui va pouvoir composer avec cette « grammaire commune» historique pour bâtir la ville de demain3.

Pour mieux comprendre la démarche urbanistique actuelle, nous avons souhaité reprendre l'historique liant la Ville de Paris et le banc. Nous nous attarderons sur de nombreux exemples de projets réalisés au fil des mandatures d'Anne Hidalgo (2014-2020 et depuis 2020) dans lesquels le banc Davioud est un élément prépondérant que cela soit par son absence ou par sa présence. Afin de construire notre argumentation, nous avons réalisé neuf entretiens auprès des services techniques et des hautes instances administratives de la Ville de Paris ainsi qu'auprès d'acteurs privés (architectes, paysagistes concepteurs, internautes). En complément, notre arpentage des rues de Paris et des places nous a permis de réaliser des photographies, des croquis et des plans pour étayer notre propos et comprendre les visions de chacun des protagonistes.

Paysagistes/architectes

Parisiens

Touristes

Réseaux sociaux

Mairie de Paris

Interactions entre acteurs privés et acteurs publics, ((c) Pierre Médecin).

2 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la Beauté, Paris, Mairie de Paris, 2022, p. 3.

3 Ibid., p. 5.

15

Le panel interrogé apparaît des plus représentatifs avec une diversité d'opinions. Bien que cela soit sans incidence sur le travail de recherche, par souci d'apporter un éclairage supplémentaire, nous avons sollicité également d'autres concepteurs concernés par les aménagements cités dans le présent mémoire afin de recueillir leurs points de vue, leurs visions aussi bien sur leurs projets que plus généralement sur la place du banc Davioud dans l'espace public, ainsi que la relation concepteur/maître d'ouvrage. Malheureusement, ces personnes n'ont pas donné suite à nos demandes.

Les entretiens se sont déroulés soit dans le bureau des intéressés, soit téléphoniquement ou en visioconférence. Dans la suite du mémoire, certains propos seront cités directement depuis la source, d'autres seront reformulés tout en adhérant aussi scrupuleusement que possible au discours des personnes interviewées. Néanmoins, certaines interprétations pourront être faites au regard d'idées sous-jacentes mais également par rapport à la formation et au parcours professionnel de la personne. Quand cela est le cas, dans la mesure du possible, nous l'avons signalé. Nos échanges n'ont pas fait l'objet de demandes de relecture.

Initialement, les entretiens étaient préparés selon une liste de six questions listées en annexe. Nos connaissances s'enrichissant entretien après entretien, de nouvelles questions plus ciblées sont venues améliorer le modèle de recherche prévu à l'origine. Par conséquent, la liste n'est devenue qu'une base de travail et la liste des personnes interrogées s'est enrichie. Entre nos lectures, nos rencontres et nos visites de terrain, il nous est apparu primordial de pouvoir apporter toute l'exactitude requise par rapport aux constats et aux interrogations soulevés.

Les personnes interviewées seront présentées dans cette méthodologie par rapport à leur parcours de formation et à leur poste actuel.

Sarah Ananou, ingénieure de la Ville de Paris (2014) et architecte HMONP (2022) au Service des Aménagements et des Grands Projets (SAGP) de la Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2019.

Entretien réalisé le 20 mars 2023.

Emma Blanc, paysagiste DPLG (2001), Agence Emma Blanc Paysage. Entretien réalisé le 24 février 2023.

Jean-Christophe Choblet, scénographe, urbaniste (1995), au SAGP de la DVD de la Ville de Paris en poste à la Mairie de Paris depuis 2014.

Entretien réalisé le 8 mars 2023.

Juliette Floc'h, architecte HMONP (2021) au SAGP de la DVD de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2019.

Entretien réalisé le 20 mars 2013.

Mathieu Gonthier, paysagiste DPLG (2007), Agence Wagon Landscaping. Entretien réalisé le 9 février 2023.

Bernard Landau, architecte DPLG (1974), architecte-voyer honoraire de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris entre 1983 et 2014

Entretien réalisé le 3 décembre 2022

16

Benjamin Le Masson, architecte DPLG (1991), architecte-voyer en chef au SAGP de la DVD de la Ville de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 1995.

Entretien réalisé le 10 février 2023.

Lily Munson, Normalienne, diplômée de Sciences Politiques, directrice de cabinet adjointe du premier adjoint de Paris en charge de l'urbanisme, de l'architecture, du Grand Paris, des relations avec les arrondissements et de la transformation des politiques publiques, en poste à la Mairie de Paris depuis 2018.

Entretien réalisé le 15 février 2023.

David Rykner, ingénieur agronome (1985) et diplômé de l'École du Louvre (1987), fondateur du site La Tribune de l'Art.

Entretien réalisé le 10 février 2023.

Antoine Santiard, architecte EPFL (2001), Agence h2o. Entretien réalisé le 6 mars 2023.

Michèle Zaoui, architecte DESA (1987), conseillère architecture et espace public au Cabinet de la maire de Paris, en poste à la Mairie de Paris depuis 2010.

Entretien réalisé le 13 février 2023.

Les agences n'ayant pas donné suite à nos sollicitations sont :

- Agence Jean-Michel Wilmotte (architecte) : designer du banc des Champs-Élysées

- Agence Franklin Azzi (architecte) : designer du banc Mikado

- Agence TVK (architecte) et l'architecte paysagiste Martha Schwartz : concepteurs de la

place de la République

- Coloco : agence de paysagistes concepteurs de la place de la Nation

Au terme des entretiens, des thèmes communs ont été identifiés et seront confortés par l'apport d'un corpus de sources bibliographiques.

Ce travail s'organise en trois parties. Après avoir rappelé l'histoire du banc depuis son origine antique et sa présence initiale dans les jardins, dans un premier temps nous présenterons comment, par le réaménagement des rues de Paris et par la création des promenades au cours des siècles, le mobilier urbain a été installé sur les voies. Puis, nous poursuivrons par l'histoire contemporaine tout en nous appuyant sur le fait que le banc Davioud est devenu un marqueur de la capitale. À ce titre, au regard des discussions avec les personnes interrogées, nous aborderons l'organisation administrative des instances parisiennes depuis les années 1970 dans le choix et la gestion du mobilier urbain appliqué au banc Davioud. Enfin, nous nous attacherons à analyser comment ce banc est intégré à l'espace public à travers de nombreux exemples d'aménagements. Par ce biais, nous envisagerons le rôle du concepteur et sa relation avec la Ville de Paris pour le choix et l'intégration de l'assise où le banc Davioud occupe une place primordiale.

17

DE L'O R I G I N E D U BANC A U MOBILIER URBAIN

Une origine diffuse, une étymologie diversifiée

La présence des bancs est confirmée par les archéologues en Chine et en Inde mais également dans l'Égypte ancienne dans des bas-reliefs et des tombeaux. On évoque davantage une assise partagée exposant un mariage, des scènes de la vie quotidienne d'une même famille illustrant un lien déjà avéré. Dans l'Antiquité, en latin classique, le banc est dénommé scannum qui aurait précédé celui de bancus. Scannum signifie «banc» ou «marchepied». Ce terme est relatif à un siège de forme allongée qui, dans les théâtres de la Rome antique, accueillait des citoyens romains de l'ordre équestre4.

Les vestiges de Pompéi et d'Agrigente mettent en lumière la présence d'un type particulier de banc : l'exèdre ( ex «hors» et edra «siège») où l'assise est fixée au mur, de forme carrée ou arrondie, face au péristyle. Ce terme, de manière plus générale, désigne des sièges collectifs en hémicycle que l'on retrouve à la porte d'Herculanum et à la porte de Stabies à Pompéi5. Louis-Eustache Oudot indique que «Exèdre, par ce mot on entendait en architecture, chez les anciens, un lieu de réunion où se trouvaient disposés des bancs d'où l'on pouvait de l'un à l'autre se voir et converser»6.

Tombe de Sennediem (12ème siècle avant J-C),

((c) Wikipédia).

Exèdre de la porte d'Herculanum, Pompéi,

((c) Carole Radato).

Selon la définition d'Antoine Furetière au XVIIème siècle7, le banc aurait une diversité d'origines dont il est difficile de s'accorder. Il serait issu de l'italien banco, voir du latin bancus, mais cette évolution serait postérieure et influencée par l'origine germanique pank. Il fait état d'autres origines comme benk en saxon ou banq en arabe. Le terme est également repéré pour la première fois dans la Chanson de Roland entre 1050 et 1080 que Léon Gauthier, professeur à l'École des Chartes a traduite en 18818.

4 BOURSIER-MOUGENOT Ernest-Jean, artiste plasticien et historien de l'art des jardins, L'amour du banc, Arles, Acte Sud, 2002, p. 35.

5 Ibid., pp. 45-46.

6 AUDOT Louis-Eustache, ex-secrétaire du comité de la composition des jardins à la société centrale d'horticulture de Paris, Traité de composition et de l'ornement des jardins, Paris, Audot, 1859, p. 212.

7 FURETIERE Antoine, abbé de Chalivois, de l'Académie française, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes des sciences et des arts, Tome 1, Rotterdam, Arnoud et Reinier Leers, 1702, p. 209.

8 GAUTHIER Léon, La chanson de Roland, texte critique, traduction et commentaire, Tours, Alfred Mame et fils, 1881, p. 363.

18

« [...] Thierri quand il voit que la bataille est proche, Présente à Charles son gant droit;

Et l'Empereur donne caution pour lui, et fournit des otages. Puis Charles fait sur la place disposer quatres bancs; Là vont s'assoir ceux qui doivent combattre [...] »

Au Moyen-Âge, le banc fait partie du mobilier domestique et a également un usage semi-public. Il sert de siège pour les réconciliations publiques liées à certaines institutions. Ainsi, peut-on lire sur les gradins de pierre à l'entrée du palais des Podestats en Arles : « bancs à degrés où rendaient la justice du XIIIème siècle les consuls de la république d'Arles » 9. De plus, au même siècle précité, de chaque côté des maisons françaises, on pouvait rencontrer fréquemment des bancs de pierre sur la voie publique, propriété du bâtiment qui leur faisait support10.

Bancs de justice du palais de Podestats, Arles,

((c) Christiane Bastien).

Néanmoins, c'est en Toscane que les bancs, panche di via, sous la forme de dalles horizontales en pied de mur posées sur des pieds de terre, s'implantent dans de nouveaux espaces urbains aux XIVème et XVème siècles en vue de valoriser la piazza, la loggia et les rues principales. Ils commencent ainsi à s'imposer dans l'espace public, ayant un rôle majeur mais peu considéré11.

Les promenades parisiennes : du jardin au boulevard

À Paris, le banc n'apparaît qu'au XVIIème siècle bien que dès la Renaissance des sièges étaient installés dans les jardins ombragés sous des tonnelles12. L'art de la promenade s'est développé dans les jardins royaux et les premiers bancs sont installés dans le jardin de la place Royale (place des Vosges actuelle) comme en témoigne la peinture anonyme « La place Royale, vers 1660. Passage du carrosse du roi » 13. Dans le jardin des Tuileries, de nombreux bancs en bois sont installés passant de huit en 1668 à environ deux cents à la fin du siècle14. Dans le cadre de la promenade, ils participent au jeu social du « voir et être vu » 15, accessoires de la scène de théâtre qui se joue par l'acte de la marche, réservée à une classe sociale mondaine. Les bancs sont implantés pour servir la circulation, positionnés sur le côté dans les allées centrales ou dans les contre-allées afin d'accompagner les déplacements 16.

9 BOURSIER-MOUGENOT Ernest-Jean, 2002, op.cit., p. 75.

10 Association pour l'art urbain, ANTONI Robert-Max (dir.), ingénieur, architecte et urbaniste, Vocabulaire français de l'Art urbain, Paris, Certu, 2010, p. 100.

11 JAKOB Michaël, enseignant en théorie et histoire du paysage, Poétique du banc, Paris, Macula, 2014, p.47.

12 Association pour l'art urbain, ANTONI Robert-Max (dir.), op.cit., p. 100.

13 RODRIGUEZ TOME Denyse, maître de conférences en histoire et culture architecturales, «Meubler Paris » in La beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition écologique à Paris, Paris, Pavillon de l'Arsenal - Wildproject Éditions, 2021, p. 171.

14 TURCOT Laurent, professeur et historien, Le promeneur à Paris du XVIIIème siècle, Paris, Gallimard, 2007, p. 85.

15 Ibid., p. 56.

16 MALEK Stéphane, étudiant en master II en recherche, dynamique, développement et aménagement des territoires, Banc Public un prisme d'interprétation de la composition de la rue parisienne, mémoire de recherche, Paris, Université Paris 1, 2011, p. 51.

19

Inconnu, La place Royale vers 1660; passage du carrosse du roi, peinture à l'huile, vers 1655-1665, ((c) Musée Carnavalet, Histoire de Paris).

L'essor du banc public hors des jardins est lié à la création de promenades par la destruction des anciens remparts à la demande de Louis XIV. Ainsi à la fin du XVIIème siècle, l'acte de se promener se généralise à l'ensemble de la population et non plus à une élite comme cela était le cas dans les jardins royaux des Tuileries, du Palais Royal du Luxembourg et du Jardin des Plantes17.

Sous le règne de Louis XIV est entamée la transformation des enceintes de Charles V ainsi que de Louis XIII, rive droite, donnant naissance aux Grands Boulevards (Poissonnière, Montmartre, des Italiens, des Capucines, Saint-Martin, du Temple). L'architecte Pierre Bullet (1639-1716) les a aménagés en cours plantés avec une large chaussée et des contre-allées plantées réalisées de façon irrégulière entre la Bastille et la Madeleine. Du fait de leur fréquentation croissante, ces promenades sont redéfinies comme voies urbaines par la municipalité. Vers 1740, des cafés et des lieux de divertissement s'installent sur ces boulevards18. Ces derniers se définissent alors comme « un lieu particulier qui reste un modèle de référence et un espace d'exception » 19. Les premiers bancs en pierre sont installés entre la porte Saint-Antoine et la porte Saint-Honoré comme agréments en 1751, commande des instances municipales à Pierre Outrequin (entrepreneur). On retrouve ainsi l'organisation du jardin par son mobilier transposé sur la voie publique rendant à la promenade un caractère d'intimité et d'appréciation du paysage. Le Chevalier de Jaucourt définit le banc de

17 CASTEX Jean, architecte, «Grands jardins du XVIIème siècle » in TEXIER Simon (dir.), professeur en histoire de l'art contemporain et secrétaire général de la Commission du Vieux Paris (2021), Les Parcs et les jardins dans l'urbanisme parisien, XIXème-XXème siècles, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2001, pp. 32-40.

18 CHATELET Anne-Marie, architecte, DARIN Michaël, architecte et docteur en histoire, MONOD Claire, architecte, «Formation et transformations» in LANDAU Bernard, architecte-voyer de la Ville de Paris, MONOD Claire, LORH Evelyne (dir)., conservatrice du patrimoine, Les Grands boulevards. Un parcours d'innovation et de modernité, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 2000, pp. 42-43.

19 LANDAU Bernard, SAINTE MARIE GAUTHIER Vincent, «Espace modèle et lieu d'exception » in LANDAU Bernard, MONOD Claire, LORH Evelyne (dir)., Les Grands boulevards. Un parcours d'innovation et de modernité, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 2000, p. 92.

20

jardin tel qu'il n'est rien de « si nécessaire dans les grands jardins que les bancs : on en souhaiteroit à chaque bout d'allée. Ils ont des places affectées, telles que les renfoncements & les niches dans les charmilles, les extrémités des allées, les terrasses et les beaux points de vue. [...] On en fait de marbre, de pierre & de bois » 20.

Le boulevard, par effet de miroir avec le jardin, a pour fonction de favoriser la promenade et ne peut s'apparenter à une rue : « les bancs, chaises, illuminations et arrosages sont fondamentaux dans la mesure où ils préservent la fonction récréative du boulevard en le caractérisant comme promenade publique » 21.

«La promenade du boulevard du Temple du côté de la porte du Temple», gravure,

in B. Landau, C. Monod, E. Lorh (dir)., Les Grands boulevards. Un parcours d'inno-vation et de modernité, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 2000,

((c) Collection particulière).

Il s'avère toutefois que les contre-allées, malgré le fait d'être sablées et gravillonnées, sont remplies de boue et peu sécuritaires. Les bornes dites « montoirs» séparant le piéton de la voirie ne sont pas suffisantes pour empêcher l'accès aux voitures hippomobiles. Par là même, les trottoirs sont créés, le premier datant de 1781 rue de l'Odéon, protégeant le passant des éclaboussures. Cependant la rue reste malsaine. Même après leurs créations, ils étaient censés canaliser l'eau pluviale mais les caniveaux font également office d'égouts22.

Entre 1793 et 1845, les différents services en charge de la voirie réfléchissent aux aspects techniques et à leur financement. Les trottoirs se voient dallés de pavés, de dalles en granit ou en pierre de Château Landon puis de lave d'Auvergne. Vient ensuite le mastic bitumineux mis en place pour la première fois en 1835 sur le pont Royal23.

Dans une volonté hygiéniste, mais également d'expansion de la capitale, 180 rues sont réalisées entre 1810 et 1848 à la demande des préfets Chabrol (1812-1830) et Rambuteau (1833-1848). En comptant les places, quais, boulevards, 1.400 voies ont été aménagées sur 260 kilomètres de long.

20 JAUCOURT (de) Louis, philosophe, «banc de jardin » in DIDEROT Denis, philosophe, ALEMBERT (d') Jean, mathématicien et philosophe, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, tome second, Paris, Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765, p. 55.

21 TURCOT Laurent, 2007, op.cit, p. 159.

22 THEZY (de) Marie, conservateur en chef de la bibliothèque historique de la Ville de Paris, « Le mobilier urbain», Paris, Promotion immobilière, n°30, 1976, p. 13.

23 LANDAU Bernard, « La fabrication des rues de Paris au XIXème siècle. Un territoire d'innovation technique et politique», Paris, Les annales de la recherche urbaine, n° 57-58, 1992, p. 26.

21

Concomitamment, le banc se développe, s'installe dans les rues de la capitale sous la volonté du préfet de la Restauration au rythme de la création des trottoirs qui passèrent de 16.000 à 195.000 mètres durant ses fonctions24. « [...] pour que la population pût se promener plus commodément, je fis installer des bancs partout où j'en trouvai la place. Dirai-je qu'alors il n'y en avait pas un seul à Paris tant on craignait de nuire à la location des chaises? Aussi, quand je voyais plus tard des hommes lourdement chargés se reposer un instant, des vieillards se chauffer au soleil leur canne entre les genoux, des mères faire un brin de causette en regardant jouer leurs enfants, et, le soir, des familles deviser joyeusement réunies, je passais épanoui, content d'eux et de moi. » 25

L'installation des bancs en pierre va de pair avec un dimensionnement des trottoirs, lieux idéaux de la promenade, en adéquation avec le flux de circulation des piétons. Ainsi, la dimension des rues devient réglementée par arrêté du 15 avril 1846 où le trottoir représente les 2/5ème d'une rue et complété par arrêté préfectoral du 5 juin 1856 concernant les boulevards et avenues26. Les travaux exécutés sous le comte de Rambuteau sont la préfiguration de ce que Haussmann généralisera et développera sous le système de promenades plantées durant le Second Empire.

Le banc Davioud, « accessoire» des promenades plantées

Napoléon III a intensifié la politique hygiéniste tant par la construction de nouveaux parcs et de jardins que par la création de grandes promenades plantées. Cette politique d'assainissement de l'air parisien concerne la santé, le bien-être, la détente, la sociabilité et la convivialité de la population parisienne27.

À ce titre, Haussmann, préfet de la Seine, nommé de 1853 à 1870, décide de créer le Service des Promenades et des Plantations. Il nomme à sa tête Adolphe Alphand, ingénieur des Ponts et Chaussées.

L'originalité des nouvelles avenues créées réside dans la systématisation d'un modèle et des typologies variées : terre-pleins centraux, plantations latérales avec doubles rangées d'arbres. À cela s'ajoutent des bancs, disposés de façon régulière entre les arbres. Haussmann indique dans ses Mémoires qu'il fit « planter d'une rangée d'arbres en alignement [...] et garnir de bancs comme toutes nos autres promenades, les trottoirs des voies publiques anciennes et nouvelles d'une largeur minima de vingt mètres » 28. De plus, tout un ensemble de mobilier urbain est dévolu à ces aménagements pour lesquels Haussmann emploie le terme d'« accessoire ». Il nous semble intéressant de s'attarder sur ce terme démontrant le côté insignifiant de la chose, de son caractère non indispensable pour « garnir» les espaces publics.

Le mobilier urbain est dessiné par Gabriel Davioud (1824-1881), architecte ayant intégré le service dirigé par Alphand en 1855 après être entré au Service du « Plan de la Ville» en 1843. Ses principales réalisations en tant qu'architecte sous Alphand sont les aménagements des bois de Boulogne et de Vincennes, la modification de la fontaine de la place des Innocents, la construction de celles des places Saint-Michel, Médicis et Pigalle. Les théâtres de la place du Châtelet et l'ancien

24 BARTHELOT Claude-Philibert (Comte de Rambuteau), préfet du département de la Seine, Mémoires du Comte de Rambuteau publiés par son petit-fils, Paris, Calmann-Levy, 1905, p. 376.

25 Ibid., p. 377.

26 LANDAU Bernard, 1992, op. cit., p. 27.

27 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, « Pratique et théorie du système», in TEXIER Simon (dir.), professeur en histoire de l'art contemporain et secrétaire général de la Commission du Vieux Paris (2021), Les Parcs et les jardins dans l'urbanisme parisien, XIXème-XXème siècles, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2001, p.78.

28 HAUSSMANN Georges, LANDAU Bernard, SAINTE MARIE GAUTHIER Vincent, CHOAY Françoise (dir.), Mémoires, Paris, éd Seuil - Ministère de la Culture et de la Communication, 2000, p. 942.

22

palais du Trocadéro font également partie de ses oeuvres29. Il occupe pour Haussmann le rôle que Visconti avait auprès de Rambuteau. Il est l'architecte en charge de réaliser entre 1858 et 1861 l'aménagement monumental des deux accès à l'île de la Cité30.

Le mobilier urbain de Davioud se compose d'un ensemble cohérent d'objets présentant une unicité stylistique dans un esprit d'architecture industrielle. Davioud a développé sa pensée vers la création industrielle du mobilier qu'il exprime dans son rapport de 1866 à l'Union Centrale des Beaux-arts appliqués à l'Industrie dans le cadre de la formation. Il prône l'amour du beau par « l'étude des formes qui procèdent de la nature et celles qui puisent leurs moyens d'action dans une libre fantaisie basée sur l'harmonie des rapports, la grâce des contours et la séduction de la couleur ». Il publie d'ailleurs en 1874 L'Art et l'Industrie. Son idéologie vise à former des « artistes industriels ». Afin d'assoir son propos, il désigne sous le terme « d'industriel orné» : « tout produit fabriqué dont l'utilité matérielle est indiscutable et qui se présente avec la prétention d'être beau». L'application de ce principe se traduit par une ornementation d'une grande finesse des mobiliers qu'il a dessinés. Les ornements n'apparaissent pas superflus pour donner une simple plus-value à l'objet mais participe bien « à [leur] propre essence » 31.

Émile Hochereau, Émile Dardoize, « Square des Batignolles - détails», in A. Alphand, Les Promenades de Paris, Paris, J. Rotschild, (1867-1873),

((c) ENSP).

Le banc dit « banc Davioud», à ne pas confondre avec le banc gondole également dessiné par Davioud, mais à destination des jardins et des squares, se veut confortable contrairement au banc en pierre froide et sans dossier précédemment installé sous Rambuteau32. Pour Alphand, le banc Davioud est un « complément obligé de la voie plantée », et il en dénombre 8.428 avant 187033. Ces bancs sont installés tous les 20 à 50 mètres. On peut en apprécier la disposition dans les planches de détails au 1/200ème des Promenades de Paris d'Alphand34. Michèle Jolé, sociologue, analyse cette composition urbaine où « le couple banc/arbre semble bien la formule du confort de l'assis en ville» 35.

Alphand garde cette disposition comme incontournable. Ainsi, dans la lettre qu'il adresse au maire des Batignolles le 24 janvier 1859, il écrit qu'« il est indispensable si l'on veut arriver à un ensemble satisfaisant qu'une pensée unique préside aux travaux. S'il entrait dans vos vues et dans celles du conseil municipal de me charger de l'exécution des projets, je demanderais, ainsi que cela se fait à Paris, pour les ouvrages analogues que j'exécute, à être chargé de la direction de tous les travaux : jardin, fontaine, grilles... »36.

29 THEZY (de) Marie, «Grandeur du mobilier parisien au temps du Second Empire » in Le mobilier urbain à Paris, Cahiers du CREPIF, n°56, p 24.

30 VAULCHIER (de) Claudine, Gabriel Davioud, architecte du Paris d'Haussmann, cat. exp. (Paris, 4-31 mars 1982), Caisse nationale des monuments historiques et des sites, Paris, 1982, p. 4.

31 JARASSE Dominique, Gabriel Davioud, architecte du Paris d'Haussmann, cat. exp. (Paris, 4-31 mars 1982), Caisse nationale des monuments historiques et des sites, Paris, 1982, p. 15.

32 Ibid, p. 243.

33 ALPHAND Adolphe, 1867-1873, op. cit., p. 246.

34 ALPHAND Adolphe, Les promenades de Paris : histoire, description des embellissements, dépenses de création et d'en-tretien des Bois de Boulogne et de Vincennes, Champs-Élysées, parcs, squares, boulevards, places plantées, études sur l'art des jardins et arboretum, Paris, J. Rothschild, 1867-1873, planche voie publique-détails, n.p.

35 JOLE Michèle, sociologue, «Quand la ville s'invite à s'asseoir - Le banc parisien et la tentation de la dépose», Paris, Les annales de la recherche urbaine, n°94, 2002, p. 110.

36 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, «Pratique et théorie du système», 2001, op.cit., p. 82.

23

Émile Hochereau, Émile Dardoize, « Voies publiques - détails», gravure, in A. Alphand, Les Promenades de Paris, Paris, J. Rotschild, (1867-1873),

((c) ENSP).

24

L'apparition de la fonte permet de fabriquer des séries de mobilier à moindre coût et facilement reproductible. Un banc revient à dix francs l'unité contre 54 francs pour le banc de Rambuteau. La fonte a également été choisie pour sa plasticité esthétique. On parle alors de décor urbain.37 Son oeuvre en matière de mobilier urbain répond aux règles strictes donnant à l'ensemble l'harmonie que l'on peut trouver dans des jardins classiques. Il s'agit d'une « démarche» normalisatrice officiant à l'implantation du mobilier urbain dans une uniformité de style38. « Tous ces éléments-là dans tous les quartiers de la ville font sens, font globalité, font réseau » 39 tel que le définit Chiara Santini, historienne des jardins.

Ce banc est composé d'une double assise et d'un dossier en chêne, de deux piètements en fonte ornementés de motifs floraux et des armoiries de la Ville de Paris (blason de 1853 avec une nef à trois mâts), recouvert d'une peinture vert-sapin renouvelée chaque année40. De nos jours, seule l'assise a été modifiée. Elle est formée par deux lattes de bois alors qu'elle était unique à l'époque.

Banc Davioud original, 2023, ((c) Pierre Médecin).

37 SAINTE MARIE GAUTIER Vincent, 2001, op. cit., p.79.

38 SANTINI Chiara, professeure d'Histoire des jardins et du paysagisme, Adolphe Alphand et la construction du paysage de Paris, Paris, Hermann, 2021.

39 SANTINI Chiara, Davioud Gabriel architecte du mobilier urbain de Paris sous le Second Empire, Comité d'Histoire de la Ville de Paris, Théâtre du Châtelet, Paris, avril 2021, min. 41.

40 Ibid, p. 246.

25

Le Cahier des charges et bordereau des prix des fournitures de fontes et bancs nécessaires aux services de la voie publique et des promenades de la Ville de Paris du 1er janvier 1881 au 31 décembre 1883 mentionne que « la fonte sera grise, douce, se laissant aisément travailler à la lime et au burin [...] le bois sera de coeur de chêne tout en précisant que l'ingénieur pourra agréer des modèles nouveaux, présentés par l'entrepreneur » 41.

Pendant le siège prussien, lors du conflit qui oppose la République issue des cendres du Second Empire et la Prusse, les arbres, aussi bien dans le bois de Boulogne, les parcs, les jardins et les squares, sont abattus afin de fournir le charbon nécessaire à l'armée et à la population. Toutefois, les plus pauvres n'étant pas suffisamment approvisionnés, des destructions massives et sauvages des voies publiques sont effectuées par un pillage du mobilier urbain et des plantations. Les assises et dossiers des bancs Davioud servaient alors de bois de chauffage42.

À la suite de cette guerre, après l'armistice du 26 janvier 1871 et l'épisode de la Commune de Paris (1870-1871), le nouveau préfet de la Seine, Léon Say, réorganise les services techniques administratifs avec la création de la direction des Travaux en 1871 comprenant deux divisions : celle des Eaux et des Égouts dirigée par Belgrand et celle de la Voie publique et des Plantations dirigée par Alphand43. Au sein de cette dernière, Alphonse Hugé succède à Gabriel Davioud en 1872, ce dernier nommé « inspecteur général des travaux d'architecture de la Ville de Paris» un an plus tôt et mis à la retraite en 187544. En charge du dessin du mobilier urbain, Hugé reste dans la droite ligne de son prédécesseur. Jean-Camille Formigé le remplace en 1884 et tente une modification de couleur des bancs que le Figaro du 26 mai 1884 qualifie de « petite révolution». Le vert-sapin du banc est remplacé par un « saumon foncé» et les montants de fonte en « gris argent »45. L'expérience ne sera pas réitérée.

41 THEZY (de) Marie, Paris la rue. Le mobilier urbain parisien du second Empire à nos jours à travers les collections photographiques de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Paris, Société des Amis de la Bibliothèque Historique, 1976, p. 35.

42 SANTINI Chiara, 2021, op. cit., p. 125.

43 Ibid, p. 130.

44 Ibid, p. 165.

45 THEZY (de) Marie., 1976, op. cit., p. 36.

27

ÉVOLUTION ET DIVERSIFICATION TARDIVE VERS LA FIN DU XXÈME SIÈCLE Une composante du mobilier urbain

Le banc parisien, du statut d'« accessoire » de voirie selon Haussmann, devient un élément du « mobilier urbain» : expression qui regroupe les candélabres, kiosques, vespasiennes, signalisation routière, mobilier de dissuasion, poubelles. Il semble difficile de s'accorder sur la date d'apparition de ce terme. Selon certains chercheurs, il aurait été employé dès les années 1950 pour « désigner les objets légers et déplaçables, mais non mobiles, qui [...] complètent l'ensemble des immeubles et de la voirie pour la commodité et le confort extérieur des habitants » 46. Pour d'autres, cette formulation serait issue de la production à grande échelle par JC Decaux. Après Davioud, initiateur du mobilier urbain, l'industriel en aurait impulsé le second avènement cent ans plus tard 47.

Michel de Sablet, architecte, préfère le terme de « composant urbain», l'expression « mobilier urbain» conférant à son avis un caractère statique. Il précise que « ce n'est pas un équipement destiné à être posé sur un territoire communal, mais comme un outil d'aménagement de l'espace collectif dont l'assemblage avec d'autres permet de mettre en scène cet espace». Par cette définition, il désigne le banc comme élément servant à de nombreux usages autres que celui de s'assoir48.

Diversification des modèles

Alors que le nombre de bancs entre le Second Empire et 1960 avait baissé à environ 6.000 exemplaires selon le témoignage du préfet Benedetti49, un nouvel essor s'engage à compter des années 1980 où la place du piéton reprend ses droits dans une politique de mobilité. En effet, jusqu'au milieu des années 1970, une place prépondérante avait été donnée à l'automobile, la rue lui étant dévolue au détriment du piéton par un élargissement de la chaussée. La priorité était à la fluidification du trafic routier50.

Dans les années 1960 et 1970, le mobilier urbain est hétéroclite et lié aux processus d'un urbanisme moderniste. À compter des années 1980, s'agissant de l'aménagement des espaces publics, la Ville de Paris fait de plus en plus appel à des concepteurs extérieurs, bien que cela ne concerne le plus souvent que les parcs et les jardins. Les projets sont issus d'une réflexion de l'Atelier Parisien d'Urbanisme (APUR), bureau d'études et de conception pour l'amélioration de l'espace urbain parisien. La coordination de la conception, quant à elle, est assurée par le Service Espace Public dépendant de la Direction de l'Aménagement, de l'Urbanisme et de la Construction.

46 CHOAY Françoise, historienne des théories et des formes urbaines et architecturales, MERLIN Pierre, géographe, Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, Paris, PUF, 2009, p. 469.

47 BARBAUX Sophie, paysagiste DPLG, Objets urbains. Vivre la ville autrement, Paris, ICI Interface, 2010, p. 15.

48 BOYER Annie, architecte DPLG, DEBOAISNE Diane, architecte DPLG, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, directrice du CAUE 78, Le mobilier urbain et sa mise en scène dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux, Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement des Yvelines, 1990, p 10.

49 THEZY (de) Marie, 1976, op. cit., p. 36.

50 BLAIS Jean-Paul, sociologue et urbaniste, «Bancs de service public», Paris, Architecture, n°240, supplément, Société d'éditions architecturales, 2015, p. 19.

28

Certaines rues sont équipées de bancs qui leur sont propres. C'est le cas de la rue du Docteur Finlay (15ème arrondissement) dont Michel de Sablet crée le mobilier en 1980. Il s'agit d'éléments préfabriqués en briques pour les pieds et en bois pour l'assise. L'architecte a également décliné sa propre ligne de mobilier urbain, le Mobitube, système tubulaire permettant de multiples combinaisons. L'architecte Alain Sarfati, quant à lui, dans le cadre de l'amé-nagement en 1995 de la ZAC Manin-Jaurès (19ème arrondissement) a créé un mobilier sur mesure dans une vision d'accumulation, de superposition des actions. Toutefois, les éléments sont fragiles et difficiles d'entretien51.

 

Mobilier urbain de Michel de Sablet, Rue du Docteur Finlay, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Banc Wilmotte,

Avenue des Champs-Elysées, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Un projet majeur, celui du réaménagement de l'avenue des Champs-Élysées en 1989, a vu naître une ligne de mobilier urbain dessinée par Jean-Michel Wilmotte dont un modèle de banc. La réussite du projet réside dans l'échange qu'il y a eu entre Wilmotte et Bernard Huet architecte et concepteur de l'aménagement de l'en-semble aussi bien en matière de design que d'implantation, sous couvert de la validation par la Mairie de Paris52. L'emploi de matériaux traditionnels pour le banc, la fonte et le bois associés à l'aluminium reste en cohérence avec l'avenue, faisant le lien entre le passé hauss-mannien et la modernité 53.

Le banc double Davioud a lui aussi fait l'ob-jet de transformations. Il a été simplifié en 1993 par l'architecte Hofmann. De plus, un modèle de banc simple a également été créé. Ce mobilier reste facilement reproductible, aussi bien les lattes de bois que les piètements en fonte dont la Ville de Paris est propriétaire des moules. Il fait l'objet de marchés à bons de commandes avec divers fondeurs. Le Centre de Maintenance et d'Approvisionnement (CMA) est chargé de la

gestion et de l'entretien de l'assise en bois du banc. 1200 planches en bois (assises et dossiers

confondus) font l'objet d'une rénovation ou d'une fabrication annuelle, dont 90% sont recyclées54.

51 . BOYER Annie, architecte DPLG, DEBOAISNE Diane, architecte DPLG, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, directrice du CAUE 78, Le mobilier urbain et sa mise en scène dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux, Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et d'Environnement des Yvelines, 1990, p. 11.

52 . MOLINER Charles, « Les Champs-Élysées » in Le mobilier urbain à Paris, Paris, Cahiers du CREPIF, 1996, n°56, p. 79

53 . WILMOTTE Jean-Michel, architecte DPLG, Architecture intérieure des villes, Paris, Le Moniteur, 1999, p. 144.

54 . PRALIAUD Claude (dir.), 10 ans de mobilier urbain, Paris, Mairie de Paris, 2013, p. 99.

29

Enfin, bien qu'il s'agisse là d'un projet destiné à la banlieue parisienne, à l'image de Gabriel Davioud, Alexandre Chemetoff, architecte et paysagiste, dans le cadre de la création de la ligne de tramway de Saint-Denis à Bobigny (1990-1993), a créé une gamme de mobilier urbain qui répond aux mêmes critères que ceux voulus par l'architecte du Second Empire. Sa forme réinterprète celle du mobilier parisien : une gamme cohérente, en fonte, reconnaissable par ses couleurs bleues et vertes, à moindre coût où les moules en fonte sont conservés par obligation contractuelle55.

Ligne de tramway Saint Denis - Bobigny in A. Boyer, D. Deboaisne, E. Rojat-Lfevbre, Le mobilier urbain et sa mise en scène dans l'espace public, Montigny-le-Bretonneux, CAUE, 1990,

((c) Alexandre Chemetoff & Associés).

Des expérimentations peu comprises par les usagers

En 2013, la Mairie de Paris publie 10 ans de mobilier urbain qui relate la politique de la ville dans ce domaine depuis 2002. Julien Bargeton, alors adjoint au maire de Paris, chargé des déplacements, des transports et de l'espace public, précise que la Ville de Paris a souhaité mettre en place des expérimentations fin 2012, et ce pour une durée d'un an, de douze modèles de bancs, tabourets et chaises installés sur les Grands Boulevards. Ce projet est à l'initiative de la Direction de l'Urbanisme. La Ville de Paris envisage le rapport du piéton à l'espace public comme s'il était chez lui, dans un environnement intimiste56. Les habitants pouvaient s'exprimer concernant ces modèles sur le site www.paris.fr pour éventuellement enrichir la gamme actuelle de bancs. Ceci devait permettre dès lors d'écrire de nouveaux cahiers des charges pour des assises inédites57.

55 . BOYER Annie, DEBOAISNE Diane, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, 1990, op. cit., p. 6.

56 PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p.3.

57 Ibid., p.99.

30

Marc Aurel, designer, dans ce même document, prend position quant au mobilier urbain contemporain qui doit se détacher du modèle haussmannien. L'implantation du banc doit être « réinterprétée en fonction des lieux, des espaces et de l'évolution des usages». Le mobilier urbain doit s'inscrire à Paris entre histoire et modernité58.. C'est également l'avis de Jérôme Courmet, maire du 13ème arrondissement depuis 2007, qui souhaite une installation de chaises en lieu et place de bancs dont le rôle d'assise a été détourné59.

Berges de la Seine, Paris, 2021, ((c) www.paris.fr).

C'est dans cet esprit que l'aménagement des berges de la Seine en 2013 offre l'oppor-tunité d'en faire un lieu d'expérimentation. Les habitants deviennent acteurs de l'évolution de l'espace public. Les quais deviennent un lieu de promenade aussi bien pour les piétons que pour les usagers de moyens de déplacement du type vélos et rollers. Le choix du mobilier se veut adapté aux usages, mais également à la dynamique des berges, que ce soit par l'organi-sation d'événements ou simplement soumis au risque des crues60. L'APUR reconnaît lors du projet d'aménagement que le choix des bancs en bois de chêne dits « bancs Mikado» est perçu comme une « incongruité » 61. Ils ont été dessi-

nés par l'architecte Franklin Azzi qui fait partie du groupement de maîtrise d'oeuvre du projet. Azzi a eu pour principe de dessiner un mobilier pouvant être redisposé afin de répondre aux usages spor-

tifs, événementiels et culturels. « La simplicité du Mikado, de son matériau, de sa forme, de son assemblage participe à une ambiance conviviale » 62. En complément de ces bancs sont également installés des madriers en chêne. Des emmarchements démontables servant tour à tour d'assises ou de scènes ont été construits sur le port de Solferino et sur l'archipel du port du Gros caillou63.

Alors que les bancs Mikado n'étaient destinés à l'origine qu'à l'aménagement des berges de la Seine, la Mairie de Paris a décidé de son propre chef de les installer sur la place de la République sans consulter la Commission de Mobilier Urbain (CMU) chargée des choix et installation de mobiliers. Depuis les années 1970, es bancs, disposés en bordure de la place, servaient d'obstacles contre les voitures béliers. Leur manque d'entretien a fait l'objet de polémiques par l'intermédiaire des réseaux sociaux en 2020. Ceci a été un élément supplémentaire motivant la reprise de contrôle par la Mairie de

 

Place de la République, Paris, 2020, ((c) G. Freihalter).

 
 
 

58 AUREL Marc, designer, « De la ville à l'objet» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p. 31.

59 COUMET Jérôme, mairie du 13ème arrondissement, « De la ville à l'objet» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p. 61.

60 ALBA Dominique, architecte, PELLOUX Patricia, directrice adjointe de l'APUR, «Mobilier urbain et aménagement des berges» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op.cit., p. 69.

61 ALBA Dominique, PELLOUX Patricia in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op.cit., p. 70.

62 AZZI Franklin, architecte, Berges de Seine [75], Paris, dossier de presse, 2013, p. 7.

63 ALBA Dominique, PELLOUX Patricia in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p. 71.

31

Paris concernant le choix du mobilier urbain par la création en 2022 d'une nouvelle entité administrative : la Commission de Réhabilitation de l'Espace Public (CREP). Pour mémoire, le collectif sur twitter, #saccageparis, dénonce quotidiennement les choix, les implantations et l'entretien du mobilier urbain en ville, relayé par l'opposition municipale. Ces critiques sont également alimentées par Didier Rykner, historien de l'art, directeur de la rédaction de la Tribune de l'Art64 et auteur de La disparition de Paris.

En avril 2021, la mairie affirme que « la Ville de Paris subit une campagne de dénigrement via #saccageparis » 65, propos appuyé par Anne Hidalgo dans son interview sur France 2 lors de l'émis-sion les 4 vérités le 15 avril 202166. En juillet de la même année, Emmanuel Grégoire admet que ces critiques, bien que virulentes, ont permis de « aiguillonner et stimuler» l'administration pour « aller plus vite», ajoutant que « ce qui irrite #saccageparis nous irrite aussi » 67. Il annonce qu'une opération de démontage des mobiliers urbains est prévue à l'automne 2021 concernant 150 petits bancs de type « champignon» (ndla : expérimentations installées sur les Grands Boulevards en 2012)68. A ce propos, en juin 2022, Quentin Divernois, un des initiateurs de #saccageparis affirme dans Le Monde qu'aucun bilan n'a été fait concernant ces assises sur les Grands Boulevards depuis 10 ans. Les bancs dissemblables étaient toujours présents69. Nous avons contacté la Mairie de Paris qui nous a informé que leur dépose s'effectuerait courant 2023.

Les bancs Mikado de la place de la République sont enlevés en août 2022. Ils ont été remplacés par des bancs granit70. De plus, 17 bancs historiques modernisés type Davioud sont désormais répartis sur la place.

Place de la République, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

64 RYKNER Didier, «Mobilier urbain: les mensonges de la Ville de Paris», La Tribune de l'art [En ligne], 23/05/2021.

65 BOUVIER Pierre, « #Saccageparis, un hastag qui relance le problème récurrent de la propreté de la capitale», Le Monde - Billet de Blog [En ligne], 05/04/2021.

66 France Télévision, Les 4 vérités, émission télévisée, France, 15 avril 2021, 2min18s.

67 CAZI Émeline, COSNARD Denis, 2022, «Paris entame un grand tri dans son mobilier urbain», Le Monde [En ligne], 15/06/2022, mis à jour le 15/06/2022.

68 COSNARD Denis, « A Paris, Anne Hidalgo va retirer les mobiliers urbains les plus contestés», Le Monde [En ligne], 05/07/2021, mis à jour le 08/07/2021.

69 CAZI Émeline, COSNARD Denis, op. cit.

70 BAVEREL Philippe,« « Les Mikado étaient horribles! » : les bancs Davioud font leur grand retour sur la place de la République», Le Figaro [En ligne], 15/08/2022.

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Les années 2020, une politique liant histoire haussmannienne et modernité

À l'aube du deuxième mandat d'Anne Hidalgo comme maire de Paris en 2020 et suite aux écueils des expérimentations entre 2014 et 2020, la ville a souhaité revoir les règles d'urbanisme en matière d'esthétique. L'objectif est de fournir Un manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne avec des principes applicables aux nouveaux mobiliers urbains, comme l'indique Emmanuel Grégoire en septembre 2021 dans sa feuille de route. Ce dernier précise que cette réflexion a comme objectif de faire des Parisiens les acteurs de leur ville et non des figurants dans une cité figée dans son histoire haussmannienne. « Si on enferme la ville dans le référentiel haussmannien, c'est un Paris de touristes que l'on bâtit » 71. C'est ainsi que lors de la conférence de presse du 20 novembre 2020, le premier adjoint au maire a annoncé le dispositif mis en place pour établir le Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne72.

En préparation de ce document, l'APUR a organisé en 2021 sept ateliers73 : Rénovation urbaine et quartiers populaires; Le genre dans l'espace public; Esthétique du sport; Nouveaux enjeux de végétalisation et de mobilité; Enjeux esthétiques de la mémoire et de la culture; Accessibilité dans l'espace public; Esthétique de la nuit.

Dans le cadre de l'atelier consacré aux enjeux esthétiques de la mémoire et de la culture, Dominique Alba, directrice générale de l'APUR, précise que : « Paris est une ville de mémoire et de culture et l'espace public est particulièrement impacté par cette histoire. L'espace public parisien est une réalité puissante mise en place au XIXème siècle, avec un vocabulaire [...] » 74. Carine Rolland, adjointe à la maire de Paris chargée de la culture et de la ville du quart d'heure, ne pouvant être présente, a fait parvenir une contribution écrite abordant notamment le mobilier historique et le caractère hétérogène de l'espace public. Elle propose dès lors, afin de respecter l'identité parisienne, la création d'une nouvelle charte de design des mobiliers urbains75.

 

Paris Manifeste pour la beauté - les objets, Ville de Paris, 2022, ((c) Mairie de Paris).

En prenant en compte ces réflexions, la Mairie de Paris publie en juin 2022 le Manifeste pour la Beauté dont le tome III est consacré au mobilier urbain. Il détaille quelques modèles de bancs existants (liste non exhaustive) tout en mentionnant, outre les descriptions techniques, le contexte historique et les usages. Le banc Davioud est bien dissocié du banc historique modernisé. Ce dernier, outre l'aspect esthétique le différenciant du banc du Second Empire, peut être installé non plus uniquement dans l'aligne-ment des trottoirs mais également perpendiculairement à celui-ci pour créer des espaces de « face à face» 76, comme l'avenue de la République.

71 COSNARD Denis, « Bientôt un grand débat sur l'esthétique de Paris», Le Monde [En ligne], 05/10/2020, mis à jour le 05/10/2020.

72 Ville de Paris, Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne, Paris, dossier de presse, 2021, 36 p.

73 APUR, Synthèse des sept ateliers pour une connaissance partagée de l'espace public - contribution au manifeste de la nouvelle esthétique parisienne, Paris, Atelier Parisien d'Urbanisme, 2021, 122 p.

74 Ibid., p. 65.

75 Ibid., p. 83.

76 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la beauté - les objets, Paris, Ville de Paris, 2022, pp. 8-14.

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Concomitamment, l'APUR édite un Atlas du mobilier urbain parisien détaillant le nombre, le type et l'implantation des bancs. Ainsi,on dénombre 8.593 bancs et assises sur voies publiques. La majorité est installée sur des trottoirs d'au moins 9 m de large ainsi que sur les places, placettes, berges. L'APUR précise qu'un recensement des bancs « Davioud» est en cours et fera l'objet d'une prochaine publication77. Les prémices de cet inventaire ont été dévoilées lors de l'exposition La beauté d'une ville en 2021 au Pavillon de l'Arsenal78.

«Les bancs et banquettes» in Atlas du mobilier urbain parisien, Paris, Atelier Parisien d'Urbanisme, 2022, ((c) APUR).

Un marqueur de la capitale

La Mairie de Paris a compris que le banc historique est porteur de significations et d'un imaginaire qui dépasse l'objet lui-même. « Au fil des siècles [le banc] est par sa forme et son emplacement le reflet culturel de l'évolution des civilisations et des sociétés » 79.

Nous verrons comment l'art et la représentation sur différents médiums ont participé activement à l'établissement du marqueur dans l'imaginaire collectif.

Les entretiens permettront d'assoir ces constats par une prise de conscience récente de la Mairie de Paris qui en a fait depuis peu un élément moteur de sa politique.

77 APUR, 2022, op. cit., p. 45.

78 PELLOUX Patricia, « Un inventaire dessiné du mobilier urbain » in La beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition écologique à Paris, op. cit., pp. 304-305.

79 BARBAUX, 2010, op. cit., p. 21.

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Arts et iconographies

S'agissant du banc parisien, l'image d'Épinal est celle du banc Davioud, et ce depuis sa création. Paris s'invite dans l'imaginaire de tout un chacun à la vue de l'assise historique.

Dans la première partie du XXème siècle, de nombreuses affiches et prospectus publicitaires font réclame pour des produits et services de sociétés parisiennes. Là encore, Paris n'est pas expressément citée mais la référence est claire. Les entrepreneurs semblent attachés à leur implantation parisienne et le banc sert parfaitement la cause. Faire mention du banc, c'est faire penser à Paris, capitale dénotant les notions de qualité et d'excellence.

 

((c) www.delcampe.net).

Outre celles-ci, Paris est considérée comme la capitale de l'amour. Les arts la célèbre sans forcément la nommer mais simplement en évoquant le banc Davioud. Dans le registre musical, Georges Brassens dans Les amoureux des bancs publics fait mention de la couleur caractéristique dudit banc. « Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts » 80. Dans l'univers de la photographie, nous pouvons citer entre autres Robert Doisneau, René Jacques, Brassai ou encore Sabine Weiss. S'agissant de la peinture, le banc Davioud associé aux autres marqueurs de mobilier du Second Empire suffit à évoquer Paris.

Sabine Weiss, Regard profond, photographie, 1985, ((c) Sabine Weiss).

80 BRASSENS Georges, Les Amoureux des bancs publics, Polydor, 1953.

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Le cinéma et les fictions télévisées, français ou étrangers, sont le reflet de cette transcription de Paris, un Paris historique dont l'histoire aurait débuté au Second Empire et qui fait toujours sens. C'est le Paris retranscrit par le film « Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain» (2001) de Jean-Pierre Jeunet, le Paris de Woody Allen. Le banc assoit cet imaginaire comme en témoigne la série Emily in Paris où la protagoniste est filmée en plan rapproché assise sur des bancs Davioud81. De plus, de nombreuses scènes ont été tournées place de l'Estrapade (5ème arrondissement). Le square de la place est agrémenté de quatre bancs Davioud se rendent les touristes pour photographier le lieu de vie d'« Emily ». L'inconscient entre films et réalité concourt ensuite à retranscrire cet imaginaire parisien.

Emily un Paris, saison 2, épisode 9, 2022,

((c) Darren Star productions).

Place de l'estrapade, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

Tous ces élements concourent, par le banc Davioud entre autre, à pénétrer l'imaginaire de tout un chacun si bien que la seule vision du banc induit le reflexe de la pensée à la ville Lumière.

Une vision commune par l'ensemble des acteurs de l'espace public

Le dossier de presse de novembre 2021, distribué lors de la conférence d'Emmanuel Grégoire relative au Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne, affirme que le mobilier urbain historique, dont le banc Davioud fait partie, est un marqueur du paysage parisien. D'ailleurs, suite à la concertation des Parisiens qui a contribué à établir ce document, le chapitre concernant le patrimoine historique fait part d'un témoignage issu de cette concertation. « Le mobilier de la fin du XIXème siècle est unique et est un élément de la personnalité de la ville et est un marqueur identitaire. Il est le témoin de son Histoire, un classement Monuments historiques ou Patrimoine mondial reconnaîtrait ce statut et le protègerait » 82.

Dans la continuité de cette idée, Emmanuel Grégoire dans la préface de La beauté d'une ville mentionne que le mobilier installé sur les promenades plantées d'Alphand relève de la « grammaire urbaine» de la capitale à l'instar des trottoirs, des arbres d'alignement pour n'évoquer que l'espace public. Tout ceci contribue à créer une « approche globale du paysage de la ville» par le dessin et ses composants urbains. D'ailleurs, il précise qu'il ne saurait être question d'abandonner ces mobiliers auxquels les Parisiens sont attachés.83

81 FLEMING Andrew, Emily in Paris, 2021, série télévisée couleur, Etats-Unis d'Amérique, Darren Star productions, Jax Media, MTV Entertainment Studios, saison 2, épisode 9.

82 Mairie de Paris, Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne, 2021, op. cit., p. 7.

83 GRÉGOIRE Emmanuel, «Comment penser et créer une nouvelle esthétique parisienne?» in La beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition écologique à Paris, 2021, op. cit., p. 17.

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Les différentes discussions, tous acteurs confondus, permettent d'aboutir à une convergence de vue quant à la qualification du banc Davioud. Nous l'interprétons à travers le terme « marqueur» qui revient souvent dans les entretiens bien que la question initiale soulevait la valeur de géosymbole. Joël Bonnemaison, le premier à avoir défini ce terme en 1981 dans le cadre d'une mission au Vanuatu84, le conçoit comme « une structure symbolique d'un milieu, d'un espace [...] il balise le territoire et le charge de significations : monuments, statues, calvaires... Nous ne sommes pas là dans le domaine de la fonction mais dans celui du signe » 85. Cette définition semble dépasser l'objet lui-même qui ne saurait être considéré comme l'identité d'une culture, notamment au regard de la diversité de populations et des quartiers de Paris. Compte tenu de ce qui précède, nous pourrons alors assimiler le terme de géosymbole à celui de marqueur au fil des entretiens pour éviter toute confusion dans la poursuite de la lecture.

Michèle Zaoui précise que le banc Davioud ne conforte pas uniquement le Parisien dans son identité mais également le visiteur. Il permet comme d'autres éléments emblématiques créés

Colonne Morris, place de l'Hôtel de Ville, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

par Davioud (grilles d'arbres, candélabres) ainsi que les colonnes Morris et les entrées de métro Guimard, de démarquer Paris des autres grandes métropoles internationales. « C'est un marqueur et encore une fois, avec tout ce que je lis, que je pratique sur la ville contemporaine, c'est vraiment extrêmement important de se dire : « on a des marqueurs de l'identité, on sait, on reconnaît. » À ce titre, elle insiste sur l'uniformité des grandes villes à pouvoir s'individualiser : « les métropoles aujourd'hui se ressemblent énormément, et notamment via le commerce franchisé, c'est vraiment là-dessus qu'on doit être très attentif. »

Pour assoir ce particularisme parisien, bien que le code des marchés publics implique le renouvellement des colonnes Morris, la Mairie de Paris a souhaité qu'« elles ne soient pas modifiées de façon importante. C'était la première fois que cela était fait avec un mobilier urbain. Nous nous sommes dit que le combo composé de la colonne Morris, du banc Davioud et de l'entrée de métro Guimard arrivait vraiment à former une espèce de trilogie où tout d'un coup [...] on était géolocalisé et on se disait : on est à Paris, c'est important.»

À la question de savoir si le banc Davioud est un géosymbole de la capitale, Benjamin Le Masson répond par l'affirmative. Il prend également pour exemple les entrées de métro de Guimard qui ont été copiées dans les pays asiatiques et aux États-Unis, les plans étant tombés dans le domaine public. « Oui, pour moi on sait qu'on est à Paris ou alors en effet ça peut vous rappeler Paris comme la tour Eiffel. C'est une signature de Paris.» Il rajoute que le banc Davioud au même titre que la colonne Morris, la borne de trottoir en granit, le feu tricolore « tuyau de poêle» et la grille d'arbres font partie « du vocabulaire historique, iconique de Paris» et les qualifie également de « faire-valoir». Il explique

84 BONNEMAISON Joël, «Voyage autour du territoire», Paris, L'Espace géographique, n°4, 1981, pp. 249-262.

85 BONNEMAISON Joël, La géographie culturelle - cours de l'université Paris IV Sorbonne (1994-1997), Paris, C.T.H.S., 2004, p. 42.

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que, depuis quelques années, après différentes expérimentations « plus ou moins heureuses'> lors de la précédente mandature (2014-2020), il y a eu un « un retour de bâton ; les réseaux sociaux et l'organisation d'influenceurs de #saccageparis [y ayant contribué]. Mais je pense qu'il est difficile de contourner cette image patrimoniale historique de Paris.'> Il avoue qu'initialement il n'était pas forcément favorable à ce retour au passé, mais que « ça s'impose à soi. Mais de mon point de vue, il ne faudrait pas qu'on oublie en effet qu'on puisse introduire une certaine modernité.'>

Lily Munson s`accorde à dire que le banc Davioud peut être considéré comme un géosymbole. Elle relate, à ce titre, une expérience vécue avec Emmanuel Grégoire quant à cette impression d'appartenance à la capitale par l'observation de l'espace public. « Où que nous soyons dans Paris, nous avons fermé les yeux puis en regardant à nouveau de se dire quel est le premier objet qui nous frappe afin de se sentir à Paris? C'est un jeu très drôle parce que justement ça nous permettait d'identifier quels étaient les marqueurs où on disait tout de suite : je suis à Paris.'> Elle précise que le banc n'était pas que le seul marqueur. On peut ajouter la grille d'arbre et d'autres encore comme la colonne Morris, la fontaine Wallace, l'entrée de métro de Guimard. « Toutefois, le banc fait bien partie de ce particularisme par son implantation en alignement entre deux arbres. [...] Ce banc, où que l'on soit dans le monde, je pense qu'il aurait cette identité parisienne.'>

Fontaine Wallace, boulevard du Palais, Paris, 2023, Édicule Guimard de la station Cité, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin). ((c) Pierre Médecin).

Elle estime que cette identité est essentielle pour les Parisiens, identité à laquelle ils peuvent se raccrocher. Du fait de la pression démographique journalière par l'afflux de touristes, le Parisien se sent « pressurisé'>. Toutefois, cette pression reste acceptable par l'habitant qui, par l'image véhiculée par les bancs Davioud, se sent « fier de la beauté et du capital symbolique et historique de ce que ça charrie. Je pense que c'est un sujet majeur d'acceptabilité de la densité, de vivabilité de la ville d'avoir ces marqueurs qui sont le symbole d'une histoire, le symbole d'un patrimoine. Le mobilier a en ça une charge affective énorme. [...]. C'est un élément d'identité immédiate. Le banc est LE mobilier auquel tout le monde a accès. C'est très rare car, en fait il y a très peu de services qui sont aussi accessibles à tous et donc d'éminemment appropriables. '>

86 . LEFRANÇOIS Carole, « Jean-Christophe Choblet, l'urbaniste aux idées bien en place», Télérama, [en ligne], mis en ligne le 06/01/2018, modifié le 08/12/2020.

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Jean-Christophe Choblet, du fait de son parcours professionnel avec par exemple la création de Paris-Plages en 2013 et bien que travaillant à la Mairie de Paris possède une opinion forte et engagée quant à l'aménagement de l'espace public parisien. Il avait déclaré en 2018 dans Télérama86 : « Le Paris haussmannien, c'est le cercueil de chacun. On tue une ville avec les pesanteurs de son patrimoine. Il n'y a rien de pire qu'une ville musée qui recule devant la modernité.»

Il est actuellement responsable de la nouvelle esthétique, de l'urbanisme transitoire et de l'acti-vation des territoires. Sa vision reste toujours dans cette droite ligne, mais il relativise quand il s'agit de parler du banc Davioud. « C'est un marqueur esthétique, mais aussi un marqueur d'une forme de mémoire collective parisienne qui est très puissante comme d'ailleurs les entrées de métro Guimard. Je pense que c'est suffisamment intéressant pour voir comment le design a pu évoluer dans le mobilier urbain ces derniers temps, que ça soit Marc Aurel ou Jean-Michel Wilmotte qui reprennent des courbes déjà présentes dans ces mobiliers-là. C'est une façon plus contemporaine, mais c'est une réinterprétation malgré tout d'une forme qui est quand même dans un art très floral de l'époque.»

Antoine Santiard, quant à lui, estime le mot géosymbole trop fortement connoté. « C'est un banc qui fait tellement partie du paysage quotidien que les gens ne le voient plus, c'est un peu comme la tour Eiffel. Les gens ne se posent plus la question de savoir si c'est beau ou pas beau. Dès qu'on voit ça, on se dit que c'est Paris. Ça participe de l'écriture que tout le monde, je pense, a acceptée au fil du temps. [...] Si on le leur met sous le nez, je pense que ça participe à l'esthétique parisienne et à la reconnaissance. » Il prend l'exemple des films où la présence d'acteurs assis sur ce type de banc induit dans l'imaginaire de chacun qu' « on sait que ça se passe à Paris. »

Emma Blanc, elle, définit le banc Davioud comme une véritable esthétique. « C'est une vraie identité de Paris. Ça marque aussi une époque en fait. [Ce banc] est très lié à son histoire, au XIXème siècle. Par conséquent, je crois que c'est un marqueur d'une époque dans Paris. À ce titre, c'est intéressant d'avoir sa présence dans l'espace public, les parcs, à certains endroits, mais qu'au-jourd'hui sa présence n'est pas forcément justifiée partout. »

Du fait de la diversité de la population à Paris, par cette mixité sociale, Emma Blanc pense que le banc Davioud ne peut pas être défini comme un élément fort du paysage urbain de la capitale pour ses habitants. « Ce n'est pas uniquement que ce banc qui peut faire penser à Paris. C'est l'ensemble de ce mobilier en fonte qui a été pensé en fait. À l'époque, on concevait tout de A à Z. » Elle a plutôt l'impression que cela identifie Paris davantage aux « populations externes à Paris qui ont besoin de s'en faire une représentation, [...] que c'est un côté touristique aujourd'hui. [...] Si je résume, en prenant l'exemple du banc, si on le voit à Tokyo, on pense à Paris. [...] Il est quand même suffisamment puissant pour évoquer quelque chose aux personnes qui ne connaissent pas ou qui n'ont pas vu Paris.»

Pour Mathieu Gonthier, le banc Davioud est effectivement un géosymbole de la capitale au même titre que la grille d'arbres, les candélabres, les kiosques « que tout le monde a l'habitude d'associer symboliquement à Paris, comme d'ailleurs certaines bouches de métro dans le style Art déco. » Leur emploi dans l'espace public est « à manier avec précaution parce que si aujourd'hui un arbre peut être considéré comme patrimonial, alors le mobilier a toute légitimité à l'être aussi. » Il concède que tous ces mobiliers peuvent être revisités de façon contemporaine, mais que, toutefois, « sans parler de muséification, [il est important] de garder quelques jalons de repères. C'est presque aussi emblématique quand on parle de géosymboles que certains monuments parisiens. »

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David Rykner joue un rôle actif sur Twitter commentant régulièrement la politique d'aména-gement de l'espace public de la Ville de Paris sous le couvert du #saccageparis. Il défend le banc Davioud comme l'un des symboles de la capitale. Toutefois, il ne l'enferme pas dans une patrimo-nialisation mais comme élément du patrimoine qu'il convient de respecter. « Les bancs Davioud font partie du patrimoine historique de Paris et si les gens viennent à Paris, si les touristes viennent à Paris, ce n'est sûrement pas pour s'asseoir sur les bancs hidalguiens. [...]. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir dans les films américains sur Paris ou si vous allez dans les parcs à thème américain, il est bien rare qu'il n'y ait pas un banc Davioud.»

Ce banc fait bien partie du vocabulaire urbanistique de la capitale. Il ne peut être dissocié des autres mobiliers aussi bien dessinés au Second Empire que dans la période de l'Art nouveau. Nous comprenons qu'il y a une volonté de le protéger, de le faire perdurer. Le banc Davioud représente un véritable attachement des Parisiens à leur ville.

Approbation et initiative

D'une commission à l'autre

Dès les années 1970, la Ville de Paris a fait le constat que la multiplicité du mobilier urbain dans l'espace public le rend illisible et encombre les déplacements. Pour Jean-Pierre Charbonneau, architecte, « le meilleur mobilier urbain, c'est celui qui n'existe pas. Au pire, celui qu'on ne voit pas. » 87 Ce constat a conduit la Mairie de Paris à créer une instance consultative, la Commission extramunicipale du Mobilier Urbain dont les prérogatives concernent le choix et l'implantation du mobilier dépendant de la DVD. La Direction des Parcs et des Jardins (devenue la Direction des Espaces Verts et de l'Environnement, DEVE) en était exclu. Cette commission a vu le jour une première fois en 1977 par arrêté municipal du 5 octobre de la même année, mais a été dissoute en 1987. Du fait de sa composition trop disparate entre élus et société civile, elle avait un faible poids décisionnaire88.

La commission a été réinstaurée par arrêté municipal du 31 janvier 1991 sous le nom de Commission Municipale du Mobilier Urbain (CMU). Elle était présidée par l'adjoint au maire chargé de l'urbanisme et comprenait 15 personnes : le préfet de police, l'ABF, des élus, des représentants de la direction de la ville, l'APUR. Se réunissant de façon bisannuelle, elle a été renouvelée successivement en 2003 et 2008 et s'est réunie dix-sept fois entre 2003 et 201189.. De plus, la Mairie de Paris a édité en 2011 un récapitulatif des CMU concernant les propositions de designers90..

À l'initiative de la commission, un premier catalogue limité du mobilier urbain, édité en 1995, se répartit en trois catégories de mobilier tout en précisant les principes de positionnement : celui haussmannien, celui pour les quartiers anciens et celui pour les quartiers plus modernes. Le banc Davioud revisité fait office de référence. On distingue quatre autres types de bancs91. Ils seront ceux devant être employés par les services techniques et les concepteurs. En 1993, on dénombrait 9.000 bancs avec une multiplicité de modèles, l'harmonisation devenant dès lors une nécessité92.

87 CORAJOUD Michel, CHARBONNEAU Jean-Pierre, TEXIER Simon (dir.), « L'espace public contemporain : crise ou mutation?» in Voie publique. Histoires et Pratiques de l'Espace public à Paris, Pavillon de l'Arsenal, Paris, éditons A&J Picard, 2006, p. 261.

88 BOYER Annie, DEBOAISNE Diane, ROJAT-LEFEVBRE Elisabeth, 2013, op. cit., p. 210.

89 Direction de l'Urbanisme, « Le mobilier urbain à Paris : nouvelles problématiques» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p. 6.

90 Direction de l'Urbanisme, Designers proposés par la Commission de Mobilier Urbain, Paris, Mairie de Paris, 2011, 15 p.

91 Mairie de Paris, Le mobilier urbain parisien, Paris, Commission municipale du mobilier urbain, 1995.

92 JOLE Sylvie, 2002, op. cit., p. 112.

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Pour qu'un banc, comme tout autre mobilier urbain, soit agréé auprès de la CMU, il doit répondre aux critères suivants : être utile à l'usager, être peu encombrant, adapté à son environnement par son côté esthétique, offrir des qualités de solidité et être facile d'entretien.

À ce sujet, Bernard Landau rappelle que le classeur, édité en 1995, était la base de travail de toutes les sections territoriales de la DVD. « Le moindre mobilier qui était installé sur l'espace public était discuté en commission et ensuite proposé au maire.» Des concours ont été organisés relatifs aux mobiliers d'éclairages publics. « Sur les bancs, on a eu des discussions infinies pour essayer d'élargir la gamme en trouvant des bancs plus contemporains.» De cela en sont ressortis deux bancs emblématiques, en complément du banc Davioud : le banc Wilmotte sur les Champs-Élysées (1994) et les bancs du tramway de la marque Area (modèles Porto et Lisbonne). S'agissant de ces derniers, les modèles ont été présentés en 2005 à la CMU qui les a fait modifier afin de les équiper d'accoudoirs et de tiges de scellements d'après les dessins d'Antoine Grumbach, architecte du projet 93.

Banc Lisbonne, Station de tramway Porte de Choisy, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

Banc Porto, Station de tramway Desnouettes, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

En outre, nous pouvons citer également le banc en pierre calcaire berges de la Seine (1993) et le banc en acier de la promenade Bastille Vincennes (1995) 94.

 

Banc en pierre sur les berges de la Seine, Paris, 1993,

((c) Philippe Mathieux).

93 Direction de la Voirie et des Déplacements, « Le tramway requalifie l'espace public» in PRALIAUD Claude (dir.), 2013, op. cit., p.40.

94 APUR, Atlas du mobilier urbain parisien, Paris, Atelier Parisien d'Urbanisme, 2022, p. 45.

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La Ville de Paris publie en 2002 une charte d'aménagement des espaces civilisés. Elle prend conscience de l'importance du mobilier urbain dont le banc pour l'image de la ville. « Par la qualité de sa conception, le mobilier urbain peut affirmer le caractère et l'image d'une voie, et plus largement d'une ville. Il peut embellir la rue ou au contraire l'enlaidir.» 95 Cette charte indique que seul un type de modèle de mobilier, et donc de banc, doit être installé dans une rue. Il doit être inscrit sur le catalogue précité ou être validé par la CMU.

Bernard Landau s'est beaucoup impliqué dans la redynamisation de la CMU sous l'impulsion d'Élisabeth Borne alors Directrice générale de l'Urbanisme à la Mairie de Paris (2008-2013). Elle avait déjà ressenti un certain « malaise sur l'espace public». Il précise que « l'idée n'était pas de sacraliser de façon historique pour des siècles et des siècles l'image de Woody Allen du Paris rêvé de la Belle Époque ou d'Haussmann, mais de faire vivre la qualité de production de mobilier urbain parisien par un travail à la fois de design, de choix de mobilier qui peut être pérenne, qui tient dans le temps et qui est significatif d'une exigence d'excellence du mobilier urbain parisien.» C'est ainsi que la CMU a été réorganisée par délibération des 24 et 25 novembre 2008. Bernard Landau précise que cette réorganisation a été décidée afin que cette structure consultative puisse voir son rôle et son efficacité renforcés dans le cadre de la politique mise en oeuvre par la municipalité en matière d'aménagement de l'espace public. Il insiste sur le fait que cette commission était vouée à « impulser de véritables concertations, impulsions et réflexions en associant les élus, les partenaires institutionnels (comme la Préfecture de Police et le Service Territorial de l'Architecture et du Patrimoine), des personnes qualifiées, des designers et des représentants d'associations. » Il nous fait part en complément de ce document que la dernière commission s'est tenue le 6 juin 2011 dont l'ordre du jour était :

- Autolib'

Concepteur : High Graph Architecture associé à Bolloré.

- Les mobiliers urbains intelligents.

Dans la continuité de son propos, il souhaite expliquer la genèse du #sacageparis en rapport justement avec les choix de mobiliers urbains de la Ville de Paris. « Quand Jean-Louis Missika [ndla : premier adjoint au maire de Paris en charge de l'Urbanisme de 2014 à 2020] est arrivé, le Conseil de Paris n'a jamais décidé de dissoudre cette commission. Jean-Louis Missika ne l'a jamais re-réunie à partir de 2014. » La raison, d'après lui, est que le premier adjoint avait décidé de réinventer l'espace public en s'affranchissant de toute commission pouvant freiner ses ambitions. « Si on ne comprend pas ça, on ne comprend pas pourquoi il y a eu une telle dérive et le #saccageparis. [...] Toutes les dérives qu'on a vues avec les bancs Mikado arrivent un peu par la bande, faute d'es-pace d'une administration qui était quand même éduquée sur l'ensemble des gammes du mobilier urbain. Cela concerne les directions de la ville, la propreté, les parcs et jardins, la voirie. »

L'arrêt de la tenue de la CMU conduit à une politique où chaque service ou mairie d'arrondisse-ment peuvent exprimer leur vision urbanistique à travers le mobilier urbain.

De la sorte, concomitamment à l'annonce du Manifeste pour la Beauté en janvier 2022, la Mairie de Paris crée une commission, la CREP (Commission de Régulation de l'Espace Public). Elle s'apparente à la CMU, bien que non dissoute, tout en reprenant ses prérogatives, mais en élargissant ses domaines de compétences et sa composition.

95 APUR, Charte d'aménagement des espaces civilisés, Paris, Mairie de Paris, 2002, p. 58.

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Lily Munson, initiatrice de la CREP sous l'impulsion d'Emmanuel Grégoire, raconte comment cette dernière a vu le jour donnant ainsi un éclairage sur les changements de politique entre les deux mandatures de la maire actuelle, Anne Hidalgo. « La commission du mobilier urbain était composée de l'ensemble des groupes politiques. Elle a perdu son souffle, a périclité parce que les élus s'y étaient un peu désengagés. Je pense qu'on n'était pas sur le temps de production de nouveaux mobiliers. Par conséquent, le besoin de recréer un nouveau dispositif s'est fait ressentir, notamment avec les invectives sur les réseaux sociaux et le fait que beaucoup de directions avaient pris des libertés avec des catalogues propres, avec des ateliers propres avec des contraintes propres. Au secrétariat général, nous n'avions plus de concentration de l'information, ce qui rendait impossible d'assurer sa coordination. L'ensemble de l'exécutif, des élus se désolidarisaient entre eux de tous ces reproches concernant l'aménagement de l'espace public.»

Le cabinet d'Emmanuel Grégoire a dès lors souhaité remettre une procédure où le partage de l'information serait réinitié, où les éléments posés sur l'espace public validés en prenant en compte toutes les contraintes inhérentes à chaque service. La CREP répond à cette problématique « dans un vrai souci de transversalité de l'information, de passage en revue de l'ensemble de nos critères : financiers, d'entretien, d'implantation, d'associations des mairies d'arrondissement, d'utilisations réelles, de réponses à des objectifs de la politique publique parisienne, de désencombrement.»

Elle explique que cette commission permet de se concerter avec les services techniques sur un type de mobilier dans l'ensemble des espaces publics, aussi bien sur voirie que dans les jardins, tout en prenant en compte les contraintes d'entretien posées à la direction de la Propreté et de l'Eau (DPE). Quand « on a un modèle qui fonctionne aujourd'hui, il faut qu'on harmonise [en parlant du nouveau modèle d'ombrière]. » La différence avec la CMU est que la CREP inclut désormais la DEVE, mais aussi la DPE, contribuant ainsi à la transversalité de l'information. « Si la DPE a dit « non » à un type de mobilier, je ne veux pas le voir sur l'espace public. » En effet, toutes remarques sur l'entretien leur sont imputées.

Elle rajoute aussi que celui-ci demeure une difficulté par le manque d'effectif. « On a triplé les surfaces de végétation, on a triplé les surfaces pour profiter de l'espace public, mais sans ressources supplémentaires d'entretien. Et ça aussi, ça a demandé beaucoup d'adaptation dans nos pratiques, dans plein de choses. On a quand même un peu recruté à la marge, mais ce n'est pas anodin aussi. » Le fait de pouvoir être acteur de l'espace public en profitant de ces nombreux atouts à comme revers des contraintes sur son entretien, sur sa qualité. En ce sens, « l'idée de la CREP est de réaxer un peu pour que [l'espace public] reste un agrément et non une source de nuisances, de difficultés. »

Outre les aspects techniques d'entretien et de gestion au sein des services de la Ville de Paris, elle conclut que la CREP est un outil au service de la politique de la ville, traduction administrative du Manifeste pour la Beauté « avec l'envie de faire un référentiel un peu commun, redonner de la lisibilité, redonner du sens à tout ce qu'on était en train de faire et des protocoles d'intervention. »

Jean-Christophe Choblet a été membre de la CMU et siège également à la CREP, instruisant les dossiers concernant la voirie. Bien qu'il ne voit pas trop la différence entre les deux commissions, il estime que les expérimentations lors de la précédente mandature d'Anne Hidalgo n'ont pas donné de résultats réellement satisfaisants par « toute cette mode, à laquelle j'ai largement participé d'ail-leurs, de collectifs de concepteurs qui a amené un peu de palettes, un peu de bois, de trucs bricolés pour essayer les choses. » Le temps de l'expérimentation semble révolu pour proposer des objets « qui ont du sens, qu'ils soient pérennes, du moins entretenables. » Il insiste sur le sujet de l'entre-tien qui est primordial.

 

Place de la Bastille, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

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Juliette Floc'h relate ses premières années en tant qu'architecte au service de l'aménagement et des grands projets (SAGP) de la DVD et son vécu sur l'évolution du choix des assises avant 2020 et après la création de la CREP. À son arrivée à la DVD, tout était possible dans la programmation de l'espace public en matière d'assises. « On avait beaucoup de liberté.» nous confie-t-elle. C'est ainsi que dans le cadre de l'aménagement de la place de la Bastille, des bancs et chaises sur catalogue ont été installés. L'arrangement en petit salon de jardin offre un franc succès pour les utilisateurs avis qu'elle étaye de ses rencontres avec des personnes âgées qui l'ont informée qu'elles appréciaient les « petites chaises de Bastille».

Avec la publication du Manifeste pour la Beauté et la création de la CREP, elle constate que les choix dans les assises sont alors plus restreints, l'imagination dans la conception plus « bridée». Elle estime que #saccageparis a conduit à un rétropédalage dû à la puissance du mouvement. Alors que l'ABF contrôle déjà tous les projets, elle s'interroge sur la nécessité d'une double préconisation entre les deux institutions, la CREP et l'ABF. Par conséquent, seuls subsistent d'une part le banc Davioud et ses réinterprétations comme place de la Madeleine ou place de la Nation et d'autre part le bloc granit. Ce sont des bancs validés et conseillés en termes d'esthétisme à mettre sur l'espace public suivant le contexte. Le banc Davioud, classique ou reconfiguré, est préconisé dans les quartiers historiques de la ville alors que le banc granit, beaucoup plus moderne, « fait partie du modèle de la rue aux écoles idéale tel qu'imaginé aussi dans le Manifeste pour la Beauté. »

Fervent défenseur du Paris historique, Didier Rykner estime que la CREP n'est pas un outil nécessaire quant à la validation de l'esthétique du mobilier urbain. Il faut rester dans la continuité esthétique existante du Paris haussmannien. « Simplement on respecte l'histoire de Paris. Il y a des bancs Davioud, on les restaure, on les laisse et on les installe. [...]. Je demande qu'ils [les services techniques] entretiennent l'espace public. Il n'y a pas besoin de commission pour ça. » Toutefois, il mesure son propos quand il s'agit de nouveaux quartiers, de friches ou à la périphérie de Paris, où une commission « de ce que vous voulez» pourrait être opportune.

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Pour Mathieu Gonthier, le choix du mobilier reste assez complexe et est lié à une histoire d'esthétique qui reste subjective. « Beau, pas beau, je trouve que c'est assez compliqué de se prononcer, de faire un choix sur ce qui reste effectivement de l'ordre du patrimoine parisien et qu'on va conserver et puis ce qui peut permettre avec le temps de s'adapter. C'est peut-être sur les bancs, mais pas que, il y a aussi les candélabres, les fontaines Wallace.» Nous précisons qu'aucune référence directe à la CREP ne fut faite pendant cet entretien, nous-mêmes n'en connaissions pas encore l'existence à cette étape de la recherche. Toutefois, l'avis apporté par Mathieu Gonthier nous semble répondre aux attentes de la CREP et le choix qui entre dans ses prérogatives.

Du parallèle au perpendiculaire

Juliette Floc'h a eu en charge le projet d'aménagement du boulevard de la République achevé en 2021. Il s'agissait de l'implantation d'une piste cyclable tout en réaménageant le trottoir et les plantations. Initialement, dans l'esprit des promenades plantées d'Alphand, le projet prévoyait l'installation de bancs Davioud dans la continuité de l'axe de la chaussée. S'est alors posée la question de l'interface entre l'utilisateur du bâtiment et son rapport avec le paysage. Soit il était en bord de chaussée d'une avenue à forte circulation soit sa vision s'arrêtait brusquement sur un bâtiment.

Rue Poliveau, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

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L'intéressée explique que cela a fait l'objet de nombreuses réunions avec l'ABF qui en a conclu que positionner les bancs parallèles au trottoir relevait d'une aberration. Les bancs Davioud ont été enlevés et remplacés par des bancs simples (banc Hofmann) mis face à face avec 3 mètres d'écart. Ce positionnement perpendiculaire au trottoir redonne un aspect de convivialité et d'attractivité qui invite à s'assoir. Elle conclut sur le sujet en énonçant le fait que conjointement à l'ABF ce principe sera généralisé sur les Grands Boulevards pour les bancs en bords de trottoirs, si la largeur de ce dernier le permet. « C'est validé hors contexte du Manifeste pour la Beauté, ce n'est écrit nulle part, mais nous, on se le met comme principe.»

Avenue de la République, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

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Politique de gestion et d'entretien

Un héritage du Second Empire

L'organisation municipale actuelle de la gestion de la voirie et des jardins est le fruit d'une histoire qui a débuté avec le service des Promenades et des Plantations sous Haussmann.

Ce service était dirigé par Alphand, ingénieur des Ponts et Chaussées. Il veillait à la bonne coordination entre ses collaborateurs dans la création de projets. L'approche pluridisciplinaire a permis de garantir la pérennité au sein du service sur le long terme. Certes, la place des ingénieurs reste centrale à cette époque, en charge des travaux d'études techniques, de soutènement, de nivellement. Toutefois, la réussite et la renommée de ce service, pour la qualité des projets qui ont transformé Paris, sont conditionnées par la volonté d'Alphand d'avoir fait également appel à d'autres corps de métiers en relation avec l'art des jardins. Ceux-ci font l'objet de deux sous-services : l'un dirigé par un architecte, l'autre par le jardinier en chef96. Le système alphandien centralise ainsi les compétences, valorisant la place de chacun et la complémentarité.

Alphand défend son bilan et son organisation lors du conseil municipal du 21 juillet 1886 par ces propos : « Ce service m'est cher ; c'est naturel, je l'ai créé. Quand je suis arrivé au service de la ville, il n'y avait pas de promenades [...] Les choses ont changé depuis, Messieurs. Promenez-vous dans nos rues, sur nos boulevards, vous vous apercevrez de ce changement. Il est tel que je n'en crois pas qu'il est une ville au monde qui ait de plantations pareilles aux nôtres. Comment en sommes-nous arrivés à ces résultats? Par le concours de tous, Messieurs et il a fallu le concours de toutes les bonnes volontés, de tous les talents pour organiser un service aussi complet. En effet, les promenades réclament le concours d'ingénieurs habiles [...]. On a souvent besoin d'installer [...] toutes choses ressortissantes à l'art et pour lesquelles la collaboration avec les architectes est nécessaire. Et enfin, il y a un troisième concours indispensable, Messieurs, c'est celui des horticulteurs et des jardiniers, pour le choix et l'aménagement du bois à utiliser. Le service des Promenades n'est donc pas aussi simple qu'on le dise et on se tromperait si on voulait le placer sous les ordres du service d'Architecture.»

Déjà à cette époque, ingénieurs et architectes n'avaient pas la même approche de l'espace public. Ces derniers considéraient que l'approche technique et fonctionnelle de l'espace public était dévolue aux ingénieurs et par conséquent se limitait uniquement aux plantations d'aligne-ments. Les architectes s'attribuaient la partie créative traduite par les squares et les jardins. Sous la pression de cette profession et à la mort d'Alphand, le service des Plantations et des Promenades devient alors une sous-section du service d'Architecture97.

Les organisations administratives se sont succédées au cours des décennies où désormais deux directions se partagent les projets d'urbanisme : la Direction de la Voirie et des Déplacements en charge de l'espace public et la Direction des Espaces Verts et de l'Environnement concernant les parcs et jardins. Les entrevues ont permis de mettre en évidence que le système d'Alphand avec un partage de compétences, de savoir et de savoir-faire serait adapté aux projets d'aujourd'hui.

96 SANTINI Chiara, Adolphe Alphand et la construction du paysage de Paris, op. cit., p. 164.

97 Ibid., pp. 171-172.

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Deux directions sur un même espace

Lily Munson mentionne précédemment que l'objectif de la CREP est d'assurer une transver-salité entre les services suite au constat par les secrétariats généraux de la Mairie de Paris de manquements de communication. Les entretiens effectués avec les cadres de la DVD ont mis en exergue cet état de fait. En effet, les espaces plantés se sont invités dans l'espace public et chaque direction DVD, DEVE essaie de garder son domaine de compétences au détriment de l'avancement du projet. Il apparaît une réelle volonté politique d'assurer une complémentarité entre les deux directions et d'effacer toute défiance, l'une vis-à-vis de l'autre.

Bernard Landau précise que lorsqu'il était en poste au début des années 1980 au service des espaces publics, du mobilier et des murs peints de la direction de l'Urbanisme, son service ainsi que l'APUR se coordonnaient et centralisaient le travail pour les autres directions administratives. Il considère que la genèse de cet infléchissement est un abandon de la responsabilité de la mairie au détriment d'un « libéralisme» par une délégation des attributions à des entités extérieures. Parallèlement à ça, au regard de son expérience professionnelle, il explique le relatif abandon d'en-tretien de l'espace public par une diminution de 50% des crédits entre 2005 et 2020.

Au regard des critiques des dernières années, il s'accorde à dire que la mairie a depuis peu repris le sujet de façon positive. Il comprend la position d'Emmanuel Grégoire de demander à l'APUR de reprendre la main. Néanmoins, bien que cela soit positif d'un certain côté, de l'autre il précise que si les directions gestionnaires ne sont pas impliquées, les mêmes travers se reproduiront.

Lily Munson explique que la politique urbanistique a beaucoup influé sur l'état dans lequel le domaine public s'est retrouvé, mais également en relation avec la politique de gestion de ses équipes aussi bien à la DEVE, à la DVD et à la DPE. De nombreux mobiliers urbains se sont trouvés installés sur le domaine public, implantations accélérées au moment de la pandémie de Covid-19 en 2020 avec la création des coronapistes (pistes cyclables aménagées provisoirement) « Quand on crée de nouveaux espaces comme ça, ce n'est pas juste un traumatisme pour les habitants, mais aussi pour ceux qui s'en occupent. En fait, quand on crée une piste cyclable qui n'était pas prévue en tant que telle, elle désorganise tout, notre parcours de propreté est chamboulé. Pareil sur la manière dont on a eu de créer des espaces verts. On ne savait plus quels services [DEVE, DVD, DPE] devaient s'en occuper, car du coup, on est sur l'espace public. [...] ça a aussi créé du traumatisme dans les équipes de la ville. Cela a conduit à une nécessité de recomposition extrêmement rapide qui, de fait, a induit effectivement des difficultés d'entretien, des incompréhensions sur certains objets. Tout ceci a prêté le flanc à des critiques et je pense que ça s'est associé à aussi une difficulté pour les Parisiens, soudainement, d'accepter l'espace public. [...] Tout ça combiné a donné, effectivement, #saccageParis. »

Enfin, en matière de gestion des bancs, suivant leur implantation, la couleur des pieds en fonte désigne la direction affectée au site, système existant depuis la fin du XIXème siècle. Si le pied est vert, l'entretien est assuré par la DEVE, si le pied est gris c'est à la DVD d'en assurer la gestion. « ça, c'est du Alphand plein et entier.»

Juliette Floc'h et Sarah Ananou ont intégré depuis quatre ans la DVD en tant qu'architectes. Elles apportent un regard neuf sur un système administratif qui semble avoir peu évolué alors que les enjeux en matière d'espace public ont profondément changé depuis les promenades plantées d'Alphand jusqu'aux projets de réaménagements piétonniers des grandes places parisiennes de ces dernières années.

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Historiquement l'espace public (chaussée, bordures, trottoirs) était géré par des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Haussmann a réformé le service municipal des Travaux publics en 1856 en le subdivisant en trois : le service de la Voie Publique, le service des Eaux et le service des Promenades et Plantations. Adolphe Alphand était chef de ce dernier. Par décret préfectoral du 13 avril 1867, Haussmann fait réunir les services des Promenades et Plantations et de la Voie publique en une seule entité dont Alphand prend la direction98. Haussmann dit à ce sujet qu'il s'agit « du plus grand service d'ingénieurs du pays » 99.

Les deux jeunes architectes de la DVD font le constat que face aux enjeux écologiques actuels (transition énergétique, ilots de chaleur), les espaces plantés ne se cantonnent plus uniquement aux parcs, squares et jardins, mais s'invitent dans l'espace public, ce dernier étant géré par la DVD et celui des espaces plantés par la DEVE. En matière des nouveaux projets d'espace public, des conflits se produisent dans le cadre des projets, à savoir qui porte le rôle de maître d'oeuvre (MOE). Juliette Floc'h précise qu'à la DVD, bien qu'il n'y ait aucun paysagiste concepteur, les architectes ont également une lecture du paysage, pas forcément avec le même vocabulaire que le paysagiste, mais « un architecte d'espaces publics est plus un paysagiste qu'un architecte de bâtiment. On porte le statut de nos études, mais en fait on conçoit de l'espace public donc on traite du végétal et du minéral.» Elle déplore que l'organisation administrative actuelle n'est plus adaptée aux projets où tous les corps de métiers sont concernés. « Quand les espaces verts se sont invités de plus en plus dans nos projets depuis les quatre dernières années, on a demandé de constituer une agence classique comme dans le privé, c'est-à-dire un groupement avec des architectes, des ingénieurs, des paysagistes et puis tous ensemble en MOE on conçoit le projet.» Dans la réalité des faits, les paysagistes de la DEVE sont assistants à la maîtrise d'ouvrage (MOA), mais pas assistants à la MOE alors qu'ils conçoivent les espaces plantés, leur domaine de prédilection. Cela révèle également un domaine de responsabilité, car ils ne sont ni MOA ni MOE, mais veulent dessiner les plans de ce qui a trait aux espaces plantés sur l'espace public, domaine réservé à la DVD. « Il ne peut pas y avoir deux concepteurs sur un même projet qui avancent dans deux directions différentes et qui portent deux programmes différents. Aujourd'hui au-delà du mobilier, c'est comment concevoir ensemble. [...] Il faut travailler en bonne intelligence et être soudé avec eux sinon c'est conflictuel et on n'avance pas. »

Didier Rykner a un avis beaucoup plus tranché et peu élogieux quant aux compétences des services techniques de la Ville de Paris et de la politique d'entretien du mobilier urbain en prenant pour exemple les bancs Davioud. Il estime d'ailleurs que la restauration du banc Davioud offert à la Mairie de Paris (par le collectif #saccageparis) n'était pas à la hauteur. Pour sa part, il préfèrerait que la COARC gère ces mobiliers urbains d'époque, au même titre que les monuments civils et religieux voir même ceux qui sont en charge des travaux sur les monuments historiques.

Cette relation entre la DEVE et la DVD dans la gestion de l'espace public n'a pas manqué de nous interroger au regard des entretiens et de nos visites de sites. Alors que ce banc était initialement dévolu à l'espace public et non au jardin, ce choix d'installer des bancs Davioud dans des jardins complexifie la gestion entre services. Originellement, ces bancs étaient destinés aux trottoirs. Des bancs plus confortables dessinés par Davioud, les bancs gondoles principalement, étaient dédiés aux jardins laissant aux promeneurs toute liberté de se reposer, de profiter de leur environnement sur une assise plus ergonomique que le banc d'espace public. Dans le cadre de notre arpentage, nous nous sommes rendus compte que le choix de la couleur de piétement du banc Davioud dans un espace planté ne répondait à aucune règle et que la présence de ce banc pouvait prêter à confusion quant à la définition de l'espace où il se situe.

98 SANTINI Chiara, Adolphe Alphand et la construction du paysage de Paris, op. cit., p 69-70.

99 Lettre d'Haussmann au ministre des Travaux Publics, 8 sept. 1869 (AN, F/14)

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En effet, ce choix de couleur apparaît révélateur de la limite physique qui existe entre l'espace public et les jardins. Dans la majorité des cas, ils sont séparés de la voirie par des clôtures. Nous avons deux espaces bien identifiés avec un langage qui leur est propre en termes de végétalisa-tion, de revêtements au sol, de mobilier urbain. Toutefois, l'absence de clôture signifie-t-elle que nous ne sommes plus dans un jardin si l'espace est aménagé avec des allées en sols stabilisés, des parterres de pelouses, de fleurs et d'arbres non alignés? Le banc Davioud, par la couleur de son piétement devrait alors nous renseigner puisque celui peint en vert dépend de la DEVE, donc du langage du jardin et celui en gris de la DVD. Dans ce cas-là, il est un composant de la grammaire composant l'espace public. Toutefois, certains espaces ne peuvent plus être clairement identifiés par ce simple jeu de couleur.

Le Champs de Mars est défini comme un espace planté dit « espace vert» bien qu'aucune grille ne sépare les allées et parterres de la voirie. Dans un souci paysager, cela permet de donner au regard toute l'amplitude de la perspective du lieu. Les bancs Davioud sont régulièrement répartis entre les arbres d'alignement des grandes allées en sol stabilisé entre l'École militaire et la tour Eiffel. Le piétement est vert, nous nous confortons dans l'idée que nous sommes dans un jardin. Nous pouvons néanmoins relever que le positionnement des bancs est identique à ceux du trottoir, assimilant les allées du jardin à des promenades plantées. De plus, des bancs droits, qui eux sont bien assimilés comme élément de jardin, sont positionnés dans les allées latérales. L'espace n'ap-paraît plus si clair qu'il semblait l'être.

 

Champs de Mars, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

La confusion se poursuit lorsque nous comparons les aménagements des places d'Italie et de la Nation, réalisés durant la première mandature d'Anne Hidalgo. Les projets concourent l'un et l'autre à redonner une place au piéton dans la partie centrale de la place dans un environnement végétalisé. Dans les deux projets, des bancs Davioud ont été installés. Sur la place de la Nation, plus précisément, il s'agit d'un modèle de banc modernisé avec des assises en porte-à-faux. Alors que ces deux places répondent aux mêmes codes du jardin public parisien, nous avons pu constater que les bancs ont un piétement vert sur la place d'Italie et gris sur la place de la Nation. Le jardin de la place d'Italie est clôturé, l'espace planté de la place de la Nation ne l'est pas. Est-ce la condition

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suffisante pour l'attribution du service qui en a la charge? Le banc Davioud dans ce cas, par la couleur de son piétement, démontre l'incertitude qui demeure : deux lieux, une même destination, deux services gestionnaires.

De plus, ces mêmes bancs aux assises en porte-à-faux sont également installés en grand nombre sur le pourtour extérieur de la place de la Nation. L'espace public périphérique et la place centrale autour de la statue se confondent dès lors. D'une place à l'autre, la lecture paysagère se brouille. Cela est d'autant plus accentué que sont également positionnées des assises en bois en bordure de l'espace central, mobilier urbain similaire à celui de la place des Fêtes. Il semble qu'aucun choix ne soit réellement arrêté quant à la définition de ces nouveaux aménagements par ce mélange des genres. Est-ce simplement le fait que le porteur de projet soit différent, la DEVE pour l'un et la DVD pour l'autre?

Bancs avec piétements verts, place d'Italie, Paris, croquis, 2023, ((c) Pierre Médecin).

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Les projets de la Mairie de Paris tendent à introduire de plus en plus le végétal dans l'espace public. Au regard des exemples précédents, comment ces espaces vont pouvoir être définis aussi bien dans le choix du mobilier que dans la gestion? S'agit-il de jardins dans l'espace public ou d'un espace public avec une végétalisation importante? À partir de là s'opèrera le choix du service et donc concrètement du modèle de banc définissant l'espace.

Le Manifeste pour la Beauté apporte déjà une réponse à cette interrogation où les assises agréées dans les parcs et les jardins ne listent pas le banc Davioud. Toutefois, le document indique que l'entretien ou le gestionnaire des bancs droits (ceux du Champs de Mars, par exemple) peuvent être la DEVE ou la DVD dans ces lieux normalement sous la responsabilité de la DEVE100. Notre incompréhension demeure face à cette dualité pouvant avoir une implication dans la lecture du paysage.

Bancs avec piétements gris, place de la Nation, Paris, croquis, 2023, ((c) Pierre Médecin).

100 Mairie de Paris, Paris Manifeste pour la beauté - le sol, Paris, Ville de Paris, 2022, pp. 75-79.

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Plan de situation des bancs Davioud, Place de la Nation, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

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Place de la Nation, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

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Place des Fêtes, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

de l'accessoire « haussmannien » à l'enjeu urbanistique actuel

MéMOIRE D'INITIATION À LA RECHERCHE

Diplôme d'État de paysagiste

Enseignante encadrant: Pierre Médecin

Chiara Santini année universitaire 2022-2023

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UN ENJEU DE L'ESPACE URBAIN

Un choix intrinsèquement lié à l'usage

Choisir un banc dans l'espace public n'est pas anodin, car outre l'aspect paysager, il est l'objet de nombreuses sollicitations. Les entrevues nous ont permis de mettre en lumière le rôle primordial du choix du banc au regard de ces éléments et sa prise en considération aussi bien par les pouvoirs publics que par les concepteurs.

Bernard Landau reconnaît l'importance capitale quant à la pérennité de l'entretien du mobilier urbain. « Le grand génie du système alphandien en fait, sur lequel on vit encore, c'est un kit que l'on peut entretenir sur la longue durée.» Ce mobilier répond à trois grands critères : l'élégance, la qualité et la durabilité. « La qualité, c'est la qualité de fabrication. La question du scellement du mobilier, soit sur la pierre soit sur l'asphalte, c'est un problème. Quand je dis la qualité, c'est ça aussi aujourd'hui. Comment le mobilier-il est scellé dans l'espace? C'est un détail qui tue. Il y a l'héritage d'un savoir-faire qui fait qu'il y a une patte de scellement qui est un vrai principe de ce type de mobilier.» De plus, s'agissant du mobilier urbain en fonte, il précise que trois grands fondeurs possèdent les moules d'époque, renvoyant ainsi à une grande tradition de fonderie de la fin du XIXème siècle où tout leur savoir-faire est issu de la Mairie de Paris. La qualité de la fonte a évolué, mais toute la chaîne de production en série perdure, principe fondamental de l'économie d'échelle du mobilier créé par Davioud.

Michèle Zaoui aborde le sujet en précisant qu'un audit avait été engagé sur tous les mobiliers urbains parisiens. Bien qu'elle soit architecte, tournée vers le contemporain, elle reconnaît que le banc Davioud est le meilleur en terme « d'entretien, d'esthétique, d'usage». Le bois lui confère des qualités appréciées des Parisiens, notamment pour ses qualités thermiques : « chaud en été, frais en hiver». De plus, sa conception en fait un banc moins enclin à être dégradé par la pluie. « En effet, le modèle Davioud, avec son espace entre les lames, c'est vraiment la panacée, c'est exactement ce qu'il faut. Un enfant ne peut pas se coincer les doigts dedans, mais ça laisse passer la pluie suffisamment pour ne pas avoir de stagnation. Ensuite, sur tous les projets, je demande à ce que ce soit en bois peint. Nous en avons fait l'expérience et malheureusement, même s'il y a des interstices chaque fois qu'on a du bois brut, c'est quand même beaucoup plus compliqué en entretien. Cela a été le cas place de la République. Ce n'était que du bois brut. Il n'est pas réparé tout de suite et est juste poncé, même pas verni. » Ayant participé à la création de ce mobilier avec l'agence TVK (maître d'oeuvre du projet de rénovation de ladite place), Michèle Zaoui assume ce choix, mais en tire les conclusions qu'il devait être enlevé. « Il vaut mieux se dire qu'il va falloir [le] repeindre, c'est beaucoup plus pérenne que d'avoir du bois brut. Voilà, donc peint ou à l'extrême limite verni, mais en tout cas sur le projet de la place Gambetta on est en train d'y réfléchir.»

 

Place de la République, Paris, 2022,

((c) Tweeter #parisbynight, mis en ligne le 05/07/22).

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Banc Davioud historique, rue du Temple, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Banc avec assises en porte-à-faux, Place de la Nation, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Pour sa part, la qualité du banc Davioud reste sa grande simplicité avec des piètements en fonte, une assise uniquement en bois et des lattes démontables. « C'est un niveau de facilité, de gestion qui est extrêmement important.» De plus, les éléments en fonte sont aisément reproductibles (marché à bons de commande) et d'une très grande résistance. De plus, leur complexité dans le dessin en relief limite l'en-vie de les tagger contrairement à une surface lisse. « Encore une fois, je suis vraiment pour l'architecture contemporaine, mais en analysant le génie, on va dire, technique de ce banc, franchement on s'est dit que c'était vraiment quelque chose qui était un modèle absolu, que d'autres avaient déjà réfléchi pour nous. Donc, on n'allait peut-être pas réinventer totalement les assises. »

D'autre part, Michèle Zaoui évoque le projet de la place de la Nation. Elle raconte qu'avec Jean-Christophe Choblet, ils ont repensé le banc Davioud. Leur engagement en faveur de la rencontre dans l'espace public s'est traduit au niveau de la place de la Nation par une réin-terprétation du banc Davioud en élargissant les assises afin de « créer des nouveaux en cercle qui permettent d'être plus confortablement installés» ainsi que le souligne Jean-Christophe Choblet. Le banc Davioud a été rallongé, lui donnant ainsi un porte-à-faux. En plus, une troisième lame a été rajoutée. L'assise est devenue plus conséquente, accueillante et confortable. De plus, Jean-Christophe Choblet en 2021, dans le cadre de l'atelier sur le genre de l'es-pace public motive le choix de « tordre» le banc Davioud, car ceci a « permis d'autres postures qui aident pas mal à l'inclusion» 101. Elle ajoute que cette déclinaison du banc Davioud, comme sur la place de la Madeleine également, a démontré de la part de la Ville de Paris une volonté d'expérimenter. « Lors de la mandature dernière, entre 2014 et 2020, on a cherché à le décliner; cette année, on cherche à l'associer avec d'autres bancs. Ça veut dire qu'en fait on y revient toujours, en le déclinant on ne veut pas l'abandonner. Il nous sert de base stabilisatrice. C'est en ça, je trouve, qu'on fait des progrès. »

Juliette Floc'h reconnaît que les bancs sont très qualitatifs au niveau esthétique. Leurs implantations sur les trottoirs qui cadrent avec le traitement de l'entourage de l'arbre. Toutefois, ces bancs semblent poser un problème d'usage. Par la structure de l'assise en porte-à-faux, ils gondolent, le bois se fissure. En tout état de cause, elle valorise le fait d'avoir joué la carte de l'expérimentation.

101 APUR, 2021, op.cit., p. 26

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S'agissant du mobilier du Second Empire, Lily Munson en défend ses nombreuses qualités en matière de beauté qui répond à une forme d'esthétique complexe à laquelle est attachée Emmanuel Grégoire. « Pas beau pour le beau, mais parce qu'en fait, ce qui est beau, c'est ce qui fonctionne parce qu'il arrive à rester beau. Il a été conçu intelligemment en termes de maintenance, en termes d'entretien, en termes de réparation. Et deuxièmement, parce qu'il participe à une sorte de qualité de l'espace public qui rend la densité parisienne acceptable. Ce n'est pas juste, c'est beau, c'est moche, mais plutôt est-ce que ça sait rester beau ? » Elle précise que par cette facilité d'entretien et de maintenance de la qualité, cela participe à prendre soin des habitants, à rendre supportable un espace public où habitants et touristes peuvent se sentir oppressés.

CMA, Ivry-sur-Seine, 2023,

((c) Lily Munson).

À propos du CMA, elle indique qu'il s'agit du lieu où sont réfléchis et assemblés les mobiliers. La production des pièces en fonte, par exemple, est réalisée à Saint Dizier par GHM. « Les entreprises de fonderie continuent à avoir des partenariats d'exclusivités industrielles avec Paris pour tout ce qui a trait aux entrées de métro Guimard, fontaines Wallace et bancs Davioud.» Par là même, elle loue les qualités d'usage et d'entretien du banc Davioud. « On sait faire, c'est à bas coût, c'est solide. Il y a une intelligence du pied qui fait qu'on arrive à les greffer dans pas mal de situations, ce qu'on n'a vraiment pas retrouvé sur d'autres bancs.»

Lily Munson explique qu'aux endroits où le banc Davioud n'est pas forcément un choix à faire, comme pour de nouveaux aménagements, la volonté est de retrouver les mêmes qualités de modularité du banc historique. Le choix du banc en granit est un bon compromis, peu onéreux et facile d'entretien. Toutefois, des difficultés d'entretien se sont révélées du fait de la finition de la pierre où les services techniques, la DVD et la DPE, ne s'étaient pas concertés en amont. Suivant que le revêtement était flammé ou non, les équipes ne savaient pas le nettoyer ou alors suivant un protocole très compliqué : « Nous leur avons demandé de travailler, de faire une cellule de travail commune pour voir comment en fait, quel type de traitement appliquer sur les revêtements, a minima sur le granit, pour ne pas se retrouver avec un spectre [tache indélébile] si ça a été tagué. »

Elle rejoint Michèle Zaoui, en parlant des bancs Mikado, s'agissant de la difficulté d'entretien du bois brut. « On ne sait pas le faire à Paris ou alors sur du très temporaire événementiel. Et d'ailleurs , les bancs Mikado, ils avaient été pensés comme tels. C'était de l'événementiel au début. De par notre vision avec Emmanuel Grégoire sur l'exigence parisienne, on a un tel niveau de fréquentation et d'usages et une telle qualité patrimoniale qu'en fait, le temporaire tel qu'on l'avait imaginé en 2017-2018 a du mal à trouver sa place. »

Toutefois, elle estime que cela ne remet pas en question les possibilités d'expérimentations de nouvelles assises tout en ayant conscience de l'usage intensif qu'elles pourront subir. Ainsi, Reprenant L'exemple de la place de la République, les assises n'étaient pas prévues pour de telles sollicitations à savoir le collectif Nuit Debout où des milliers de personnes se sont mobilisées sur la place des mois durant. « C'est un niveau de stress sur du mobilier qui est incommensurable, qu'il n'y a qu'à Paris qu'on vit des choses comme ça [en termes de sollicitation du mobilier urbain

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en comparaison au reste de la France]. Cela induit une nécessité de résistance, d'intégration des contraintes en amont, mais aussi de flexibilité et de la capacité colossales de la part des services [...]. Voilà pourquoi nous sommes devenus un peu plus réactionnaires peut-être que précédemment ou dans la précaution a minima. C'est vrai qu'on s'était mis dans la panade en essayant de tester des choses et je pense que Paris ne le supporte pas autant que ça. » dit-elle.

En tant qu'homme de l'art, Benjamin Le Masson précise que le choix du banc doit d'abord répondre à des critères fonctionnels puis à des critères esthétiques. L'installation d'assises est une nécessité dont les principes sont mentionnés dans le plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics (PAVE) édité en 2012 : créer un maillage adapté au repos, prenant en compte les populations ayant des difficultés à marcher (personnes âgées, personnes à mobilité réduite). Il s'agit de l'assise plus généralement dont le banc reste majoritaire. La préconisation est une installation tous les cent mètres au maximum102. « Il y a une nécessité d'agréments, de l'espace public, de fonction. Quand on réaménage une place, ne pas proposer d'assises, c'est problématique. Dans le projet qu'on développe, on essaie de les intégrer au projet. » Cela rentre dans une politique de désengorgement de l'espace public initiée il y a déjà quelques années après des décennies où les mobiliers urbains ont été installés par surenchère.

 

Schéma explicitant la norme NF P 99 610 (juin 1991) et Fascicule de documentation P 98-350 publié par l'AFNOR, 2012,

((c) DVD).

Après l'aspect fonctionnel et esthétique, Benjamin Le Masson insiste sur la partie exploitation et entretien. Il constate que l'usage du banc est souvent détourné par les mésusages. Le problème récurrent concerne les attroupements, sources de nuisances sonores pour les riverains qui s'en plaignent aux maires d'arrondissements : « Il faut inventer le banc déplaçable. On le met ailleurs, dans un endroit qui gêne moins, pas forcément le supprimer, mais le déplacer. »

Toutefois, il précise que ce type de problème se rencontre peu fréquemment avec le banc Davioud : « Je pense qu'il est moins confortable que certains [...] et que ça, ça joue.» Il ajoute que le banc granit par la rudesse de son assise a les mêmes qualités d'empêcher un stationnement trop long en position assis, limitant dès lors les nuisances auprès des riverains.

102 Direction de la Voirie et des Déplacements, Plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, Paris, Ville de Paris, 2012, fiche R26.

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En outre, il apprécie le banc Davioud pour sa facilité d'entretien; bois peint et protégé, piétements en fonte bien que les bancs plus anciens ont tendance à casser pour des questions de scellements des piétements : « C'est pour ça qu'on a des problèmes, d'ailleurs, de trouver des bancs Davioud historiques.» nous dit-il.

Travaillant sur la réhabilitation des Champs-Élysées, il renouvelle l'importance du CMA et de sa qualité de travail que ça soit aussi bien pour la réhabilitation des bancs Davioud au bas de l'avenue que des bancs Wilmotte dans la partie haute : « C'est assez magnifique ce qu'ont fait les ateliers en interne. Il fallait retrouver les RAL de l'époque. Les planches ont été poncées et retraitées avec un vernis et c'est assez réussi. On a fait plusieurs tests. On arrive à entretenir même le banc Wilmotte qui est un peu plus sophistiqué [...] c'est vraiment très réussi. »

Jean-Christophe Choblet privilégie les usages : « comment les gens s'y assoient, puissent discuter entre eux, ce qu'on appelle stationner en réunion». Il fait ressortir la même difficulté qu'évo-quait Benjamin Le Masson à propos de la mise en réunion autour des bancs. Les riverains, la police, les élus s'en plaignent. De façon cohérente, il prend la défense de l'usager qui prime avant tout « si on installe un banc, c'est pour que les gens s'y assoient. Sinon ça n'a pas de sens. »

Il relate l'histoire où les emplacements des bancs au XIXème siècle étaient faits de sorte que la rencontre sociale devait être limitée : « La distance entre les bancs dans les squares parisiens, par exemple, c'est une distance qui a été calée pour éviter que les nounous discutent entre elles quand elles gardent les gamins. Tout l'espace public parisien d'Haussmann est un espace de contrôle. [...] Il faut comprendre que le design parisien de cette époque est un design de contrôle de la rue après les révolutions qu'il y a eu. Le banc Davioud n'échappe pas à la règle, ce n'est pas un banc confortable, on n'y reste pas longtemps.»

Mathieu Gontier a l'habitude de dessiner le mobilier pour ses projets. Toutefois, s'agissant du banc Davioud, il apprécie ses qualités environnementales au regard des matériaux employés et de la possibilité de le recycler à l'infini : « C'est une armature métallique, une planche en bois, on peut les changer. Et puis il est facile de lui redonner un coup de peinture.» De plus, il constate que c'est également une facilité d'entretien pour le centre de maintenance et d'approvisionnement de la Ville de Paris basé à Ivry-sur-Seine (94), véritable plaque tournante d'une économie circulaire de recyclage et de réemploi des matériaux : « Ils ont des stocks de mobiliers défectueux, qu'ils réparent, qu'ils ressoudent, qu'ils rechapent comme les bordures de trottoirs, des pavés qu'ils retaillent, qu'ils rebouchardent. »

Ce banc semble être une réponse aux questions de « frugalité et de sobriété» que l'on se pose aujourd'hui. Les projets peuvent devenir « économes en termes de production de matériaux par la réutilisation de ce qui a déjà été fait et qui fonctionne bien. [...] Dans une logique, un peu, de sobriété heureuse comme certains disent, on peut aussi dire que réemployer n'est pas mal. »

Emma Blanc reste plus mesurée quant à l'efficacité du modèle Davioud dans sa conception même s'il reste cohérent dans sa « matérialité». Elle estime que l'entretien des pieds en fonte est problématique à cause du coût de production « alors qu'au XIXème siècle on était à fond dans la révolution industrielle, tout allait bien.» Le bois peint est également une source d'entretien qui, suivant les lieux de la capitale, peut s'avérer conséquent. La Ville de Paris lui « a dit qu'elle était frileuse pour mettre des bancs Davioud à certains endroits. » Les services techniques seraient dès lors davantage sollicités au regard du maintien de la qualité exigé pour l'entretien des nombreux qui seraient installés. Cela se ferait au détriment dans d'autres sites au regard de l'immensité du parc de mobilier urbain. Elle précise que tout ceci est quand même à relativiser.

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Esthétique et emplacement, des points de vue contrastés

De tout temps, l'implantation et le choix des bancs ont été l'objet de plaintes et de polémiques. Que cela soit pour des raisons de confort, de nuisances ou de qualités esthétiques des lieux, les griefs ne manquent pas à l'égard de l'administration. Nous verrons que les plaintes ne proviennent pas uniquement des usagers, mais également de pressions politiques des mairies d'arrondissement.

Demande de pose de bancs sur l'avenue des Champs Elysées en 1843 in S.Malek, Banc Public un prisme d'in-terprétation de la composition de la rue parisienne, mémoire de recherche, Paris, Université Paris 1, 2011, ((c) Archives de Paris).

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À l'époque d'Haussmann, les quartiers sont aménagés suivant leur type de fréquentation. En ce temps-là, déjà, les habitants se plaignent de l'implantation des bancs, de leur manque ou qu'ils attirent des gens à la moralité douteuse. C'est le cas pour une réclamation de bancs sur le boulevard de l'Opéra, mais Alphand ne donne pas suite à cette demande, estimant que les bourgeois préfèrent les chaises. D'autres auraient souhaité que les bancs Davioud soient installés dans les squares alors qu'ils n'y sont pas adaptés du fait de leur double assise qui les positionneraient devant les arbres103. Toutefois, le Service Municipal des Travaux Publics de Paris a accédé à certaines demandes comme en 1867 pour le déplacement d'un banc du boulevard des Invalides à la demande d'un riverain.

L'implantation des bancs est motivée par leurs utilités sociales qui officient pour l'intérêt général. Ainsi, le directeur des Travaux de Paris, en 1907, écrit aux commerçants du boulevard Sébastopol qui demandaient l'enlèvement des bancs, que « sur toutes nos grandes voies, les bancs ont une utilité publique ; ils permettent aux gens fatigués de prendre un instant de repos, [...] ils sont d'autant plus nécessaires que le trafic est dense.» 104

#saccageparis et la rue du Temple

Banc Davioud mis aux enchères le 18 mai 2021, Paris, 2021,

((c) Lucien Paris/Studio Sebert Photographes).

L'exemple le plus récent et le plus médiatisé, qui a été à l'origine de la réflexion du présent mémoire, est bien entendu le banc Davioud, devenu cheval de bataille de #saccageparis quant à la politique urbanistique de la Ville de Paris. Le collectif a d'ailleurs acquis un banc Davioud lors d'une vente aux enchères organisée par l'étude de Maître Lucien le 18 mai 2021 à l'Hôtel Drouot pour la somme de 1.200 euros. La mairie précise que « la Ville cède très peu son patrimoine. Les bancs publics sont réemployés après restauration, et les mobiliers métalliques sont vendus à la ferraille, favorisant le réemploi dès que cela est possible.» Ce banc a été retiré de la vente aux enchères par le propriétaire pour le céder de gré à gré à l'association105. Il a ensuite été offert à la Mairie de Paris le 25 mai 2021 qui l'a fait installer dans un premier temps au pavillon de l'Arsenal dans le cadre de l'exposition « La Beauté d'une ville». Puis, il a été transféré en juin 2022 dans la rue du Temple sur la placette Albert Memmi ainsi que trois autres bancs similaires suite à sa piétonnisation entre la rue de la Verrerie et le croisement avec les rues Saint-Merri et Sainte-Croix de la Bretonnerie 106.

103 SANTINI Chiara, 2021, op. cit.

104 SAINTE MARIE GAUTHIER Vincent, « Initiative privée et service public : mobilier urbain et espaces publics parisiens au XIXème siècle » in Le mobilier urbain à Paris, Paris, Cahiers du CREPIF, n°56, p. 35.

105 AZIMI Roxana, « A Paris, une victoire pour les amoureux du banc public», Le Monde [En ligne], 18/05/2021, mis à jour le 19/05/2021.

106 BAVEREL Philippe, Fontaine Wallace, « Bancs Davioud... la rue du Temple transformée en carte postale du nouveau Paris», Le Parisien [en ligne], 21/06/2022.

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Cet évènement est révélateur d'un changement de la politique de la ville. Le projet initial de piétonnisation de cette partie de la rue ne comprenait aucun mobilier historique.

Cet aménagement a été présenté aux Parisiens lors d'une réunion publique le 10 mars 2021107. À la suite de cela, les parisiens ont pu voter en ligne entre le 10 et 21 mars 2021 à propos de certains points du projet : type de revêtement de sol, compositions des végétaux, design des bancs. S'agissant de ce dernier point, le projet proposé offrait la possibilité entre des bancs :

- en blocs de granit accolés de différentes nuances de gris

- en dalles en granit superposées de différentes nuances de gris

Le deuxième choix a remporté plus de la moitié des suffrages108. Toutefois, après travaux, lors de l'inauguration en juin 2022, les assises prévues n'avaient pas été construites. À la place, quatre bancs Davioud, dont celui offert par le collectif #saccageparis, ont été implantés. Ce dernier ne porte pas d'identification particulière, respectant ainsi l'unité donnée à la place. Il s'agit du deuxième banc depuis la rue de la Verrerie. La placette reprend le langage du mobilier historique avec également un candélabre de style Empire à lanterne carrée, une fontaine Wallace et un accès métro Dervaux (1924).

Projet d'aménagement de la rue du Temple, dallettes en granit, Paris, 2021,

((c) Mairie de Paris).

107 Direction de la Voirie et des Déplacements, Paris Centre, Réunion Publique, Projet d'aménagement du bas de la rue du Temple, Ville de Paris, 2021.

108 https://mairiepariscentre.paris.fr/pages/projet-de-reamenagement-du-bas-de-la-rue-du-temple-reunion-de-concer-tation-16744 (consulté le 15/10/2022)

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Juliette Floc'h, architecte du projet, raconte comment le paysage initial prévu, plus moderne, s'est revu transformé par la présence de marqueurs forts de la capitale dans un quartier au coeur de l'histoire parisienne et à la fréquentation touristique élevée.

L'origine est la création d'une nouvelle sortie de métro dans la rue du Temple réalisée par la RATP entre 2017 et 2019 et qui n'a donc rien d'historique. Le maire de l'arrondissement de Paris Centre, Ariel Weill, souhaitait un projet qualitatif « qui soit minéral et qui réponde aux objectifs de zonage pluvial de Paris. [...] Le choix a été de faire quelque chose à la fois dans l'air du temps un petit peu moderne, mais qui gardait les codes des rues du Marais.'>

Ainsi, devaient se côtoyer de la dalle mécanique et du pavé de réemploi dans la continuité de la sortie de métro. Concernant la végétalisation, l'ABF avait imposé de laisser le cône de vision sur Notre-Dame. De ce fait, seules des jardinières sont basses et dépourvues d'arbres côté numéros impairs de la rue. Trois arbres avaient été abattus lors de la réalisation de la trémie côté numéros pairs et ont été remplacés aux mêmes endroits. Les rectangles de bancs plantés restaient sobres et modernes en granit. L'idée de l'architecte de la DVD a été d'intégrer des assises en granit au sein des bordures des jardinières. « Cette bordure de granit venait prendre une épaisseur et une hauteur pour se transformer en assise.'> L'ABF l'a validée en appréciant ce choix qui permet de se se démarquer l'assise parisienne historique. Les choix d'assises granit proposés lors de la concertation diffèrent par l'agencement de la pierre et de ses teintes.

Aménagement définitif de la rue du Temple, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Toutefois, #saccageparis a fait infléchir le choix. Malgré la consultation sur les bancs granit, la Mairie de Paris Centre a décidé de ne pas les construire, mais d'insérer quatre bancs Davioud pour éviter toute nouvelle polémique, initiative étayée par une modification de l'avis de l'ABF pour imposer les bancs Davioud.

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Cet exemple récent apparaît emblématique de la nouvelle politique de la Ville de Paris à travers son Manifeste pour la Beauté. Lily Munson précise déjà qu'Ariel Weill est d'abord très attaché à la concertation avec les Parisiens pour les aménagements. Outre la consultation elle-même, il semblerait que les Parisiens auraient émis le souhait de retrouver ce langage urbanistique du Paris ancré dans l'imaginaire de tout un chacun. Par ailleurs, la modification radicale des bancs contemporains en granit par des bancs Davioud fait suite à l'expérimentation malheureuse de la place de la République ainsi que pour les problèmes d'entretien qui ont déjà été évoqués. De plus, s'agissant du banc Davioud acquis par #saccageparis, Lily Munson précise qu'« on voulait quelque chose qui soit symbolique, à proximité de l'Hôtel de Ville. En plus de ça, sur un secteur où il y a du passage, il y a de la visibilité. Ça nous semblait être un bon compromis. Le maire de Paris Centre était ravi.»

L'influence des mairies d'arrondissements

Bernard Landau confirme l'idée que certaines mairies préfèrent éviter les attroupements, le « squattage par les SDF », tout en précisant que le centre de Paris et les collines de Montmartre sont plus faiblement équipées en bancs que les autres arrondissements comme on peut d'ailleurs le constater dans l'atlas de l'APUR de 2022.

Juliette Floc'h aborde le sujet délicat de l'implantation des bancs et les pressions politiques à ce sujet. Elle mentionne l'exemple de la placette de la rue Jacquard dans le 11ème arrondissement. Le projet prévoyait l'installation de bancs Davioud ainsi qu'une petite fontaine en fonte, des candélabres adaptés et des pavés au sol : « On rentrait dans tous les critères de la placette parisienne classique.» Néanmoins, le maire s'est opposé à l'implantation des bancs afin d'éviter tout mécontentement des riverains. Ces derniers auraient été enclins à se plaindre des nuisances sonores provoquées par les discussions ou attroupements bien que cette rue de 40 mètres de long soit peu passante.

Sarah Ananou rebondit sur l'aspect politique lié aux aménagements s'agissant de la place Pigalle. Elle indique que la mairie du 9ème arrondissement est « très directive». Les élus souhaitaient un banc signature de la place Pigalle, et ce, dans un délai assez court. Cela semblait difficile, le temps de le concevoir et de le faire agréer par la CREP. Aussi, une solution leur a été soumise : créer un banc en granit reprenant le matériau des marches de la fontaine, qui viendrait encercler cette dernière. Un aménagement simple, qualitatif, faisant écho à ceux déjà présents autour de la fontaine et validé de surcroît par l'ABF. Les élus ont refusé cette proposition. L'ABF, sous pression politique et en signe de compromis, a changé d'avis et a alors proposé un banc Davioud courbe afin de contenter la mairie d'arrondissement.

Nous constatons ainsi que le choix politique l'emporte sur la fonctionnalité et le besoin. De plus, il convient de rappeler que le PAVE, qui reprend la loi sur le handicap, fixe la règle d'une assise tous les 100 m. Patricia Pelloux, directrice adjointe de l'APUR et Yann-Fanch Vauléon, paysagiste et chargé d'étude à l'APUR en font un des actes en 2021 de l'atelier « Accessibilité dans l'espace public pour le manifeste de la nouvelle esthétique parisienne». Ils mettent en avant la question du nombre, de la situation géographique et de la cadence, en admettant que l'assise n'est pas forcément le banc et qu'il faut aussi adapter le projet en fonction des lieux au regard des nuisances sonores potentielles109.

109 APUR, 2021, op. cit., pp. 89-90.

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Les réseaux sociaux, un moyen de communication de promotion de la ville

Les réseaux sociaux amplifient les épiphénomènes de dégradations de mobilier. Le 7 mars 2022, un banc d'inspiration Davioud a été découvert peint en rose sur le quai d'Anjou de l'Île Saint-Louis. La photo a été mise en ligne très rapidement provoquant l'ire de certains inter-nautes. La réaction de la Mairie de Paris Centre a été immédiate en faisant remplacer rapidement les lattes de bois dégradées, mais également en signifiant qu'elle envisageait de porter plainte « contre ceux qui en sont les auteurs. Mais aussi contre ceux qui se permettent de mettre en cause la maire de Paris, son premier adjoint [ou moi-même], en suggérant que la Ville aurait décidé de ce geste» comme le déclare Ariel Weil, maire de Paris Centre110.

 

Banc Davioud peint en rose, place d'Anjou, Paris, 2022, ((c) JCQDSE/Twitter).

110 LE MITOUARD Eric, «Paris : un banc Davioud repeint en rose sur l'Île Saint-Louis, la Ville voit rouge», Le Parisien [En ligne], 07/03/2022, mis à jour le 08/03/2022.

Lily Munson à ce propos regrette non pas forcément la mise en couleur du banc, mais l'absence d'informations sur les motivations de certains qui auraient engagé le changement de couleur originelle. « Je pense qu'il y a une impression d'être mis devant le fait accompli. On s'est fait alpaguer. C'est vrai que ce sont des choses qu'on peut envisager dans le cadre d'événementiel. » S'organiser et communiquer en amont aurait permis à la mairie de soutenir cette initiative si cela servait une cause particulière tenue à coeur par la Ville de Paris. Cela aurait éventuellement évité toute intervention négative des réseaux sociaux, car pour Lily Munson ils « sont le symptôme de cette attention à ce besoin d'avoir un espace public de qualité pour tolérer l'autre. Cependant, je me dis que c'est le revers de la médaille d'un phénomène plus large, positif.»

Pour illustrer le propos de Lily Munson, nous souhaitons évoquer ici quelques exemples où le banc est vecteur de communication de la ville ou d'associations pour des causes à défendre. C'est ainsi que la ville de Strasbourg a souhaité se démarquer en installant des bancs de couleur soit pour promouvoir la ville et dans un geste de réconciliation sociale après le COVID. Il s'agit de bancs roses géants qui ont été placés dans 10 places de la capitale alsacienne durant cinq jours en février 2022 dans le cadre du festival « Strasbourg mon amour». Les utilisateurs, qui ont dépassé le

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million selon les chiffres publiés par l'office du tourisme strasbourgeois111, étaient invités à publier les photos de leurs passages sur le site internet de la ville, mais également sur les réseaux sociaux afin de créer le « buzz». Ce banc, devenu un acte de promotion, a été un élément primordial de la découverte de l'espace public strasbourgeois à travers l'histoire de ses lieux emblématiques.

Festival «Strasbourg mon Amour»,

Strasbourg, 2022,

((c) www.visitstrasbourg.fr).

L'autre exemple concerne le banc rouge en hommage aux femmes victimes de violences, mouvement qui a débuté en 2017 grâce à la détermination d'associations de défense du droit des femmes aussi bien à Ajaccio112 qu'à Saint-Malo. Cette initiative s'est poursuivie dans d'autres villes de France dont plus de 20 bancs à ce jour en Corse ont fait leur apparition, mais aussi à l'université de Clermont Auvergne et dans les villes de Toul, Oisemont, Nozay.

Banc rouge, symbole de la violence faite aux femmes,

Santa-Maria-di-Lota, 2022,

((c) Corse Matin).

111 . GEOFFROY Bettina, « «Strasbourg mon amour» : le bilan», www.visitstrasbourg.fr, mis en ligne le 7 avril 2022, (consulté le 22/03/2023)

112 France 3 Corse Via Stella, « Ajaccio : un banc rouge pour sensibiliser aux violences faites aux femmes», France3 région [en ligne], 25/11/2017, mis à jour le 12/06/2020, consulté le 22/03/2023).

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Entre uniformité et spécificité de l'espace public parisien

La question ici se pose de savoir, au regard des éléments déjà évoqués, si le banc historique parisien se doit d'être déployé dans toute la ville, pris en compte dans tous les projets à venir dans un souci de respect patrimonial, tout quartier confondu ou si chaque quartier, par la diversité de sa population, peut conduire à des projets paysagers leur conférant une identité propre.

Une identité patrimoniale partagée, une singularité affichée

Anne Hidalgo en introduction de la Beauté d'une ville fait part de la complémentarité entre le passé haussmannien qui a façonné la ville par son unité urbanistique et « le patrimoine vernaculaire populaire». Pour sa part, il s'agit d'une union entre « conservation patrimoniale et modernité, entre tradition et audace » 113.

Lily Munson poursuit la réflexion sur l'orientation politique de ne pas se figer dans « un passéisme avec uniquement le mobilier du Second Empire, bien que valable. Il faut pouvoir continuer à innover.» La ville crée davantage d'espaces partagés en restituant des espaces de voiries. Cela génère de nouveaux usages, « des nouvelles velléités qu'il faut l'accompagner avec du mobilier sans pour autant trop donner de spécificité aux espaces. [...] On doit vraiment faire évoluer aussi notre espace public un peu au regard de ce nouveau partage.»

En évoquant à nouveau le Manifeste pour la Beauté, Lily Munson explique qu'il était important d'identifier les marqueurs, toutes époques confondues et « ne pas rester que dans un repli patrimonial. » Dans ces conditions, les nouveaux aménagements peuvent porter des mobiliers plus contemporains, mais qui restent en droite ligne avec la vision d'harmonie exprimée dans le manifeste susnommé : « On ne s'inscrit pas dans Paris en faisant une chose qui sort de l'ordinaire, on a des séquences urbaines, on a de grandes perspectives. [...] L'idée était de recréer, de sanctuariser de grands marqueurs plutôt que des objets qui ne pourraient pas évoluer.»

C'est ainsi qu'elle évoque le cas de quartiers populaires plus aux franges périphériques de Paris en indiquant qu'aussi bien les maires d'arrondissements, les élus locaux que les habitants ont comme discours d'avoir droit à des aménagements d'aussi bonne qualité et en rapport avec l'histoire, en termes de mobilier dans le cas présent, que ceux du centre de Paris : « Il y avait la tentation par les concepteurs de proposer des mobiliers alternatifs en mode : on a le crayon, on peut faire ce qu'on veut. En fait, les habitants nous ont dit à un moment : « Nous aussi, on veut des [bancs] Davioud, des colonnes Morris. Ce n'est pas juste. Nous aussi, on est à Paris et nous aussi, on est fiers d'être à Paris et on veut de la qualité patrimoniale.» Donc en fait, c'était plutôt une demande.» Néanmoins, elle tempère son propos plus particulièrement au sujet des assises dans les jardins qui sont plus propices à de l'innovation, les usages étant plus récréatifs ou de détente que sur l'espace public lui-même qui offre moins de latitude. Cependant, au regard des aménagements des places de la Nation, du Panthéon, de la Madeleine, l'adaptation, la transformation du banc Davioud ou un changement radical de registre architectural peuvent être des réponses à « un usage spécifique auquel le banc Davioud ne répondait pas. »

Dans le cadre du réaménagement des sept places décidées par la maire de Paris à savoir : place de la Bastille, place de la Nation, place du Panthéon, place d'Italie, place de la Madeleine, place Gambetta et place des Fêtes, Michèle Zaoui indique que cela s'est effectué en co-élaboration et co-construction avec les habitants. Le mobilier a fait partie des consultations. Ainsi, pour chacune

113 Hidalgo Anne in La beauté d'une ville. Controverses esthétiques et transition écologique à Paris, op. cit., p. 11.

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de ces places, dans des quartiers aux populations contrastées, il a été permis de mettre en exergue une diversité sur des attentes et des usages. Le mobilier a pour objectif de pacifier l'espace public et de redonner de l'espace au piéton sur la chaussée circulée : « On a fait appel à des collectifs qui se sont installés sur l'espace public, dans des containers et qui ont parlé vraiment en vis-à-vis avec en tout 8.000 personnes sur les sept places. Très vite, le sujet des assises est venu. On a commencé à préfigurer en matière d'assises. On a fait beaucoup à Madeleine, au Panthéon. À Nation, ce n'est pas vraiment de la préfiguration et Bastille rien n'a été effectué.»

Elle indique que certains bancs ont été créés avec des accoudoirs et des dossiers, mais que pour autant le banc Davioud ne doit pas être délaissé, et ce quel que soit le quartier. Par conséquent, pour les projets précités, elle demande de compléter l'espace avec des bancs Davioud, notamment pour les personnes âgées, fragiles : « Au niveau, peut-être, stylistique [...] on n'est pas tant sur un sujet de moderne contre ancien. On est sur un sujet identité de Paris. Quand on veut vraiment porter haut l'identité, dire voilà : on est à Paris. Ou bien on est plutôt dans un nouveau quartier ou dans un autre quartier. Donc pour moi c'est plutôt ça l'équilibre.»

 

Place des Fêtes, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

Quoiqu'il en soit, le banc Davioud répond aux critères « techniques, symbolique et identitaire ». Son utilisation n'est pas faite de façon aléatoire («saupoudrée») : « Je défends vraiment le fait qu'on va le mettre, par exemple, en périphérie parce qu'on va vouloir délimiter un territoire parisien. Au coeur, on peut se permettre autre chose. C'est une implantation très ciblée qui fait projet. Un vrai projet dans l'implantation, c'est très important.»

Jean-Christophe Choblet explique que Paris fonctionne par des systèmes assez simples : les grandes avenues haussmanniennes et celles récemment créées comme l'avenue de France, par exemple, dans le nouveau quartier Paris Rive Gauche (13ème arrondissement). Il préconise pour les grandes artères de maintenir l'identité parisienne, un langage connu de tous, par la présence de bancs Davioud, de colonnes Morris et d'autres marqueurs identitaires de la capitale. D'un autre côté, « au sein des ZAC, on peut se permettre dans ces nouveaux espaces d'évoluer sur le mobilier urbain, notamment sur le mobilier de confort. Pourquoi ne pas garder une image classique, mais franchement pérenne quand les gens arrivent à Paris même si c'est un quartier nouveau sur les grandes artères. Par contre dès qu'on rentre dans les quartiers neufs et récents, on travaille avec les architectes qui pilotent ces opérations sur d'autres systèmes de bancs, d'autres systèmes d'as-sises qui sont beaucoup plus contemporaines. Ça me semble plus logique. »

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À savoir si le banc Davioud doit être généralisé dans tout l'espace public parisien, Mathieu Gonthier tempère : « Il faut voir où on met le curseur, bien le placer pour garder, conserver certains repères et par contre venir un peu apporter le contemporain dans le reste.'> La dimension écologique est un élément important dans le choix du mobilier « par souci simplement des fois de ne pas tout réinventer, mais plutôt de réemployer, de réutiliser. C'est vrai qu'après, l'esthétique on peut la discuter.'> D'autre part, il ajoute qu'on ne peut réduire l'aménagement de l'espace public au banc, mais que les sujets sont multiples et sont autant d'indicateurs des quartiers : les pieds d'arbres, la manière de les planter, de les gérer, de calepiner : « Je pense qu'il y a pas mal d'astuces à trouver autour de ça pour amener un peu de contemporain et conserver aussi une ligne de mobilier que tout le monde a toujours eu l'habitude de voir à Paris.'>

D'autre part, hors contexte de Paris, il précise que dans les projets de son agence, il aime « beaucoup justement faire du mobilier sur mesure, de se dire que chaque banc ou chaque assise vient un peu marquer, signer un espace, parler d'espace. Le banc dans le projet de paysage joue énormément dans la mise en scène et même dans la disposition spatiale qu'on souhaite faire d'un espace.'>

Proposer d'autres assises dans les quartiers parisiens en dehors du banc Davioud, n'est pas chose aisée d'après Benjamin Le Masson : « On est plutôt dans une période où il faut conserver au maximum, voire même réutiliser. Mais je pense que ça va changer dans quelque temps. C'est une question de balancier. Dans l'ancienne mandature, on était plutôt sur l'innovation. Il fallait introduire de nouvelles assises, de nouveaux mobiliers. On a vu les limites de l'exercice. On revient plutôt à une homogénéité, un consensus.'> Il indique concernant les projets sur lesquels il travaille actuellement qu'il n'y pas plus de prise de risque pour éviter la moindre critique. Le choix du banc Davioud reste une évidence.

Ce changement d'orientation en termes de projet se retrouve issu d'une prise de conscience des élus par rapport aux résultats de ces expérimentations et également par l'ambition d'Emma-nuel Grégoire de redonner à la ville un nouveau regard traduit par le Manifeste pour la Beauté dont il est à l'initiative.

L'architecte voyer en chef attire l'attention sur le sujet de la muséification de l'espace parisien. « Une tendance naturelle qui est liée à son patrimoine préexistant, y compris dans l'espace public. Cela n'exclut pas une certaine dose de modernité.'> Pour introduire cette modernité, cela passerait par une réinterprétation du mobilier patrimonial, de jouer avec ces éléments.

Un aménagement uniforme sur l'ensemble de la capitale en matière de mobilier urbain n'est pas une solution pour Emma Blanc. Le banc Davioud reste un symbole du Paris touristique. Le mettre dans des quartiers hors du centre historique comme au pied des tours du 13ème arrondissement ou de l'avenue de France serait une incongruité. Ces endroits plus contemporains mérite une identité propre: « Ce qui est beau dans la ville comme dans la vie, c'est le contraste. Il faut trouver le juste équilibre entre quelque chose de rassurant comme le banc Davioud et aller de l'avant. Toutefois, ce banc est une vraie résonance avec des espaces qui sont de la même époque, qui sont de la même pensée, de la même philosophie, donc de la même esthétique. En fait, il y a cette pensée de l'époque, cet urbanisme et ces paysages de l'époque, il y a un tout cohérent. Toutes les grandes avenues où il trouve sa place. [...] Pour autant, en tant que paysagiste je travaille contex-tuellement. Après, c'est une question très difficile de savoir pour Paris s'il faut figer les choses, avoir un seul modèle de bancs.'>

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L'exemple du 13ème arrondissement est repris par Juliette Floc'h qui considère que le banc Davioud ne convient pas à un déploiement sur ce territoire: « Le banc Davioud se prête bien rue de Rivoli, il raisonne avec le bâti. Les quartiers historiques qui ont un bâti haussmannien devraient avoir un mobilier historique de la même époque, réinventé ou non. » Le 13ème arrondissement est quant à lui très hétéroclite, restructuré, démoli, reconstruit. Pour elle, « L'identité du 13ème est propre au 13ème. » Sarah Ananou rajoute que certes les bancs Davioud restent un marqueur de la capitale, mais qu'une ville évolue, elle se réinterprète : « L'identité de Paris est multiple. [...] Les quartiers bougent, ce ne sont pas que des boulevards haussmanniens. »

Juliette Floc'h explique que lorsqu'elle se rend dans des concertations et que les projets présentent le même mobilier, certains riverains lui disent : « Mais pourquoi vous obstinez-vous à mettre un Davioud ou un bloc granit alors que moi dans ma rue ou quand je traverse un parc je vois tel type d'assises?». Elle admet que pour les usagers, la lecture de l'espace public est difficile pour comprendre comment il s'organise, il se hiérarchise entre les différentes directions administratives.

Pour répondre au type de choix de mobilier urbain dans la capitale, Antoine Santiard revient sur sa participation en 2022 au grand débat sur l'esthétique parisienne et notamment sur ce qui fait le commun au niveau mobilier urbain et qui rend Paris identifiable. Le banc Davioud n'a pas fait partie de la liste, a contrario de la grille d'arbre ou de la bordure, mais cela serait un oubli : « Dans une ZAC qui paraît un peu parachutée comme ça, de manière un peu malhabile, si on reprenait des éléments de grammaire du Paris que tout le monde a en tête, peut-être que ça pourrait permettre de le raccrocher plus facilement. C'est les travers des concepteurs de toujours vouloir réinventer les trucs, nous les premiers.»

Didier Rykner est assez tranché sur le choix des bancs dans la capitale. De son point de vue, il vaut mieux éviter de diversifier les modèles et préférer le banc Davioud qui n'est pas sujet à discussion. À la limite, il consent à ce que des expérimentations soient faites hors du Paris historique. Pour ce dernier, seuls les bancs Davioud doivent être choisis « parce que c'est ce qu'on aime, parce que ça a fait ses preuves et parce que c'est effectivement patrimonial. Il y a un certain vocabulaire.» Ses critiques sont purement esthétiques quant aux choix éventuels de nouveaux modèles, estimant que le décisionnaire ne fait pas souvent le bon choix : « C'est une question de goût, d'ac-cord. Il y a le bon goût et le mauvais goût. Je considère qu'ils ont un goût, un mauvais goût.»

En outre, il reconnaît un léger changement dans la nouvelle mandature là où #saccageparis avait pointé du doigt certaines lacunes, de son point de vue : « Il y a quelques concessions ponctuellement. Dès qu'il y a un banc Davioud qui revient, oui c'est satisfaisant, bien sûr. Ce sont des concessions ponctuelles et toute concession est une petite victoire. Mais ce n'est pas du tout suffisant.»

Des projets contemporains attachés à l'histoire parisienne

Michèle Zaoui détaille le projet en cours de la porte de Montreuil dans son aménagement piétonnier et plus spécifiquement les réflexions quant aux assises : « La porte de Montreuil va devenir une très grande place métropolitaine. Nous nous sommes dits avec TVK, le maître d'oeuvre (ndla : cabinet d'architecte concepteur de la place de la République en 2013) qu'on devait disposer tout d'abord des assises d'une très grande simplicité, très pures, très bien dessinées. Réflexion faite, au regard du nombre important à installer, il convenait de choisir un modèle existant dans le catalogue avec des assises contemporaines. J'ai plutôt conseillé à TVK d'avoir comme levier deux types de mobilier sur cette place. »

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Plan projet de la porte de Montreuil, Paris, 2017,

((c) TVK).

Du fait du positionnement géographique de la place en périphérie du tissu urbain parisien, elle préconise le banc Davioud. Il a toute sa place et sa légitimité en cohérence avec le continuum de l'espace public de la capitale : « On est au contact avec un tissu parisien historique bien sûr, celui des HBM. » À l'intérieur de la place, elle donne latitude à TVK de choisir un mobilier davantage en rapport avec le vocabulaire du jardin à l'image des jardins et squares de la capitale équipés du banc gondole, banc également dessiné par Gabriel Davioud. S'agissant de la traversée elle-même, elle a demandé que soit créé un banc signature. « On est parti sur cette trilogie. C'est ma réflexion la plus récente, où il s'agit de se dire que le mobilier doit être utilisé ad hoc en fonction d'une situation.» La densité du réseau viaire fait qu'on a besoin d'espace de respiration au milieu de tout ce trafic qui donne un sentiment d'agoraphobie. Avec le vocabulaire du mobilier urbain, banc Davioud, colonne Morris, candélabres à lyre « on installe une périphérie, un milieu, une ambiance parisienne. À l'in-térieur, chaque fois que, justement, lorsqu'il y a des surfaces plantées, on est plutôt dans le registre du square parisien.» La spécificité du lien métropolitain entre Paris, Bagnolet et Montreuil s'ex-prime par le lien piéton et ses bancs signature. « C'est le coeur du projet. On veut venir structurer la ville, soigner cette coupure» par une grande allée piétonne, marquant la mobilité de demain et donnant un caractère fort au paysage de la place. S'agissant du banc signature, « je me disais qu'on pouvait vraiment avoir quelque chose de très contemporain, même d'une couleur unique.»

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Michèle Zaoui poursuit son propos par le projet de la Porte de la Chapelle où une nouvelle fois le choix de l'assise s'est posé. Ce lieu se rattache difficilement à son appartenance parisienne, étant en périphérie dans un tissu urbain et routier dense. Toutefois, la population du quartier revendique son attachement à la capitale. Elle demande que le projet reprenne les codes du Paris historique s'agissant des assises. « C'est ça qui est rassurant, qui fait qu'on fait communauté. On a un destin commun, on a des objectifs communs.»

Le projet prévoit des jardinières sur la place centrale de la porte de la Chapelle bordées d'élé-ments en granit qui servent d'assises, même matériau utilisé pour le revêtement de sol. Dans le sens orthogonal, de larges trottoirs à l'image « d'un paseo ou des grands ramblas » et des bancs Davioud seront installés. Cette dualité a été validée par l'ABF. Ces types d'assises s'adressent à des usagers différents : une personne âgée aura toujours à proximité, dans son champ visuel un banc Davioud avec un dossier tandis que les jeunes, qui sont plutôt en groupe iront plus facilement vers les bancs en granit à l'assise plus large et libre de tout accoudoir : « Ce sont toujours des stratégies. C'est toujours quelque chose de très lisible. Le banc Davioud, il veut dire quelque chose, il a sa place. Ou il est en périphérie, en bas des immeubles historiques ou il est le long d'un axe historique. Et puis après on peut se permettre autre chose ailleurs. Mais l'ambiance est campée, elle est mise en place tout de suite.»

 

Plan projet de la porte de la Chapelle, Paris, 2020,

((c) Richez Associés).

Jean-Christophe Choblet, également en charge du projet, précise qu'il y a une dissonance réelle sur les assises non pas en termes d'esthétique, mais au sujet du nombre et de l'agencement. En effet, élus et riverains craignent les attroupements. Un mobilier peut être agréé par la CREP ; ce n'est pas pour autant qu'il sera aisé de l'installer sur le domaine public. Cet exemple n'est pas isolé.

La place du concepteur, un rapport ambivalent avec la Ville de Paris

Un dialogue évident pour un projet cohérent

Dans le projet de paysage se pose dès lors la question, au regard de la spécificité de Paris : est-ce au maître d'oeuvre de décider des bancs qui feront partie de son projet dans un esprit d'uniformité et de cohérence d'ensemble tel qui le conçoit? Ou alors est-ce à la Ville de Paris, en tant que maître d'ouvrage, d'imposer ses choix au regard de l'historique de la capitale, des contraintes d'entretien?

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Emmanuel Grégoire assure que, certes, Paris possède un fort enracinement historique mais qu'il va falloir ne pas occulter les grands enjeux écologiques d'aujourd'hui et aussi apprendre à les conjuguer sans les annihiler. Il écrit que « l'attachement affectif au patrimoine ne doit pas se traduire par une créativité frileuse qui aurait pour conséquence d'enfermer Paris dans un passé formel, alors même que notre ville a su évoluer tout au long de son histoire » 114.

Avec son expérience de plus de trente ans au sein de la Ville de Paris, Bernard Landau estime que c'est à elle de choisir le mobilier, et ce pour des problèmes en termes d'entretien et de pérennité. Il est persuadé qu'il faut maintenir à Paris une gamme unitaire dans son exigence d'esthé-tique. En outre, la Mairie de Paris doit être à même de proposer une gamme de mobiliers agréés. Quel que soit le projet, ce dernier est réussi si le mobilier urbain ne se fait pas remarquer, qu'il se fond dans le paysage, ce qui en fait un critère d'excellence. Par conséquent, le catalogue doit être à même d'évoluer. Ce qui l'interroge est désormais ce terme d'esthétique : « J'ai peur que [ce terme] soit conservatoire, conservateur c'est-à-dire que l'on tombe dans l'effet inverse qui flatterait une partie de l'opinion de #saccageparis qui est très conservatrice et qui serait :« hors de ce que nous a légué l'héritage haussmannien : point de salut. » Or je pense vraiment qu'il y a matière à innover, à dessiner des mobiliers contemporains qui soient très élégants et que Paris, ça ne peut pas se limiter à l'héritage haussmannien, y compris en matière de mobilier urbain. » Il prône les concours de designers pour élargir la gamme, une nouvelle gamme adaptée au Paris contemporain et à ses nouveaux quartiers.

Lily Munson, au regard de certains projets à l'étude, avait déjà interrogé des aménageurs à ce propos après s'être rendue compte que ces derniers avaient fait appel à des maîtres d'oeuvre qui « n'avaient aucune conscience des enjeux d'usage parisien. J'ai quand même eu des architectes qui m'ont proposé pour le projet Saint-Vincent de Paul [ndla : livraison courant 2023] des mobiliers en palettes qu'on pouvait bouger. On retombe sur les contraintes classiques d'entretien du mobilier urbain pour les services et qui n'étaient même pas pris en compte. Je suis pour une collaboration paysagistes et designers parce que les designers intègrent la contrainte très, très en amont sur du mobilier. L'architecte, il prend la chose complètement à l'envers, enfin, pas tous. »

La question s'est également posée pour l'aménagement de la porte de Montreuil toujours en matière d'entretien et de pérennité du mobilier, nous fait-elle part. Toutefois, si la proposition de nouveau mobilier est bien justifiée et répond à toutes les attentes et contraintes, ce dernier aurait toute disposition à être inscrit au catalogue, argue-t-elle.

Michèle Zaoui s'accorde à dire que la Ville de Paris doit pouvoir décider du mobilier urbain dans son espace public dans un esprit de cohérence et de vision d'ensemble urbanistique : « C'est très intéressant d'avoir des personnes, des maîtres d'oeuvre diplômés qui sont dans la maîtrise d'ou-vrage, ce qui est mon cas parce que c'est important d'avoir un propos. Il faut évidemment laisser la créativité du concepteur. C'est lui qui va proposer son projet, son idée. En revanche, il est impératif que la maîtrise d'ouvrage ait une vision extrêmement forte d'une stratégie. C'est un grand principe et après, le maître d'oeuvre rentre dedans et propose un projet singulier. Il faut vraiment un dialogue et une vision. »

Jean-Christophe Choblet estime que si la maîtrise d'oeuvre est externe, « quelle que soit sa qualité, architecte, urbaniste, paysagiste, c'est à elle de proposer dans son aménagement les usages. Cela impose un plan d'usage : quels sont les usages qu'on imagine et qu'on projette sur les espaces en dehors des systèmes de circulation, voiture ou piéton.» Les études de circulation

114 Mairie de Paris, 2022, op. cit., p. 5.

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sont déjà effectuées par les ingénieurs de la Ville de Paris. Le maître d'oeuvre, avec son regard de concepteur, est là pour apporter une plus-value justement sur ces usages : zone de repos, de rencontres, zone ombragée avec nécessaire par rapport au changement climatique, utilisation pour la pause méridienne... « C'est vraiment eux [les concepteurs] qui font des propositions souvent sur des diagnostics que nous avons faits avant. Après, l'arbitrage est effectué par les élus, ce qui n'est pas chose aisée'> nous dit-il. De plus, il précise que même si un banc est accepté par la CREP, cela n'est pas suffisant pour le voir installé sur l'espace public : « Dans beaucoup de projets, on met des bancs et ensuite on les enlève parce que les élus, les gens qui habitent là disent que ça fait trop de bruit.'> On en revient à l'idée que le banc, outre sa fonctionnalité indiscutable, reste toujours un objet sujet à controverse.

Mathieu Gonthier, en tant que paysagiste concepteur, estime que le choix du mobilier urbain revient à la Ville de Paris. Toutefois, au regard de ses projets en cours dans la capitale (la place Saint-Gervais, la Cité Bonnier), il prône une discussion entre le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage. Certains endroits doivent n'être équipés que de bancs Davioud, au regard du passé historique du quartier, tandis que dans d'autres « où la ville aura envie d'en mettre, par discussion on arrive à faire passer d'autres choses. Il s'agit d'une bonne mesure entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre de ce qui doit en fait faire partie de cette ligne un peu de design parisien et puis ce qui doit faire contraste par rapport à un projet à porter.'> La Ville de Paris doit veiller à une uniformité d'en-semble, mais cela n'exclut pas que le concepteur, « c'est notre rôle'>, puisse remettre en question la commande afin d'entamer une discussion de façon judicieuse. Dans le même temps, il suggère qu'on peut aussi utiliser une ligne de mobilier issue de catalogues dans un esprit d'homogénéité de la ville : « Il n'y a rien de pire aussi que d'avoir une espèce de connexion dans chaque quartier ou dans chaque espace public d'un type de mobilier décidé par une personne ou une agence qui a souhaité faire son petit design à lui. [...] Il nous faut être vigilant à la bonne disposition, que ça vienne s'intégrer, pas parachuté.'>

Benjamin Le Masson officie aussi bien en tant que maître d'oeuvre en interne que maître d'ou-vrage à la Ville de Paris. Il estime que c'est « au maître d'oeuvre de concevoir son projet, son aménagement et d'intégrer, d'insérer les assises, et donc le choix de ces objets qu'ils soient anciens ou modernes. [...] Les maîtres d'oeuvre doivent être à la fois des grands historiens, faire connaitre l'histoire de Paris et son vocabulaire, son esthétisme, pour pouvoir introduire une certaine modernité, mais en prenant en compte cette histoire. Ce n'est pas forcément facile, mais passionnant.'>

Il reprend le même terme que Mathieu Gonthier, à savoir le « curseur'> donné au maître d'oeuvre : « Il faut faire confiance [au maître d'oeuvre] à partir du moment où on l'a choisi. Mais il faut lui dire aussi qu'il est préférable de piocher dans les catalogues, sauf si vraiment son projet nécessiterait d'introduire de nouveaux objets.'> Quoiqu'il en soit, le sujet de l'entretien est récurrent. En plus d'éviter un « patchwork'> dans l'espace public, le discours de la Ville de Paris, de façon légitime est « Voilà, prenez plutôt dans nos catalogues [de mobiliers urbains] qu'on sait entretenir plutôt qu'un mobilier spécifique qui nous posera plus de difficultés.'>

Toutefois, dans sa position de maître d'ouvrage, il estime que le catalogue devrait être enrichi d'assises contemporaines, éprouvées et économiquement viables. Il manque un banc double contemporain, des chaises dont les mairies sont preneuses. Il a oeuvré en ce sens lors de la mise en place de la ligne de tramway s'agissant des bancs. Ceux-ci ont été dessinés par Marc Aurel pour le fournisseur Area, les modèles Porto et Lisbonne. Ces deux modèles avaient d'ailleurs été agréés par la CMU et se sont imposés sur tous les arrêts de cette ligne de transport. Il les décrit comme ayant « un petit côté Jean Prouvé et en même temps les lames font penser à l'aspect un peu jardin de certains bancs.'>

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Pour les jeunes architectes que sont Juliette Floc'h et Sarah Ananou, en tant que MOE en interne à la Ville de Paris au sein de la DVD, le choix du mobilier dans les projets se fait en équipe (architectes, ingénieurs, ingénieurs paysagistes). La proposition reste mesurée : soit un banc Davioud soit un banc granit. Toutefois, elles restent force de proposition pour des modèles différents, mais qui demeurent des adaptations des bancs listés ci-dessus, afin d'être en cohérence avec la dimension du projet comme, par exemple, de grandes places. Juliette Floc'h précise que pour sa part « le banc Davioud a vraiment été conçu pour être dans la linéarité. Dans cette épaisseur fonctionnelle, on met les arbres, les éclairages, les bancs.'>

Avec l'expérience du projet de la place du Panthéon, Emma Blanc adhère au fait que le concepteur doit être à même de proposer le mobilier urbain : « On m'a laissé le choix même à Paris. J'aurais tendance à dire qu'il faut travailler en bonne intelligence avec les maîtres d'oeuvre. C'est à eux de faire le bon choix. Un projet c'est un partenariat entre un maître d'oeuvre, une maîtrise d'ouvrage. Si le maître d'oeuvre porte haut ses convictions et qu'il défend son propos, il doit être capable de convaincre son maître d'ouvrage qu'il a toute raison d'écouter.'> Elle est favorable à ce que les concepteurs puissent choisir dans des catalogues proposés par les villes, « quitte à les réinterroger et les remettre à jour'>. Elle conclut que c'est, dans ce cas, aux élus à prendre la décision finale.

D'une manière générale, Antoine Santiard indique que dans son agence d'architecte « on aime bien souvent faire des bancs qui soient en résonance avec ce qu'on dessine. On a fait aussi avec Michel Desvigne les abords de la cathédrale d'Évreux. Les bancs sont faits avec la même pierre que ce qu'on a fait le sol. Ils sont un peu furtifs. On voulait rester le plus neutre possible, avec les mêmes matériaux que tout le reste.'> D'une manière générale, il estime peu évident pour les concepteurs de se référer aux catalogues des villes. La réutilisation des matériaux sur place demeure également un modèle avec l'exemple de la transformation de la place d'armes de l'ancienne caserne de Reuilly en jardin où les bancs ont été façonnés dans le bois des arbres présents sur place. L'aménagement des jardins apparaît moins contraignant, moins empreint de règles que le domaine public.

Une réinterprétation source d'inspiration pour de futurs projets

L'exemple le plus emblématique, qui a changé la vision du banc Davioud et qui a apporté une touche de modernité à l'espace public, est le projet de réaménagement de la place de la Madeleine par l'agence h2O dont Antoine Santiard est architecte associé. La réinterprétation des bancs Davioud reste un élément des plus marquants. Les projets actuels s'en inspirent comme nous le verrons plus avant. Les modèles dessinés par h2o ont retenu toute l'attention de l'APUR qui en a demandé les fichiers 3D pour d'éventuels essais dans d'autres espaces parisiens.

Antoine Santiard nous raconte qu'« Emma [Blanc] avait effectué un important diagnostic de la place. Elle avait gagné le marché d'accompagnement pour tout ce qui est préfiguration, un diagnostic analytique de la situation.'> Il évoque tout d'abord le contexte dans lequel la place est appréhendée, que ce soit par les véhicules ou pour les piétons. Toute l'étude et le projet sont relatés dans l'ouvrage Faire place, à la Madeleine que l'agence h2o a publié en 2020 et qui est accompagné d'un kit d'assemblage des bancs revisités en modèles réduits115. La place est située dans un quartier de bureaux. Elle est, de ce fait, sollicitée intensément à la pause méridienne par les nombreux salariés environnants. Une première approche a été de comprendre comment la place vivait à ce moment crucial de la journée, heure d'affluence : « La meilleure place, c'était sur les marches

115 h2o architectes, Faire place, à la Madeleine, Paris, Building Books, 2020, 88 p.

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Banc Davioud existant

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Plan d'implantation des bancs Davioud modernisés, place de la Madeleine, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

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de l'église parce qu'on est plein sud, parce qu'on est un peu en retrait des voitures. On est un peu surélevé, c'est confortable tout simplement d'être sur un escalier.'> Toutefois, le prêtre de l'église avait émis un certain mécontentement par rapport à ces mésusages. De plus, la place ne disposait que de deux bancs, des bancs Davioud : « La commande était d'amoindrir la place de la voiture et que cette place soit moins un rond-point, mais un lieu où on peut venir pour faire du vélo, pour faire du roller, pour s'assoir, pour que le « marcher'> soit un peu moins moribond. Les contre-allées ont été comblées et la zone du parvis étendue. On avait des espaces plus propices pour installer des pauses méridiennes et faire en sorte que les gens puissent désenclaver ces marches et trouver un peu d'ombre, différentes situations pour déjeuner, pour s'assoir, pour attendre.'>

Néanmoins, il évoque que tout ceci ne s'est pas effectué sans mal. De nombreux débats, des réunions publiques, ont eu lieu avec les architectes des Bâtiments des France, les représentants des commerçants, les riverains, le prêtre ainsi que la Mairie de Paris. Les propositions d'assises ne convenaient jamais en rapport avec l'édifice religieux que ce soit en termes de positionnement que d'esthétique. De plus, chaque direction de la Mairie de Paris listait également ses propres contraintes, ce qui rendait la tâche d'autant plus complexe.

En reprenant le projet, l'agence h2o a pris conscience qu'il fallait se reculer suffisamment et utiliser les alignements d'arbres existants. Ces derniers étant incomplets pour diverses raisons techniques, historiques et la présence locaux en soubassement de la place. Ils ont néanmoins pu compléter les alignements afin de redonner une cohérence d'ensemble à cette place. Grâce à cette idée, la question de positionnement des bancs était devenue évidente : « utiliser le rythme de ces arbres pour installer une situation d'assises.'> Cependant, au regard de l'ampleur de la place, les bancs Davioud en l'état ne paraissaient pas occuper pleinement l'espace. Oublié dans un premier temps avec les autres propositions, le banc Davioud avait été à nouveau suggéré dans sa réin-terprétation. Les avis négatifs s'agissant des assises concernaient le design non sur l'usage ou le nombre. Ce banc offrait les mêmes possibilités que toute autre assise sauf que la question de l'esthétique n'en était plus une.

Antoine Santiard nous confie : « Pourquoi c'était le banc Davioud au départ sur ce projet? Nous avons fait des visites au CMA. Ils nous ont dit : « Voilà, vous avez de la matière, soyez inventifs, travaillez avec des bordures, avec des grilles d'arbres'> et au milieu il y avait un paquet de tas de piétements. On s'était dit « tiens, on peut peut-être faire quelque chose avec ces piétements. C'était une alternative qui, au début, n'avait pas été très regardée. On a bossé ce scénario-là et on s'est rendu compte qu'on pouvait le faire vivre et qu'avec une même base il y avait plein de solutions possibles. [...] C'est un banc redoutablement efficace. [...] Ce qui nous intéressait, ce n'était pas le banc en lui-même, mais de créer des situations. Le banc Davioud, il est magique, parce qu'il a deux côtés, une assise, un dossier. Les gens l'utilisent de mille façons [...] Toutes ces situations quand on les décuple en enlevant peut-être des planches d'un côté, en rajoutant une table, génèrent des manières innombrables de se l'approprier. Nous, on adore, ça. '>

Les études ont abouti à sept modèles de bancs déclinés en variantes suivant leur implantations : près d'un kiosque, autour d'un arbre, avec une table, tronqués. Il précise : « On avait fait [des] petites maquettes, pour essayer d'emmener tout le monde dans notre récit. Quand on l'a remontré en réunion de concertation, ça n'a plus fait débat. Ils ont trouvé ça formidable. On m'a demandé de laisser la maquette à Anne Hidalgo et c'était entériné. Quelque part, ça n'a plus fait débat.'> De plus, il informe que ce projet a été permis hors clivage politique. Il s'agit du seul projet de réaménagement des sept places dans un arrondissement dirigé par l'opposition municipale.

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De plus, Antoine Santiard apprécie ce banc pour son côté furtif. L'aménagement s'en révèle réussi dans la mesure où les gens identifient le banc Davioud tout en notant éventuellement une forme différente. Mais les codes du banc Davioud restent.

Jean-Christophe Choblet a été agréablement surpris par la proposition de h2O bien que réfractaire initialement. Pour lui, il faut donner toute l'importance dans le projet à ceux qui font vivre la rue : « Je ne suis pas du tout pour cette espèce de retour en arrière bourgeois de la ville. Je trouve que, si on arrête d'expérimenter, on arrête de vivre. Moi, [le banc] Davioud, je l'ai toujours dit, on y est mal assis. Ce banc twisté c'est vraiment pour moi un pied de nez à une forme passéiste de l'espace public. Ça marche assez bien, car il est clair que la première fonction d'un objet, c'est qu'il soit utilisable.»

Cette réinterprétation moderne des bancs Davioud s'accorde avec des projets en études. Juliette Floc'h détaille le projet en cours du parvis de Saint-Augustin dans le 8ème arrondissement. Les propositions se veulent innovantes sans toutefois dévier de la trajectoire politique du Manifeste pour la Beauté. « On est volontaire, on propose.» L'aménagement du parvis reste classique par la suppression de la chaussée circulée, la création d'un ensemble piétonnier entre l'église et la statue avec des bandes plantées, du granit au sol et la conservation des candélabres existants. Le petit détail réside dans le choix du banc : « À l'échelle de cette future place qui fait plus de 1.000 m2, on trouvait qu'un banc Alphand de dimension normale faisait un peu petit, il aurait fallu en mettre beaucoup. On a proposé typiquement les mêmes bancs que sur la place de la Madeleine, c'est-à-dire les trois pieds et la latte de bois qui fait 5 mètres.» Bien que ce mobilier ait été validé par la CREP lors du projet de la place de la Madeleine, il a fait l'objet d'une nouvelle validation pour ce projet. Ce modèle très spécifique ne peut pas être déployé partout. Il doit être préalablement et systématiquement soumis à l'approbation de la CREP.

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Cet exemple le rôle primordial de la CREP. Au-delà de son rôle de choix de l'esthétique du mobilier urbain, elle donne également son aval pour chaque projet afin de maintenir la cohérence telle que portée par le Manifeste pour la Beauté. Néanmoins, s'agissant de l'aménagement de la place de la Madeleine, il semble qu'il y ait quelques incongruités. Certains bancs, aussi bien en arc de cercle que droits sont orientés vers les kiosques des fleuristes. L'aspect paysager reste équilibré par une occupation cohérente de l'espace. Toutefois, en termes d'utilisation, la position assise face à un mur à moins de 2 mètres pose question. Faut-il essayer de maximiser le nombre de places par banc alors qu'une simple assise aurait pu suffire?

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Entre projet artistique et paysage

Emma Blanc est la paysagiste conceptrice de la place du Panthéon dans le 5ème arrondissement. La Ville de Paris semblait être demandeuse de bancs Davioud à l'initiation du projet. Néanmoins, la paysagiste a estimé que le projet n'était pas cohérent avec l'aménagement qu'elle avait établi : « Le projet défendait une symbiose et une forme d'osmose avec la matérialité du sol. Il se présentait comme un projet hybride à cheval entre le paysage et une intervention artistique.» Elle précise que ce projet devait être éphémère pour l'année 2018, uniquement, bien qu'il perdure encore.

Après nous être rendu sur site le samedi 18 mars 2023, en après-midi, lors d'une journée ensoleillée, nous avons compris la vision d'Emma Blanc qui le voit comme un lieu incroyable de rencontres. Les assises bien que nombreuses, aussi bien les bordures de trottoir en pierre recyclées qu'en lattes de bois en acacia, étaient prises d'assaut. L'utilité du banc a dépassé le côté design et la dimension historique attachée au Panthéon (1764) : « C'est intéressant en fait toute cette friction entre des lieux contemporains et des lieux sacralisés. Le pourcentage de l'un vis-à-vis de l'autre, c'est ça qui pose problème aujourd'hui. Mais je pense qu'on peut vivre, avec ces espaces, ces dichotomies dans l'espace public très facilement. Il faut juste être en pleine conscience de ce qu'on fait et d'assumer.»

 

Place du Panthéon, Paris, 2023,

((c) Pierre Médecin).

Cet aménagement est en droit d'interroger puisqu'en fait tout le monde se focalise davantage sur le bâtiment. Ce dernier est considéré d'ailleurs par Bernard Debarbieux comme « un lieu de réalisation d'un territoire qui confère la structuration dudit territoire et des points d'ancrage de l'enracinement mémoriel »116. Pour Emma Blanc, « on ne parle pas de ce qui fait sens, c'est-à-dire de la place. Elle permet au bâtiment d'avoir le recul nécessaire pour qu'on puisse apprécier. Et ça, c'est dommage, ce n'est pas très cohérent. » Elle déplore qu'on ne parle pas assez d'espace public dans ses « qualités propres, mais toujours par rapport aux bâtiments alors que ce sont deux choses qui vont de pair.»

Quant au choix des matériaux, ils se voulaient modestes. Initialement, il s'agissait de cales en bois, car pour Emma Blanc l'assise répond à un besoin d'usage plus qu'un besoin de design : « On choisit de ne pas rentrer dans la question du design, de rester le plus sobre possible. Le non-design, c'est du design aussi. » Elle indique toutefois que des études en amont avaient été engagées pour

116 DEBARBIEUX Bernard, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétoriques», L'espace géographie, n°24/2, p 108.

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proposer des piétements de type Davioud ou en les réinterprétant pour « lui faire un clin d'oeil contemporain». Toutefois, la Ville de Paris a décliné cette proposition pour des questions financières au regard du nombre important de bancs prévus.

De plus, la réalisation des assises a été pensée telle qu'elles ne devaient pas dépasser la hauteur du socle du bâtiment « pour le mettre en scène» afin de respecter son histoire, sa matérialité et sa dimension symbolique : « En fait l'idée était vraiment de s'emparer de la place par la duplication des bancs, arriver à faire projet et à faire oeuvre.» La multiplicité des assises n'est pas uniquement là pour accueillir la foule d'étudiants du quartier de la Sorbonne, mais également, quand elle est vide, à donner une présence à l'espace : « C'est une réciprocité de pensée entre l'objet, l'espace et l'usage. »

Cet aménagement qui ne devait être que temporaire s'inscrit désormais dans le temps. Emma Blanc se pose la question de savoir quel sera le prochain aménagement et quelles leçons en seront tirées par rapport à son projet qui somme toute a suscité de vives réactions aussi bien positives que négatives.

Jean-Christophe Choblet précise que la question de l'assise a également été envisagée par rapport à la question du genre, plus particulièrement de la femme dans l'espace public, qui fait référence au « guide référentiel du Genre et espace public» édité la première fois en 2016 et dont la deuxième édition a été publiée par la Mairie de Paris en 2021117. Il prend pour ce faire l'exemple des méridiennes, les « tapis volants», larges assises ondulées sur lesquelles il est facile de s'allonger : « En termes d'usage, ça fonctionne et puis on est vraiment sur l'abandon du banc. On va au-delà du banc, quelque chose qui est plus généreux que le banc. » Déjà en 2021, lors de l'atelier organisé par l'APUR sur le genre dans l'espace public, il mentionnait que « l'ergonomie est un outil très efficace pour permettre aux femmes et aux jeunes femmes de se mettre dans une forme d'aménité de sécurité dans l'espace public » 118. D'ailleurs à ce propos, Emma blanc dans son intervention lors de l'atelier « Enjeux esthétiques de la mémoire et de la culture» justifiait également ses choix en faisant un travail sur la mémoire emblématique du Panthéon où la devise « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante» est devenue pour elle « Aux grandes femmes la Patrie reconnaissante» 119.

 

Méridiennes en bois,

place du Panthéon, Paris, 2023, ((c) Pierre Médecin).

 
 
 

117 Direction de la démocratie des citoyen.nes et des territoires, Guide référentiel 2, Genre & espace public, Paris, Ville de Paris, 2021, 187 p.

118 APUR, 2021, op. cit, p. 26.

119 APUR, 2021, op. cit, p. 72.

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Limite entre espace public et jardin

L'agence de Mathieu Gonthier, Wagon Landscaping, a été lauréate du projet du jardin mémoriel de la place Saint-Gervais (4ème arrondissement). S'agissant du projet et des assises, les bancs Davioud présents sur la place seront déplacés et positionnés en périphérie du jardin dans le cadre d'une réflexion totale d'une façade à l'autre. Des bancs en pierre seront disposés à l'intérieur, devant les stèles en accord avec le revêtement de sol de la même pierre : « On a fait une espèce de frontière entre l'espace public et le jardin. Le banc Davioud nous aide parce que, justement, il appartient au vocabulaire de l'espace public, identifié partout, depuis toujours. On a vraiment envie de conserver des usages urbains du quotidien ou touristique autour du jardin.» Il travaille sur le contraste entre intérieur et extérieur, en jouant sur les deux vocabulaires à la fois, celui du jardin et du lieu de recueillement et celui de l'espace public. Cette volonté risque de ne pas être réalisée et demeure liée aux problèmes de sécurité. En effet, des bornes en granit pourraient être installées contre les véhicules béliers, comme c'est le cas récemment sur la place de la Bastille.

Projet du jardin mémoriel de la place Saint-Gervais, Paris, 2022, ((c) Wagon Landscaping).

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