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"en aparté"sur Canal Plus : l'invité, le public et le média comme tiers autoritaire dans une émission de conversation

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par Marylène Khouri
Institut Français de Presse Paris II-Assas - Maà®trise d'information et communication 2005
  

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Deuxième partie :

La spectacularisation de l'intime

En Aparté s'inscrit dans un mouvement des médias en général et de la télévision en particulier qui privilégie les instincts voyeuristes chez le téléspectateur. L'arrivée de l'émission est simultanée à celle de Loft Story. Je vais étudier dans une première partie en quoi cette tendance au « zoo humain » devient un genre de spectacle caractéristique de notre époque.

A) Le « zoo humain »

A titre de rappel, l'arrivée de Loft story avait déclenché une vive polémique qui nous paraît désormais fort obsolète, au regard de toutes les nouvelles émissions de télé-réalité qui inondent nos écrans. Le dispositif était fortement critiqué, on parlait de violation d'intimité, on comparait avec le 1984 d'Orwell ou avec les camps de concentration nazis. Le débat fut violent. Or, En aparté s'est glissé discrètement, en septembre 2001, soit un été après Loft Story, dans nos programmations en empruntant le dispositif cher aux émissions de télé réalité mais en l'utilisant pour interviewer des célébrités plus « nobles ».

Pourtant, une même volonté guide les émissions de télé-réalité et En aparté: chacune joue le jeu de l'exhibitionnisme des candidats/invités répondant au voyeurisme du téléspectateur. Cependant, l'émission de Canal plus détourne la promesse de la télé réalité en mettant en spectacle des habitués justement de la mise en spectacle. De ce fait, elle en tire une légitimité que les autres émissions n'ont pas. On ne blâme pas son exploitation des anonymes, critique récurrente des émissions de télé-réalité. De plus le cadre temporel restreint de cette mise en spectacle -l'émission ne dure que vingt deux minutes- ne prête pas à une dénonciation de l'enfermement de l'invité.

1- Les mêmes fonctions qu'un zoo

On retrouve cependant les mêmes ressorts que dans le spectacle zoologique ; en premier lieu, la quête de l'authenticité. Olivier Razac62(*) énonce la maladresse comme première forme d'authenticité : «  Cette spontanéité dans l'expression garantit l'intensité émotionnelle de l'émission ». Or le dispositif d'En aparté propose moult stratagèmes pour tester la maladresse de l'invité : manipuler un appareil photo, faire fonctionner des diapositives, une chaîne hi-fi ultra moderne... La plupart d'ailleurs fait une petite remarque là dessus. Par ailleurs, les émissions de télé-réalité ont pour but d'attester de la « normalité » de l'invité/candidat :

« L'invité espère que la discussion l'éclairera sur lui même et confirmera sa normalité. L'émotion et la vérité exprimées avec spontanéité assurent l'authenticité de l'anonyme (ici, la personnalité). « Il est comme vous et moi, ce qu'il dit est vrai et réel ».

En fait, tout comme l'anonyme a envie de se sentir accepté dans la société, la personnalité a elle aussi besoin de prouver à son public qu'elle est comme lui, qu'elle aussi peut être mal à l'aise. Pour ce, nous allons établir un parallèle avec l'étude qu'en a fait Olivier Razac dans de son ouvrage « L'écran et le zoo : spectacles et domestications, des expositions coloniales à Loft Story ». Celui-ci a pris pour exemple « Loft Story » et nous allons appliquer sa réflexion à  En aparté. Son hypothèse est que les émissions de télé-réalité reprennent le principe de « zoo » humain :

« Dans ce spectacle, celui qui est exposé est placé dans un décor qui imite son milieu naturel. Il est dressé par des indications de mise en scène. Il s'expose selon ce qu'il attend d'un public (...). Il se compare à des individus sincères qui ne sont que les spécimens d'une typologie spectaculaire. Il adhère à une réalité domestiquée par le spectacle »

Cette comparaison est judicieuse sur de nombreux points. En effet, dès le dix neuvième siècle, des expositions ethnographiques sont apparues, avec succès, témoignant de l'intérêt originel de l'homme pour ce type de spectacle. Carl Hagenbeck, un citoyen allemand, avait exposé des lapons avec des rennes dans son jardin et avait fait payer cette exposition. Devant le succès rencontré, il en avait fait de même avec des nubiens du désert. Puis il fut l'un des précurseurs des expositions ethnographique reproduisant ce type de spectacles à travers le monde pendant une quarantaine d'années. Hagenbeck, pour justifier ce succès, invoquait la naïveté de la mise en scène : « Le principe est là. Le succès tient au caractère ambigu de ce spectacle. Ce n'est pas l'artifice, l'illusion qui attirent, mais l'authenticité et la vérité de ce qui est vu »63(*). Cependant, au fur et à mesure que ces spectacles réussissaient, certaines tribus identifiaient ce qui plaisait aux spectateurs et le reproduisaient dans le but de leur plaire : il cite les indiens qui faisaient payer pour leurs danses et acrobaties. Ce que l'on peut aisément appliquer à l'émission qui nous intéresse ; l'invité y a tout à fait le choix d'y feindre l'authenticité en livrant un numéro cher à son public. Cependant, le dispositif d'En aparté limite cette tendance. Par exemple, un animateur télévisé, citons Arthur, ne peut se permettre une prestation comme dans Les enfants de la télé ou Arthur et les pirates, émissions au ton régressif. Le cadre d'En aparté l'invite à la réflexion, à la maturité. Cependant, pour d'autres personnalités naturellement enclines à cette réflexion, notamment les acteurs, rompus aux entretiens sur leur vie privée, ce cadre peut les inciter à livrer une prestation dont ils savent qu'elle sera appréciée par leur public : ils peuvent feindre une personnalité torturée par exemple.

Autre point commun entre les spectacles zoologiques et les émissions que l'on qualifierait d' « enfermement » : la réaction du public. Dans les deux cas, certains sont réticents, voire gênés face à ce type de spectacle tandis que d'autres crient au scandale. Mais la plupart ne cesse de se moquer. Une certaine condescendance se crée chez les spectateurs ; condescendance que l'on peut aussi ressentir devant En aparté. En effet, libre à nous de rire de certaines réactions. Nous sommes dans un type de relation où l'on est invisible et où l'on n'est pas jugé tandis que l'invité est livré à des milliers d'avis et de jugements de téléspectateurs. Ainsi, on peut inverser le rapport de supériorité que l'invité/personnalité a sur nous. L'invité quant à lui est réellement enfermé le temps de l'émission. Or, selon Olivier Razac, « la première fonction d'un zoo est d'exercer un pouvoir sur les corps des hommes ou des animaux voués à être exposé ». Le média s'octroie donc un pouvoir de ce type le temps d'un entretien. Au final, l'invité est confronter à la domination tant du média que du téléspectateur tout comme l'animal est dominé par ceux qui l'exposent et ceux qui le regardent. Il ajoute64(*) que « le zoo est un lieu d'étude et de restitution pédagogique de ce savoir (...). On peut aussi utiliser le zoo comme un lieu privilégié d'observation des comportements ». Ainsi, comme seconde fonction, « le zoo produirait un savoir sur les individus et les populations qu'il enferme et qu'il exhibe ». Or, En aparté a pour promesse de nous faire découvrir les états d'âme, l'intimité des « people ». On est ici dans la découverte d'une altérité qui échappe à l'anonyme-téléspectateur, celle des gens célèbres. Enfin, troisième fonction énoncée par Oliver Razac et applicable à « En aparté », le zoo fournit un spectacle aux visiteurs. « Pour ça, il faut que les spécimens soient bien visibles, que l'oeil du spectateur accède le plus directement possible à l'image du comportement spectaculaire »65(*). Or ici, place est faite aux gros plans et à une mise en scène omnisciente. Dans l'émission de Pascale Clark, chaque attitude, geste est traqué. Cette traque de l'intimité fournit un spectacle aux téléspectateurs. Ces deux notions antinomiques cohabitent dans cette émission, tout comme elles cohabitent dans l'espace zoologique. De même, autre point commun, la volonté de recréer un espace « naturel ». Ici, on rejoint l'esthétique de Loft Story sauf que chez Pascale Clark, le « standing » est supérieur. Malgré des objets et meubles à peu près ordinaires, la lumière artificielle, de plateau, et les indices de caméra viennent tronquer cette prétention d'authenticité, cette illusion du réel.

Olivier Razac définit de même l'intérêt d'un zoo par le fait que ceux qui sont exhibés doivent attirer l'attention des spectateurs d'une manière « positive ». « Si l'animal ou le sauvage parait paresseux, il faut le stimuler. On impose des exercices typiques ». Il en est de même pour l'invité. Si il est inactif, le rôle de Pascale Clark est de le simuler par des exercices ; Charles Berling, s'il n'était pas dirigé par l'animatrice n'aurait pas grand intérêt. Il n'est pas bavard, n'a pas a priori quelque chose à dire.

* 62 « L'écran et le zoo », Olivier Razac, essais, ed. Denoel, page

* 63 Ibid, page 32

* 64 Ibid, page 76

* 65 Ibid, page 78

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry