C) Le face à face entre acteurs locaux et
aménageurs : entre conflits et jeux d'alliances, des
légitimités très relatives face à la montée
des enjeux.
La situation rencontrée s'apparente à une partie
d'échec : face à la montée des enjeux apportés  par
 le  projet  de  ville  de  Diamniadio  et  le  MCA,  les  différents 
groupes  locaux politiques,  ethniques,  familiaux,  confrériques  ou 
associatifs  développent  une  stratégie  qui dépend de
leur marge de manoeuvre. 
Avant  tout,  la  répartition  ethnique  du  conseil 
municipal  reflète  le  pouvoir  des dignitaires  autochtones 
Lébous,  qui  détiennent  les  postes-clé,  tout  comme 
à  l'époque  de  la communauté rurale de Yène, dont
Diamnadio dépendait avant 2001. Les Lébous sont les plus anciens 
occupant  du  territoire  d'étude,  et  se  considèrent  comme 
les  véritables  autochtones, 
vis-à-vis des  « étrangers »
arrivés après eux. Une filière officielle d'acquisition de
parcelles avait été mise en place en 1997 : un lotissement de 12
000 parcelles avait été autorisé, mais depuis, près
de 20 000  demandes ont été reçues.  La  commission
d'attribution des parcelles pilotée  par  l'ancienne  communauté 
rurale  exigeait  pour  les  célibataires  le  versement  de  la somme
de 31 000 F CFA et de 33 000 F CFA pour les personnes mariées. Mais, la
commune 
de  Diamniadio  craint  de  devoir  reverser  cet  argent  aux
 demandeurs  de  parcelles.  La  plate forme  multimodale,  par  sa  forte 
consommation  d'espace  remet  en  cause  la  politique  de lotissement  
héritée   de   l'ancienne   communauté   rurale   de  
Yène.   De   plus,   cette   filière d'acquisition est
contestée par des autochtones, qui ont arrachées les bornes qui
servaient au lotissement pour ne pas céder leur champ. Le comité
de pilotage d'attribution des parcelles 
n'arrive donc pas à maîtriser l'emprise
foncière et l'attribution des lots octroyés. 
Une filière parallèle d'attribution des
parcelles semble avoir été mise en place, ce qui montre  que  la 
légitimité  de  l'autorité  municipale  est  toute 
relative  vis-à-vis  de  la  forte pression foncière. Dès
l'époque de la communauté rurale de Yène, certains
conseillers ruraux Lébous avait mis en place des commissions
parallèles ne se contentant pas de recueillir des demandes  de 
bornages,  mais  vendant  des  terrains  de  manière  illégale, 
en  profitant  de  leur situation pour gagner de l'argent. 
A ce jour, le problème d'appropriation de l'espace de
manière informelle a atteint une telle  ampleur  que  les 
américains  du  MCA  ont  demandé  au  gouvernement  du 
Sénégal  de résoudre  de  manière  précise 
le  problème  avant  même  de  débloquer  les  fonds.  Les 
réseaux locaux  informels  pèsent  donc  dans  un  processus  de 
décision  mettant  à  la  fois  en  jeu  des bailleurs de fonds
internationaux et le plus haut niveau de l'Etat sénégalais. 
Mais tous les acteurs locaux ne sont pas sur un pied
d'égalité, et certains craignent de rester  à
l'écart des nouveaux  enjeux. Par exemple, les jeunes, nouveaux  venus
dans l'arène politique locale, subissent de plein fouet la forte
spéculation foncière. Ceux-ci contestent de plus  en  ouvertement
 les  pratiques  foncières  des  notables.  La  création  du 
Mouvement  des jeunes  pour  la  défense  des  intérêts  de
 Diamnadio  révèle  la  prise  de  conscience  de  cette
catégorie  sociale  face  à  la  montée  de  la  tension 
foncière  et  en  même  temps  traduit  une profonde
volonté de s'émanciper de la tutelle des anciens. Ces jeunes, en
organisant un climat 
de tensions ont conduit les autorités à suspendre
le programme d'octroi des parcelles, alors même que de nombreuses
personnes, dont des commerçants, avaient déjà reçu
des parcelles 
sur la base des délibérations de l'ancien conseil
rural. 
Diamnadio  est  également  marqué  par  une 
logique  d'accaparement  foncier  d'une confrérie  soufie. 
Déjà  détenteur  de  plusieurs  titres  de 
propriété  sur  le  site,  notamment  au niveau  du  lieu  le 
plus  stratégique,  le  croisement  des  routes  de  Thiès  et 
de  Mbour,  l'actuel khalife des Tidjanes a profité du projet de
lotissement lancé par l'ancienne communauté rurale pour parrainer
une demande de 100 parcelles pour le compte de ses talibés
(disciples). 
Face aux pouvoirs publics, les acteurs ne semblent donc pas
avoir la même marge de manoeuvre.   Les   réseaux   ethniques,  
confrériques,   familiaux   et   politiques   semblent   être
efficaces pour accéder au foncier. Mais on peut dès lors tracer
une frontière entre ceux qui ont accès à un réseau
et ceux qui en sont exclus. Par exemple, les agro éleveurs Peuls sont
absents 
des  réseaux  politiques  et  associatifs,  et  deviennent
 les  véritables  parias  de  ce  territoire  en formation.  Par  contre
 Lébous  et  Séreres  ont  un  accès  aisé  aux 
informations  issues  de  la 
mairie. 
Cette  multitude  d'acteurs  sur  un  territoire  restreint 
et  l'importance  de  la  pression foncière hypothèquent les
projets de l'Etat sur la commune. Le projet  est tardif par rapport à
l'anticipation urbaine dont la commune a fait l'objet. C'est pourquoi les
institutions étatiques, manquant   cruellement   de  
légitimité   nécessaires   à   débloquer  
les   fonds   internationaux, cherchent de nouveaux alliés. En
créant un  processus de concertation incluant les élus locaux 
et des membres de l'équipe municipale, en permettant
à ceux-ci de formuler des doléances concernant le
déroulement du projet, l'Etat s'octroie de nouvelles alliances, bien qu'
à contre courant des sensibilités politiques. 
Les  groupes  de travail  ont  été 
formés  à  la  fois  des  représentants  des 
collectivités territoriales, de groupes industriels, et de
différents ministères (Aménagement du Territoire,
équipement,  environnement,  agriculture  et  élevage).  Ils  ont
 abouti  à  la  création  d'un  Plan d'Urbanisme de Détail
(PUD) de Diamniadio. 
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