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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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A. Un grand panel de cultures politiques

La variété des parcours individuels et des périodes d'entrée en politique n'est pas sans conséquences, nous l'avons vu, sur les perceptions du monde politique et sur les attentes particulières des militants. Elle engendre également de grandes différences de cultures politiques. Nous entendons ici par culture politique « une sorte de code et un ensemble de référents, formalisés au sein d'un parti ou plus largement diffus au sein d'une famille et d'une tradition politique ». Phénomène collectif, « elle concerne au même moments des groupes entiers qui en partagent les postulats, les grilles de lecture, les interprétations, les propositions, qui utilisent les mêmes discours, se rangent derrière les mêmes symboles, participent aux mêmes rites » 50(*). Ainsi, en fonction de la période et des cercles de sociabilité, les vocabulaires et les grilles de perception du monde évoluent. Le rapport aux idéologies est également différent d'un militant à l'autre et nous a semblé intéressant à analyser.

Références et lexiques politiques

On considère habituellement que la culture politique « forme l'assise de l'appartenance politique. C'est elle qui conduit les citoyens à s'identifier quasi-instinctivement à un groupe, à comprendre sans efforts son discours »51(*). Or, ATTAC apparaît comme un mouvement dans lequel coexistent une multitude de cultures politiques. En premier lieu, il existe de grandes variations dans la connaissance de l'histoire politique et sociale française. Alors que les militants les plus âgés qui connaissent des parcours politiques long peuvent s'appuyer sur de nombreuses références en la matière, une partie des nouveaux militants, notamment ceux issus de familles peu politisées, est totalement étrangère à cette histoire. Alors que les anciens militants ont connu, de l'intérieur des mouvements, les évolutions qui ont eu lieu depuis 20 ans dans le monde politique et ont eu tout le temps de s'imprégner des discours propres à leurs organisations, les nouveaux militants ne bénéficient pas de ces références intellectuelles.

C'est dans les types de vocabulaires utilisés que se font le plus sentir les différences dues aux différents stades de l'engagement auxquels se situent les militants. Les militants réengagés, sur-engagés ou les nouveaux militants issus de familles très militantes (c'est le cas d'un membres dont les parents militent au PC depuis plusieurs décennies) réinvestissent souvent le discours hérité de leurs organisations d'origine52(*). Leur vision du monde est encore marquée par les paradigmes propres à leur socialisation politique. Chez les militants issus du PC ou de l'extrême gauche53(*), le discours est marqué par une vision du monde classique sur le mode de la lutte des classes. Le vocabulaire du mouvement ouvrier est très présent : défendre « les exploités », s'attaquer au « système d'oppression capitaliste » et aux « inégalités sociales ». Ces militants ont souvent une réflexion centrée sur l'économie, jugée responsable de tous les disfonctionnements. Les solutions souhaitées sont souvent macro-économiques. Il faut s'attaquer à un système, à des institutions spécifiques. C'est une vision dans laquelle l'économique détermine le politique et le social.

A l'inverse, certains nouveaux militants (et particulièrement trois d'entre eux) n'ont aucune connaissances en économie hors de celles qu'ils ont acquises à ATTAC. Bien que l'association soit fondée essentiellement sur des thèmes économiques, une partie des militants se désintéresse des solutions économiques. C'est plus contre un « état d'esprit » libéral qu'il faudrait lutter. L'économique est ici déterminé par des valeurs. Interrogé sur son rapport au capitalisme et au libéralisme, G, 27 ans et nouveau militant nous répond :

« Ben, je peux pas trop me situer parce que je ne comprends pas trop ce que ça veut dire au départ. Disons que c'est pas que je comprends pas mais j'ai pas envie de savoir, quoi. Puisque ça me semble pas être la question la plus importante de savoir, d'avoir un discours cohérent pour dire « je combats contre le capitalisme » et donc forcément on va trouver des solutions économiques au capitalisme. Alors qu'à mon avis c'est un agrégat de micro-solutions et de petites expériences qui feront que ça changera. Mais dire « mort au capitalisme » ou « il faut que le capitalisme change », c'est pas l'important, l'important c'est ce qu'on fait. Et puis, moi j'ai pas un discours sur le capitalisme. Je saurais pas faire et je sais pas si ça m'intéresse en fait, parce que ça ne me semble pas prioritaire. [...] Et par contre, contre le libéralisme... on voit ce que c'est, on dit libéralisme, c'est contre l'individualisme poussé à l'extrême, qui gangrène à peu près tout et qui est élevé en valeur suprême. 

(J : Oui, donc, c'est plus contre une valeur que contre un système ?)

Oui, une attitude qui est élevée au rang de dieu... Le libéralisme, c'est ça enfin le néo-libéralisme... J'ai pas beaucoup de fondements historiques ou théoriques... moi faire une théorie à partir de la pratique, ça m'intéresserait plus, quoi. L'idéologie révolutionnaire ou l'idéologie « se battre contre », un espèce de grand truc, on ne sait pas ce que c'est, se battre contre le FMI et le capitalisme, je veux bien mais ça veut dire quoi ? On va coller des trucs en disant « c'est mal ». Les gens ils ne savent même pas ce que ça a comme conséquences concrètes. C'est bien de le savoir mais après voilà, il faut se dire, « dans cette idéologie là, qu'est ce que je peux combattre à mon niveau ? »54(*)

Nous voyons très bien ici que l'économique et le macro ne sont pas du tout une priorité pour ce militant. De même, il ne se positionne pas par rapport aux clivages qui dessinent habituellement des lignes de partage entre les mouvements politiques de gauche.

Le refus de se situer par rapport au capitalisme par exemple dénote d'une logique différente qui ignore les « fondamentaux » de l'engagement politique à gauche. Cette posture peut être troublante pour des militants chevronnés :

« J'avais un peu été à des réunions de préparation et là, j'ai vu débarquer des gens, qui sont toujours là pour certains, assez jeunes, très peu politisés, voir pas du tout. Mais plein d'enthousiasme et d'envie de faire des trucs et c'était des gens qui étaient... alors ça c'est des gens avec qui il y a eu des clash tout de suite avec X. notamment, parce que lui, il avait un discours très carré et il ne supportait pas cette méconnaissance totale du système, quoi. Mais en même temps, c'est des gens qui ont apporté énormément, je pense, à ATTAC. Parce que c'est vrai que des fois ils sortaient des conneries, par ignorance ou aucune connaissance de l'histoire du mouvement ouvrier ou des choses comme ça. »55(*)

Entre ces deux types extrêmes de militants, qui sont soit fortement marqués par la culture du mouvement ouvrier, soit qui y sont totalement étrangers, existe tout un panel de nuances dans la connaissance et l'utilisation des vocabulaires et des concepts propres à différentes familles politiques de gauche. Il existe donc un décalage cognitif important entre les militants issus de différentes générations et cultures politiques. Les militants ne peuvent donc pas compter, au sein d'ATTAC, sur des bases politiques communes, des présupposés, des non-dits qui seraient compris par tout le monde.

* 50 In Serge Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, coll. L'univers historique, Ed. Seuil, 1999.

* 51 Idem.

* 52 M. Hastings et S. Strudel expliquent très bien l'importance de ce discours commun qui, ici, semble subsister ensuite hors du mouvement d'origine : « Chaque sous-culture politique détient une sorte de capital sémantique privilégié produit par le jeu incessant des oppositions idéologiques et des connotations affectives. Patrimoine de mots marqueurs qui offrent à ceux qui les partagent la satisfaction de toucher les dividendes symboliques de leur appartenance à une même communauté, réelle ou fantasmée, et d'endosser les gratifications d'une identité chaleureuse et rassurante. » In Bréchon, Laurent et Perrineau (dir.), Les cultures politiques des français, Presses de Science Po, 2000.

* 53 Entrent dans cette catégorie un ancien membres du PCF, une ancienne et un actuel membres de la LCR et deux jeunes anarchistes.

* 54 Entretien 16.

* 55 Entretien 20.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo