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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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Introduction générale

Depuis quelques années, le champ politique a été le théâtre de modifications rapides et d'initiatives qui semblent devoir peser sur les rapports des forces sociaux. De nouveaux mouvements semblent remettre en question les tenants de la domination politique, et remettre en question son caractère arbitraire. Le renforcement des inégalités économiques et sociales et l'adoption par les gouvernements de choix de société contestés, ont engendré un renouveau certain de la conflictualité sociale. Dans un contexte où le conflit social s'amenuisait, fragilisé sans doute, par l'effondrement des cadres matériels et symboliques de l'action collective contestataire, ce renouveau ne peut laisser indifférent. La multiplication depuis certaines années, encore marquée par le cloisonnement et la parcellisation des sciences humaines et sociales, des études et analyses sur les « nouveaux mouvements contestataires »1(*) et, entre autres, sur les mouvements altermondialistes2(*), illustre l'importance croissante de ces phénomènes.

De fait, depuis quelques années se développe, avec une dynamique forte, un vaste mouvement social. Qu'on l'appelle, « troisième gauche, anti- ou alter-mondialiste », il se nourrit de la création et de l'action de nombreux mouvements politiques récents mais également de l'action de mouvements plus anciens comme les syndicats. Contrairement aux mouvements nés dans les années 1960-1970 et dénotant déjà d'une métamorphose de l'espace public français, ces mouvements, encore très jeunes, n'ont pas encore été profondément étudiés. Ils continuent d'ailleurs de se dessiner au quotidien et prennent une place croissante dans l'espace public français. D'où l'intérêt de se pencher, dans le cadre de ce mémoire, à la lumière des acquis de la sociologie politique et plus particulièrement de la sociologie des mouvements sociaux, sur ce qui fonde la nouveauté de ces mouvements et ce qu'ils apportent au paysage politique et militant français. Ceci nous permettra de mieux comprendre les derniers-nés des mouvements sociaux, que nous comprendrons ici dans une acceptation large, comme « des actions collectives visant à contester l'emprise d'un groupe dominant sur la vie sociale, voire l'emprise d'une logique sociétale sur le vécu individuel ».

Ces mouvements se situent à la confluence de deux évolutions majeures. La première est la crise des cadres de mobilisation traditionnels. En effet, le déclin progressif du mouvement ouvrier, qui s'explique à la fois par de profondes mutations sociales3(*) et par l'effondrement du modèle soviétique, laisse vide la place qu'il occupait comme mouvement de contestation sociétale central et comme porteur d'alternatives crédibles. Le déclin de l'engagement dans les structures syndicales et politiques traditionnelles, le vide idéologique, le découragement des militants, font penser pendant un temps à la fin de l'action politique protestataire. Cependant, les évolutions politico-économiques, au premier rang desquelles on peut citer la globalisation financière et l'intégration à une Europe libérale, la remise en question de l'Etat Providence et des mécanismes de protection sociale, la précarisation des travailleurs et l'augmentation du chômage dans les pays développés, c'est-à-dire les conséquences de ce qu'on appèle aujourd'hui les politiques « néo-libérales », vont ré-alimenter le conflit social. Dans le début des années 90 déjà, les discours et les modalités d'action tendent à se modifier et le développement des mouvements des « sans » augure une reprise de l'activité contestataire. Cependant, il faudra attendre le mouvement social de l'hiver 95 pour que se re-déclenche une dynamique forte de conflictualité sociale. De plus en plus de travaux soulignent en effet l'importance du conflit de Novembre-Décembre 95 dans le renouveau d'une dynamique de protestation politique : « D'une part, la mobilisation a révélé l'état des lieux de la France. Ce qui a été réalisé équivaut à un diagnostic des effets polarisants de la modernisation à l'échelle du pays. D'une autre part, elle a contesté dans leur rationalité intrinsèque les mesures de liquidation des acquis sociaux et des droits du travail. [...] Ce processus est uniquement ébauché et s'apparente davantage à un travail de déblayage. Il n'empêche que sa portée instituante ouvre des perspectives de renouveau politique que l'on ne saurait sous-estimer. »4(*)

En démontrant la possibilité et l'efficacité de l'action collective et en cristallisant un certain nombre de thèmes, le mouvement social de 95 a donc réouvert des perspectives de contestation. Le mouvement est également précurseur des mouvements altermondialistes dans le sens où il a suscité des interrogations sur « la nécessité d'autres choix de société, d'une nouvelle consistance de la politique, active, authentiquement participative, populaire, d'une autre conception de l'action individuelle dans les structures collectives. »5(*) Or, c'est précisément sur ces questions que les nouveaux mouvements contestataires affichent leur originalité et parviennent à attirer des militants.

Ces nouveaux mouvements politiques affirment représenter un renouveau en termes d'action collective, de revendications politiques ou encore de participation militante. Qu'en est-il réellement ? En quoi ces mouvements politiques sont-ils novateurs ? Quelle est la nature de ces innovations ? Comment se traduisent-elles en termes d'organisation, de méthodes, d'objectifs ou d'action individuelle dans les structures collectives ? Qu'est-ce qui peut les expliquer ? Voilà quelques-unes des questions qui peuvent animer les chercheurs en sciences sociales.

Le mouvement qui nous a intéressés ici et qui nous semble représentatif des nouveaux mouvements contestataires est ATTAC, Association pour la Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens. Elle est née à la suite d'un éditorial d'Ignacio Ramonet dans le Monde Diplomatique en décembre 97 appelant à « créer à l'échelle planétaire l'organisation non-gouvernementale Action pour une taxe Tobin d'aide aux citoyens. ATTAC. ». Cette association est vue comme un groupe de pression civique en lien avec des associations culturelles, sociales ou écologiques. Elle se proposerait de « rompre avec l'ultra-libéralisme en proposant des alternatives crédibles, limiter l'insécurité financière et les inégalités sociales grâce à la mise en place de la taxe Tobin » sur les transactions financières en reposant sur un « sursaut civique et militant, transcendant les clivages habituels ». Le 8 juin 98, ATTAC voit le jour, avec un objet plus large que la taxe Tobin, elle sera donc l'Association pour la Taxation des Transactions financière pour l'Aide aux Citoyens. Elle propose d'être une plate-forme permettant aux citoyens de se réapproprier l'avenir du monde en luttant contre « la dictature des marchés »6(*). Un caractère de contestation économique et de prise en main citoyenne marque donc fortement cette association.

C'est un mouvement qui grossit rapidement (il rassemble près de 30000 adhérents en 2002), en s'inscrivant dans un secteur très large et regroupant des personnes et groupements très divers. ATTAC compte sur cette diversité pour échapper à la mainmise d'un groupe particulier sur l'association, notamment d'un parti politique. ATTAC n'est pas un parti politique ne présente pas et ne soutient aucun candidat lors des élections. Il peut être un instrument de pression sur ceux-ci, ATTAC se propose dès le début de « faire de la politique, mais autrement » en veillant surtout à ce que le politique (au sens noble du terme) reprenne le pas sur l'économique.

De ce point de vue, la nature du mouvement et également sa structure présentent un intérêt certain. Cette organisation centre ses actions sur des thèmes réservés d'habitude aux partis politiques (choix de politique économique ou sociale) ou encore absents de leur discours et laissés aux stratégies gouvernementales ( commerce extérieur, négociations internationales...). Cependant sa structure est celle d'une association et son fonctionnement diffère largement de celui des partis. Jouant sur plusieurs niveaux, elle se place hors du cadre traditionnel de la revendication politique ainsi que de la compétition électorale. Marquée par une hiérarchisation réduite et plus par la coopération des différents niveaux de l'association que par la domination de l'un sur les autres, ATTAC donne l'image d'une structure mouvante et se cherchant encore, dont le meilleur atout résiderait dans sa flexibilité. Ces caractéristiques comme la forte autonomie des comités locaux et la possibilité d'inventer un militantisme nouveau met le militant au coeur de l'organisation.

C'est d'ailleurs aux comités locaux que nous allons nous intéresser dans ce travail. En effet, c'est là que se développe réellement le « militantisme »7(*) citoyen des membres d'ATTAC. Ces comités sont d'ailleurs la grande surprise de la création d'ATTAC. Les premiers se sont constitués de manière autonome sans que cela ait été prévu auparavant, une « charte des rapports entre ATTAC et les comités locaux » est rédigée par la suite. En plus d'une direction nationale où siègent des personnes physiques et surtout morales8(*), existent donc « des structures locales - totalement autonomes dans le respect de la plate-forme constitutive de l'association - surtout composées d'adhérents individuels. Disons-le franchement, cette architecture n'avait pas été entièrement théorisée à l'avance : c'est le développement d'ATTAC qui l'a produite »9(*). La création de l'association ATTAC a donc entraîné une vague d'adhésion et un engouement certain qui s'est cristallisé en province et dans les grandes villes par la création des comités locaux qui sont aujourd'hui au nombre de 250. Chacun des comités est libre de choisir les orientations de son action et sa forme. Dans leur cadre, un engagement politique qu'on pensait moribond se redessine et attire des publics très divers dans un laps de temps très court.

Il nous a donc paru intéressant de nous interroger sur ce qui fait l'intérêt pour les militants d'un mouvement comme ATTAC et sur ce qui explique le succès de l'organisation en termes d'adhésions et d'engagement. Tout en menant une réflexion sur les évolutions politiques qui ont conduit à la création d'un mouvement comme ATTAC, et qui ont donc influencé sa forme, son fonctionnement et ses revendications, et en étant particulièrement attentifs au sens que les militants mettent dans leur engagement, nous nous proposons d'essayer d'expliquer l'attrait de l'association pour les militants. Comme l'expliquait Bernard Cassen, alors président d'ATTAC, « au fond, c'est toujours à chacun des membres d'ATTAC de formuler le sens de son engagement »10(*). En effet, il nous semble que les membres de l'association s'inscrivent dans des logiques variées et ont chacun motivations différentes pour adhérer ou militer à ATTAC. C'est précisément cette capacité à attirer et à réunir des publics très divers qui nous semble avoir permis le succès rapide d'ATTAC.

Comme pour l'association nationale, créé et composée par des organisations diverses, les comités locaux de l'association attirent une diversité très grande de militants. Sur quoi repose cette diversité et qu'est-ce qui l'explique ? Comment des publics aux caractéristiques variées ont-ils été attirés par une même association ? Quels sont les cheminements et les logiques qui amènent à s'engager dans ATTAC ? C'est le questionnement qui nous a animés dans un premier temps.

Or, on peut être amené à penser que la grande diversité des militants peut poser un certain nombre de problèmes, risquer de générer des conflits ou de fragiliser l'association, à moins qu'il n'existe des facteurs qui facilitent la coopération ou cimentent l'association. Quels sont les facteurs, mécanismes ou modes de fonctionnement qui expliquent la possibilité pour des militants divers de coopérer au sein d'une même structure ? Qu'est-ce qui permet à l'association de satisfaire des militants aux attentes diverses ? En quoi est-ce lié aux transformations des mouvements politiques et des modalités de participation individuelles dans les structures collectives ?

Pour tâcher de répondre à ces questions, nous nous appuierons sur l'étude que nous avons mené pendant trois ans sur les militants du comité local d'ATTAC-Strasbourg. Celui-ci s'est créé en mars 99. Il compte aujourd'hui entre 200 et 250 membres. Les militants réellement impliqués dans l'association, selon l'intensité de la participation tournent entre 10 (le noyau dur des plus actifs et investis régulièrement) et 50 (au plus large, en comptant les militants ayant une activité plus occasionnelle dans l'association mais ne se contentant pas d'adhérer). Entre 2001 et 2004, nous avons réalisé dix-neuf entretiens11(*) auprès de militants de ce comité, parfois plusieurs fois avec les mêmes. Il s'agit donc de 17 militants dont 4 femmes. Nous avons fait en sorte de n'interroger que des personnes s'engageant réellement dans l'association et non de simples adhérents passifs. D'un point de vue méthodologique, nous nous sommes tout simplement rendus sur les lieux d'actions (Forums), de rencontres (Permanences de l'association) ou aux Assemblées Générales réunissant les membres investis dans l'association. Il s'agit pour partie de responsables de l'association ( 8 des 17 militants interrogés ont eu une responsabilité administrative quelconque dans l'association à un moment donné (membre du Bureau ou du Conseil d'administration). Mais il s'agit également de simples militants sans responsabilités électives. Nous les avons interrogés sur des thèmes divers portant sur leur parcours ou leur participation politique, leurs rapports aux partis politiques, leurs manières d'agir dans le mouvement, la vie de l'association... Les entretiens et l'observation pendant quelques AG nous ont permis de dégager des informations concernant les caractéristiques des militants, le sens qu'ils donnent à leur action et les modalités de leur participation. Mais nous avons également pu réunir des informations sur le fonctionnement de l'association et sur les raisons qui ont amené les membres à s'y engager.

Notre problématique nous invite à mener notre réflexion en deux temps. Les données recueillies vont nous permettre, dans un premier temps, de dresser un tableau des militants d'ATTAC-Strasbourg et de souligner leur diversité ( I ). Nous nous pencherons sur la diversité des parcours politiques et sur les caractéristiques de l'association qui attirent chaque catégorie de militants. Nous verrons comment l'association attire aussi bien des nouveaux militants, que des militants réengagés ou sur-engagés. Nous aurons l'occasion de souligner l'importance de la notion de carrière militante et de voir suivant quelles logiques et quel cheminement s'engagent les militants. Nous verrons comment l'association présente des caractéristiques pouvant correspondre à tous ces types de militants. Nous verrons également que les militants d'ATTAC-Strasbourg ont des sensibilités politiques diverses. En fonction de leur histoire personnelle et de leurs caractéristiques propres, héritiers de cultures politiques variées, ils adoptent différents rapports au politique et aux idéologies. Enfin, ce qui les amène à s'engager et les modalités d'action qu'ils souhaitent adopter sont très variables d'un individu à un autre. Nous décrirons donc cette diversité des demandes.

Le constat de grande hétérogénéité des membres nous amènera ensuite à chercher, dans les caractéristiques de l'association, ce qui facilite ou est mis en place pour gérer au mieux la diversité des militants ( II ). Nous passerons en revue les facteurs d'unité qui peuvent lier les membres, de leur origine sociale à leur capital culturel, mais également les stratégies déployées et les mécanismes unificateurs qui permettent de créer un consensus minimum entre les membres. Nous nous pencherons sur le rôle du fonctionnement démocratique de l'association et verrons comment ses modalités d'organisation et sa facilité d'adaptation garantissent la satisfaction individuelle des militants et permettent d'atténuer ou de surmonter les crises. Enfin, nous analyserons comment l'approche large du mouvement et le type d'engagement qui prend corps dans l'association, qui correspond bien aux analyses des dernières modifications du militantisme, permet à chacun de définir et donc de trouver sa place dans le mouvement et de participer pleinement au groupement. Nous verrons en quoi les caractéristiques décrites rendent possibles et sont nécessaires au fonctionnement d'une telle association qui accueille des publics divers.

* 1 Selon l'expression d'Isabelle Sommier

* 2 Par exemple le colloque du GERMM sur les « mobilisations altermondialistes » en décembre 2003.

* 3 Dont le développement des classes moyennes et du secteur tertiaire au détriment du secteur secondaire. Il faut dire cependant que cette évolution n'est pas aussi tranchée qu'on a voulu la faire apparaître. On lira par exemple pour s'en convaincre, Pialoux et Baud, Retour sur la condition ouvrière,... La « classe ouvrière » n'a bien-sûr pas disparu, comme on aurait voulu le faire croire. En témoigne par exemple la redécouverte des ouvriers lorsqu'il s'agit d'expliquer le vote pour le Front National. Ex Nonna Mayer, Bernard Schwengler,

* 4 In Béroud, Mouriaux, Vakaloulis, Le mouvement social en France, essai de sociologie politique, ed. La Dispute, 1998.

* 5 Idem.

* 6 Voir à ce sujet, Bernard Cassen (dir.)  Tout sur Attac , ed. Mille et une nuits, coll. Les petits libres N°38, octobre 2002

* 7 En l'absence d'un terme plus approprié, nous n'entrerons pas ici dans le débat existant sur la validité de la notion de « militantisme » alors que l'engagement se fait de plus en plus distancié et qu'il perd son caractère sacrificiel. Nous adopterons donc une définition large et dynamique du militantisme qui inclut les modifications qui touchent cette activité politique. Nous partirons du constat que cette activité est aujourd'hui variable et individuelle et qu'elle reflète de nombreuses réalités, de nombreux types de participations actives dans le cadre d'une organisation politique.

* 8 Il s'agit là des représentants des organisations, syndicats ou publications qui se sont réunis pour créer ATTAC. 

* 9 Bernard Cassen (dir.), Tout sur ATTAC, ed. Mille et une nuits, coll. Les petits libres N°38, octobre 2002.

* 10 Idem.

* 11 Les 12 premiers entretiens ont été réalisés successivement dans le cadre d'un mémoire de licence et d'un mémoire de maîtrise de sociologie entre 2001 et 2003. Les 7 derniers entretiens, plus approfondis, ont été réalisés en 2004 dont deux avec des militants que nous avions interrogés en 2001 et 2002 . Un vingtième entretien a été réalisé avec Jacques Nikonoff, Président d'ATTAC national, afin de réunir plus d'informations sur le fonctionnement et les orientations d'ATTAC, les rapports entre l'association nationale et les comités locaux... Bien qu'il ne représente pas le même intérêt, il a été joint au corpus d'entretiens.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery