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La diversité et sa gestion dans un comité local d'ATTAC.

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par Jean Engel
Université Paris 1 - Sorbonne - Dea Sociologie Politique 2004
  

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Première partie : Une grande diversité de militants

Un des premiers réflexes d'un chercheur en sciences sociales est de chercher des facteurs d'homogénéité, des ensembles cohérents, des règles générales. Les études portant sur le monde ouvrier ont longtemps souligné l'homogénéité des individus composant les mouvements politiques, les similitudes de parcours, des schèmes de pensée, de socialisation ou d'origine socioprofessionnelle des militants. Jusque dans les années 80, les appartenances politiques étaient en effet très liées au milieu social, à un certain niveau de qualification ou encore à une culture politique particulière impliquée par des cercles de sociabilité spécifiques. Les cercles militants étaient donc d'autant plus pratiques à étudier et à catégoriser qu'ils correspondaient en effet à ces variables. Pour un parti ou un syndicat particulier, pouvaient être dégagées des caractéristiques communes aux militants correspondant à un milieu social (par exemple ouvrier pour le PC, enseignant pour le PS), à des parcours politiques classiques (du travail au syndicat, puis du syndicat au parti par exemple), l'appartenance à certains cercles socioculturels, un certain rapport à la religion, une certaine vision de l'histoire... Qu'en est-il aujourd'hui dans les derniers-nés des mouvements politiques qui répondent à une crise pour certains, à une recomposition pour d'autres, du paysage politique français ?

Les travaux scientifiques récents sur les derniers-nés des mouvements sociaux ou sur « les nouveaux mouvements contestataires »12(*) décrivent en effet de profondes mutations dans la composition des mouvements politiques et les modalités de participation des militants. Les nouveaux mouvements contestataires, dont ceux qui s'inscrivent dans la dynamique altermondialiste condensent les originalités, renouvellent en partie l'analyse de l'engagement. Parallèlement à l'inadaptation croissante des organisations politiques classiques, au déclin du mouvement ouvrier et des formes d'identification traditionnelles des membres aux mouvements, celui-ci prendrait forme aujourd'hui dans le cadre des associations13(*). Plus souples elles « séduiraient par leur insertion locale et leur projet pragmatique, concret, permettant la participation effective des militants »14(*). Les membres de ces associations adopteraient un engagement distancié et délié des appartenances primaires, comptant dans le mouvement par leur diversité, leur altérité, leur «  individualité détentrice de ressources spécifiques »15(*). Le renouveau de la conflictualité sociale à partir des années 90 s'effectue donc dans des cadres différents et selon des logiques individuelles diverses. Les nouveaux mouvements contestataires réunissent en leur sein des militants issus de milieux socioprofessionnels et de générations différentes, ayant des parcours politiques et des objectifs divers. L'engagement s'y redessine en fonction des évolutions de la « structure des opportunités politiques »16(*) et des parcours politiques individuels induits par la crise des organisations politiques traditionnelles.

Les mouvements altermondialistes, par exemple, soulignent la diversité des organisations et des membres qui les composent en en font leur principal atout. C'est une des originalités que représente un mouvement comme ATTAC qui se propose de dépasser les clivages habituels et de rendre possible la coopération de personnes très diverses. Dans le prolongement des mouvements « des sans » ou du mouvement social de Novembre-décembre 95, ATTAC réunit effectivement des publics très divers.

Il est troublant au premier abord, d'étudier les militants composant un mouvement comme ATTAC si l'on s'attend à y trouver une catégorie uniforme de militants. En effet, chaque militant interrogé présente un profil différent de plus, qu'il s'agisse du parcours personnel ou militant, de l'orientation politique, des attentes vis-à-vis de l'engagement ou des pratiques politiques ou militantes. Une telle diversité de profils peut choquer ou tout au moins étonner dans un mouvement politique quand on connaît les habituelles tensions et divisions qui animent les mouvements de la gauche française. Au-delà des questions portant sur l'efficacité politique et la manière dont l'association atténue les tensions entre ces divers publics, cette diversité amène à considérer les nouvelles formes d'engagement politique moins comme déterminées par les mouvements eux-mêmes que par les individus qui les composent. Ainsi, l'engagement dans un mouvement comme ATTAC semble répondre à différentes perceptions des enjeux politiques ou de l'histoire.

C'est précisément sur cette diversité que nous avons choisi de nous interroger dans cette première partie. A travers l'étude des profils militants, de leurs parcours, positionnements politiques ou manières d'agir, nous essayerons de rendre compte des évolutions qui touchent le monde militant et notamment des conditions de sa recomposition dans les mouvements citoyens ou « altermondialistes ».

Il existe de nombreux facteurs de diversité, cependant, nous avons choisi de souligner trois aspects qui nous paraissent capitaux pour comprendre les enjeux de cette diversité. Tout d'abord, nous nous interrogerons sur la diversité des parcours des militants, c'est-à-dire leurs origines politiques. Il apparaît effectivement flagrant qu'ATTAC brasse des publics très divers. Ce qui est vrai au niveau de l'organisation nationale, créée et composée par de multiples mouvements, groupements et syndicats17(*), l'est aussi au niveau local. Encouragés par la participation de multiples groupes politique ou syndicaux ainsi que par la lecture de certaines publications comme le Monde Diplomatique, Politis, Charlie Hebdo ou Alternatives économiques, des publics très divers se sont présentés aux premières réunions de l'association ou s'y sont engagés par la suite. Que traduit cette diversité au sein d'une même structure ? Quels sont ces différents parcours et à quelles logiques répondent-ils ? Quelles sont les routes qui ont mené ces militants dans une structure comme ATTAC ? Qu'est-ce qui dans leur parcours explique leur intérêt à une organisation comme ATTAC ?

Puis c'est la diversité des positionnements et des sensibilités politiques qui nous intéressera. En effet, les différences d'origines politique et de générations engendrent une grand panel de cultures politiques. Nous pourrons voir de quelles cultures il s'agit et nous interroger sur les divergences qu'elles recèlent en termes de rapports aux idéologies ou au champ politique. Nous verrons également que ces militants sont attirés par des sujets divers en fonction de leur sensibilité.

Enfin, c'est sur les déterminants de l'engagement et sur la diversité des attentes qu'ont les membres vis-à-vis de l'engagement et de l'action militante que nous allons nous pencher. Nous verrons comment les engagements précédents influent sur les modalités de participation souhaitées. Nous dégagerons les différents types d'engagement qui apparaissent en fonction de l'âge et des attentes matérielles et symboliques vis-à-vis de l'engagement.

I. La diversité des parcours militants

Les militants qui composent le comité local d'ATTAC-Strasbourg affichent une grande diversité de parcours et d'histoires militantes. Celle-ci nous intéresse particulièrement car l'étude des différents parcours peut nous permettre de voir comment l'expérience militante individuelle influe sur la perception du mouvement par les membres18(*). Ainsi, des logiques d'engagement variées apparaissent vite à l'observateur. Si, pour toutes les catégories de militants, ATTAC vient combler un manque, celui-ci n'est pas le même qu'il s'agisse de « routiers » du militantisme ou de nouveaux venus dans le monde de l'engagement. Il s'agit alors de dégager précisément ce qui motive chaque catégorie de militants à s'engager dans ATTAC-Strasbourg et d'essayer d'expliquer ce qui les a amenés à ATTAC. En nous intéressant à la manière dont ils sont arrivés dans l'association, à leur perception du monde politique et aux raisons qui les ont amenés à s'engager dans ATTAC, nous entendons souligner les spécificités d'ATTAC en tant que mouvement politique et essayer d'expliquer son succès auprès de catégories multiples d'individus.

Pour aller au plus court, on peut distinguer d'emblée trois catégories de militants. Tout d'abord, et c'est ceux que l'on s'attend à trouver dans un mouvement qui s'affirme comme un renouvellement du paysage politique « avec des gens qu'on avait jamais vu nulle-part [...] dans le milieu militant »19(*), il y a effectivement ceux que l'on pourrait nommer les « néo-militants ». Ceux-ci connaissent leur premier engagement effectif dans une structure politique avec ATTAC. On peut donc penser que les thèmes développés par ATTAC ou son fonctionnement sont des facteurs centraux de leur passage au militantisme. L'étude de ces militants et du sens particulier qu'ils donnent à leur engagement nous permettra d'appréhender ATTAC comme le lieu où se forge une nouvelle génération de militants qui n'ont pas forcément de connaissances des formes de mobilisations traditionnelles. On peut également se demander si ces militants se seraient engagés dans une autre structure et par-là, souligner ce qui constitue réellement l'originalité d'un mouvement comme ATTAC.

Ensuite, nous étudierons le cas d'individus qui ont été engagés par le passé mais qui avaient rompu avec la sphère militante. S'il est en effet une catégorie d'individus auprès de qui ATTAC a fait recette, c'est bien celle des « déçus » du militantisme traditionnel. Nous pourrons étudier en quoi ils ont été déçus par leurs engagements précédents et ce qui les motive à se réengager dans ATTAC. En nous intéressant à la manière dont ils se sont réengagés et aux raisons invoquées, nous pourrons étudier ATTAC comme le lieu d'un retour au politique. Ici encore, nous pourrons souligner l'intérêt que représentent les mouvements citoyens ou altermondialistes pour les militants dans un contexte de reflux du politique.

Enfin, nous étudierons les militants qui se sur-engagent dans ATTAC. Ceux-ci, bien que déjà membres d'organisations politiques ou syndicales trouvent également dans l'association strasbourgeoise un intérêt particulier. Nous verrons quels facteurs facilitent la transitivité des militants et comment la forme d'ATTAC peut faciliter les phénomènes de sur-engagement. Mais ces militants peuvent également nous renseigner sur la façon dont est perçue, de l'intérieur, la crise de l'action politique ou le déclin de l'efficacité de l'action syndicale. Nous verrons donc comment ATTAC peut représenter une nouvelle perspective dans l'engagement politique.

A. Les nouveaux militants

Commençons donc par nous intéresser au profil et au parcours des nouveaux militants et voyons comment ces individus arrivent à ATTAC et suivant quelles logiques. Nous essayerons de dégager chez eux une certaine vision du monde politique et de comprendre ce qui les attire dans un mouvement comme ATTAC.

Cheminement jusqu'à ATTAC

Sur les 17 personnes que nous avons interviewées, 11 entrent dans cette catégorie de militants. Nous ne prétendons pas que cet échantillon soit représentatif des militants actifs de l'association ou, encore moins, de ses adhérents. Cependant, il nous semble que ceux-ci forment effectivement un peu plus de la moitié des effectifs. Il faut commencer par dire que ces nouveaux militants ne forment pas un groupe uniforme. En effet, même s'ils vivent leur premier engagement politique dans ATTAC, ils arrivent dans l'organisation à des moments divers de leur histoire personnelle ( ils ont entre 23 et 58 ans) ou de celle de l'association (ils intègrent l'association entre 99 et 2002). Leurs démarches correspondent à des motivations différentes en fonction de leur génération, de leur socialisation politique ou de leur catégorie sociale.

Les deux tiers des nouveaux militants d'ATTAC-Strasbourg sont plutôt jeunes (7 sur 11 ont moins de 35 ans). Cette caractéristique fait d'ailleurs la fierté de l'association. Par rapport aux autres comités locaux de l'association qui affichent une moyenne d'âge de 50-60 ans, le comité strasbourgeois tournerait autour de 35 ans. Il faut noter également que les jeunes prennent souvent une grande partie des postes à responsabilité de l'association ( 4 de ces nouveaux militants ayant entre 23 et 35 ans occupent ou ont occupé un poste à responsabilité dans l'association ). Cependant, il existe également des personnes ayant entre 35 et 60 ans qui connaissant leur première expérience militante, voire associative, dans ATTAC.

Cet engouement de personnes ne s'étant jamais engagées politiquement n'est pas forcément spontané. Même si ATTAC représente leur premier engagement, un bon nombre de nouveaux militants cherchaient depuis longtemps un espace où s'engager. Il s'agit notamment des membres issus de familles militantes20(*). Si l'engagement des parents paraît souvent folklorique ou périmé, le goût du collectif et de la camaraderie, les souvenirs de réunions de cellules du PC dans la cuisine enfumée ou des manifestations d'Amnesty International avec les parents, engendrent une certaine normalité de l'engagement. Un certain nombre de militants ont donc fait quelques tentatives d'engagement. Qu'il s'agisse de petits tours de six mois pour observer des partis politique (PC, LCR, Verts), de passages dans des mouvements anti-racistes (MRAP) ou de chômeurs, ou encore d'adhésion à des associations contre les massacres en Algérie ou la répression en Palestine, les nouveaux militants n'en sont pas tous à leur coup d'essai. Les militants âgés de moins de 35 ans ont tous déjà eu des activités politiques épisodiques dans des collectifs ou de manière autonome avec des amis. Néanmoins, ils ne se sont jamais engagés réellement ou durablement dans des organisations car ils n'y ont pas trouvé ce qu'ils recherchaient. La motivation à s'engager était présente mais certains aspects organisationnels ou idéologiques ne leur convenaient pas. Souvent, ils sont présents dès les premières réunions fondant l'association et adhèrent d'emblée. Bien qu'ils n'agissent pas d'emblée dans le mouvement, sept des onze militants sont effectivement présents dans l'association depuis 99. Cependant, le passage à une action effective dans le mouvement n'est pas automatique.

D'une manière générale, le coût de l'engagement apparaît assez élevé chez les nouveaux militants qui ont ce genre de parcours. Nous entendons par là que l'acte d'engagement est loin d'aller de soi. C'est un acte mûrement réfléchi car ces militants sont marqués par une forte méfiance vis-à-vis des organisations politiques. Surtout, ces membres ont une vision assez négative de l'engagement militant. Pour eux, en jugeant souvent les engagements politiques ou associatifs des parents, le militantisme est soit un sacrifice total à la cause (pour un fils de militants PCF), soit un investissement énorme de soi pour peu de satisfaction en retour (pour un fils de militants associatifs). La démarche de ces militants paraît donc plus difficile que pour des multi-participatifs (dont nous parlerons plus tard) élevés dans une culture de l'engagement. En témoignent d'assez longues périodes d'observation sans réelle participation allant de six mois à cinq ans avant de participer à des actions ou de prendre des responsabilités dans l'association. Ceci peut s'expliquer également par l'inexpérience de l'action collective, la crainte de s'engager ou le manque de temps :

«  D'abord, il y a beaucoup de gens dont c'est le premier engagement associatif donc il y a une espèce de peur. Moi, je te disais que j'avais eu un temps d'observation assez long, je pense que c'est le cas de beaucoup de personnes. C'est pas évident des se dire «bon, ben je vais être membre du Conseil, responsable pénal d'une association« qu'on a pas le temps de connaître vraiment, quoi. Et puis après, il y a le problème de temps. »21(*)

D'autres par contre, malgré l'inexpérience, s'engagent dès la création de l'association en faisant partie du comité de pilotage qui rédigea les premiers statuts22(*) ou en se présentant au conseil d'administration lors des premières élections. De ce point de vue, la création du comité au niveau local et sur leur propre initiative a facilité l'engagement de certains. Le peu de volontaires pour occuper ces postes (dans l'incertitude de ce qu'allait réellement être l'association) a certainement forcé certaines vocations.

* 12 L'expression d'Isabelle Sommier permet effectivement de mieux rendre compte de la réalité que celle de « Nouveaux Mouvements Sociaux », marquée par la sociologie Tourainienne, renvoyant aux mouvements des années 70 et étant utilisée à profusion sans réelle définition.

* 13 Suzanne Barthélémy, Associations, le nouvel âge de la participation...

* 14 Isabelle Sommier, Les nouveaux mouvements contestataires à l'heure de la mondialisation, Dominos, Flammarion, 2001.

* 15 Jacques Ion, La fin des militants, Les éditions de l'Atelier, Paris, 1997.

* 16 Selon l'expression de Sydney Tarrow dans Democracy and Disorder : Protests and Politics in Italy - 1965-1975, Clarendon Press, Oxford, 1989.

* 17 Pour comprendre les stratégies des syndicats et leur participation à un mouvement comme ATTAC, on pourra consulter avec profit la contribution de J-M Denis au colloque du GERMM sur « les mobilisations altermondialistes », intitulée « Décloisonnement revendicatif et constitution d'un front anti-libéral : L'Union Syndicale Groupe des Dix Solidaires et ATTAC ».

* 18 Cette perspective dont l'intérêt a été souligné, entre autres, par Olivier Fillieule dans le volume 51 de la RFSP intitulé « Devenirs militants », s'applique en effet particulièrement bien aux militants d'un mouvement comme ATTAC.

* 19 Entretien 1.

* 20 Sur les 11 militants de cette catégorie, trois sont enfants de militants. Les parents de l'un sont militants au parti communiste (entretien 14), du second dans des associations humanitaires et caritatives. Les parents de la troisième étaient militants dans un Groupe d'Action Municipal (GAM).

* 21 Entretien 16.

* 22 La moitié des 14 personnes qui rédigèrent les premiers statuts étaient des jeunes, des étudiants pour la plupart.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand