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Subjectivité et intersubjectivité dans la conversion indiviuelle masculine à l'islam en France au XXI siècle

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par Marie Bastin
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris -  2002
  

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L'islam et les technologies : internet

Le troisième mode, « l'annonce », a été privilégié bien qu'il mette le chercheur en une situation d'attentisme, dans les débuts de l'enquête, tout au moins. Il est, en revanche, chargé de qualités au regard de la préservation de la spontanéité et de la liberté du converti à accepter de faire ce récit et de sa volonté presque totale qu'il a à le faire ou pas. Il a fallu, ajuster sa recherche, au cours de la réception des réponses en retour, et être vigilant quant à l'éventuel ajustement du profil de ceux et celles qui correspondaient au mieux à au portrait idéal d'hypothèse. En l'absence d'une presse écrite, en français spécialisée et diffusée régulièrement, traitant de l'islam en France et les difficultés et les lenteurs des procédés d'immersion ont dégagé Internet comme le support le plus adéquat pour la diffuser et « toucher » le potentiel de « convertis » à l'islam recherchés. Depuis 1999, « l'annonce » a été diffusée sur deux sites électroniques dédiés à l'islam en France allahouakbar.com devenu oumma.com en 2000 et, le site des « Cahiers de l'Institut des Hautes Etudes Islamiques » qui fut tardivement sollicité, lors de la rencontre avec son Secrétaire général122(*).

Le support a semblé adéquat pour trois raisons. D'une part, technologie de communication de pointe et internationalement consulté, ce support offre un potentiel de personnes susceptibles de lire une telle requête, bien supérieur à tout support papier. Il est privilégié par les associations islamiques (les sites francophones sur l'islam pouvaient être recensés, en 2002, à une hauteur de 70, selon les moteurs de recherche utilisés). Il existe depuis peu, un annuaire électronique des sites islamiques francophones. Enfin, dans certains sites, il est possible de trouver depuis moins de deux ans un « salon des « convertis » », dédié donc aux nouveaux venus en islam et offre également un terrain de relations interindividuelles et inter-sites qui décuple le potentiel (celui ou celle qui ne consulte pas Internet est, de près ou de loin, toujours en contact avec quelqu'un qui en fait usage et donc peut être « touché »). D'autre part, ce support laisse une entière liberté aux individus (comme le support presse classique d'ailleurs) de répondre ou non à « l'annonce », d'un poste informatique personnel ou professionnel, de les assurer de leur anonymat ou d'être préservés de tout abus concernant leur vie privée et d'établir un contact rapide et une série d'échanges écrits à même de contourner, pour les interlocuteurs, la passivité dans laquelle ce mode peut les installer. Pour le chercheur, la « sélection » se fait également de façon plus efficace, plus ciblée et plus qualitative. Finalement, ce support a pour avantage d'être très peu coûteux, tant pour le chercheur, qui a essayer d'exposer, de la façon la plus neutre possible, ses motivations de recherche, que pour ceux avec lesquels il souhaite entrer en contact, et permet, d'autre part, un gain de temps et une « efficacité » intellectuelle satisfaisant pour les intervenants.

Ce support comporte pourtant des inconvénients. Le nombre de personnes en France possédant d'une part, un ordinateur personnel et donc un accès Internet est relativement faible et l'estimation, d'autre part, du nombre de « convertis » à 50 000 individus environ123(*), ont mis le chercheur face à une minorité en minorité. Il aurait risqué de ne pouvoir contacter que très peu de personnes. L'anonymat, si cher à ce support de communication, peut induire des relations électroniques faussées, et à nouveau stimuler la méfiance voire la paranoïa des acteurs les uns envers les autres. Il peut également bloquer la relation scripturaire engagée au stade électronique et ne pas permettre au chercheur d'accéder à l'entretien en direct. Moins coûteux qu'un support traditionnel (une annonce en presse quotidienne coûte environ 45 euros), il peut paraître onéreux à moyen terme, quand les échanges se prolongent. Il nécessite d'avoir à disposition un matériel informatique actualisé et une capacité rédactionnelle de tous les acteurs. Et peut finalement ne pas permettre au chercheur, de recueillir suffisamment de contacts et d'accords pour constituer son échantillon.

Toutes ces caractéristiques ont influencé l'hypothèse de départ sur sept niveaux. Le premier niveau de réorientations a concerné la quantité de réponses qui n'a pas été aussi importante qu'espérer. Le chercheur a dû réamorcer cette annonce trois fois, en affinant son contenu, et en allant, cette fois activement sur les sites consacrés à l'islam en langue française, et en « surfant sur les chats »125(*) pour détecter d'éventuels sujets correspondants à son hypothèse. Ce ne fut pas concluant. Le deuxième niveau a concerné l'âge des convertis. Ils furent plus nombreux à se proposer pour un tel type d'entretien, lorsqu'ils ont moins de 30 ans. Le troisième niveau a concerné le sexe des « répondants ». Une forte majorité d'hommes s'est manifesté par ce mode de communication. Deux femmes seulement correspondant au portrait idéal hypothétique ont pu être recensées, mais une seule s'est concrètement soumise à l'entretien. Le quatrième niveau a concerné « l'indépendance ». Les plus nombreux à se proposer, âge et sexe confondus ont été assez souvent des sympathisants ou militants d'associations islamiques à identité forte comme l'Association des projets de bienfaisance islamique, l'U.O.I.F ou des confréries soufies. Ce fut l'occasion de réaliser que le concept d'indépendance avait mal été défini et d'en modifier l'expression dans les annonces suivantes, voire d'envisager que très peu de « convertis » soient indépendants d'un groupe de pratique ou d'obédience. Le cinquième niveau a concerné la « cause » de la conversion. En effet, les « convertis » susceptibles d'accepter de se soumettre à l'enquête ont été nombreux à s'être « convertis » pour des motivations « opportunistes », le plus souvent il s'agit de « conversions » liées à un mariage avec un ou une musulmane. Le sixième niveau est celui de la sphère géographique choisie. Le chercheur avait désigné l'ensemble géographique de l'Ile de France comme son terrain. Or, parmi les « convertis » qui se sont manifestés résidaient dans le Nord de la France, dans le Sud Ouest ou encore en Bretagne. Il fallut reconsidérer le travail et l'envisager à l'avenir sur un terrain plus étendu. Le septième niveau a concerné les moyens d'entrer en contact avec les personnes susceptibles de correspondre au portrait idéal hypothétique. Se contenter d'Internet et de la presse écrite n'a pas permis de constituer l'échantillon. C'est en sollicitant, tout au long de son enquête, les réseaux relationnels universitaires, intellectuels et amicaux, qu'a pu finalement se constituer un groupe conséquent de parcours à étudier.

A ce niveau, il est important de distinguer les périodes d'avant et d'après le 11 septembre 2001. La disponibilité des individus à se soumettre à des entretiens sur ce type d'expérience se révèle nettement plus difficile depuis les attentats. En effet, de tels évènements mettent les convertis au centre de polémiques interculturelles complexes à l'issue desquelles il ne peut, pourtant pas s'agir pour eux de renier leur foi ni leur appartenance européenne, d'une part. D'autre part, le « déballage » médiatique sur l'islam, provoqués par ces attentats, s'il a été nécessaire, a révélé la diversité d'être musulman du point de vue mondial et français et du point de vue des « convertis ». Cette diversité connue, mise en lumière médiatiquement a également sorti de l'ombre les ambitions et les opportunismes autant que les savoirs et les sagesses. « Convertis » comme musulmans sociologiques se découvrent eux-mêmes d'une manière inédite. Les « convertis » peut-être plus que les autres perdent, avec cette médiatisation, la dimension « mystérieuse » de leur choix spirituel, perdent de leur différence et ne conquièrent pas, pour autant, un champ d'expression très important. Enfin, les « convertis » comme les musulmans sociologiques se sont repliés sur eux-mêmes voire ont durcit leurs opinions, tant par ce qu'on leur demande sans cesse de prendre position, que parce qu'ils ont des opinions qu'ils souhaitent affirmer, au nom de la démocratie et de la liberté d'expression ! au risque peut-être qu'elles déplaisent.

De nombreux accords de principes ont été donnés au chercheur, mais les rendez-vous ont été souvent différés, voire implicitement annulés, surtout depuis le 11 septembre 2001. Il ne s'agit pas de refus explicites, mais d'hésitations ou de mises en évidence d'autres priorités existentielles.

Ces informations ne se sont pas manifestées simultanément. Il fallut plusieurs mois pour qu'elles se confirment et poussent à opérer les réorientations nécessaires à l'accomplissement de cette recherche. Le matériau recueilli au cours des trois années d'enquête a pris sa forme définitive à la fin des sept premiers mois de l'année 2002. L'hypothèse de départ s'est donc vue amputée de sa part féminine supposée. Le nombre d'hommes correspondant au portrait idéal hypothétique s'étant révélé suffisant pour préclore l'échantillonnage nécessaire.

Pour compléter le travail présent sur la conversion masculine à l'islam et afin de produire une réflexion sociologique la plus complète, le thème de la conversion féminine à l'islam sera traité dans un travail ultérieur en maintenant l'hypothèse de l'âge, plus de 30 ans et de la conversion comme résultat d'une quête spirituelle personnelle.

L'échantillonnage porte donc sur sept cas d'hommes de plus de 30 ans convertis à l'islam, à l'issue d'une quête spirituelle individuelle dont deux tableaux récapitulatifs détaillés, présentent ci-après les profils et parcours, date et lieux de conversion, date et lieux d'entretiens, nombre d'entretiens, situations familiales, activités professionnelles et les variables de l'expérience religieuse, selon deux grandes thématiques : la subjectivité et l'intersubjectivité.

Les entretiens proprement dits, une fois l'accord de principe établi personnellement avec chacun des convertis n'ont révélé aucune difficulté. Deux raisons objectives sont en amont de ce constat. La totale liberté de vouloir et de pouvoir confier le récit de l'expérience religieuse de la « conversion » à l'islam a pleinement été respectée. La déontologie sociologique pour un tel type d'enquête, l'assurance de l'anonymat, la discrétion quant aux informations périphériques au thème traité et l'exactitude brute du compte-rendu des récits, la présentation et l'explication du travail, semble avoir été accomplies de façon satisfaisante. Pourtant, il est possible de constater une disproportion quantitative d'un entretien l'autre. Les raisons de cette disparité tiennent aux disparités des individus eux-mêmes et de leur spontanéité à détailler leur parcours spirituel. Il n'est pas possible de classer ces entretiens de façon très précise. Il aurait pu être constaté que l'ancienneté de la « conversion » ne pousse pas l'individu à « s'appesantir », or les cas de C3 et de C6 démontrent le contraire. Pour C2, il était évident au cours de l'entretien qu'il souhaitait « contrôler » son discours et éviter la confidence. La situation de sa récente conversion et les conséquences familiales et de couple devaient être trop prégnantes et ne lui permirent pas de véritable distanciation.

L'analyse et les commentaires dégageront certainement d'autres raisons plus subjectives, intrinsèques au domaine de la « conversion » à l'islam et au sujet même du travail. Elles sont liées en partie aux thèmes de l'intersubjectivité, dont le chercheur lui-même ne peut se considérer exempt, acteur social, d'une part et d'autre part, sujet d'une quête spirituelle individuelle.

Les entretiens ont tous été enregistrés sur cassette avec l'accord des intéressés, accompagnés de notes manuscrites ou informatiques. Chaque entretien sera remis par écrit à son émetteur.

Recueillir les récits de « conversion » tel qu'accompli dans ce travail a consisté à s'astreindre à certaines précautions. Comme l'indique la psychosociologie, si en effet, le converti fait le constat de différences dans sa vie autant intime que publique entre l'avant et l'après sa conversion, « il est vain de chercher des raisons claires et conscientes dans l'après pour expliquer l'avant. » L'expérience du chercheur, relativement aux univers religieux post-modernes, tant islamique, que bouddhique et chrétien, lui à permis, espère-t-il, d'éviter à ceux qui lui ont fait confiance, de forcer l'interprétation. Le contexte des entretiens, et la rencontre la plus libre possible et la plus ouverte des témoins, n'a pourtant pas pu éviter totalement qu'ils cherchent à trouver eux-mêmes des raisons à leur « conversion », qu'ils se rappellent leurs motivations, enfin qu'ils procèdent à une sorte de reconstruction ou une ré-élaboration de leur expérience religieuse de la « conversion ». Ils semblent, et c'est souvent le propre des « convertis », trouver ces raisons dans un mysticisme qui ajoute encore au mystère de leur changement.

L'option du chercheur fut donc de mener les entretiens de façon semi-dirigée, laissant le plus de liberté possible au converti, dans sa narration. Dans les cas réunis pour cette étude, il est à remarquer comment chacun des convertis commence son entretien avec le sociologue. En effet, certains (2) ouvrent leur entretien sur le thème de leur « conversion ». D'autres (5) spontanément procèdent à un discours chronologique, le plus souvent très détaillé et très précis du point de vue des dates biographiques, organisant une sorte de suspens qui mènerait à la révélation verbale du moment de la « conversion », ainsi que l'établissement d'un « décor » antérieur, au sein duquel le « converti » puise des éléments qui justifieraient sa démarche spirituelle vers l'islam.

Si donc l'écriture devient missionnaire et que le « converti » participe de l'effort prosélyte, l'entretien confié au sociologue peut mettre ce dernier en situation d'être instrumentalisé, au point qu'il se doit non seulement d'être vigilant envers les propos et concepts du récit, mais aussi de ne pas juger le discours. Le chercheur ici s'est astreint à ne pas tomber dans ces ornières. Dans deux cas, le chercheur a, pourtant, été confronté à quelques difficultés pour mener ses entretiens et son travail à bien. En effet, le risque d'instrumentalisation auquel il s'expose par la nature même de son activité s'est très nettement présenté. Dans un cas, il s'est agi de l'expression d'une forme de prosélytisme et dans l'autre d'un goût très prononcé pour les détails au point de se sentir dans la contrainte de réaliser une sorte de « biographie spirituelle » totale. Pour sa part, le chercheur espère que son souci scientifique et de respect de la vie privée furent satisfaisants.

* 122 A. Conti de l'institut italien, le Co. Re. Is., collaborateur de cette revue trimestrielle, en 2002.

* 123 124 rapport HCI, 1993 : 3 millions de musulmans en France

* 125 définition de chat : forum de discussion en direct sur les sites internet.

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