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L'influence des attentats de Casablanca sur la politique antiterroriste au Maroc

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par el azzouzi el idrissi hicham
Université de Perpignan - master II droit privé 2005
  

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1 : Le rôle du juge pénal en matière terroriste

Le législateur ne protège plus, comme il lui revient de le faire, le justiciable contre l'arbitraire du juge, il le livre poings et pieds liés à ce dernier.

Du moment que la qualification de l'infraction terroriste est un élément de fait, elle ne relève plus du juge de la légalité, à savoir de la Cour suprême, équivalent de la Cour de cassation en France. Tout justiciable se considérant victime d'un abus de qualification par le juge pénal, n'aura plus qu'un degré de juridiction en guise de recours, la Cour d'appel, puisqu'il perd le pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

C'est ce qu'on appelle une loi répressive : elle limite le domaine de la loi dans la protection des libertés, laisse les coudées franches au juge, et atténue la protection judiciaire du justiciable à qui elle ne laisse qu'un recours juridictionnel au lieu de deux.

L'infraction pénale pourrait devenir, dès que les circonstances l'exigent -l'avenir nous dira ce qu'il en sera- un fait terroriste.

Est-ce un abus intentionnel de la part du législateur ? Sans doute que non. Cela témoigne seulement de son désarroi face à l'escalade islamiste lors de la dernière période, où la criminalité de bas étage se faisait sous prétexte de la religion. L'ennui est que la généralité des Marocains paye ici les pots cassés. Et c'est là où le législateur a outrepassé ses prérogatives.

2 : le menace des libertés

L'exercice des libertés publiques se trouve menacé. Toute manifestation, toute revendication collective, tout rassemblement public peuvent constituer leurs auteurs en état d'infraction terroriste. Il suffit qu'un intrus brûle une voiture lors d'une manifestation, et voilà réunies deux conditions constitutives du fait terroriste, aux termes de l'art 218-1, :

a- Les destructions, dégradations ou détériorations de biens appartenant à autrui

b- L'existence de relation intentionnelle (de ces dégradations) avec « une entreprise collective ayant pour but l'atteinte grave à l'ordre public par l'intimidation, la terreur ou la violence . C'est la manifestation qui devient une entreprise collective portant atteinte à l'ordre public en raison de l'incendie de la voiture. Le juge ne définirait pas la manifestation par ce qu'elle se prétend être : un rassemblement revendiquant paisiblement des droits, mais par ce qui est arrivé en son sein : l'incendie d'une voiture.

Á charge aux manifestants de prouver que telle n'était par leur intention!

Le plus paradoxal est qu'en dépit de sa gravité, la loi antiterroriste ne concerne pas les kamikazes, décidés, de toute façon, à mourir, et n'arrêtera pas les voleurs, entendu qu'il n'existe pas dans l'histoire de l'humanité loi ayant dissuadé, un jour, les voleurs de voler. Tout le monde en Arabie Saoudite sait que le voleur se fait couper la main, et c'est fréquemment que les gens volent et se font couper la main.

Le tout est que la loi antiterroriste accentue la répression, nourrit la défiance à l'égard des gouvernants, menace de paralysie l'exercice des libertés au Maroc autant que le progrès, et porte préjudice à l'image de marque du pays.

C'est pourquoi, en prenant connaissance de la mouture de projet de la loi antiterroriste, à sa soumission au Parlement en février 2003, l'Association marocaine pour les Droits Humains a rendu public un communiqué, avec titre : « Non à la loi antiterroriste! » On lisait dans le texte que cette loi « porte atteinte aux libertés publiques et aux garanties judiciaires fondamentales (prolongation de la garde à vue, violation du secret de la correspondance, perquisition à n'importe quel moment, aggravation des sanctions pénales, restriction des droits de la défense... ) », qu'elle est pire que « le fameux Dahir (loi) de 1935 dit « Dahir quiconque » qui a été récemment abrogé, qu'il s'agit de « légaliser et d'institutionnaliser les méthodes de répression sauvage qu'a connues le Maroc depuis plus de quatre décennies ». Avec ce projet, ajoute le communiqué, « il sera plus facile d'enlever et de faire disparaître les personnes qui dérangent, de les torturer...Ce projet lui-même est en fait une action terroriste d'État contre la liberté des citoyens. »

Le 16 mai est venu balayer d'un revers de main ces objections et d'autres contre la loi antiterroriste ; elle sera adoptée avec une large majorité par la Chambre des députés et la Chambre des conseillers.

Ainsi le 16 mai aura servi de sauf-conduit à une loi fortement contestée jusqu'au jour des attentas. Il aura été un double crime. Crime contre ses victimes directes et leurs familles. Crime contre la liberté au Maroc.

B  : L'interdiction de l'apologie du terrorisme 21(*)

Un article de la loi antiterrorisme marocaine, pour le moins étonnant, l'article 218-2, interdit et sanctionne, en ces termes, l'apologie du crime : « Est puni d'un emprisonnement de 2 à 6 ans et d'une amende de 10.000 à 200.000 dirhams, quiconque fait l'apologie d'actes constituant des infractions de terrorisme, par les discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou les réunions publics ou par des écrits, des imprimés vendus, distribués ou mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics soit par des affiches exposées au regard du public par les différents moyens d'information audiovisuels et électroniques ».

Le problème réside ici dans l'absence de définition de l'apologie du terrorisme. Cette définition est d'autant plus nécessaire, qu'il y a au moins, au sens étymologique du terme, deux façons de faire l'apologie du crime, lesquelles se rejoignent en quelque sorte.

On fait l'apologie du crime quand on le justifie, et on fait aussi son apologie quand on l'explique. C'est-à-dire quand on cherche à savoir pourquoi il est arrivé, ce qui revient souvent à chercher les causes au crime ailleurs que dans le crime. Ce faisant, on décharge fatalement le criminel, ce qui vaut de fait une justification indirecte du crime.

Dire qu'un garçon a versé dans le crime parce qu'il n'a jamais eu de parents, a grandi livré à lui-même dans la rue et n'a jamais été scolarisé, est une façon d'expliquer le crime, de dire pourquoi il est arrivé, mais cette explication se fait toujours à la décharge du criminel outre qu'elle a quelque chose de la justification que la loi anti-terroriste sanctionne.

En criminologie, la société a toujours une part de responsabilité dans le crime. Apparemment la loi anti-terroriste interdit de le dire. Ce genre d'explication, avocats, sociologues et criminologues sont amenés à le faire dans leur travail. Pourraient-ils se voir désormais condamnés pour apologie du terrorisme ? C'est au juge d'apporter la réponse au coup par coup. La loi ne définit pas la conduite à tenir, c'est donc l'incertitude en raison du vide législatif.

En réalité, cette interdiction de l'apologie du terrorisme a valeur de rappel. Lors de dernière période, on a vu plus d'une fois au Maroc, des énergumènes au sens propre du terme, faire dans la rue l'apologie du meurtre (c.à.d. le justifier), exactement comme le ferait un individu atteint de démence et passible de l'asile psychiatrique.

A tous ces gens-là, nombreux au Maroc, le législateur est venu rappeler que le temps du laxisme est terminé. Il s'y est employé tellement méthodiquement que l'article rappelle, après en avoir solennellement déclaré l'interdiction sous peine de sanction, toutes les formes dont on a vu inciter au crime, récemment, au Maroc : « les discours, les cris, les menaces proférés dans les lieux ou les réunions publics ou par des écrits, des imprimés vendus (dans les librairies désormais fermées), distribués (devant les mosquées notamment) ou mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des affiches exposées au regard du public par les différents moyens d'information audiovisuels et électroniques ».

A bon entendeur, salut ! Mais...Car il y a un « mais ». La notion d'acte de terrorisme étant prises au sens large par la loi, une manifestation qui dégénère en violence, pour reprendre un exemple déjà vu, peut être constitutive d'acte de terrorisme. Quiconque s'amuserait à défendre, dans ce cas-là, les manifestants, pourrait être valablement poursuivi en justice pour apologie du terrorisme.

Sous cet aspect, l'article 218-2 vient renforcer le caractère répressif de la loi anti-terroriste et intimider l'opinion, voir les professionnels du droit et des sciences sociales dans l'exercice de leur métier. On peut, en effet, déjà consigner au moins deux comportements à mettre sur le compte de cet article :

1-Deux présumés terroristes du courant salafite jihadite, Mohamed Bounit et Abdelhak, surnommé « Moul Sebbat », décèdent dans des conditions suspectes lors de l'enquête sur les attentats du 16 mai. Ces deux incidents conduisent l'Association Marocaine des droits de l'Homme (AMDH) et l'Organisation Marocaine des Droits de l'Homme (OMDH) à demander au ministre de la Justice des éclaircissements sur les conditions de ces deux décès. La chose est on ne peut plus normale. C'est en pareil cas que les associations des droits de l'homme sont utiles. Les deux individus décédés avaient beau incarner le crime au degré de gravité le plus élevé, s'il revient à la justice de les juger et de les faire exécuter, le cas échéant , personne n'a le droit de les lyncher.

Les familles des victimes du 16 mai, dont tout un chacun comprend la douleur quand il ne la partage pas, ne l'entendent pas de cette oreille .Elle adressent aux deux associations une lettre ouverte dans laquelle elles considèrent la demande de cette enquête comme une insulte à la mémoire des victimes. Les terroristes n'ont pas leur place parmi nous, pas plus que ceux qui oeuvrent à troubler l'esprit de l'opinion publique, lit-on dans cette lettre22(*)

Les deux associations répondent par un communiqué dans lequel elles expliquent leur travail, compatissent avec les auteurs de la lettre ouverte et demandent à les rencontrer. Mais ces familles vont plutôt poursuivre en justice l'AMDH et l'OMDH, pas n'importe comment, dans le cadre de la loi anti-terroriste ; elles leur reprocheront d'avoir demandé des enquêtes sur les deux décès en question, ce qui, à leur avis, pourrait être interprété comme un encouragement au terrorisme.

Rien dans l'article 218 - 2 de la loi, qui sanctionne l'apologie du crime, ni même à l'article 218 - 1, qui présente l'acte terroriste, ne s'applique, à première vue, à l'AMDH et l'OMDH , dans ce cas précis . Mais les conditions constitutives de l'infraction sont tellement générales, son domaine tellement large, qu'ils laissent une grande marge de manoeuvre au plaideur comme au juge et constituent un sérieux motif d'inquiétude, même pour des avocats dans l'exercice de leurs fonctions.

1-Des avocats commis d'office pour la défense des terroristes ont, pour certains, refusé de plaider quitte à passer devant le conseil de discipline de l'ordre des avocats . Motif avancé par ces juristes : ils ne conçoivent pas de plaider une cause qu'ils dénoncent et condamnent ; ils se déclarent plutôt «  enclins à se ranger aux côtés de la partie civile (...) comme les familles des victimes »23(*)

Il est impensable qu'un avocat condamne une cause avants qu'elle ne soit jugée. La raison en est un principe simple, sacerdoce les pénalistes et règle d'or en procès pénal : la présomption d'innocence. Faire fi de la présomption d'innocence, revient à réfuter à la justice sa raison d'être.

Les causes de ce refus de plaider sont à coup sûr ailleurs. D'abord et sans doute dans la crainte de paraître, à la télévision comme dans la presse, du côté d'accusés condamnés sans appel par la société avant qu'ils ne le soient par la justice ; ensuite et certainement par crainte que les plaidoiries glissent vers l'apologie du terrorisme. Faute de pouvoir plaider l'innocence d'un accusé en raison du flagrant délit, par exemple, l'avocat lui trouve des circonstances atténuantes, notamment en justice son forfait, ce qui revient, ici, à tomber Dans l'apologie du crime. La défense devient dangereuse.

Il est vrai qu'à moins de propos diffamatoires, l'avocat ne peut être poursuivi, disciplinairement, ni judiciairement à cause de son plaidoyer, il le sait. Mais étant en début de carrière comme c'est généralement le cas des avocats commis d'office, et désirant réussir sur cette carrière, cet avocat peut craindre de déplaire pour en avoir fait trop et se trouver poursuivi sur d'autres terrains.

Enfin, une autre question se pose. Ces jeunes avocats auraient-ils refusé cette commission d'office de peur qu'il ne soit poursuivis en justice avec des islamistes, comme ce fut déjà le cas des maîtres Abdellah Ammari et Ahmed Filali Azmir ? Il était reproché au premier d'avoir aidé des islamistes recherchés à prendre le maquis et au second d'être « complice dans une tentative de meurtre avec préméditation, vol qualifié et sabotage prémédité d'établissements à l'explosif »24(*)

Le plus inquiétant reste l'interdiction de toute explication du terrorisme. En d'autres termes, il est interdit de d'expliquer pourquoi ce drame s'est produit. C'est l'interprétation la plus plausible de l'article 218-2 qui sanctionne l'apologie du crime et donc son explication. Là, le législateur a tout simplement mis les pieds dans le plat.

Cette interdiction indirecte de toute explication du terrorisme peut être interprétée comme une interdiction du terrorisme, en tant que thème de recherche, à la sociologie et surtout à la criminologie. Il n'empêche que les spécialistes feront leur travail. Ils pourraient se trouver cependant à la merci de la police. La criminologie n'est ni plus ni moins que l'explication du phénomène criminel. Son explication pour le comprendre et en comprendre le processus. C'est la seule façon possible de l'éponger à la source. Or, la cloison entre s'expliquer un phénomène ou en faire l'apologie est d'une minceur telle que n'importe quel juge n'aurait aucune peine à la franchir.

La justice pénale n'a que la fonction subsidiaire de sanction du phénomène criminel. Elle n'a ni les moyens, ni le temps, ni les instruments intellectuels pour l'éradiquer. C'est à la recherche scientifique qu'incombe cette noble charge. L'article 218-2 de la loi anti-terroriste semble vouloir fermer cette porte.

En résumé, cet article veut dire clairement : « Taisez-vous et laisser la police et la justice faire. Leurs conclusions doivent être comprises, par vous, comme une Vérité révélée. » La répression est ainsi subrepticement portée dans les instituts de recherche et en milieu scientifique. Cet article restera au point noir dans la législation marocaine, tant qu'il n'aura pas été abrogé.

Voici donc arrêtés et condamnés les suspects pendant qu'une « ceinture de sécurité » contre le terrorisme, de son nom la « loi anti-terroriste » est venue ceindre la société. Le problème est-il pour autant réglé ? Car les sources de la violence demeurent et ce sont elles que les faussaires du terrorisme ont mises à profit pour simuler des attentats terroristes made in Morocco !. Une lecture de ces attentats au second degré s'impose.

* 21 "Les attentats de Casablanca.." ..page 84 o.p cité

* 22 Le journal As-Sabah, 18/06/2003.

* 23 Le Journal Al Bayane 18/9/2003.

* 24 LE JOURNAL Al Bayane 18/9/2003.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo