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Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil

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par Antoine Maillet
IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006
  

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A. 1988 : le débat sur la Constitution, moment fort pour le mouvement

1. Un contexte favorable aux mouvements sociaux mais difficile pour le mouvement noir

Les années 1980 sont marquées au Brésil par l'émergence de nombreux mouvements sociaux, qui luttent chacun pour imposer la mise sur agenda dans le débat politique des thématiques auxquelles ils sont attachés. Dans cette lutte pour la visibilité et l'inscription dans le champ politique de questions n'y figurant pas encore, les discussions de l'assemblée constituante en vue de la rédaction d'une nouvelle constitution fédérale, finalement promulguée en 1988, sont une échéance importante.

Le mouvement noir se saisit de cette occasion pour faire avancer ses revendications. Le débat qui s'en suit et les résultats finalement obtenus sont révélateurs des difficulté rencontrées par ce mouvement pour faire valoir son point de vue. Ses propositions sont souvent assimilées à une tentative d'altérer la matrice de la pensée politique brésilienne, à travers la critique de la démocratie raciale, et à ce titre rejetées. De fait, trouver un espace politique est assez difficile pour le mouvement noir, dans la mesure où il se retrouve coincé entre une droite encore en pleine exaltation de la démocratie raciale et une gauche peu à l'aise avec la thématique raciale, lui préférant l'explication marxiste concernant les inégalités. Certains membres des partis de gauche avancent même la crainte d'une scission de la classe ouvrière autour de la fracture raciale, que pourrait encourager le traitement de la question raciale76(*). La marge de manoeuvre est donc limitée au départ.

Depuis 1985, le mouvement se préparait pour cette échéance, notamment en organisant des forums dans tout le pays, jusqu'à la réalisation d'une convention nationale dont le titre était « le Noir et la Constituante ». Les demandes formulées par le mouvement noir s'inscrivent dans la critique de la démocratie raciale et la revendication de mesures compensatrices pour les populations descendantes des esclaves. Il s'agirait de privilégier l'égalité réelle à l'égalité formelle, une formule loin des traditions brésiliennes et génératrice de polémiques. Il est aussi fait appel à l'Etat pour rendre possible la reconstruction d'une identité culturelle niée par l'idéologie du blanchiment. En terme de propositions, le mouvement noir dégage trois priorités : la reconnaissance des communautés noires rémanentes des quilombos, tant sur le plan culturel que par l'octroi de titres de propriétés ; la criminalisation du racisme et des comportements discriminatoires ; en matière d'éducation, un ferme engagement antiraciste et l'obligation de l'enseignement de l'histoire des populations noires au Brésil.

On peut remarquer d'une part que l'éducation est bien un thème prioritaire, au vu de ses implications multiples déjà évoquées, d'autre part qu'une certaine autocensure est certainement à l'oeuvre au moment de formuler ces revendications, qui ne sont pas radicales. Cela caractérise un mouvement très mesuré dans ses prises de position. Ce souci de jouer le jeu institutionnel peut peut-être s'expliquer par le fait que les militants, issus du MNU mais aussi d'autres organisations, peuvent compter sur l'appui de quelques personnalités cherchant à affirmer leur légitimité comme représentants de la communauté noire, telle la Sénatrice Benedita Da Silva et trois députés, déjà rompus aux négociations politique serrées. Le cas de la première citée, venue à la politique par les associations de quartier, illustre l'imbrication du mouvement noir avec les autres mouvements sociaux. L'arène même où sont énoncés ces revendications est potentiellement aussi la cause de cette modération : en marge du champ politique, le mouvement noir a la possibilité de présenter des revendications dont le caractère radical ne peut être maintenu une fois à l'intérieur du jeu politique, la contrainte de négociation l'obligeant à reformuler.

2. L'impossible remise en cause du mythe de la démocratie racial

Un premier combat est gagné avec la mention de la question raciale comme un thème à aborder dans le Régime interne de la Constituante. Néanmoins, les représentants du mouvement noir ne sont guère satisfaits par le traitement réservé à la question, puisqu'elle se retrouve reléguée à une sous-commission « des Noirs, Populations Indigènes, Personnes Déficientes et Minorités », à l'intérieur de la commission thématique « de l'Ordre Social »77(*). Les militants noirs souhaitaient en effet voir le thème abordé de manière transversale, en ayant la possibilité de participer à d'autres commissions. Le rejet de cette requête est significatif du peu d'importance accordé par les membres de la Constituante au sujet. La discussion en sous-commission voit l'acceptation de toutes les propositions du mouvement noir, mais, dès le passage en commission thématique, les formulations retenues pour les articles sont fortement euphémisées. Le projet est peu à peu vidé de son contenu, notamment dans le domaine de l'éducation. Ainsi, dans la première rédaction, il est mentionné que :

« l'éducation insistera sur l'égalité des sexes, la lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination, affirmant les caractéristiques multiculturelles et pluriethniques du peuple brésilien. »78(*)

Figure aussi, à ce stade du processus, l'obligation de l'enseignement de l'histoire des populations noires. Après le passage par la commission thématique puis la commission de systématisation, l'obligation de l'enseignement de l'histoire n'est pas conservée dans la rédaction finale de la constitution, car considéré comme discriminatoire par la majorité des députés. Est seulement mentionné, dans une partie annexe de la constitution, le Titre IX, « des dispositions constitutionnelles générales », que :

« L'enseignement de l'Histoire du Brésil prendra en compte les contributions des différents cultures et ethnies pour la formation du peuple brésilien. »79(*)

Il s'agit donc d'un échec pour le mouvement noir, qui n'a pu faire valoir ses positions sur l'éducation. On en reste à une formulation très vague, dans une partie reculée du texte, et qui surtout reste fidèle à la « fable des trois races »80(*) fondatrices de la nation, sans que ne soit évoquée les relations de domination qui ont caractérisé le processus. Les discussions sur la thématique raciale sont renvoyées à la rédaction d'une « loi sur les directives et les bases de l'éducation nationale » (LDB, « Lei de Diretrizes e Bases da educaçao nacional »).

Seules des propositions correspondant plus à la pensée nationale sont retenues : la criminalisation du racisme et la reconnaissance des quilombos. Les rédacteurs sont loin d'imaginer que cette dernière disposition va donner un outil de lutte précieux pour les militants noirs81(*). La criminalisation du racisme n'entre pas en contradiction avec la croyance en la démocratie raciale. Au contraire, elle maintient le racisme comme un problème individuel, qui doit être traité pénalement, plutôt que comme un problème social et politique. La question des quilombos est traitée sur le plan culturel, un domaine dans lequel l'expression des Noirs n'est pas bridée comme lorsqu'elle entre sur le terrain politique. Sur ces points, le mouvement noir a obtenu satisfaction, avec leur inclusion dans une constitution hétéroclite, parfois incohérente, et qui globalement, parvient à la fois à répondre aux demandes de groupes d'intérêts divers sans menacer la position des conservateurs82(*), une analyse qui correspond au bilan que l'on peut tirer de la participation du mouvement noir à ce processus. Les fondements de la nationalité brésilienne restent inchangés.

Dans le domaine de l'éducation, où le mouvement noir a connu un échec, le combat pour promouvoir une autre représentation de la société brésilienne à travers les programmes scolaires, qui implique une remise en cause de la pensée dominante, se poursuit dans la discussion sur la LDB.

B. Le débat autour de la LDB : l'échec à altérer la matrice de la pensée nationale

La LDB est le texte fondamental de l'éducation brésilienne. Elle remplace une précédente loi votée en 1961. Le mouvement noir plaçait beaucoup d'espoir dans les discussions qui ont marqué son élaboration, mais a été déçu. Après huit ans de négociation, c'est un texte qui ne va pas plus loin que la constitution qui est voté. La longueur du processus illustre l'importance attribuée par ce texte aux acteurs politiques. L'éducation est bien un élément fondamental dans l'élaboration d'un modèle de société et de l'identité nationale. Mais le mouvement noir n'a qu'un accès réduit au débat qui, dans un premier temps, reste limité à des organisations spécialisées dans ce thème, syndicats de professionnels, d'étudiants, ou organismes spécialisés dans la recherche.

Les enjeux du débat que ces acteurs définissent laissent peu de place aux revendications du mouvement noir. En effet, les discussions ne portent pas sur le fond, le contenu des programmes ou la pratique pédagogique, mais plus sur des questions pratiques, comme le financement de l'école publique ou l'extension de la durée de la scolarité. Choisir de faire de la défense de l'école publique en général leur ligne politique conduit ces organisations à reproduire les schémas de la démocratie raciale : considérant agir pour le bien de la majorité des Brésiliens, dans une perspective progressiste, la question d'une spécificité noire ne se pose même pas83(*). C'est donc un référentiel imprégné d'universalisme qui oriente cette position. Cela indique clairement à quel point cette vision est dominante, dans le débat politique et la définition de politiques publiques. L'espace de contestation que tente d'occuper le mouvement noir est très réduit, car sa politique culturelle n'a que peu de prise sur ces acteurs.

Après un vote devant la chambre des députés en 1993, le projet est discuté au Sénat. La sénatrice Benedita Da Silva propose à nouveau de reformuler l'histoire du Brésil en rendant obligatoire l'enseignement de l'histoire des populations noires. Mais ces propositions sont rejetées au motif que, pour une éducation nationale, il n'est pas nécessaire de garantir un espace pour des thèmes spécifiques. L'évolution est minimum : l'article 26 de la LDB stipule ainsi :

« L'enseignement de l'histoire au Brésil prendra en compte les contributions des différentes cultures et ethnies pour la formation du peuple brésilien, spécialement les matrices indigène, africaine et européenne. »84(*)

Seule la mention des trois cultures est ajoutée par rapport à la rédaction de l'article de la Constitution, l'avancée se situant donc dans le fait que l'héritage africain (et indigène) du Brésil soir reconnu. Les rapports de domination que ces cultures ont pu exercer l'une envers l'autre sont tus. Les mythes de la démocratie raciale et du creuset brésilien, fondement de la représentation de relations raciales harmonieuses, sont maintenus intacts. Ce n'est pas une surprise au vu de l'identité du rapporteur de la version finale de la loi, qui est un indice de la force de cette vision dans le débat politique. Il s'agit en effet de Darcy Ribeiro, homme politique et anthropologue, auteur en 1995 du livre O povo brasileiro : a formaçao e o sentido do Brasil (le peuple brésilien : la formation et le sens du Brésil). Dans ce livre, il reprend la thèse de Gilberto Freyre d'une unique ethnie brésilienne, mélange des trois races, dont émerge un peuple. Cette vision ne laisse pas de place à la défense d'identités particulières et entretient le mythe d'une nation homogène. Le mouvement noir ne parvient pas à regrouper assez de force pour rendre légitime une critique de cette position dominante.

La LDB ainsi votée réaffirme la place de l'universalisme dans le discours politique brésilien. Il place l'individu au centre de la société et refuse de reconnaître l'existence de communautés recevant des traitements spécifiques. Dans le cas de l'éducation au Brésil, la limite à cette logique universaliste est la perpétuation des inégalités selon des critères raciaux, qui fonde la demande du mouvement noir pour un traitement spécifique. Le mouvement noir attribue les difficultés des noirs dans l'éducation en grande partie au refus de reconnaître l'histoire spécifique de ces individus, qui eux-mêmes ne se reconnaissent pas dans les institutions. Les deux dimensions du problème, politique, dans le conflit de représentation portant sur une nouvelle formulation de l'identité nationale, et plus concrète, la lutte contre les inégalités, sont réaffirmées en 1995 à l'occasion de la manifestation de commémoration des trois cents ans de la mort de Zumbi, qui marque le début d'une nouvelle phase dans les relations entre l'Etat et le mouvement noir et, dans le domaine de l'éducation, l'obtention de quelques avancées.

C. Le tournant de 1995 : la reconnaissance par l'Etat de l'existence d'un problème racial au Brésil

Jusqu'à 1995, le mouvement noir n'obtient que peu d'attention de la part des acteurs politiques et des pouvoirs publics au niveau national, alors qu'il a mené d'intenses campagnes tout au long des années 1980. Il n'a réalisé que quelques conquêtes au niveau local, municipal ou des états. Mais la mobilisation du mouvement noir à l'occasion du tricentenaire de la mort de Zumbi va permettre l'ouverture de canaux de discussion et une amorce de changement dans les politiques publiques. Il semblerait que le référentiel global de l'action publique s'ouvre, bien que légèrement, aux revendications du mouvement noir.

1. L'ouverture d'un dialogue avec la présidence

Le 20 novembre 1995, date anniversaire de la mort de Zumbi, chef du quilombo de Palmares, a lieu à Brasilia la « Marche Zumbi contre le Racisme, pour l'Egalité et pour la Vie ». Le quilombo de Palmares, détruit en 1695 par les troupes impériales après deux attaques ayant échoué, et son chef Zumbi, sont des symboles de la lutte des esclaves contre l'oppression des blancs, que le mouvement noir utilise abondamment85(*). La marche réunit plus de 20 000 personnes, et se conclut par une rencontre de quelques représentants avec le Président Fernando Henrique Cardoso, qui le même jour a rendu hommage à Zumbi sur le site du quilombo, faisant de lui un héros national, répondant ainsi à une des revendications de longue date du mouvement noir.

A cette occasion lui est remis un document comprenant les revendications qui, selon Benedita Da Silva,

« seront à partir d'aujourd'hui le mètre étalon, le moteur de la lutte pour les droits des Noirs, avec la mise en oeuvre de politiques publiques de combat contre le racisme, capables d'affronter la situation de pauvreté, de violence et de marginalisation, du chômage, de la distribution du revenu, de la santé des hommes et femmes noires ».86(*)

L'accent est mis sur l'importance de politiques publiques, à établir dans un dialogue avec l'Etat. Le positionnement politique et même la propre histoire personnelle de Benedita Da Silva est assez caractéristique de cette ambition d'établir un dialogue avec les pouvoirs publics. Militante du PT, issue d'un quartier très pauvre de Rio, noire, elle a appris à formuler des demandes acceptables pour la société, au prix parfois d'un certain renoncement à la radicalité87(*).

Les revendications présentées par le mouvement ne sont pas nouvelles. Elles s'inscrivent au contraire dans la continuité des politiques de reconnaissance, d'identité, de citoyenneté et de redistribution déjà évoquées. Le document présente d'abord un diagnostic de la situation de la population noire, puis formule des demandes, sur le recensement, l'emploi, l'éducation, la culture et la communication, la santé, la violence et la religion. Ces demandes sont formulées sous forme de mesures précises à prendre par les pouvoirs publics. Le fait marquant de cette manifestation, replacée dans le contexte plus large de la mobilisation noire depuis le début des années 1980, est bien la recherche de canaux de discussion formelles.

Le dialogue avec la présidence existait avant cet événement, qui va permettre de le formaliser, sous la pression du mouvement noir. Dès son discours de prise de pouvoir, en 1995, le Président Cardoso a démontré une certaine sensibilité à la thématique raciale qui rompt avec le silence de ses prédécesseurs et de l'élite blanche en général. Dans ce discours, il compare sa lutte pour la justice sociale à celle des abolitionnistes, dans une reconnaissance implicite de la congruence de la pauvreté avec le fait d'être noir. Fernando Henrique Cardoso a été l'élève de Florestan Fernandes et a écrit ses premiers travaux universitaires sur l'existence du préjugé racial, comme il le rappelle dans le discours lors de la réception des représentants du mouvement noir le 20 novembre 1995. Il déclare aussi :

« qu'à recevoir des mains des représentants de la Marche ce document, je souhaite affirmer mon accord avec lui au sens que, effectivement, je souhaite l'établissement d'un dialogue fécond avec les mouvements noirs au Brésil »88(*).

Ce dialogue, qui caractérise la stratégie du mouvement noir dans cette période, se met en place au travers d'un groupe de travail interministériel (GTI) sur les politiques de valorisation des populations noires, coordonné par Helio Santos, professeur à la USP, déjà coordinateur du mouvement noir lors des discussions sur la Constitution. La Marche Zumbi et ses conséquences marquent donc bien une évolution dans la position de l'Etat brésilien. Pour la première fois, l'existence de la discrimination raciale est reconnue officiellement, par le Président lui-même. Il n'entre pas dans l'ambition de ce mémoire d'exposer la complexité et la multiplicité des facteurs qui expliquent cette nouvelle orientation : fenêtre d'opportunité politique favorable, pressions internationales, notamment dans la préparation de la conférence de Durban sur le racisme qui s'est tenue en 2001... Parmi ceux-ci, la pression exercée par le mouvement noir lui permet de gagner plus d'espace politique et d'ébranler la représentation traditionnelle des relations raciales.

Même si les travaux du GTI sont par la suite source de déception, il y a bien une inflexion dans le discours de l'Etat sur la question raciale. La traduction dans les politiques publiques de cette évolution n'est cependant pas nécessairement automatique. Deux questions complémentaires se posent sur l'articulation de cette modification dans la position de l'Etat brésilien avec d'autres évolutions. Quelle pourra être la traduction de ce changement avec le passage du champ politique à l'administratif ? L'impulsion présidentielle, qui relève d'une modification du référentiel global, peut-elle se décliner au niveau sectoriel ? S'intéresser au secteur de l'éducation permet d'avancer sur ces questions.

2. De timides avancées dans les politiques publiques d'éducations

Le climat politique est devenu favorable à la mise sur agenda des revendications du mouvement noir, qui se reflète dans l'éducation, avec la mise en place d'un « programme national du livre scolaire », la publication du livre Superando o Racismo na Escola (Dépasser le racisme à l'école) et l'élaboration des Paramètres du Programme Scolaire National (PCN, soit « Parametros do Curiculo nacional »). Ces trois mesures manifestent l'amorce, mais aussi les limites, d'un changement dans les représentations de l'administration brésilienne, potentiellement un changement de référentiel. Le discours favorable aux revendications du mouvement noir du Président Cardoso n'est pas source de modifications importantes. Les résultats sont souvent décalés par rapport aux objectifs, amenant à s'interroger sur l'ambiguïté de la position de l'administration Cardoso. Ainsi, le « programme national du livre scolaire » a pour but l'évaluation des livres scolaires, dans lesquels ne peuvent être exprimés de « préjugés sur l'origine, la race, la couleur, le sexe, l'âge et n'importe quelle autre forme de discrimination »89(*). Mais ces critères ne recouvrent que l'expression de préjugés explicites, très peu courants dans la société brésilienne. L'absence de spécialistes de l'étude du préjugé racial dans la commission qui émet les recommandations pour ce programme manifeste la faible perméabilité de l'institution à la revendication du mouvement noir d'adopter une vision plus large du préjugé racial et du racisme en général, ne se limitant pas à ses manifestations les plus visibles.

Le livre Superando o racismo, élaboré dans le cadre de cette nouvelle politique du Ministère de l'Education (MEC) plus sensible à la thématique raciale, a lui aussi été victime des ambiguïtés d'un possible double discours. Rédigé par d'éminent spécialistes de la question raciale à l'école, il n'a, selon une personne interrogée dans le cadre de mon enquête de terrain, pas été distribuée jusqu'à ce que les auteurs eux-mêmes, soutenus par le mouvement noir, n'obtiennent une réimpression et son envoi dans les écoles. Cet exemple montre bien à quel point les militants doivent être attentifs à l'exécution des annonces, un travail que réalise le mouvement noir, qui a, à travers ces épisodes, conquis une certaines légitimité vis-à-vis et à l'intérieur du MEC. Il est caractéristique de l'aspect conflictuel de la mise sur agenda, qui est le résultat d'une pression exercée de manière continue.

L'ambiguïté se maintient dans le Paramètres du Programme scolaire National, document publié en 1998 par le MEC pour orienter l'enseignement fondamental. La « pluralité culturelle » y figure comme un thème transversal, au même titre que l'orientation sexuelle, l'éthique ou l'environnement. Il doit être abordé ensuite sous différents angles selon les matières. Un problème relevé par la littérature est que ce document, même s'il aborde frontalement les questions de discrimination raciale comme des « obstacles au processus éducationnel », perpétue sur le fond la vision de la démocratie raciale héritée de Freyre90(*). En effet, les PCN se fondent sur une vision de la culture brésilienne homogène, comme résultant du mélange des trois cultures fondatrices. L'autre aspect critiqué est justement l'absence d'un point de vue critique sur l'apport de ces cultures, qui ne sont pas questionnés. Certains craignent ainsi que la question de la pluralité, au lieu d'être discutée, soit résumée à une question de contenu qui fige le débat, au contraire des objectifs du mouvement noir, qui promeut une autre vision de la nation91(*).

Cette discussion porte sur la nature même de l'évolution des représentations que le mouvement noir propose. Loin de rechercher une essentialisation de la catégorie de Noir, qui pourrait figer les inégalités, les militants, souvent parties prenantes des discussions académiques, appartiennent à une tendance du multiculturalisme critique. Ils souhaitent que les questionnements autour de l'identité soit abordée dans les programmes scolaires dans une perspective qui amène à leur déconstruction. Le but de l'éducation serait de donner aux enfants les outils pour interroger toutes les catégories92(*).

Si les revendications émises par le mouvement noir sont donc entendues par les pouvoirs publics, elles restent reprises à la marge, sans entraîner de changements profonds dans le référentiel des acteurs. Quelques projets marginaux sont réalisés, des expériences sont lancées, grâce à l'action d'individus assez isolés au sein d'une administration qui reste majoritairement guidée par un référentiel universaliste. L'ouverture du Président Cardoso peine à se traduire en mesures concrètes. Il faut cependant relativiser cette observation en se plaçant sur le temps long des politiques publiques : un changement de référentiel peut intervenir sur une période d'une dizaine d'années, parfois plus. Il pourrait alors s'agir d'une première vague d'expériences qui préfigurerait un mouvement plus large. Surtout, ce changement ne correspond pas nécessairement à l'évolution des mentalités des individus présents dans l'administration mais plutôt à la présence de nouveaux éléments, porteurs d'idées et de représentations différentes. Le concept de référentiel révèle ainsi sa complexité.

Hors de l'administration centrale, la revendication portant sur l'obligation de l'enseignement de l'histoire et de la culture des Noirs connaît un certain succès au niveau local dans les années 1990. Dans des états ou municipalités ou le mouvement noir est puissant, elle est parfois inscrite dans la loi, sans que cela n'indique qu'elle soit réellement mise en oeuvre. Ainsi, la Constitution de l'état de Bahia en 1989, des lois à Belo Horizonte en 1990, à Porto Alegre en 1991, à Belem en 1994 permettent l'inclusion dans les programmes des réseaux publics d'enseignement de ces collectivités locales de contenus relatifs à « la race noire dans la fomation socio-culturelle brésilienne »93(*). D'autres initiatives du même ordre sont prises à Brasilia et Sao Paulo. Au niveau national, c'est en 2003 que le mouvement noir obtient satisfaction pour cette demande historique.

D. Les fruits d'une action au coeur du système politique : la loi 10.639

1. Le vote de la loi dans un contexte d'alternance politique

Depuis le début des années 1980, le mouvement noir réclame l'inclusion de l'histoire des Noirs au Brésil dans les programmes scolaires. Cette revendication faisait partie des dispositions qu'il souhaitait voir figurer dans la Constitution. La demande a été renouvelée lors de l'élaboration de la LDB puis des PCN, sans connaître plus de succès. Une avancée progressive dans la formulation a permis des glissements sémantiques minimes restant dans le cadre de pensée défini par l'idéologie de la démocratie raciale, en faisant référence à la pluralité culturelle du Brésil. Un projet de loi reprenant le voeu du mouvement noir, déposé par le Sénateur Paulo Paim en 1999, est bloqué au Congrès jusqu'en 2003, année de l'élection du Président Lula Da Silva, candidat du PT.

Durant sa campagne, le futur président s'est appuyé sur un document, partie intégrante de son programme, appelé « Brésil sans racisme ». Ce texte n'émet pas de proposition sur cette question spécifique de l'évolution des programmes scolaires, mais illustre l'importance de la question raciale pour le PT, au sein duquel le Secrétariat de Combat contre le racisme dispose d'un espace assez important. Elle est notamment à l'origine de la participation du PT à la marche Zumbi de 1995 et peut être assimilée à la présence officielle du mouvement noir dans le PT. En contribuant à l'élection de Lula, le mouvement noir espère pouvoir augmenter sa présence dans l'administration et assurer une meilleure réception pour ses revendications. Le candidat, au cours de sa campagne, a déclaré publiquement à plusieurs reprises qu'il appuierait les demandes du mouvement noir94(*).

Lula élu Président, se met en place une commission d'articulation pour organiser le gouvernement. Contrairement aux espérances du mouvement noir, elle n'annonce pas la création d'un Secrétariat d'Etat à la promotion de l'égalité raciale (SEPPIR), et suscite l'inquiétude de représentants du mouvement quant à la présence de noirs aux deuxièmes ou troisièmes échelons ministériels, promis par Lula dans le cadre d'une « politique transversale d'inclusion »95(*). D'après Lucimar Dias, ce serait en partie pour calmer cette agitation, donc pour des questions de stratégie, que le gouvernement Lula aurait favorisé le vote très rapide de la loi 10.639, présentée par les députés Esther Grossi et Benhur Ferreira, sur l'obligation de l'enseignement de l'histoire de la culture afro-brésilienne dans les écoles primaires et secondaires96(*).

La loi est la première promulguée par Lula, le 9 janvier 2003. Mais il ne faut pas minimiser l'action du mouvement noir, qui a su profiter d'un moment opportun pour obtenir une victoire dans le conflit de représentation, cette loi étant dans l'esprit contraire aux représentations dominantes marquées par l'idéologie de la démocratie raciale et l'universalisme. Au cours d'un entretien, un informateur a émis des doutes sur la capacité du mouvement noir à obtenir une telle loi dans un autre contexte :

« La loi a été adoptée par hasard, elle a été faite en cachette. Les personnes étaient en vacances, à la plage. Si ils attendaient deux mois de plus, ils ne le faisaient pas. »

Ces doutes illustrent le caractère relatif du changement dans les représentations obtenu par le mouvement noir, et de son poids politique. Il a su devenir influent, obtenir des avancées dans sa politique culturelle, mais reste très minoritaire, tant du point de vue politique que dans le conflit de représentations. Toutefois, la demande d'intégration de l'histoire des afro-brésiliens dans les programmes scolaires est finalement satisfaite, de même que celle du choix d'une autre date que le 13 mai pour célébrer la conscience noire. La loi 10.639 se présente comme une altération à l'article 26 de la LDB de 1996, dont elle propose une réécriture sous cette forme :

« Art. 26 A. Dans les établissements d'enseignement fondamentaux et moyens, officiels et particuliers, devient obligatoire l'enseignement sur l'Histoire et la Culture Afro-Brésilienne.

§1° Le contenu programmatique auquel se réfère le caput de cet article inclura l'étude de l'histoire de l'Afrique et des Africains, la lutte des noirs au Brésil, la culture noire brésilienne et le noir dans la formation de la société nationale, dégageant la contribution du peuple noir dans les domaines sociaux, économiques et politiques pertinents dans l'Histoire du Brésil.

§2° Les contenus se référant à l'Histoire et à la Culture Afro-Brésilienne seront administrés dans le cadre de tout le programme scolaire, en particulier les domaines d'Education Artistique et de Littérature et Histoire Brésiliennes.

§3° Veto

Art. 79-A Veto

Art. 79-B. Le calendrier scolaire inclura le 20 novembre comme « Jour National de la Conscience Noire ». »

Cette loi représente une avancée pour le mouvement noir dans sa lutte pour une remise en cause des schémas de pensée qui orientent l'action public, mais le texte ne prend tout son sens qu'à la lecture du décret d'application (« parecer ») émis par le Conseil National de l'Education s'y référant.

2. Le décret d'application, synthèse du combat du mouvement noir pour une autre vision des populations noires dans l'éducation

Le décret, qui établit des « Directives des Programmes Nationaux pour l'Education des Relations Ethnico-Raciales et pour l'Enseignement de l'Histoire et de la Culture Afro-Brésilienne et Africaine », permet de comprendre l'esprit de cette loi, au-delà du contenu formel. Les circonstances de sa rédaction sont en soi intéressantes pour une recherche d'indice de changements de référentiels d'action publique dans l'éducation. Il est en effet rédigé par Petronilha Gonçalves da Silva, première membre noire du Conseil National d'Education (CNE). Cet organisme appuie le ministère de l'éducation dans la définition de ses politiques. Nommée en mars 2002, elle y représente le mouvement noir, suite à une promesse du ministre l'éducation Paulo Renato de nommer un représentant des mouvements indien et noir dans ce conseil97(*). Il s'agit d'un exemple de la réussite du mouvement noir à intégrer l'appareil administratif d'Etat pour influencer les politiques publiques, qui traduit une évolution du référentiel global : les places accessibles aux Noirs dans la haute administration sont plus nombreuses.

Le décret est publié dans un livret, dont il est précisé qu'il doit être distribué dans toutes les écoles. Il débute par des présentations du Ministère de l'Education et de la SEPPIR, créée en mars 2003 par le Président Lula. Ces deux courts textes inscrivent la loi dans une perspective historique, celle de la sortie d'un « modèle de développement excluant », caractérisé par « une posture active et permissive face à la discrimination et le racisme », grâce à des « politiques affirmatives ». Matilde Ribeiro, ministre à la tête de la SEPPIR, précise que le gouvernement Lula a « replacé la question raciale dans l'agenda national », une prise de position très politique qui tait l'action du gouvernement précédent. Le plus intéressant reste que l'éducation y est définie comme « un des principaux et actifs mécanismes de transformation du peuple », ce qui donne une portée très large au texte.

Ce texte apparaît comme une synthèse de l'action du mouvement noir depuis le début des années 1980 : on y retrouve nombre d'éléments déjà évoqués dans cette partie. C'est pourquoi je reprendrai pour l'étudier la classification établie par Antonio Sergio Guimaraes entre politique de reconnaissance, d'identité, de citoyenneté et de redistribution. Il s'agit d'une reformulation dont le but est une meilleure compréhension d'un document assez touffu et plein de références. Sa lecture est un exercice difficile et certainement obscur pour qui n'est pas familiarisé avec ces discussions.

La demande de reconnaissance s'exprime particulièrement dans la critique du mythe de la démocratie raciale et d'une harmonie culturelle au Brésil. Contre cette vision dominante, le texte insiste sur « les relations tendues entre les Blancs et les Noirs », ou la cohabitation « tendue » entre les références esthétiques et culturelles noires et africaines et celles blanches et européennes. Cette sortie du mythe des trois cultures, fondatrices sur un pied d'égalité de la culture nationale, ainsi que les discriminations encore à l'oeuvre dans l'institution scolaire, justifient l'objectif que se fixe le texte : permettre la « rééducation des relations ethnico-raciales ». Cette rééducation est un but très ambitieux au vu du silence qui règne au Brésil sur cette question raciale. L'école n'est d'ailleurs pas considérée comme l'unique acteur dans ce combat qui concerne toute la société. La reconnaissance est au coeur d'un projet qui souhaite mettre en valeur l'apport des Noirs à la construction nationale, et prône l'élimination des stéréotypes, dans les domaines variées de la vie scolaire. Un tel projet a pour destinataire à la fois la société en général, pour faire évoluer ses représentations des populations d'origine africaine, et les Noirs eux-mêmes, pour restaurer leur estime de soi, et s'apparente à la politique culturelle développée par le mouvement noir depuis les années 1980.

Le second axe, l'identité, est aussi très présent dans ces directives. L'échec scolaire des étudiants noirs, analysé comme résultant de leur absence d'identification avec l'institution, peut être en partie résolu si les programmes scolaires tiennent compte de leurs racines et leur donnent les outils pour se penser positivement. Un changement des pratiques pédagogiques et du discours véhiculé par l'école doit permettre à l'étudiant de s'affirmer comme noir sans honte et de ne pas nier son identité, ce à quoi la domination du modèle esthétique blanc l'a souvent contraint. Chaque citoyen doit pouvoir affirmer ses racines sans crainte d'être discriminé, ce qui conduit directement à la troisième catégorie.

La revendication de citoyenneté apparaît d'abord à travers l'affirmation du lien entre la lutte contre les inégalités raciales à l'école et l'avènement d'une société démocratique. Le projet de l'approfondissement de la démocratie au Brésil ne peut être réalisé sans une réelle action contre les discriminations raciales. On retrouve là la volonté d'ancrer le discours autour de la question raciale dans le cadre national, très présent tout au long du document. La question noire concerne bien tous les Brésiliens, et pas seulement les Noirs, ou pas seulement l'école.

Les demandes de réparation et d'actions affirmatives, caractéristiques d'une politique de redistribution, traversent aussi tout le document. Elles visent à promouvoir une véritable stratégie d'inclusion, pour que ces mesures ne soient pas seulement d'ordre culturel. L'enjeu est bien celui d'une amélioration de la situation des Noirs. Pour cela, il faut « rompre avec le système méritocratique qui aggrave les inégalités » et permettre que « les établissements fréquentés majoritairement par la population noire, disposent d'installations et d`équipements solides, actualisés, avec des professeurs compétents ». La justice sociale, bien que liée à la reconnaissance culturelle, reste l'objectif fondamental du mouvement noir. Pour cela, le décret prône des mesures concrètes et exige une action commune à tous les niveaux de l'éducation, pas seulement limitée au professeur dans sa salle de classe. Il doit bénéficier du soutien de l'appareil administratif, grâce à l'appui du coordinateur pédagogique.

De manière transversale, au-delà de cette catégorisation, deux points majeurs sont à retenir du texte. Le premier est les destinataires à qui il est adressé et le but qui lui est assigné. Le décret doit être un outil pour toutes les personnes, étudiants, parents, professeurs ou « tous les citoyens engagés pour l'éducation des Brésiliens » qui souhaitent entrer dans un dialogue avec l'institution scolaire sur ce thème. Il doit donc être diffusé le plus amplement possible. Plus clairement, son caractère normatif en fait donc une arme dans la lutte contre les discriminations. Il est d'ailleurs précisé que les établissements doivent rechercher un dialogue au niveau local avec les représentants du mouvement noir. Le second est son caractère universel, dans la mesure où le document cherche en permanence à ne pas apparaître comme orienté vers un usage exclusif par la communauté noire. Au contraire, il précise bien que ces dispositions doivent valoir pour d'autres segments de la population, comme les indigènes, et qu'il ne s'agit en aucun cas de « changer une vision ethnocentrique notablement de racine européenne pour une autre africaine ». Malgré la forte influence du discours des sciences sociales sur le décret, à aucun endroit n'apparaît le terme de multiculturalisme, peut-être parce qu'il serait trop polémique. On retrouve certes dans ce texte une défense de l'identité noire, qui s'explique par la nécessité de lutter contre une vision hégémonique, mais aussi les marques d'un multiculturalisme de tendance critique, qui vise à permettre la déconstruction des catégories socialement produites.

Le document propose pour finir un catalogue de mesures impossibles à lister ici visant à permettre l'application concrète dans les écoles des principes qu'il défend. Il donne ainsi des pistes pour faciliter le traitement de cette thématique par les professeurs, même s'il insiste bien sur la nécessité de formation. On y découvre une certaine ambiguïté sur l'identité des Noirs au Brésil, qui correspond bien à la perspective non-essentialiste qui domine dans la partie du mouvement la plus en phase avec le discours des sciences sociales, présente dans les institutions. Les racines africaines sont évoquées, au même titre que les quilombos ou des aspects plus proches d'une identité transnationale. Le décret étant l'inspiration du programme « Sao Paulo : Educando pela diferença e para a igualdade», ces questions ayant trait à la complexité de l'identité feront l'objet d'une réflexion plus approfondie dans le troisième chapitre.

Le décret, qui établit les directives pour l'application de la loi 10.639, reprend des revendications dont la filiation remonte au début des années 1980, et plus loin encore si l'on se réfère à la place qu'occupait l'éducation dans le mouvement noir du début du XX° siècle. Obtenu suite à des pressions politiques, ce texte marque une inflexion dans la politique d'éducation de l'Etat brésilien. Par leur portée plus large, ces avancées peuvent même être considérées comme des indices d'un changement de référentiel sectoriel. Il convient toutefois de rester mesuré, en indiquant qu'elles illustrent une tendance qui pourrait s'amplifier. En l'état, on ne peut qu'en déduire la possibilité d'innover dans ce domaine, à contre-courant des représentations traditionnelles concernant les relations raciales, ce qui est déjà un changement notable.

Ce cas nous donne un exemple de la complexité de l'action publique, où des décisions contradictoires peuvent être prises au même moment, des processus opposés se développer simultanément. Cette multiplicité de l'action publique est aussi liée à la diversité des acteurs qui y participent : dans le cas de la loi 10.639 et plus généralement des innovations dans le secteur de l'éducation sur la thématique des relations raciales, il apparaît que la pénétration d'individus liés au réseau permet quelques avancées pour les idées du mouvement noir, comme dans le cas du Conseil National de l'Education.

La présence de militants ou de sympathisants des revendications du mouvement noir à des échelons élevés de l'administration peut être interprétée comme une conséquence de l'évolution du référentiel global modestement impulsée sous le mandat du Président Cardoso. Cette observation illustre l'imbrication entre les évolutions du référentiel global et sectoriel, qui reste une source d'interrogations à l'issue de cette enquête. On pourrait d'ailleurs envisager la possibilité d'un mouvement en sens inverse, une évolution du référentiel sectoriel qui influerait sur le référentiel global. Pour avancer dans cette direction et proposer des hypothèses, une étude de terrain fondée sur des entretiens avec ces individus pourrait se révéler d'un grand intérêt. Il est aussi déjà nécessaire de s'interroger sur la pérennité de tel changements, qui peuvent être soumis à des aléas politiques. Seule leur amplification au cours du temps pourrait indiquer une réelle altération du référentiel, puisqu'une évolution des représentations doit s'ancrer dans la durée.

Il faut dans l'immédiat s'interroger sur la traduction de cette nouvelle orientation dans les écoles, vu la diffusion de la vision traditionnelle sur les relations raciales. Ces évolutions au niveau national doivent donc être suivies dans leur application au niveau local. C'est l'objet du troisième chapitre, qui étudiera la mise en oeuvre de la loi 10.639 et du décret d'application par le Secrétariat d'Education de l'Etat de Sao Paulo.

*

76 RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p. 50

* 77 RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.51 (majuscules dans le texte original)

* 78 proposition de la sous-commission pour l'article 4 de la constitution, cité par RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p.54

* 79 article 242, §1, de la Constitution de la République Fédérale du Brésil, 1988

* 80 DAMATTA, Roberto, Relativizando: uma introdução à Antropologia Social, Rio de Janeiro : Vozes, 1981,

* 81 VEYRANT, Jean-François, L'esclavage en héritage, Paris : Karthala, 2003, p.28

* 82 GOIRAND, Camille, Démocratisation et mobilisation populaire à Rio de Janeiro, thèse de doctorat, Institut d'Etudes politiques de Paris, 1997

* 83 RODRIGUES Tatiane, Movimento negro, op.cit,. p. 65

* 84 article 26 de la LDB

* 85 VEYRANT, Jean François, L'esclavage, op.cit.

* 86 Extrait d'une tribune publiée dans la Folha de Sao Paulo, 19/11/95

* 87 DA SILVA Benedita, BENJAMIN, Medea, MENDONCA, Maisa, Benedita Da Silva : an Afro-Brazilian woman's story of politics ando love, Oakland : Institute for food and development policy, 1997

*

88 Extrait du discours du Président Fernando Henrique Cardoso lors de la réunion de travail avec les représentants de la Marche Zumbi contre le racisme, pour l'égalité et pour la vie ; disponible sur www.ifhc.org.br (institut Fernando Henrique Cardoso)

* 89 ROSEMBERG, Fulvia, BAZILLI Chirley, BAPTISTA DA SILVA, Paulo, Racismo em livros didacticos e seu combate : uma revisao da literatura, in Educaçao e pesquisa, vol.29, n°1, 2003

* 90 DA SILVA, Erlinda Cristiane, MOUTINHO Laura, « Raça no discurso educacional, uma analise do tema transversal « pluralidade cultural », communication au Congrès luso-brésilien de sciences sociales, 2004

* 91 GONÇALVES, Luiz Alberto Oliveira; SILVA, Petronilha B. G. e. O Jogo das Diferenças; o multiculturalismo e seus contextos, Belo Horizonte : Autêntica, 2001

* 92 CANEN, Ana, Educaçao multicultural, op. cit., p.138

* 93 formulation retenue par les municipalités de Porto Alegre (loi 6.889 du 5 septembre 1991) et de Belem (loi 7.685 du 17 janvier 1994, citée par DOS SANTOS, Sales Augusto, « A lei 10.639 como fruta da luta anti-racista do movimento negro », in Educaçao antiracista : caminhos abertos pela lei federal n°10.639, Ediçoes MEC/BID/UNESCO, Brasilia, 2005, p. 29

* 94 DIAS, Lucimar Rosa, Quantos passos jà foram dados ? A questao da raça nas leis educacionais. Da LDB de 1961 à lei 10.639, Espaço Academico, n°38, juin 2004

* 95 Movimento negro cobra goberno Lula, article de la Folha de Sao Paulo, 07/01/2003

* 96 DIAS, Lucimar Rosa, Quantos passos..., op. cit.

* 97 Folha de Sao Paulo, 25/03/2002

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