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Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil

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par Antoine Maillet
IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006
  

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Cherchant à articuler au mieux les deux dimensions de cette recherche, dont le conflit de représentations est l'élément central, le mémoire est divisé en trois chapitres. Le premier retrace la formation de la question raciale au Brésil depuis le XIX° siècle, à travers une étude de l'évolution des représentations et de l'action publique sur cette question, tout en prêtant attention au positionnement du mouvement noir au cours de la période, jusqu'aux années 1980, dans le but de cerner les origines du conflit de représentations.

Dans le deuxième chapitre, on poursuit cette exploration historique, de la transition démocratique à la promulgation de la loi 10.639 en 2003. Un intérêt particulier est attaché aux modalités et surtout au sens de l'engagement du mouvement noir sur la question scolaire, et à la réception rencontrée par ses propositions. Ces observations nourrissent une discussion de la possibilité d'évoquer un changement de référentiel dans le secteur de l'éducation.

Enfin, le troisième chapitre propose de suivre la mise en oeuvre de la loi 10.639 dans l'état de Sao Paulo à travers le programme « Sao Paulo : Educando pela diferença e para a igualdade ». Cela amènera à s'interroger sur les conditions de passage d'une revendication d'un champ à un autre, en l'occurrence du champ politique au champ administratif, et à l'évolution des contraintes pesant sur les acteurs. On y analysera les sessions de formation du programme comme un espace micro-politique où s'incarne le conflit de représentations.

Chapitre I : La formation d'une question raciale au Brésil : évolution des représentations et de l'action publique au cours du XX° siècle (1900-1980)

Ce chapitre a pour but d'explorer le traitement de la situation raciale au Brésil de la fin du XIX° siècle au début des années 1980, lorsque commence la période de la redémocratisation du régime. Il est fondamental de prendre en compte cet héritage historique pour comprendre les enjeux soulevés par la loi 10.639. Comment en effet mesurer la rupture apportée par cette loi, tant pour le mouvement noir que pour l'Etat brésilien, sans connaître l'histoire qu'elle vient poursuivre ?

Bien que ce mémoire porte essentiellement sur les représentations, il convient de fixer quelques points de repère sur les relations raciales « réelles », telles que permet de les saisir la perspective historique. La traite des esclaves a entraîné la déportation vers le Brésil de plus de trois millions et demi d'Africains. Après l'abolition de l'esclavage, présentée par l'historiographie officielle comme un geste humanitaire de la princesse Isabelle, les Noirs ont été abandonnés à leur sort, rapidement remplacés sur le marché du travail par les populations émigrées, dont les grands propriétaires considéraient la qualité du travail meilleure. Ils se sont donc retrouvés dans leur grande majorité marginalisés du reste de la population, sans possibilité d'ascension sociale, et souffrant d'une discrimination qui les a maintenus dans cette position subalterne malgré les évolutions de la société brésilienne18(*).

Ce chapitre articule une présentation de l'évolution des représentations des relations raciales par les milieux intellectuels à une réflexion sur la traduction de ces conceptions dans la formulation de politiques publiques. Il s'agit donc, sur un temps assez long, de lier les modifications des représentations aux changements dans l'action publique, dans la perspective de l'analyse cognitive des politiques publiques. Selon ce courant, les représentations des acteurs sont fondamentales tant dans la définition des politiques publiques que dans leur mise en oeuvre. L'éloignement du sujet n'autorise toutefois pas le recours au concept de référentiel, car l'on risquerait l'anachronisme.

Les liens entre ces deux histoires ne sont ni spontanés, ni facilement identifiables. Au contraire, elles sont parfois en décalage, parfois contraires, mais souvent en viennent à se croiser. Cette question éminemment politique est aussi conflictuelle : les évolutions dans l'action publique résultant plus sûrement de pressions que de la bonne volonté des gouvernants, le parcours du mouvement noir durant cette période doit aussi être discuté. En effet, les variations de son positionnement et donc de son action dans le champ politique, jusqu'aux prémisses d'une politique culturelle, jouent un rôle important dans l'évolution des représentations, notamment celles qui vont guider l'action publique de Getulio Vargas.

Pour ne pas perdre le développement concomitant de ces trois trajectoires, il a été choisi de les présenter ensemble, de manière chronologique, en deux moments séparés par 1945. Cette date marque une rupture politique, avec la fin de l'Estado Novo, le gouvernement de Getulio Vargas. La discussion académique autour des relations raciales est aussi à un tournant, puisqu'elle va se faire critique puis dénonciatrice du mythe de la démocratie raciale, parcours suivi également par le mouvement noir. Je traiterai donc simultanément, en deux séquences, de l'interprétation de la situation du Brésil en termes raciaux, du traitement de la question raciale dans l'action publique et du positionnement du mouvement noir dans ce contexte.

I. Du racisme scientifique au mythe de la démocratie raciale (1900-1945)

La réflexion sur le dilemme national brésilien et la question raciale connaît une inflexion décisive au cours de cette période, avec l'élaboration de l'idéologie de la démocratie raciale. Celle-ci diffuse une vision homogène de la société brésilienne, où les conflits raciaux n'ont pas lieu d'être, qui occupe une place centrale dans les représentations du sens commun jusqu'à aujourd'hui. Cette évolution ne se reflète cependant pas dans les politiques publiques. Le mouvement noir se retrouve lui prisonnier de cette formulation et plus généralement de son nationalisme, qui limite la possibilité de penser des revendications spécifiques.

A. L'interprétation de la situation raciale au Brésil au début du XX° siècle : de la haine du métissage à sa célébration par la démocratie raciale

La vie intellectuelle dans la première partie du XX° siècle au Brésil se caractérise par une réflexion approfondie sur l'identité nationale. Une transition s'opère du rêve d'être européen, ambition des élites depuis la colonisation, vers la volonté de former une nation spécifique, dont le trait particulier serait le métissage.

1. Le dilemme national : former une nation blanche malgré la présence africaine

La question raciale est centrale dans la formation de l'identité nationale brésilienne. On touche en fait à un véritable problème national brésilien, qui comprend deux versants : la perception du Brésil comme un pays en retard, à moderniser, et le caractère non-achevé de son processus national, les populations ne se reconnaissant pas d'une nationalité brésilienne19(*). Une grande partie de la bourgeoisie blanche considère le facteur racial, le « problème noir », comme fondamental dans ces difficultés. En l'absence de sciences sociales, ceux qui s'attellent à résoudre ce problème sont les « hommes de sciences », qui se trouvent dans les facultés de médecine, à Rio et Bahia, ou en faculté de droit, comme à Sao Paulo. De nombreux auteurs, issus de ces milieux scientifiques, ou des intellectuels, souvent des écrivains, des journalistes, des essayistes, proposent leur interprétation de la situation raciale au Brésil.

Le racisme scientifique, doctrine pseudo-scientifique développée à partir de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (1853) du comte de Gobineau20(*), imprègne alors le mode de pensée de l'époque dans tout le monde occidental. Il présente une classification des races humaines dominée par la race aryenne21(*) et se caractérise aussi par une exécration du métissage, partagée par la majorité des intellectuels brésiliens au tournant du siècle. Ces idées sont populaires auprès de cette élite qui se veut européenne, pour qui la présence d'une population venue d'Afrique est insupportable.

Le mélange de races très diverses est, dans la majorité des cas, préjudiciable. Devant les conclusions de l'évolutionisme, même quand intervient sur le produit l'apport d'une race supérieure, se font surtout remarquer les vifs stigmates de l'inférieur. Le métissage extrême est un recul. L'indo-européen, le noir et le basilo-guarani ou tupi expriment des stades évolutifs qui se côtoient, et le croisement, en oblitérant les qualités prééminentes du premier, est un stimulant à survivance des attributs primitifs des seconds. (...) Et le métis, moins qu'un intermédiaire, est un échec (decaido), sans l'énergie physique des ascendants sauvages, sans l'altitude intellectuelle des ancêtres supérieurs. »22(*)

Cet extrait du livre Os Sertoes (1902), de Euclides da Cunha, essayiste, est emblématique de l'attitude intellectuelle de la bourgeoisie. Pourtant, cette représentation va évoluer assez rapidement, peut-être parce qu'il s'agissait d'une position intenable au vu de la composition de la population du pays. Des écrits moins défavorables au métissage apparaissent, alors que se forme l'idée d'un nécessaire « blanchiment de la population », qui passerait justement par le mélange. Il ne s'agit néanmoins pas d'exalter un Brésil métis. Le métissage a pour but le retour à une population entièrement blanche, dont l'élément noir, jugé néfaste, aurait entièrement disparu. Des théories qui peuvent nous sembler aujourd'hui farfelues présentent comme certaine la disparition de la composante africaine de la population brésilienne en moins d'un siècle23(*). Chargés de mépris pour la « race noire », ces discours vont être au fondement de politiques publiques discriminatoires étudiées plus loin. Ils contredisent la représentation populaire populaire, très présente dans le Brésil contemporain, d'une démocratie raciale à l'oeuvre dès l'abolition, et démontrent que le racisme n'est pas un élément étranger au Brésil, même s'il y prend la forme particulière de l'aspiration au blanchiment.

C'est dans ce contexte que Gilberto Freyre révolutionne la représentation du Brésil par lui-même, donnant à voir aux Brésiliens et au monde l'image d'une nation fondée sur les relations harmonieuses entre les races. Il est à noter que l'oeuvre de Freyre constitue en quelque sorte une synthèse de discussions en cours depuis les années 1910 pour sortir de cette situation inextricable liée à l'obsession du blanchiment24(*). Ses positions sont certes l'objet de débat, mais il ne s'élève pas seul face à une foule de penseurs liés au racisme scientifique.

* 18 ANDREWS, George, Blacks and Whites in Sao Paulo, Brazil : 1888-1988, Madison, Winsconcin : University of Wisconcin Press, 1991

* 19 SCHWARCZ, Lilia, O espetaculo das raças : cientistas, instituçoes e questao racial no Brasil 1870-1930, Sao Paulo : Companhia das Letras, 1993 ; p.19

* 20 GOBINEAU, Arthur de, Essai sur l'inégalité des races humaines, Paris : Belfont, 1967. Théoricien du racisme scientifique, il fut ambassadeur de France au Brésil en 1869-70

* 21 Faut-il préciser que ces théories sont aujourd'hui totalement discréditées d'un point de vue scientifique ?

* 22 DA CUNHA, Euclydes, Os sertoes, 3ème édition, Sao Paulo : Cultrix, 1982

* 23 LACERDA, Joao Baptista, Sur les métis au Brésil, Congrès Universel des races, Paris, 1911

* 24 DE MELO GOMES, Tiago, Problemas no paraiso : a democracia racial brasileira frente à imigraçao afro-americana, Estudos Afro-Asiaticos, n°2, 2003

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius