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Du débat politique à la salle de classe : Etude du conflit de représentations autour de la question raciale au Brésil

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par Antoine Maillet
IEP Paris - Master de Recherche Sociétes et Politiques Comparées 2006
  

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Chapitre II : l'émergence des revendications du mouvement noir dans le champ politique dans la démocratie retrouvée (1980-2000)

Sur l'axe déjà évoqué permettant de définir le positionnement du mouvement noir entre l'assimilationisme et le particularisme, les revendications se sont progressivement déplacées vers le second pôle. Le mouvement noir porte cette demande de reconnaissance dans le champ politique, à la faveur du processus de transition démocratique à l'oeuvre dans le Brésil des années 1980. Il y rencontre de grandes difficultés à faire valoir sa position critique de la démocratie raciale, encore retenue par la classe politique comme un fondement de l'identité nationale. Son action, et le traitement qu'elle reçoit, suivent la trame de la transition démocratique, puis du redéploiement de l'Etat selon le modèle néolibéral, qui rend nécessaire la recherche d'autres sources de légitimité pour les gouvernants. La pression du mouvement dans ce contexte va lui ouvrir finalement quelques opportunités et permettre quelques avancées dans sa demande de reconnaissance, exprimée particulièrement dans le domaine de l'éducation.

Ce deuxième chapitre ne suit pas le modèle tracé dans le précédent, même si l'ambition reste fondamentalement la même : s'interroger sur le rapport entre les représentations du discours dominant sur les relations raciales qui inspirent les politiques publiques et les revendications du mouvement noir, c'est à dire sur le conflit de représentations au coeur de la politique culturelle du mouvement noir. Il sera abordé dans un premier temps la maturation des revendications du mouvement noir et la place centrale accordée à l'éducation dans celles-ci. La seconde partie s'attachera à retracer le parcours de ces revendications dans le champ politique depuis le débat autour de la nouvelle Constitution, promulguée en 1988, au vote de la loi 10.639, qui donne satisfaction en 2003 à la demande récurrente d'une obligation de l'enseignement de l'histoire des Afro-Brésiliens à l'école. La réception de ces demandes est lente et résulte d'un processus conflictuel. Le succès est obtenu grâce à l'ouverture de canaux de dialogue entre l'Etat et le mouvement noir, sous la pression de ce dernier.

I. La formation d'une revendication sur l'éducation au sein du mouvement noir

Le mouvement noir réalise dans les années 1980 la synthèse d'un discours politique plus radical et marqué à gauche, de la dénonciation scientifique du racisme et du travail culturel effectué par des groupes plus éloignés du champ politique, qui, par un retour aux racines africaines, ont fortifié l'identité de nombreux militants. Le MNU est une incarnation de cette synthèse mais ne saurait la résumer, car le mouvement noir déborde du cadre des partis, en grande partie à cause de son caractère informel. Dans la critique de la démocratie raciale et la réélaboration de l'identité nationale qu'il propose, l'éducation est d'une importance fondamentale, puisqu'elle est le lieu par excellence où se forment les représentations de la nation, donc où elles peuvent évoluer.

A. Un réseau en gestation

Bien que son ambition soit de représenter le mouvement noir en son entier, le MNU n'en reste qu'une des tendances les plus radicales. Des militants plus modérés, qui souhaitent participer tout autant que peser sur l'action publique font le choix d'un engagement partisan au sein d'un système de partis en pleine recomposition, dans la période de libéralisation du régime, au cours des années 1980.

1. L'action politique du MNU

Le MNU constitue une rupture par rapport aux organisations traditionnelles du mouvement noir et aux domaines dans lesquels ils agissaient. Dans ce mouvement noir au sens large, les principales institutions exerçaient leur influence dans le domaine culturel, comme les écoles de samba par exemple. Le MNU effectue une synthèse entre le réveil identitaire qui alimente l'identité culturelle, de plus en plus légitime, et une action plus spécifiquement politique, pour combattre les discriminations, le tout dans un contexte de crise de l'identité nationale brésilienne. Cette synthèse est qualifiée par Michael Hanchard de « troisième voie », choisie par l'aile la plus politique du mouvement noir62(*). L'expression rend compte de la volonté de mener de front une lutte sur les questions de classe et de race, sans privilégier les premières sur les secondes, de fait plutôt à l'inverse. La formation marxiste, parfois trotskiste, des fondateurs du MNU, est une influence de poids, mais ces militants sont à la recherche des voies pour l'accommoder à leur sensibilité culturelle. Surtout, ils ont conscience de la faillite du discours progressiste en ce qui concerne l'amélioration des conditions de vie des populations noires et des profondes inégalités que le mythe de la démocratie raciale ne peut cacher.

La naissance de cette organisation politique a lieu dans le cadre de la lutte contre les discriminations. Elle intervient à la suite de l'assassinat par la police de Sao Paulo d'un chauffeur de taxi noir en avril 1978. Des militants de Sao Paulo et Rio créent le Mouvement noir unifié contre la Discrimination raciale (MNUCDR), dont le nom est rapidement réduit au sigle déjà connu. Le MNU agit dans le contexte de l'effervescence de mouvements sociaux des deux plus grandes villes brésiliennes. Dans leur première manifestation publique, réalisée sur les marches du théâtre municipal de Sao Paulo, les militants proclament :

« Le Mouvement noir contre la discrimination raciale a été créé comme un instrument fondamental de la lute pour la communauté noire. Ce mouvement doit avoir comme principes fondamentaux de dénoncer en permanence tous les actes de discrimination raciale, l'organisation constante de la communauté dans le but d'affronter tout type de racisme. »63(*)

Cet extrait permet de mieux saisir l'articulation faite par ce mouvement entre une formation et une rhétorique marxiste, dans laquelle la lutte sociale est fondamentale, et la référence à la communauté, pour laquelle ils doivent lutter. Leur allégeance va donc prioritairement à une identité partagée plus qu'à une classe.

Le MNU souhaite s'établir lors de sa création comme une sorte de fédération, qui regrouperait les demandes des autres organisations noires pour les formuler en termes politiques. Cependant, il ne parvient pas à s'imposer dans ce champ très concurrentiel, ni à peser sur les grandes batailles politiques. Il marque surtout l'époque par sa capacité à attirer l'attention des médias au cours de manifestations spectaculaires, qui donnent une visibilité, à défaut de légitimité, à la critique de la démocratie raciale. L'organisation continue à exister sans peser d'un grand poids.

Il échoue en partie en cela à cause des affiliations multiples de ses membres, qui combinent leur engagement selon le critère racial avec des combats au sein d'organisations politiques ou syndicales auxquelles ils dédient finalement plus de temps. C'est à l'image de la difficulté de formuler des demandes politiques fondées sur une distinction raciale au Brésil : les opportunités sont assez faibles. Le travail de conscientisation en direction des Noirs brésiliens est assez difficile, car beaucoup de Noirs eux-mêmes n'en reconnaissent pas la légitimité, les métis manifestant en général une grande réticence à s'identifier comme noir64(*). Face à ces difficultés, pour parvenir à faire entendre leurs revendications, certains militants choisissent une voie originale : militer au sein d'organisations agissant sans référence à la question raciale.

2. La dissémination dans les partis

Beaucoup d'activistes présents lors de la fondation du MNU participent aussi de la création du Parti des Travailleurs (PT), nouvelle force politique au Brésil au début des années 1980, confluant entre les mouvements sociaux et la politique partisane. Ils souhaitent influencer la ligne du parti pour qu'il prenne en compte la thématique de la discrimination raciale, ce qui, même à gauche, suscite majoritairement de la réticence : le thème est souvent considéré comme illégitime, au mieux loin d'être prioritaire. C'est ainsi qu'un noyau afro-brésilien est créé dans le Parti des Travailleurs, puis au sein du PDT (Parti Démocratique des Travailleurs). Dans les autres partis, comme le PMDB (Parti du Mouvement Démocratique Brésilien), principal parti d'opposition durant les années 1980, des militants noirs expriment leur sensibilité propre sans toujours fonder de tels groupes. Le mouvement politique noir, un réseau, fonctionne en fait de manière assez informelle. Cela est certainement dû en grande partie à l'irrecevabilité de la critique de la discrimination raciale. Pour la majorité de la société brésilienne, et plus spécialement encore pour la majorité de la classe politique, il s'agit d'une vision illégitime voire dangereuse du pays, d'abord car elle s'oppose à la tradition réaffirmée de la démocratie raciale, ensuite car elle pourrait diviser le pays selon des lignes de fracture qui selon eux n'existent pas. Le problème pour ces militants noirs, quelle que soit leur formation d'origine, est d'abord de faire accepter la singularité de leurs revendications65(*). Le conflit de représentations dans lequel ils s'investissent est difficile à mener, car leur position est très minoritaire. Ils sont confrontés à l'enracinement de la croyance en l'absence d'inégalités raciales et au maintien diffus, sous couvert du discours sur la démocratie raciale, d'un préjugé contre les éléments d'origine africaine dans la culture et la population brésilienne. Ces idées sont centrales dans la définition des politiques publiques, et peuvent être considérées comme le référentiel global qui l'inspire.

Les revendications de ces militants, issus de formations diverses mais réunis par le combat contre le racisme, peuvent être classées en quatre domaines, d'après Antonio Sergio Guimaraes : - politique de reconnaissance, c'est à dire l'affirmation de l'existence de différences raciales et culturelles dans la société brésilienne, et du rôle des afro-brésiliens dans la construction nationale 

- politique d'identité, avec pour objectif la croissance du nombre de personnes se reconnaissant d'une identité spécifique noire, élargissant ainsi par conséquent la base de ses soutiens ; ces deux éléments correspondent à une politique culturelle, dans le sens où ils sont à l'origine d'un conflit de représentation

- politique de citoyenneté, soit le combat contre les discriminations raciales et l'affirmation des droits civiques des noirs

- politique de redistribution, sous forme de mécanisme d'action affirmative66(*) dans une logique de réparation67(*)

Ces quatre axes de revendication ne sont pas excluants les uns des autres. Ils correspondent à différents aspects du travail politique d'un mouvement noir qui ne dispose pas d'une base électorale stable et se voit obligé de rentrer dans une logique de pression sur les gouvernants. Ils recouvrent des demandes symboliques et d'autres plus substantielles, recevant des réponses plus ou moins favorables.

Parmi ces réponses figure, dès 1984, la mise en place par l'Etat de Sao Paulo d'un Conseil de la Participation et du Développement de la Communauté Noire (« Conselho de Participaçao e desenvolvimento da Comunidade Negra »), autant en réponse aux pressions du mouvement qu'en récompense pour le soutien apporté au candidat vainqueur de l'élection pour le poste de gouverneur en 1983, Francisco Montoro. Ce conseil, dominé par des membres du PMDB, parti dont le gouverneur de l'Etat est membre, servira de modèle à la mise en place d'institutions similaires dans d'autres villes du pays68(*). Il a pour but de réaliser des études sur les conditions de vie des noirs, la lutte contre les discriminations, et la proposition de solutions par la communauté noire qu'il est censé réunir et représenter. Il est pourtant objet de polémiques qui reflètent la diversité du mouvement noir. Ceux qui en défendent l'existence sont accusés d'être cooptés, et supposés perdre leur radicalité. A ces attaques, ses partisans opposent la possibilité d'agir au sein même de l'Etat, donc plus efficacement69(*). Ce débat difficile à trancher traverse tout le mouvement noir, comme les autres mouvements sociaux.

Cette création démontre en tous cas l'importance prise par ce mouvement dans la politique locale, même si elle ne résulte pas en des changements de politique publique profonds. La lutte contre les discriminations ne devient pas un thème transversal, comme le souhaiterait le mouvement noir, mais reste cantonnée à un statut de politique spécifique. On peut donc difficilement parler d'altération du référentiel d'action publique, puisque cette ouverture vient se superposer à des politiques guidées par les idées traditionnelles au Brésil sur les relations raciales.

La fondation du conseil intervient au même moment que celle d'autres organes du même type, orientés vers d'autres groupes, par exemple pour répondre à la mobilisation féministe. L'analogie laisse à penser que le mouvement suit un parcours similaire à d'autres mouvements sociaux, très étudiés sur la période de redémocratisation, entrant dans une phase que Ruth Cardoso décrit comme celle de l'institutionnalisation70(*). Cette stratégie est employée par le mouvement noir, à la recherche de canaux de dialogue avec la puissance publique depuis la seconde moitié des années 1980 jusqu'à aujourd'hui. Plus concertée, elle complète la stratégie de confrontation dans le champ politique, avec le début de la pénétration de militant du mouvement noir au sein de l'appareil administratif. Cette expansion du réseau marque un premier passage du champ strictement politique à celui de l'action publique, où les contraintes sont différentes, et une réussite pour la politique culturelle, qui a permis de faire évoluer les représentations.

Cette stratégie a connu des résultats positifs, même si l'idéologie de la démocratie raciale reste dominante dans les représentations, ce qui affaiblit la légitimité de demandes formulées selon une logique politique de la reconnaissance et de l'identité, dans laquelle l'éducation occupe une place fondamentale.

* 62 HANCHARD, Michael, Orpheus and power, op.cit., p. 124

* 63 extrait du Manifeste lu sur les marches du théâtre municipal le 7 juillet 1978, cité par Michael Hanchard in Orpheus and power, op.cit., p. 125

* 64 BURDICK, John, The lost constituency of Brazil's Black movements, Latin American Perspectives, n°98, 1998, p.137

* 65 ALVES DOS SANTOS, Ivair Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, Campinas : UNICAMP, 2001

* 66 traduction de l'expression brésilienne « açao afirmativa », elle-même traduite de l'aglais « affirmative action ». On préférera ces termes à ceux de « discrimination positive », qui véhiculent une connotation péjorative

* 67 GUIMARAES, Antonio Sergio, Politica de integraçao e politica de identidade, Classes, raças e democracia, Sao Paulo : Editora 34, 2002, p. 105

* 68 HANCHARD, Michael, Orpheus and power, op.cit., p. 133

* 69 ALVES DOS SANTOS, Ivair Augusto, O movimento negro e o estado, dissertation de mestrado, 2001, Campinas : UNICAMP, p. 105

* 70 CARDOSO, Ruth, La trayectoria de los movimientos sociales en Brasil, Sintesis, n°23, 1995, p. 102

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera