UNIVERSITE LAVAL
DRT-67172 LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES
AUTOMNE 2008
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L'investissement socialement responsable
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Investissement socialement responsable et devoirs
fiduciaires
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Diane SERRES et Anna CLUZEAU
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Vendredi 5 décembre 2008
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Dossier remis à Madame Raymonde Crête
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TABLE DES MATIERES
Introduction
3
I. L'étendue des devoirs fiduciaires dans le cadre de
l'ISR
4
A. Le contenu des fiduciary duties au regard de
l'investissement socialement responsable
4
B. L'intégration des fiduciary duties en droit
civil
6
II. La mise en oeuvre de la responsabilité des
gestionnaires
9
A. Le contrôle du rôle des gestionnaires
9
B. Une responsabilité partagée avec les agences de
notation
12
Conclusion
14
Bibliographie
15
Introduction
La responsabilité sociale à l'égard des
parties prenantes peut être mise en oeuvre de différentes
manières. L'une d'entre elles est l'Investissement Socialement
Responsable (ISR), qui consiste à ne plus prendre en compte les seuls
critères économiques pour décider d'investir dans un
titre, mais à élargir à des critères dits
"responsables": sociaux, environnementaux, et de bonne gouvernance.
Il existe plusieurs approches permettant de déterminer
si un fonds répond aux critères de l'ISR ou non. Parmi elles, on
peut notamment relever l'approche best in class, qui consiste à
considérer toutes les entreprises du marché, et à choisir
les plus responsables. Avec cette approche, aucun secteur n'est exclu, pas
même le secteur des constructeurs automobiles ou de l'industrie
pétrolière, mais les choix d'ISR se dirigent vers les firmes les
plus responsables de ces secteurs. Une autre approche, celle du best
effort, beaucoup plus activiste, ne sélectionne que les firmes
démontrant un réel effort d'adaptation à ces nouveaux
critères. Cette dernière approche permet d'encourager le
marché dans sa globalité à adopter de nouveaux
comportements, et à répondre au souci nouveau des investisseurs
de s'inscrire dans une démarche plus durable. L'engouement récent
pour l'ISR trouve son origine dans l'impact grandissant de l'application de
cette méthode.
Face à la véritable explosion du marché
de l'ISR ces dernières années, la question se pose de savoir si
l'investissement socialement responsable est compatible avec les devoirs
fiduciaires des gestionnaires de portefeuille. En effet, ces derniers sont
tenus de respecter certaines normes de conduite, dont la violation
entraîne la mise en jeu de leur responsabilité.
À travers une analyse économique du droit, et
une perspective de droit comparé sur certains points, nous tenterons
d'apporter des éléments de réponse à cette
problématique. Après avoir étudié l'étendue
des devoirs fiduciaires dans le contexte de l'ISR, nous nous attarderons sur la
mise en oeuvre de la responsabilité des gestionnaires.
I.
L'étendue des devoirs fiduciaires dans le cadre de l'ISR
Les gestionnaires de portefeuille doivent respecter plusieurs
règles créées tout d'abord en common law, et qui
ont été ensuite appliquées dans les pays de droit civil.
Il convient d'étudier ces règles pour analyser leur rôle
dans le cadre de l'investissement socialement responsable.
A. Le contenu des fiduciary duties au regard
de l'investissement socialement responsable
Les devoirs fiduciaires, ou fiduciary duties, sont
des règles de comportement des gestionnaires de portefeuille
élaborées par la common law. Ils se traduisent sous
différentes appellations dans les pays de droit civil.
Ils désignent de façon générale
les devoirs d'une personne qui exerce un pouvoir discrétionnaire sur les
intérêts d'une autre personne dans des circonstances d'une
relation de confiance. Ils représentent les limites au pouvoir
discrétionnaire des gestionnaires dans les décisions
d'investissement1(*). Parmi
ces devoirs fiduciaires, on retrouve des notions connexes, comme le devoir de
loyauté ou d'agir avec prudence2(*). Le devoir d'agir avec prudence est une notion
très importante qui a été développée par les
travaux de l'OCDE3(*), qui
la définissent comme suit :
A fiduciary must discharge his or her duties with the care,
skill, prudence and diligence that a prudent person acting in a like capacity
would use in the conduct of an enterprise of like character and aims4(*).
Cette norme doit donc être appréciée dans
le comportement des gestionnaires, c'est-à-dire lorsqu'ils vont
définir une stratégie d'investissement, la mettre en pratique,
gérer les risques. Cette notion pourrait se traduire par la notion de
« diligence5(*) » ou de « diligence
raisonnable6(*) ».
Il est évident qu'aucun investissement est imprudent per se.
L'imprudence sera traduite par la façon dont le gestionnaire a pris ses
décisions7(*), et non
par le résultat des investissements. En effet, il est possible pour le
gestionnaire de prendre des décisions prudentes en accord avec ses
devoirs fiduciaires sans que le résultat soit positif,
c'est-à-dire que l'investissement soit rentable.
Le devoir de loyauté est le corollaire du devoir de
prudence. En effet, la prudence ne peut être appréciée
qu'au regard du devoir de loyauté du gestionnaire envers l'investisseur.
L'OCDE définit le comportement que doit adopter le gestionnaire au
regard de son devoir de loyauté :
The duty of loyalty requires trustees to administer the trust,
pension plan or fund solely in the interest of the plan members, often
expressed in terms of their «best», «sole», or
«exclusive» interest8(*).
Nous pouvons donc en déduire que les devoirs
fiduciaires ont pour but d'éviter les conflits d'intérêts
des gestionnaires de portefeuille9(*). En effet, le gestionnaire devra agir dans
l'intérêt de son client et dans son seul intérêt.
Cela nous amène à considérer un autre
aspect des fiduciary duties. Il s'agit du devoir pour le gestionnaire
d'agir dans le cadre du mandat qui lui a été confié. En
effet, ses devoirs varieront selon son mandat10(*). Cette obligation est intimement liée aux
précédentes dans la mesure où le contenu des devoirs de
loyauté et de prudence s'adaptera au mandat dont est titulaire le
gestionnaire.
Dans le cadre de l'investissement socialement responsable,
plusieurs situations peuvent voir le jour. D'une part, l'investisseur peut
inclure une volonté d'investissement responsable dans le mandat
donné au gestionnaire. Le gestionnaire devra alors agir
conformément au mandat, dans la volonté de l'investisseur.
D'autre part, la situation sera plus délicate dans le cas où
aucun objectif d'investissement responsable n'a été
définit dans le mandat. Nous pouvons alors nous interroger sur le
contenu des devoirs fiduciaires du gestionnaire concernant l'investissement
responsable.
Il faut noter qu'un autre principe est associé aux
fiduciary duties. Il s'agit du principe de diversification du
portefeuille11(*) :
This principle requires that the investment portfolio of a
pension fund be suitably diversified. It requires both diversification among
appropriate asset classes and within each asset classification in order to
avoid the unwarranted concentration of investment and the associated
accumulation of risk in the portfolio12(*).
A partir de ces définitions, nous pouvons affirmer que
l'investissement responsable ne pourra pas engager la responsabilité du
gestionnaire de portefeuille. En effet, le gestionnaire qui a pris une
décision d'investissement responsable au regard d'une évaluation
des risques, et qui respecte le principe de diversification, respecte les
fiduciary duties, puisqu'ils n'ont pas pour fondement la
rentabilité des investissements choisis et mis en oeuvre par le
gestionnaire.
Il convient toutefois d'étudier l'application de ces
principes dans le cadre du droit civil.
B. L'intégration des fiduciary
duties en droit civil
Peu à peu, les pays de tradition civiliste ont
intégré le concept de fiduciary duties dans leurs
legislations. Toutefois, les devoirs fiduciaires ne portent pas le même
nom partout et ne revêtent pas tous les mêmes obligations. Ainsi en
droit français, le Code Civil parle seulement de mandat :
Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne
donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et
en son nom.13(*)
Par ailleurs, la fiducie, introduite récemment (loi du
19 février 2007), n'est une possibilité ouverte qu'aux personnes
morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les
sociétés14(*).
Au Québec, on retrouve les dispositions concernant les
gestionnaires de portefeuille dans le Code civil du Québec
(compétence provinciale). Les devoirs fiduciaires se retrouvent dans la
gestion de portefeuilles, dans la gestion d'actifs dans le cadre de
régimes de retraite, mais aussi et avant tout dans la structure de la
fiducie. L'étendue de la fiducie est définie par l'article 1278
du Code civil :
Le fiduciaire a la maîtrise et l'administration
exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le
composent sont établis à son nom; il exerce tous les droits
afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en
assurer l'affectation.15(*)
Le fiduciaire se voit donc investi de larges pouvoirs, qui se
trouvent compensés par certains devoirs, et notamment l'arrêt
Montréal Trust Co. / Kiervanteed-Raymond rappelle que :
Le devoir premier des fiduciaires est d'investir l'argent de
la fiducie conformément aux volontés du disposant telles
qu'exprimées à l'acte. À défaut de telles
volontés, les fiduciaires doivent se référer aux
dispositions des articles 1339 et 1340 du Code civil du Québec.16(*)
On voit ici l'importance de la volonté des parties,
puisque l'acte prévaut sur les dispositions supplétives de la
loi. En effet les articles 1339 et 1340 du Code Civil ne sont pas d'ordre
public, ils ne s'appliquent qu'en l'absence de stipulations
contractuelles17(*). Le
contrat établissant la fiducie est donc la source première
d'obligations pour le fiduciaire, puisqu'il devra s'y conformer, notamment en
ce qui concerne le niveau de risque ou le rendement des investissements
effectués.
Le Code civil distingue ensuite entre la simple
administration, qui ne vise qu'à la protection du bien confié, et
la pleine administration, qui vise à rentabiliser le bien.
Pour ce qui concerne la simple administration, l'article 1304
renvoie lui aussi aux articles 1339 et suivants du Code Civil, relatifs aux
placements présumés sûrs. L'article 1339 établit la
liste des placements présumés sûrs, et prévoit
notamment pour les actions ordinaires que la société
réponde à une obligation d'information continue, que ces actions
soient cotées en Bourse18(*). L'article 1340 quant à lui dispose que :
L'administrateur décide des placements à faire
en fonction du rendement et de la plus-value espérée; dans la
mesure du possible, il tend à composer un portefeuille
diversifié, assurant, dans une proportion établie en fonction de
la conjoncture, des revenus fixes et des revenus variables.19(*)
Toutefois, comme nous l'avons noté
précédemment, ces articles ne sont pas d'ordre public20(*), ils n'ont donc vocation
à s'appliquer qu'en cas de silence du contrat.
L'article 1306 définit quant à lui les
obligations attachées à la pleine administration :
Celui qui est chargé de la pleine administration doit
conserver et faire fructifier le bien, accroître le patrimoine ou en
réaliser l'affectation, lorsque l'intérêt du
bénéficiaire ou la poursuite du but de la fiducie
l'exigent.21(*)
On trouve ici l'obligation pour l'administrateur non seulement
de conserver le bien, mais également d'en accroître la valeur, ce
qui suppose des investissements rentables.
Plus généralement, l'article 1309 recouvre tous
ces cas de figure et pose la règle générale en
matière d'administration, règle dans laquelle on retrouve dans
une large mesure l'influence de la Common Law :
L'administrateur doit agir avec prudence et diligence.
Il doit aussi agir avec honnêteté et
loyauté, dans le meilleur intérêt du
bénéficiaire ou de la fin poursuivie.22(*)
Cet article est fondamental, il pose le cadre des devoirs
fiduciaires dans le droit civil québécois, et l'on retrouve dans
ce devoir de prudence et de diligence une norme de conduite appréciable
in abstracto, c'est-à-dire en se référant au
comportement de la personne normalement avisée qui serait placée
dans des circonstances semblables. Le devoir d'honnêteté et de
loyauté recouvre d'abord le devoir de respecter les stipulations
contractuelles et les dispositions légales, mais aussi le devoir
d'information et de transparence quant aux investissements
réalisés. Enfin cet article impose à l'administrateur la
prise en considération du "meilleur intérêt", notion large
s'il en est et à travers laquelle on retrouve l'impératif de
rendement des placements.
L'émergence des devoirs fiduciaires en droit civil
étant constatée, nous nous sommes ensuite demandées si la
conciliation de ces devoirs fiduciaires avec l'ISR était possible, et
pour celà nous avons choisi l'exemple des régimes
complémentaires de retraite. En effet, la question se pose de savoir si
un comité de retraite, agissant à titre de fiduciaire, viole sa
responsabilité de fiduciaire ou non en choisissant d'investir dans
l'ISR23(*). En d'autres
termes, la prise en compte de critères autres que des critères
purement économiques, par exemple les critères dits Economiques,
Sociaux et de Gouvernance (critères ESG) rentre-t-elle dans cette notion
de "meilleur intérêt" dont la prise en compte est rendue
obligatoire par l'article 1309 du Code civil? La Loi sur les régimes
complémentaires de retraite reprend les orientations du Code civil en
posant le devoir d'agir avec "prudence, diligence et compétence, comme
le ferait en pareilles circonstances une personne raisonnable", ainsi que le
devoir d'agir avec "honnêteté et loyauté dans le meilleur
intérêt des participants ou des
bénéficiaires"24(*). Il nous semble particulièrement important
pour un régime de retraite d'apporter des garanties de placement
sécuritaires, puisque les cotisants accordent leur entière
confiance aux gestionnaires, c'est pourquoi il ne nous apparaît pas que
ces obligations soient contraignantes outre mesure pour ces derniers. Ceci nous
amène à nous demander comment est mise en oeuvre la
responsabilité des gestionnaires
II. La mise en oeuvre
de la responsabilité des gestionnaires
La responsabilité des gestionnaires revêt une
importance particulière, en effet sa mise en oeuvre constitue la
sanction du non-respect des devoirs fiduciaires précédemment
abordés, nous verrons ici comment est appréciée cette
responsabilité (A) avant de nous demander si elle ne dépend que
du comportement du gestionnaire (B).
A. Le contrôle du rôle des
gestionnaires
L'investissement dans des fonds ISR n'est pas interdit par la
loi, tant bien entendu que le gestionnaire respecte ses devoirs fiduciaires,
mais il convient de savoir si l'ISR doit être précisément
décidé dans les rapports entre parties, ou si le gestionnaire est
libre de prendre lui-même l'initiative de l'ISR. Une jurisprudence
récente vient nous rappeler que :
Le contrat de gestion de portefeuille peut, selon les
circonstances, être qualifié de simple mandat, de contrat de
gestion assistée ou encore de contrat de gestion d'office. Dans ce
dernier cas, l'essence du contrat n'est pas tant la représentation
d'autrui dans l'accomplissement d'actes juridiques que la fourniture de
services de gestion dans le respect des règles d'administration du bien
d'autrui, dont les directives données par le client.25(*)
À la lecture de ceci, on s'aperçoit que,
au-delà de la responsabilité qui peut être engagée
pour des abus commis dans la représentation d'autrui, dans le cadre des
régimes de retraite, qui sont des contrats de gestion d'office, le coeur
de l'engagement n'est pas le mandat de représentation mais bien le
contrat de gestion. C'est donc le non-respect de ce contrat, de la force
obligatoire de la volonté des parties, qui va conduire à engager
la responsabilité du gestionnaire.
Toutefois, la notion de non-respect du contrat de gestion
s'entend selon nous largement, puisque le contrat de gestion est lui-même
en général constitué de directives globales concernant
l'orientation du portefeuille. En effet, l'essence même d'un portefeuille
d'investissement est dictée par la volatilité des valeurs
boursières. Si le cahier des charges au contrat est de constituer un
portefeuille de risque peu élevé à moyen et de rendement
à X% sur les 30 prochaines années, il est évident à
notre sens que la responsabilité du gestionnaire ne peut pas être
engagée dès qu'il investit dans un titre qui ne répondrait
pas exactement à ces critères, puisque le but est de constituer
un portefeuille, c'est-à-dire d'investir de façon
diversifiée dans un ensemble de titres le plus large possible, et que
cet ensemble réponde finalement aux critères définis.
Ainsi nous nous accordons à l'opinion de Benjamin J. Richardson:
Where there is no express SRI mandate, fiduciary obligations
would appear to be satisfied so long as: the SRI policy is not predicted to
unduly lower the expected return of the pension plan's assets; there is
sufficient portfolio diversification; trustees have taken proper investment
advice and have consulted with their fund membership; and, the policy can be
implemented without burdensome and costly administrative procedures.26(*)
Dès lors, la responsabilité du gestionnaire
n'est engagée que restrictivement, et en aucun cas lorsqu'il prend
l'initiative d'investir dans des fonds ISR, tant qu'il respecte les devoirs qui
lui incombent et qu'il se conduit en personne raisonnable. D'ailleurs le
Pension Benefits Act prévoit cette règle en son article
22(1) : "L'administrateur d'un régime de retraite apporte à
l'administration et au placement des fonds de la caisse de retraite le soin, la
diligence et la compétence qu'une personne d'une prudence normale
exercerait relativement à la gestion des biens d'autrui. "27(*)
L'article 1343 du Code civil concerne
précisément la responsabilité de l'administrateur et pose
en premier lieu une présomption de bonne gestion :
L'administrateur qui agit conformément aux dispositions
de la présente section est présumé agir prudemment.
L'administrateur qui effectue un placement qu'il n'est pas
autorisé à faire est, par ce seul fait et sans autre preuve de
faute, responsable des pertes qui en résultent.28(*)
La présomption de bonne gestion ici posée
n'exclut pas le devoir de prudence et de diligence posé par l'article
1309, seulement si l'administrateur se conforme aux dispositions légales
et respecte les stipulations contractuelles qui le lient avec son client, il
voit sa responsabilité protégée par cette
présomption de bonne gestion. En revanche on s'aperçoit que
dès lors qu'il outrepasse ses pouvoirs, sa responsabilité est
engagée avec un renversement de la charge de la preuve,
c'est-à-dire qu'il n'incombera pas à la partie plaignante de
faire preuve d'une faute de sa part, elle devra seulement prouver qu'il a
dépassé ses pouvoirs.
Cependant, un gestionnaire qui aurait investi à tort
dans un fond SRI peut-il être considéré comme le seul
responsable?
B. Une responsabilité
partagée avec les agences de notation
Les gestionnaires de portefeuilles peuvent voir leur
responsabilité engagée au regard de leurs devoirs fiduciaires.
Les investisseurs peuvent mettre en cause leur prudence suite aux
décisions d'investissement responsable qu'ils ont entreprises et qui
n'ont pas été concluantes.
Dans cette perspective, on pourrait penser que la
responsabilité du gestionnaire pourrait être partagée avec
celle des agences de notations. En effet, ces agences vont avoir un rôle
très important en matière d'investissement socialement
responsable puisqu'elles évaluent les critères extra-financiers
des investissements. Ce type d'agences s'est considérablement
développé depuis l'émergence du mouvement de finance
responsable29(*). Comme le
souligne l'Observatoire de la Responsabilité Sociétale des
Entreprises,
[l]e traitement de l'information recueillie varie sensiblement
d'un organisme à l'autre en fonction des méthodes de collecte de
l'information, des méthodologies d'analyse et des critères
d'évaluation qui caractérisent les processus de notation de
l'organisme30(*).
Les gestionnaires dépendent de ces notations pour
effectuer les choix d'investissements. Cependant, il existe autant de modes de
notation extra-financière que d'agences de notation. Des changements
s'imposent donc :
[c]es nouvelles agences font face à des besoins
d'homogénéisation de leurs moyens de reporting et
d'élaboration de normes de qualité et de codes de conduite pour
les agences de notation et les analystes sociétaux31(*).
En attendant la mise en place de tels instruments de
contrôle, le gestionnaire de portefeuille reste seul responsable. En
effet, l'investisseur pourra actionner sa responsabilité en arguant que
le gestionnaire n'a pas agi « avec le soin, la diligence et la
compétence d'un bon fiduciaire32(*) ».
Le gestionnaire devra alors pallier au manque de transparence
des agences en effectuant ses propres contrôles, ce qui pose la question
des coûts engendrés pour les investisseurs. L'investissement
socialement responsable devient alors moins intéressant.
Toutefois, les agences de notation ne sont pas les seuls
acteurs en cause. En effet, leurs éléments de notation
dépendent des entreprises qu'elles notent. Il pourra s'agir d'une
consultation de l'entreprise par l'envoi d'un questionnaire, de rencontres avec
la direction de la société, de l'examen des informations
publiques fournies par les sociétés, ou de consultation des
parties prenantes de l'entreprise33(*). Dans tous les cas, l'entreprise joue un rôle
essentiel dans sa propre notation. Nous pouvons déceler dans ce
processus un manque de transparence qui est dicté par le conflit
d'intérêts dont sont victimes les sociétés. En
effet, les informations transmises aux agences de notation sont plus ou moins
fiables34(*).
Finalement, nous pouvons affirmer que le manque de confiance
des investisseurs envers l'investissement socialement responsable trouve sa
source dans le manque de transparence des modes d'analyses des critères
extra-financiers. Il serait légitime que soient instaurés des
critères légaux de notation, ainsi qu'un contrôle des
agences. Les gestionnaires de portefeuilles pourraient alors adopter une
stratégie incluant des investissements socialement responsables sans
risquer d'impliquer leur responsabilité pour ce choix.
Conclusion
L'investissement responsable est donc constitué en plus
de critères financiers, de critères extra-financiers. Avec
l'adjonction de ces nouveaux critères, la responsabilité des
gestionnaires de portefeuille s'est vue considérablement élargie.
En effet, la subjectivité de leur appréciation est telle que
le risque de l'investissement responsable est accru par rapport à des
investissements plus traditionnels.
Il serait possible comme solution à cette augmentation
des risques pour les gestionnaires de limiter leur responsabilité en
matière d'investissement responsable. Il est aussi nécessaire de
réglementer les critères, les modes de notation, et les
évaluateurs.
Nous voyons donc que l'investissement socialement responsable
n'est pas incompatible avec les devoirs fiduciaires, notamment en ce qui
concerne les fonds de retraite, l'ISR se trouve être une alternative
particulièrement intéressante puisque ce type d'investissement
s'inscrit dans une perspective de rendement à long terme. D'autre part,
la prise de conscience sociétale va selon nous conduire à un
engouement de plus en plus important pour l'ISR, comme le
décrivait Alexandre Cloutier, citant Amnistie Internationale:
Les épargnants soucieux des droits humains - civils
politiques économiques et sociaux - ont le droit de voir à ce que
leur épargne ne serve pas au nom du rendement à entretenir la
misère ou la terreur dans des pays où la pauvreté,
l'autoritarisme et le laxisme sont vus comme des
« opportunités de marché »35(*).
Bibliographie
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www.legifrance.gouv.fr
>
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AZ-87021058, J.E.87-202
Hotel Bord du Lac Inc./Lakeshore Hotel Inc c. Pointe-Claire
(Ville de) (CS, 1988-10-26) SOQUIJ AZ-89021021, J.E. 89-135
Groupe Albatros International inc. C. Financière McLario
Inc. (CA, 2003-05-27) SOQUIJ AZ-50176457, J.E. 2003-1058
Lemay c. Carrier (CS, 2006-11-10), 2006 QCCS 5652, SOQUIJ
AZ-50404046, J.E. 2007-290
* 1 MERCER CONSULTING, The
language of responsible investment, An industry guide to key terms and
organisations, p.6. en ligne <http://www.mercer.com/ridictionary>
* 2 Id.
* 3 OCDE, «Prudent
Person Rule» Standard for the Investment of Pension Fund Assets, en
ligne: <http://www.oecd.org/dataoecd/34/24/2488700.pdf>
* 4 Id., p.45
* 5 Loi canadienne sur les
sociétés par actions, L.R.C., c. C-44, Art. 91 b).
* 6 Id., Art. 131 (4)
b)
* 7 Bevis LONGSTRETH, Modern
investment management and the prudent man rule, 1986, p.7.
* 8 OCDE, précité
note 3, p.48
* 9 Id. p.46
* 10 Id.
* 11 Id. p.48-49.
* 12 Id.
* 13 article 1984,
alinéa 1, Code Civil français
* 14 article 2014, Code Civil
français
* 15 article 1278, CcQ
* 16 Arret Montréal
Trust Co. c. Kiervanteed-Raymond
* 17 Arret Hotel Bord du Lac
Inc./ Lakeshore Hotel Inc. c. Pointe-Claire (Ville de)
* 18 Article 1339, CcQ
* 19 Article 1340, CcQ
* 20 voir note 17
* 21 Article 1306, CcQ
* 22 Article 1309, CcQ
* 23 Alexandre CLOUTIER,
L'investissement responsable par les comités de retraite, RGD
32, pp 383-402, 2002
* 24 Loi sur les régimes
complémentaires de retraite, L.R.Q., c. R-15.1, article 151
* 25 Groupe Albatros
International Inc. c. Financière McLario Inc., et Lemay c. Carrier
* 26 Benjamin J. RICHARDSON,
Do the fiduciary duties of pension funds hinder SRI?, Banking and
Finance Law Review, n°22, p.146, 2007
* 27 Loi sur les régimes
complémentaires de retraite, L.R.Q. c. R-15.1
* 28 Article 1343, CcQ
* 29 Andrée DE SERRES,
« La responsabilité fiduciaire des gestionnaires de
portefeuilles », dans Responsabilité sociale d'entreprise
et finance responsable : Quels enjeux ?, Les presses de
l'Université du Québec, 2004, p.115, voir aussi sur ce point
Jean-Jacques ROSE, Responsabilité sociale de l'entreprise :
pour un nouveau contrat social, 2006, p.72
* 30 Observatoire de la
Responsabilité Sociétale des Entreprises, Guide des organismes
d'analyse sociétale et environnementale, Juin 2005, p.40, en
ligne :
<http://orse.org/fr/home/download/guide_notation_2005.pdf>
* 31 Andrée DE SERRES,
précité note 29, p.115.
* 32 Loi canadienne sur les
sociétés par actions, précité note 5, Art 91 b)
* 33 ORSE,
précité note 30, p.40
* 34 Jean-Jacques ROSE,
précité note 13, p.72
* 35 Alexandre CLOUTIER,
L'investissement responsable par les comités de retraite,
R.G.D. 32, p.386, 2002