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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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C. Les mesures de répression :

C.1 Le mythe du Socrate platonisé257(*):

Michel Onfray avance l'idée que le Socrate platonisé, qui croit aux mondes des Idées, qui pose la supériorité de l'âme sur le corps, qui fustige le corps et qui attend impatiemment la mort, n'est qu'une légende inventée par Platon et aucunement remise en question à travers les siècles.258(*)

De ce mythe découle deux autres mythes : le mythe des présocratiques et celui des socratiques mineurs ou petits socratiques (Aristippe et Diogène). Le Socrate platonisé est considéré donc comme le Crucifié, le messie ou un genre de Jésus- Christ païen, qui ouvre le temps en deux : Avant Socrate et après lui (présocratique - post socratique). Ou Socrate et personne d'autre (socratique mineur). Avant lui et autre que lui, on installe le mythos, les « apéritifs philosophiques », la pensée magique, mythologique et thaumaturgiques, les fables, et avec lui, on assiste soudainement à la naissance du Logos, la dialectique, la déduction et la raison raisonnable et raisonnante.259(*)

En ce qui concerne « les présocratiques », cette rubrique signifie « quiconque a pensé, écrit travaillé avant Socrate - sa date de naissance ou sa mort ».260(*) Pour autant Onfray trouve que certains philosophes dépassent cette date fixée : avant Socrate. En remontant aux dates de Socrate, il signale 469 av. J.-C : date de naissance et 399 a.v J.-c : date de décès. Par contre celles de Démocrite : 460-356 a.v J.-C. On peut remarquer sans difficulté que Démocrite est moins âgé que Socrate, mais seulement de dix ans, mais quand ce dernier décède, Démocrite a encore trente et quarante années à vivre. D'après ce calcul, on peut affirmer que Démocrite est contemporain de Socrate et qu'un « Démocrite présocratique » relève d'une fiction ou d'une « gageure ». Pourtant, quel intérêt pour la philosophie officielle à ranger Démocrite dans cette rubrique ? Ces années de moins ou de plus jouent-elles un rôle considérable ? Onfray donne la raison de cette classification : « Contraindre un philosophe à rentrer dans une case de l'histoire des idées contribue à le dévitaliser voire à désamorcer son originalité »261(*) et plus loin « perdu dans la masse il semble facile à éviter »262(*).

De même, Onfray affirme que la rubrique « petits socratiques » est également fausse. Pour lui, on a tort d'attribuer un petit rôle à Diogène et Aristippe. Les deux sont à égalité avec Socrate dans le plan de la sagesse. A ce propos, Onfray les appelle  le triangle subversif 263(*). Tous trois détruisent les lois de la société et s'opposent à l'Idée platonicienne.

C.2 Aristippe de Cyrène, ou portrait du philosophe en blancs :

Selon Onfray, la bibliographie en langue française passe sous silence la vie et la doctrine d'Aristippe de Cyrène : D'où « le portrait en blancs 264(*)». Elle évite donc de gaspiller un temps fort pour un personnage qui, au dire de Hegel - la figure emblématique de l'idéalisme -, ne peut être classé parmi les philosophes authentiques. « La tradition universitaire dominante se range à l'avis de Hegel pour qui Aristippe et les cyrénaïques (...) se réduisent à de pitoyables amuseurs, à des pitres, à des histrions sans importance, tout juste connu pour avoir laissé des calembours, des jeux de mots sympathiques - peut-être, souriants, un peu, mais philosophes, sûrement pas ».265(*)

En revanche, malgré ce refus délibéré de ne pas aborder Aristippe, les tenants de la philosophie officielle ne cessent de répéter, avec plaisir et à travers les siècles, ces caractères erronés et non fondés d'Aristippe cupide, courtisan, collectionneur de femmes, animal dépourvu de tout sens moral, grossier et débauché. Aristippe est dès lors, connu comme l'emblème du plaisir grossier et vulgaire.

Pourtant, une historiographie qui se veut crédible peut-elle se passer de sources fiables ?

Ce problème a été bien formulé par Onfray dans Les Sagesses antiques: « comment aurait-on pu parler correctement d'Aristippe et des siens pendant des siècles puisqu'il n'a pas existé de doxographie en langue française avant celle que j'ai établie en 2002 dans L'invention du plaisir ? (...) De sorte que la réputation - déplorable bien sûr a fait obstacle au désir et à la volonté d'honnêteté qui supposent la lecture des fragments, le mouvement vers la source. »266(*) Michel Onfray a publié L'Invention du plaisir dans lequel il est question d'une introduction du philosophe, de fragments et de textes d'Aristippe et sur lui. C'est la première édition en langue française qui traite de ce courant

Michel onfray remarque que Platon est le premier responsable de la déconsidération de la pensée d'Aristippe. Et comme Platon est une figure majeure de la philosophie idéaliste, on ne peut, à défaut d'être un penseur alternatif, que suivre aveuglement ses enseignements. Platon ne mentionne à aucun moment dans ses dialogues - et surtout le Philèbe qui traite du plaisir - le nom d'Aristippe, le philosophe du plaisir. D'aucuns peuvent dire qu'il ne le connaît pas ou du moins il ne connaît pas ses idées. En revanche, plusieurs preuves apportées par Onfray montre bien un Platon qui connaît le personnage et sa doctrine mais il feint de ne pas les connaître pour mieux les combattre.

La première preuve est tirée du Phédon de Platon, le seul dialogue à mentionner le nom d'Aristippe, mais non pour discuter sérieusement ses idées mais plutôt pour signaler son absence lors du procès de Socrate. Malheureusement, remarque Onfray, la fourberie et la déloyauté de Platon se retourne contre lui-même car il fait preuve qu'il connaissait Aristippe. « E.CH267(*) : Mais quoi ? Auprès de lui, il y avait bien Aristippe et Cléombrote ?

PH : Point du tout ! On les disait en effet à Egine. »268(*). Et, dans Diogène Laërce, cette référence majeure selon Onfray, on lit : « Platon manifeste de l'hostilité à l'égard d'Aristippe (...). En tout cas, dans son dialogue sur l'âme, il médit de lui en faisant remarquer qu'il n'était pas présent à la mort de Socrate mais qu'il se trouvait à Egine, c'est-à-dire tout près. »269(*)

La deuxième preuve270(*) témoigne que Platon a eu connaissance des idées d'Aristippe. Mais pour mieux dissimuler sa connaissance et remporter la victoire, il met en scène deux personnages : Philèbe et Protarque derrière lesquelles se cachent Aristippe et les tenants d'une option hédoniste à Athènes. Dans cet esprit, il construit tous ses dialogues -surtout le Philèbe- sur le modèle d'un match de catch. Platon écrit, agit et pense en catcheur. Dans le Philèbe271(*), il attribue le premier rôle à Socrate qui incarne le bien, l'intelligence et la réflexion tandis que les autres interlocuteurs passent pour des niais, des imbéciles et des méchants. Le dialogue s'ouvre sur un désaccord entre Socrate et Philèbe et sur le refus de ce dernier de poursuivre le débat. Par cet acte, Platon vient monter un homme lâche devant la compétition. Philèbe va donc être muet et c'est Protarque qui va prendre la parole. Mais Platon va de même minimiser ses prises de paroles. Celles-ci ne comptent qu'une dizaine de lignes dans un dialogue de cent cinquante pages. Protarque l'hédoniste intervient dans le dialogue seulement pour donner sans discernement son assentiment à ce que lui dit Socrate. Il dit par exemple : « bien sûr, certainement, à l'évidence. ». Ses paroles provoquent aussi la moquerie et le rire du lecteur. Ce personnage passe pour un imbécile qui ne comprend rien, pose toujours des questions pour être certain d'avoir compris et laissent les questions posées sans réponses. L'objectif de Platon était donc de tourner, via Protarque, ses ennemis en ridicule. Protarque ne défend pas ses thèses et son rôle est égal à celui d'une « table ou une chaise ». C'est pourquoi Onfray disait « si l'hédonisme s'incarne dans pareilles potiches, nul doute qu'on aspire à son contraire ».272(*)

En revanche, en donnant son interprétation du Philèbe, Onfray trouve que ce ne sont pas les partisans de la thèse hédoniste qui sont lâches et ridicules mais c'est plutôt le philosophe de l'idéal ascétique, qui s'est abstenu de dialoguer avec des personnages à la hauteur, qui fait preuve de ces deux qualités. C'est pour cette raison qu'Onfray énonce cette idée : «  à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. »273(*)

C.3 Le pourceau d'Epicure :

Dans l'historiographie dominante, le nom d'Epicure est associé au porcelet rose. Mais avant de vérifier la validité d'un tel jugement, il s'agit tout d'abord d'examiner les diverses connotations que revêt le porc dans l'histoire de la philosophie officielle.

Platon, fidèle à la théorie de la métempsychose et de la métensomatose épicurienne, voit que les réincarnations des hommes dépendent de leurs vies antérieures. C'est ainsi ceux qui jouissent avidement des plaisirs du corps iront hanter l'animal antiplatonicien : le porc.

De leur côté, les Pères et Docteurs de l'Eglise, et surtout Grégoire de Nysse, viennent compléter la doctrine de Platon et expliquer pourquoi le porc est un animal antiplatonicien. Selon Grégoire de Nysse, les caractéristiques physiques de l'animal sont une entrave à la dialectique ascendante platonicienne et à la contemplation des Idées pures ou du Ciel.274(*) Le porc ne fait que creuser dans la terre sale, couverte de déchets, de souillures et de boue. Il ne peut donc lever sa tête. 275(*)

Le christianisme soutient également que ce mammifère est en relation étroite avec le diable. C'est ainsi quand Jésus, chasse les démons du corps, ceux-ci iront s'unir aux porcs. Cet animal élu ou possédé du démon ne peut être consommé par les Juifs et les musulmans276(*).

On peut ajouter à ces caractéristiques, la gourmandise, la voracité, la paresse et l'attachement de l'animal aux passions sensuelles. Cette dernière caractéristique est commune à tous les philosophes idéalistes. C'est ainsi certains moralistes soulignent, non sans répugnance, sa virilité démesurée : « Avec son sexe spirale comme sa queue, il copule en permanence, même quand la femelle attend ses petits. »277(*)

Si tels sont les caractéristiques du porc, selon les idéalistes, quel rapport entretiennent-elles avec Epicure ? Le philosophe du pot de fromage et au corps chétif peut-il être assimilé à un porc ? 278(*)

Selon Onfray, rien n'empêche les tenants de l'idéal ascétique à professer cette « insanité ». Epicure a provoqué la réprobation des stoïciens, des platoniciens et des Pères de L'église (Clément, Lactance et Ambroise).

Voici la liste des reproches adressés à Epicure : Epicure incite son frère à se livrer à la débauche. C'est un ami infidèle qui vit avec la femme de Métrodore, son ami le plus intime et son disciple le plus aimé. Aucune de ses idées n'émanent de lui car il ne fait que copier, et sans citer ses sources, les idées de Démocrite sur l'atomisme et celle d'Aristippe sur le plaisir. C'est un bon courtisan qui plaît aux puissants et aux grands. Il poursuit toutes les femmes de son jardin. Il vomit deux fois par jour pour engloutir de nouveaux aliments. Et enfin, il dépense des sommes considérables à la nourriture et aux prostitués.279(*)

Tenant compte de ces propos Onfray pose la question suivante :

« Epicure l'ascète, trahi par son corps, contraint de faire de nécessité vertu peut-il être ce monstre que l'on a dit ? »280(*). Que faut-il entendre derrières ces reproches ?

Onfray fait la remarque suivante que pour bien calomnier l'oeuvre d'un philosophe, il suffit de calomnier sa vie, surtout chez les tenants de la « philosophie vivante » où ces termes sont intimement liés. Il fait sien la thèse de Diogène Laërce selon laquelle tous ces jugements défavorables relèvent d'une jalousie fructueuse qui empêche la lecture et l'analyse de l'oeuvre d'Epicure281(*). Onfray ajoute une deuxième raison à cette mauvaise foi. Celle-ci met en doute la possibilité même d'une existence d'une philosophie hédoniste. Elle trouve incompatible le fait d'être philosophe et de parler du plaisir. Dans cet esprit, Onfray se demande « Pourquoi négliger à ce point le contenu de la pensée épicurienne et lui faire dire le contraire de ce qu'elle énonce, sinon à cause d'une répulsion à l'égard du principe même de l'hédonisme. »282(*)

En résumé, contre la lecture dominante de la philosophie grecque qui favorise le philosophe mourant de Platon, Michel Onfray propose une synthèse des courants subversifs et alternatifs de cette époque. Le résultat : un matérialisme hédoniste et sensualiste nettement nourri par une pulsion de vie ludique et gaie. Cette pulsion de vie revendiquée a suscité de nombreuses protestations : d'où les mesures de restrictions.

Ce schisme philosophique va se poursuivre au siècle suivant. Nous assistons à un autre idéalisme : l'idéalisme chrétien et un autre alternatif : le christianisme hédoniste.

De l'archipel préchrétien nous passons alors au continent chrétien.

Chapitre III : Un autre Moyen-âge et une autre Renaissance : Le christianisme hédoniste

Michel Onfray avance l'idée que l'a priori platonicien va être refleuri par l'idéalisme chrétien. Même vision du monde et même ennemi de toujours ; le rebelle à la pulsion de mort. A la manière du platonisme né de la fiction du Socrate platonisé, le christianisme voit le jour grâce à la fiction du Jésus-Christ ravivée par Paul de Tarse.

Pour bien saisir la destinée de cette fiction, nous abordons premièrement la question de la construction du christianisme.

* 257 Cf. Les Sagesses antiques, op.cit, pp.52-57

* 258 A travers cette distinction entre le Socrate de Platon et le vrai Socrate, Michel Onfray s'est démarqué de son maître Nietzsche.

Dans Crépuscule des idoles, le philosophe du 19ème siècle a jugé tout pour Socrate et Platon comme des types de décadence (de la vie), des pseudo-grecs, des fossoyeurs des instincts, de la santé et du bonheur. A ce titre, Nietzsche les a retirés l'épithète de «sages».( Cf. Nietzsche, Crépuscule des idoles, op.cit., Le problème de Socrate, pp.23-32) =

Pour ce qui est de Socrate, Nietzsche a avancé que sa résistance contre la vie s'est manifestée dans son courage devant la mort : « Socrate voulait mourir: - ce n'est pas Athènes, c'est lui-même qui s'est tendu la coupe de ciguë: (...) Socrate n'est pas un médecin, s'est-il murmuré à lui-même : la mort seule est médecin... Socrate, lui, n'a fait qu'être longtemps malade... » ( Ibid. §12, p.31 ; p.32)

* 259 Cf. Les Sagesses antiques, op.cit, p.16 ; pp.52-56 ; p.113

* 260 Ibid.,p.53

* 261 Ibid.,p.52

* 262 Ibid.,p.54

* 263 Ibid.,p.112

* 264 Ibid.,p.26

* 265 L'Invention du plaisir, op.cit., p.12 ; p.13.

* 266 Les Sagesses antiques, op.cit., p.110

* 267 Échécrate.

* 268 Platon, Phédon, 59 c, p.767 in Michel ONFRAY, L'invention du plaisir, op.cit., p.89

* 269 Diogène Laerce, III, 36 in Ibid, p.90

* 270 Cf. Les Sagesses antiques, op.cit., pp.151-161. (partie Philèbe)

* 271 Cf. Platon, Philèbe, ouvres complètes tome IX, trad.Maurice de Gandillac, Les Belles lettres, 1996.

* 272 Les Sagesses tragiques, op.cit, p.154

* 273 Ibid.,p.161

* 274 Ibid.,p.187

* 275 Ibid., p. 140 ; p.187

* 276 Cf. Michel ONFRAY, Théorie du corps amoureux - Pour une érotique solaire - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2000, p.139

* 277 Ibid., p.140

* 278 « A l'un de ses disciples qui lui propose des provisions pour faire la fête, il demande - on connaît l'anecdote - un petit pot de fromage. Le jour venu, le festin se construit autour du présent modeste. » Les Sagesses antiques, op.cit., p.184

* 279 Théorie du corps amoureux, op.cit, p. 142 ; p.143 ; Les Sagesses antiques, op.cit, p.189 ; p.190

* 280 Les Sagesses antiques, op.cit., p.188

* 281 Théorie du corps amoureux, op.cit, p.44

* 282 Ibid., p.211

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry