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Contre histoire de la philosophie / le laboratoire de la philosophie vivante chez Michel Onfray

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par Rania Kassir
Universite Libanaise - DEA 2008
  

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Chapitre I : La spécificité de l'existence humaine :

La ligne de force autour de laquelle s'organise l'oeuvre de Michel Onfray est de montrer comment les deux concepts philosophiques la « vie » et la « philosophie » sont étroitement imbriqués. Pour autant, on remarque que la philosophie ne semble pas avoir de normes de discours et les concepts en cette matière ne font pas l'unanimité chez tous les philosophes. Avant Onfray, des philosophes de tout bord ont étudié la question de la  « vie »  et de la « philosophie », mais chacun sous un angle différent. A ce propos, notre première tâche consiste à chercher le sens de la « vie » et celui de la « philosophie » chez Onfray lui-même. Ceci, nous permettra par la suite de vérifier leur alliance.

A. Généalogie de la vie humaine :

Dans l'introduction à cette recherche, on a déjà indiqué que la lecture du temps chez Onfray se fait à travers la triade suivante : néant - vie- néant. Il ne fait pas de doute que cette lecture du temps est en contraste avec la triade des trois monothéismes : paradis - vie terrestre - vie post mortem.

Pour ce philosophe matérialiste, la vie en général commence avec l'agrégation des atomes qui tombent dans le vide. Cette loi s'applique équitablement au végétal, à l'animal et à l'homme. Avant cette agrégation, c'est le néant qui règne ; le néant étant la chute des atomes sans qu'aucune combinaison aurait lieu. En outre, le néant ne signifie pas seulement l'avant-agrégation mais également la désagrégation du composé. Dès lors, le spermatozoïde qui est sorti du néant, après avoir été élu parmi des milliers de spermatozoïdes, revient, en revanche, au néant dont il a été tiré.56(*)

Toutefois, Michel Onfray ne s'attarde pas dans la description de la vie en général, il se penche essentiellement à la vie humaine, cette vie qui sera le départ de tout projet philosophique. Alors, qu'est-ce qui permet de signaler l'acte de naissance de cette vie ? Cette vie serait-elle apparentée dans certaines conditions au néant ? Pourquoi l'appellation « vie humaine » ? Est-ce qu'il y a une différence entre la vitalité et l'humanité ? L'humain n'est-il pas vivant ? Réciproquement le vivant peut-il être humain ?

Afin de répondre à ces questions, nous mentionnons tout d'abord qu'il y a deux sortes de néant qui précèdent la vie humaine et deux autres qui s'y succèdent. Le premier néant qui précède la « vie humaine », c'est déjà mentionné, il est la chute des atomes sans leurs agrégations, le second néant c'est lorsque l'humanité d'un être ne se fait pas jour encore. Pour ce qui est des deux néants qui succèdent à cette vie, le premier c'est lorsque l'humanité déserte cette vie, le second c'est lorsqu'on assiste à la décomposition des atomes. Le premier néant qui précède la « vie humaine » et le second néant qui lui succède font tous deux partie de la vie en général.

Il nous faut maintenant nous concentrer uniquement sur la vie humaine avec les deux néants qui l'entourent. Là-dessus, Michel Onfray indique qu'« il n'existe qu'une seule vitalité diversement modifiée ».57(*) La permanence de la vie n'exclut pas alors son évolution, son passage par différents stades. Dès lors, on peut repérer les modifications suivantes : le zygote ou le pré-embryon, l'embryon, (néant) le foetus, le nourrisson, l'enfant, l'adolescent, l'adulte (existence) , le comateux, la personne atteinte d'une mort cérébrale.(néant)

Le zygote est constitué depuis la fécondation ou la fusion de l'ovule (gamète femelle) et le spermatozoïde (gamète mâle). Peu de temps après la fécondation, la cellule oeuf ou le zygote effectue un trajet dans la trompe : c'est la migration. A ce moment, le zygote ressemble à une petite mûre. C'est la raison pour laquelle on l'appelle « morula ». Le pré-embryon continue son trajet jusqu'à l'implantation au quatorzième jour. Il mesure alors moins de cinq millimètres. En un mot, le zygote marque le début de la vie.58(*)

« Pour autant, et sur le terrain spécifique de l'humain, cette forme de vie procède plus du néant que de l'être. Dans les premières heures de rencontre entre les gamètes, la vitalité biologique triomphe, mais nullement l'humanité métaphysique »59(*). Ceci dit, on remarque qu'avec le pré-embryon, la vie n'a pas encore cheminé vers l'existence. Elle est synonyme du néant, d'agencement de cellules que d'être, d'humanité, d'identité, de personne. Le pré-embryon est un vivant vide de conscience, de réactions, d'émotions et de perceptions. En un mot, il ne réagit pas au monde extérieur. Et en cela, il est néant.60(*) Cette forme de vie ne peut attirer l'attention d'Onfray, car pour lui « une vie présente de l'intérêt quand elle permet la fabrication, l'émergence et l'entretien de l'humain en l'homme. »61(*)

Peut-on dire la même chose de l'embryon ?

L'embryon effectue un progrès par rapport au zygote : Avec lui, on passe du nomadisme, de l'errance intra-utérine à la sédentarité et la fixité. A partir du quatorzième jour, l'embryon s'enfonce dans l'endomètre et on assiste à la nidation. A ce moment, il peut recevoir les nutriments dont il a besoin par l'intermédiaire du sang maternel dans lequel baignent ses cellules. L'embryon s'étend de la deuxième semaine à la huitième. Durant, cette période, on assiste à l'apparition des battements cardiaques et à la différenciation des organes : l'embryon devient désormais une figure identifiable.62(*) Mais malgré ces différences repérables entre le pré-embryon et l'embryon, les deux sont en marge de l'être humain, les deux flottent dans le néant. Alors, l'embryon tout comme le zygote n'accède pas encore au statut de l'humain.63(*)

« Comment procéder pour définir l'humain (la vie humaine) pour lui donner une date de naissance, tâcher de lui trouver une généalogie crédible ? (...) Quels signes nets, quels signaux distincts permettent d'affirmer la sortie du néant dont nous procédons ? »64(*)

L'apparition de l'être humain et la sortie du néant de la matière s'effectuent peu à peu avec le foetus, à savoir l'embryon au-delà de sa dixième semaine. De la 11ème semaine à la 25ème semaine65(*) le progrès est perceptible : des mouvements dans le liquide amniotique sont ressentis par la mère, le foetus peut se retourner sur lui-même, le sexe devient nettement visible....66(*) Mais, pour Onfray c'est la 25ème semaine de l'existence du foetus qui signale la date de naissance de l'humain : « Voilà la date à partir de laquelle il sort du néant pour entrer dans l'humain tout en ayant été vivant depuis la rencontre spermatozoïde/ovule. »67(*)

Que-ce que l'humain ?

L'humanité d'un être suppose en lui une relation au réel : une conscience des trois dimensions du réel : soi, autre, monde. Pour ce faire, un degré de développement du système nerveux est requis.68(*) Durant cette phase on décèle : Une capacité à éprouver le plaisir et à ressentir la douleur (conscience de soi). Une sensibilité aux odeurs, parfums et flagrances (conscience du monde). Une réaction aux paroles, inflexions de voix et ritournelles de ses parents qui lui proviennent modulés et filtrés par le liquide amniotique. Et une participation aux émotions de sa mère (conscience des autres). Onfray trouve que le foetus est un « Même » et un « Autre ». Un Même puisqu'il partage la même vie avec sa mère, il ne peut donc vivre sans le ventre maternel. Un Autre puisque dans le ventre maternel, il se sépare, et se constitue en être humain distinct.69(*) A la lumière de ces constatations, Onfray vient affirmer que « l'être neuronal appelle l'être tout court et le rend possible (...) l'enfant - on peut désormais parler d'enfant - se manifeste, dynamique et exigeant. »70(*)

L'humain lui-même peut passer par différents stades : l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte, et il résiste au néant tant que son cerveau fonctionne et rend possible les trois opérations citées : conscience de soi, des autres et du monde. Mais une fois, il ne sait pas qui il est, que l'autre et le monde existent, il revient de nouveau au néant. Là, nous joignons le second néant qui succède à l'humanité. Onfray explique : « Touché par cette malédiction, un individu retourne à ce néant dont il s'est arraché à l'âge de la vingt-cinquième semaine. Dans ce tragique cas de figure, la boucle se referme. L'indistinction des origines et l'obscurité d'avant l'humain reprennent l'avantage : à nouveau le néant, l'indistinction, les ténèbres. »71(*)

Bref, dans ce premier temps72(*), on a appris que la vie qui intéresse Onfray est celle qui s'étend entre deux néants « l'humain de l'homme s'inscrit dans le vivant entre deux néants »73(*), celle qui s'ouvre au réel pour ne pas rester une « monade autiste ». En deçà de l'humain et au-delà de lui, la vie humaine a déserté le corps pour le laisser dans une vie qui ne signifie plus rien. « L'humanité surgit dans un homme non pas avec sa forme (humaine) mais avec sa relation (humaine) au monde. Le pur être au monde ne suffit pas, le cancrélat lui aussi est au monde. Il faut une connexion, un rapport interactif, une liaison avec la réalité tangible. »74(*)

Quel rapport entretient maintenant cette vie - qui date sa naissance avec le perfectionnement du cerveau - avec la philosophie ? La philosophie doit être liée à la vie ou peut-elle jouer ailleurs ?

B. La philosophie et la vie : deux jumeaux :

On a vu dans le premier stade que l'existence humaine se caratérise par cette communication avec le réel, c'est-à-dire l'humain est celui qui par nature et dès le septième mois effectue un lien avec soi, le monde et autrui. De la même façon, l'humain est celui qui est philosophe naturellement. Onfray énonce cet état de fait : « On naît tous philosophe, on ne le devient pas »75(*). Et plus loin « tous partagent un naturel philosophique de base commun au genre humain. »76(*)

Mais qu'est-ce qu'il entend par philosophie ? Qu'est-ce que ce naturel philosophique ?

C'est une capacité à questionner le réel, à s'interroger sur notre relation avec autrui, le monde et nous-mêmes et ce, afin d'enfanter, par la suite, notre identité.77(*) Si la vie est la relation, le lien entre les trois dimensions du réel, la philosophie devient alors le questionnement sur ce lien, cette communication. Dans cette perspective, la philosophie ne peut être qu'existentielle. Elle part de la vie pour y retourner.

Pour étayer ses idées (le naturel philosophique), Onfray nous invite à l'atelier de philosophie pour enfants qui se déroule à l'U.P. de Caen et qui est dirigé par Gilles Geneviève.78(*)

Dans cet atelier, nombre de questions posées par les enfants ont longtemps inquiété les grands philosophes et penseurs. A titre d'exemples : « Pourquoi rêve-t-on ? » qui nous fait penser à La clé de songes d'Artémidore, à La science des rêves de Freud et aux Méditations de Descartes. Cette question enfantine « Est-ce que, en ne voyant pas, on peut voir quand même ? » a été débattue par Diderot dans sa Lettre sur les aveugles et Condillac dans le Traité des sensations. De même, « Est-ce bien de toujours dire la vérité ? », nous fait songer à Kant qui, en répondant par l'affirmative à la question, vient, dans Sur un prétendu droit de mentir par humanité, prendre position contre Benjamin. Enfin, la question : « Pourquoi la nuit fait-il noir ? » a été traitée par Platon dans son Timée, Aristote dans Météorologiques et tous les philosophes qui s'interrogent sur la cause finale. Ces questions enfantines, loin d'être superficielles et banales, comme certains le pensent, font preuve d'un intérêt philosophique chez l'enfant.79(*)

Mais la question qui peut être soulevée ici : L'enfant peut-il poser ces questions dignes d'intérêt sans qu'il acquière au préalable le langage ? Et s'il en est le cas, la philosophie et la vie demeurent-ils des jumeaux ou la vie aurait-elle précédé la philosophie ?

Afin de lever toute ambiguité, Onfray nous relate un évènement passé avec lui à l'Université de Brasilia. Cet évènement nous montre un Onfray vantant les mérites de l'enfance contre les amateurs de l'ordre social. Un philosophe ayant choisi sa stérilité peut-il aimer les enfants ? N'est-ce pas une contradiction ? Profitant de cette réalité, les amateurs de l'ordre social vont prononcer les sottises : « La question me fut posée à l'Université de Brasilia par un individu persuadé que je n'aime pas les enfants parce que je me refuse à la paternité. Pensez-vous, dit-il que les enfants sont autres chose qu'un tube digestif ?  Silence dans la salle, et dans l'instant qui, profitant du micro, il ajoute : Moi pas.  (...) Regardant cet homme, au visage lisse comme son intelligence, je me demandais combien ils étaient de milliers, sinon de millions à proférer pareille sottise. »80(*)

Afin de démentir cet homme et ses semblables, Michel Onfray rappelle l'étymologie d' « enfant » qui signifie «l'absence de parole » ou « l'incapacité à parler ».81(*) L'enfant est celui qui n'a pas acquis le langage. Pour autant, l'absence des outils linguistiques chez l'enfant ne signifie pas qu'il ne questionne pas le réel. Les communications non verbales vont même plus loin que les communications langagières car elles sont de même nature que le corps. « (Les) compromis linguistiques (...) offrent toujours une occasion de laisser une moindre place à la chair pour lui préférer la seule âme »82(*). A ce titre, le silence de l'enfant ne peut être assimilé à celui des bêtes, des fous et des morts. Du silence de l'enfant, affirme Onfray, on ne doit pas déduire son inhumanité.83(*) L'enfant est un humain et par delà même il est un philosophe. « Et ce avant toute parole proférée, avant tout papa ou tout maman flattant le narcissisme des parents et permettant des satisfactions primaires du côté des seuls adultes. Dès qu'apparaissent ces syllabes affectives, il faut craindre que l'essentiel ait été dit, car l'existence ne sert qu'à révéler, au sens photographique, un cliché déjà pris depuis longtemps. »84(*)

Bref, dans cette première étape, on assiste à la naissance de deux jumeaux indissociables : la vie et la philosophie. A ce compte, pourquoi tous les hommes ne sont-ils pas des philosophes ? Pour quelle raison le naturel philosophique ne perdure-t-il pas ? Et puis, qu'est ce qui nous empêche de cultiver ce naturel ?85(*)

* 56 Cf. Michel ONFRAY, Féeries anatomiques - Généalogie du corps faustien - , Paris, Grasset & Fasquelle, Livre de poche, 2003, p.384 ; p.387 ; p.388

* 57 Ibid., p.132

* 58 Ibid., pp.132-136

* 59 Ibid., p.135

* 60 Ibid., p.136 ; p. 137.

* 61 Ibid., p.370

* 62 Ibid., p.139.

* 63 Ibid., p.126 ; p.129 ; p.142 ; p.143

* 64 Ibid., p.123

* 65 En fait, les interprétations scientifiques divergent sur la date exacte de la naissance de l'humain.

Michel Onfray, de sa part, vient apporter plusieurs réponses à cette question : vingtième semaine (Féeries anatomiques, p.128), dixième semaine (Ibid., p.141), seizième semaine (Ibid., p.146), vingt-cinquième semaine (Ibid., p.148 et La puissance d'exister, p.193).

Néanmoins, dans tous les cas l'essentiel demeure le même : la généalogie de l'humanité est corrélative au développement du cerveau.

* 66 Ibid., p.146

* 67 La puissance d'exister, op.cit., p.193

* 68 Ibid., p.192 ; p.193.

* 69 Cf. Féeries anatomiques, op.cit., p.147 ; p.148

* 70 Ibid., p.148. Il est à noter que l'enfance chez Onfray débute au septième mois dans le ventre maternel et non avec l'apprentissage du langage plus tard. Nous reviendrons plus bas sur cette question.

* 71 Ibid., p.150

* 72 Le second temps c'est l'examen de la philosophie.

* 73 Cf. La puissance d'exister, op.cit., p.192.

* 74 Idem

* 75 Michel ONFRAY, La communauté philosophique - Manifeste pour l'université populaire - , Paris, Galilée, 2004, p.109. Cette idée est de Kant.

* 76 Idem

* 77 Idem

* 78 Né à Trouville-sur-mer en 1957. Il est considéré comme l'un des pionniers de la philosophie avec les enfants en France. Il anime un atelier de discussion philosophique destiné aux enfants de plus de sept ans dans l'U.P. de Caen. Il a écrit un ouvrage préfacé par Onfray : La raison puérile - Philosopher avec des enfants- , Labor, 2006.

* 79 Cf. Les vertus de la foudre, op.cit., p.213 et La communauté philosophique, op.cit, pp.109-111

* 80 Les vertus de la foudre, op.cit, p.200

* 81 Idem

* 82 Idem

* 83 Idem

* 84 Ibid., p.201

* 85 Cultiver ce naturel est d'une grande importance parce qu'il nous permet de passer du questionnement de la vie ( première partie) à la transfiguration de cette vie (deuxième étape).

La philosophie qui est une attitude naturelle part de la vie, certes (questionne la vie) mais pour y retourner.

Dès lors, la transfiguration ou le fait de donner plus de vie à notre vie est consécutive au questionnement.

Mais il est très tôt de pouvoir parler de changement chez l'enfant et ceci pour les raisons suivantes : Premièrement, les éléments constitutifs de sa vie sont peu nombreux. Le vécu de l'enfant avec ses couleurs noirs et vives n'est pas tout à fait riche.

Deuxièmement, ce qu est le plus important, c'est que l'instrument du changement de ce vécu qu'est le questionnement a été fortement réprouvé par la société.

Dans les pages qui viennent, nous nous concentrons sur cette réprobation du questionnement. Ce qui nous permettra par la suite de le reprendre.

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