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La réparation du préjudice moral en droit congolais

( Télécharger le fichier original )
par Arsene KIRIZA MASHALI
Centre universitaire de Goma - Licence 2003
  

Disponible en mode multipage

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REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET UNIVERSITAIRE

UNIVERSITE DE KISANGANI

CENTRE UNIVERSITAIRE EXTENSION DE GOMA
UNIKIS\CUEG
B.P.204Goma

FACULTE DE DROIT

LA REPARATION DU PREJUDICE MORAL

EN DROIT CONGOLAIS

Par KIRIZA MASHALI ARSENE
Gradué en Droit

Mémoire présenté et défendu en vue de l obtention du grade de Licencié en Droit

Option : Droit Public Interne et International

Directeur : Professeur MICHEL DIKETE Encadreur : Assistant ERICK BIRINDWA NYAMAZI

Année académique 2004-2005.

DEDICACE

« A notre regretté confrère, Maître ACHILE MISINGI MUMA, vous qui nous avez donné le goût et la passion du métier de juriste, vous pour qui ce sujet était cher,

Reposez en paix ».

A tous mes parents, frères et soeurs, trouvez dans cette uvre, l expression de ma sincère reconnaissance.

A notre fils KAMIL BRIAN KIRIZA, et mon neveux JOSPIN MASHALI

KIRIZA MASHALI ARSENE

INTRODUCTION GENERALE

0.1 Généralités

Avant de vous livrer nos réflexions sur la réparation du préjudice moral en droit congolais, il nous paraît utile, sinon nécessaire , d indiquer que notre travail s inscrit dans le cadre général de la responsabilité civile.

Suivant la théorie traditionnelle, le fondement de la responsabilité est la faute, c est- à- dire la faute commise par un être doué de raison et de discernement . Ce principe se trouve textuellement consacré par les articles 258 et suivants du CCL III dont il résulte que seul est responsable du dommage , celui par la faute duquel il est arrivé.1

Cette réglementation ancienne a été empruntée par notre code au code napoléon de 1804 2pour ne pas citer les codes civils belge et français.

Cependant , s il est vrai que cette réglementation date de longtemps , il faut aussi souligner qu elle n a guère subi des modifications alors que la mouvance des faits crée continuellement des situations nouvelles . C est le cas par exemple du progrès technique et industriel qui, par le fait du machinisme accroît le nombre de victimes dues aux fautes directes ou indirectes.3 Et les articles précités insistent sur le fait que le dommage doit être réparé intégralement sans distinguer si l auteur a commis une faute légère ou lourde. Cette position légale crée une ouverture tendant à stimuler tout individu, c est-à-dire non seulement la victime du

1 Tout fait quelconque de l homme qui cause un préjudice à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé de le réparer (art 258CCL III)

2 1804, année de la promulgation du code Napoléon qui a posé le principe de la responsabilité civile, et aussi géniteur du code civil congolais : des obligations.

3 NIMPAGARITSE : Progrès Technique et Responsabilité civile, Cours L1 Droit/ ULPGL, U.O.B, 1997,inédit.

comportement incriminé mais également toute autre personne, quel que soit le niveau de préjudice subi et le niveau de lien social avec la victime, à réclamer la réparation des dommages subis.

Cette observation nous amène à dire que si les articles 258 et suivants déterminent limitativement le responsable et le civilement responsable incriminé, il reste à savoir également tranché quant à la limite des bénéficiaires de l action en responsabilité .

0.2. Problématique et hypothèses.

Partant du principe tiré de l article 258 du CCL.III et suivants , nous remarquons que si l hypothèse normale est la réparation de tout préjudice souffert , il n en demeure pas moins la difficulté de connaître les bénéficiaires de la réparation..4

La doctrine enseigne que la responsabilité d un comportement est fondée sur la faute , le dommage et la relation de cause à effet entre la faute et le dommage. 5 Ainsi la victime du dommage a donc droit à l exercice de l action en réparation. A ce niveau , il n y a pas de problème dès lors qu on dédommage la victime directe de l acte fautif.

La question devient délicate à partir du moment où le préjudice atteint indirectement plusieurs sujets à la fois. C est le cas d un accident mortel portant préjudice à plusieurs individus du fait du décès d un des leurs. Dès lors , comment limiter les actions en réparation de préjudice subi ? Le préjudice moral est il appréciable en argent , faut il limiter la liste de bénéficiaires ; si oui, comment la fixer ? Et quels sont les critères limitatifs ? Les juges saisis , sont ils à même de répondre objectivement à des telles demandes ? Telles sont les quelques questions auxquelles nous tenterons de répondre.

S agissant de la possibilité de la réparation du préjudice moral, nous nous inscrivons, dans le courant qui voudrait que le préjudice

4 MAZEAUD et TUNC, Traité pratique et théorique de la responsabilité civile : délictuelle et Contractuelle : Préface XI, PUF, Paris 1982 p.14

moral soit réparable quoique non évaluable en argent ; les modes de réparation de tout préjudice prévoient la réparation en nature, par l équivalent et la réparation symbolique.6

Cependant, ne seront admis à bénéficier d une action en réparation que les demandeurs justifiant d un intérêt et qui jouissent de la qualité pour ce faire. La doctrine et la jurisprudence nous donnent les critères de limitation des demandeurs en réparation basés tantôt sur le lien de parenté ou d alliance, tantôt sur la violation d un intérêt juridiquement protégé ; critères qui se sont avérés insuffisants.

De ce qui précède, certes, le juge, disons-le n est pas à

l aise pour répondre à des nombreuses demandes en réparation de préjudice moral parce que d abord il s appuie sur un lien de parenté ou d alliance, tantôt sur la violence d un intérêt juridiquement protégé ; critères qui se sont avérés insuffisants . Ensuite, il s appuie sur un article (art 258 et suivants du code civil livre troisième) qui ouvre la voie à un nombre presque illimité de demandeurs, enfin, mettant en uvre le principe de l intime conviction qui veut que le juge rende son jugement selon (ce qu il estime bon et juste) que sa religion est éclairée par le droit et le bon sens.

Le principe de l intime conviction, donne au juge des pouvoirs énormes qu il faut limiter pour ne pas le voir accorder ou reconnaître des droits à ceux qui n en ont pas et refuser d en reconnaître à ceux-là qui en ont prouvé ou justifié l existence.

0.3. Choix et Intérêt du sujet.

Plus d une personne peut se demander les causes pour lesquelles ce sujet a fait l objet de notre travail pendant qu au vu de tout le monde, il ne paraît pas nouveau.

5 KALONGO MBIKAYI, Responsabilité civile et socialisation des Risques en droit zaïrois, 2e éd., KIN, PUZ, 1979, p.45

6 KALOMBO MBIKAYI, Cours de droit civil : des obligations, UNIKIN et ULPGL, 1995, non polycopié, inédit.

Il sied en ce qui nous concerne d indiquer que nous avons été frappé par le caractère pluridimensionnel et rationnel de l institution Responsabilité et son corollaire Réparation .

Bien plus , le fait qu au regard des articles en étude, qui devraient justifier toute réparation avec toutes ses formes se sont limités dans des considérations générales et laconiques. Pourtant , il faut le souligner, la responsabilité contractuelle ou délictuelle constitue un élément très important , quant à la sauvegarde des intérêts individuels.

C est pour cette raison que le sujet n a pas été un fait du hasard mais bien au contraire, il a été dicté par certains mobiles tels que dénoncés et liés à la réparation des préjudices moraux , c est- à- dire non évaluables en argent .

0.4. Méthodes d approche.

Pour mieux cerner les aspects de notre travail , nous avons choisi deux méthodes de travail : La méthode normative qui nous permet de réfléchir à partir de textes de loi pour comprendre ses contours, sa dimension et ses aspects pratiques ; ainsi que la méthode sociologique nous permettant d accueillir des considérations de différentes personnes qui bénéficient ou subissent les effets de lois.

Dans la langue imagée , dont il avait le secret , Montaigne comparaît son uvre au filet qui sert à lier les fleurs que les autres ont coupées . Et Paul Valéry ne rappelait il pas que nous pensons tous sur les pensées des autres 7. Ces quelques idées résument brièvement la méthode que nous avons utilisée pour rassembler les données qui constitueront le corps de ce travail ; cela parce que il est impossible de partir du néant. Rien ne peut provenir de rien.

7 SOHIER.A, Répertoire général de la jurisprudence et de la doctrine coutumière du Congo

et du Rwanda-Urundi jusqu au 31/12/1951, Bruxelles, Maison Larcier, 1957, p.30

C est pourquoi nous avons essayé de réfléchir à partir de textes de lois, d écrits des auteurs et de décisions judiciaires ainsi que des comportements des personnes auteurs ou responsables de dommages et ceux des bénéficiaires en réparation desdits dommages surtout moraux.

Le sujet étant extrêmement vaste et complexe , nous n avons nullement la prétention de l avoir traité d une façon exhaustive . La raison est simple : nous n avons pas pu mettre la main sur une documentation appropriée à la présente étude ; mais aussi le thème traité par ce travail reste soumis à l évolution scientifique du monde moderne. Déjà en 1924 le dommage moral était connu par les écrits congolais.8

Même prétendre trouver une solution définitive , serait méconnaître à tout esprit créateur son droit de réflexion sur ce sujet d intérêt scientifique. Ce qui n est pas notre intention . Cette étude a pris l allure d une étude plus théorique que pratique, mettant l accent sur ce que devrait être le bénéficiaire de réparation du préjudice moral pour palier au caractère général dans lequel tend à nous amener les articles précités et éviter également que le juge saisi du litige en réparation n ait pas de pouvoirs énormes tirés de son intime conviction quant à la souveraineté de sa décision.

0.5 Délimitation du sujet.

Après avoir souligné la méthode utilisée et tracé ses contours , il convient de donner maintenant le squelette que nous nous efforcerons d habiller tout au long de notre démarche. Nous nous proposons d articuler notre travail autour de deux titres contenant chacun deux Chapitres, inégalement importants et se termine par une conclusion générale faite de considérations générales.

Dans le premier titre , nous nous efforcerons de décortiquer les notions et catégories de dommages moraux, tandis que dans le deuxième titre, nous traiterons des principes et leurs controverses relatives à la réparation du dommage moral.

8 1924 ; date de la création de la Revue juridique du Congo-Belge, ancêtre de la revue juridique du Zaïre.

Notre uvre a un but scientifique, de cela, qu il ne nous soit pas permis de prétendre épuiser la matière dans tous ses aspects théoriques et pratiques . Ainsi, nous sollicitons l indulgence de nos lecteurs chaque fois qu ils auraient à constater certaines insuffisances .

TITRE I : NOTION ET CATEGORIES DE DOMMAGE MORAL. CHAPITRE I : NOTION DE DOMMAGE MORAL

Il convient dès le départ de circonscrire la notion même du dommage moral, d en préciser les contours. Ainsi notre premier chapitre sera divisé en trois sections qui auront pour objet la définition du dommage moral, les caractères du préjudice moral et de la responsabilité civile.

SECTION I : DEFINITION DU DOMMAGE MORAL.

Plusieurs auteurs ont défini le dommage moral ; mais nous nous contenterons dans le cadre de cette étude de n en retenir que trois.

Pour définir le dommage moral, H. Lalou part d une notion fondamentale, la notion de droit et oppose le dommage moral au dommage matériel en basant cette opposition sur la grande division des droits : les droits patrimoniaux et les droits extra-patrimoniaux. « Un dommage, écrit il, est une atteinte à un droit, or il existe deux variétés de droits »9.

1° Les droits patrimoniaux, lesquels aboutissent à procurer à leurs titulaires des satisfactions pécuniaires ou tout au moins appréciables en argent, comme les droits réels, les droits personnels, les droits intellectuels, les bénéfices résultant de l'exercice d'une profession.

2° Les droits extra-patrimoniaux comme les droits politiques, les droits inhérents à la personnalité (droit à la vie, à la liberté de conscience ou de parole) et les droits de famille résultant de la qualité d époux, de parents,

d alliés. La distinction du dommage moral et du dommage matériel correspond à cette grande division des droits.10

9 LALOU H. ; Traité pratique de la responsabilité civile, Paris, librairie Dalloz, ,1955, P. 105

10 LALOU H. ; Traité élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Etablissements Bruylant,1964,p 953 Etablissements Bruylant, 1964, p. 953.

C est sans doute cette idée maîtresse qui a poussé Mazeaud et Tunc à définir cette notion d une manière lapidaire en disant que : le dommage matériel, c est le préjudice patrimonial, le préjudice moral, c est le préjudice extra-patrimonial, non économique ».11 Nous disons quant à nous que le préjudice moral est une souffrance subie par une personne par le fait d un tiers.

La notion que notre travail se propose d étudier est une notion abstraite, insaisissable au premier abord. Peut être faudra t il la concrétiser en relevant à travers la jurisprudence des cas concrets. Ce sera l objet de notre second chapitre. Mais avant d en arriver là, voyons dans une deuxième et troisième section les caractères du dommage moral réparable et le rôle du dommage dans la responsabilité civile.

SECTION II : LES CARACTERES DU DOMMAGE

MORAL REPARABLE

Tout dommage n est pas réparable. C est dire qu en droit congolais, comme en droit français et belge, pour être réparé le dommage doit remplir certaines conditions : il doit être certain, actuel, direct et consister dans la violation d un intérêt légitime. Le système congolais de droit écrit limite donc le nombre des dommages pouvant donner lieu à réparation. En dehors de cette limitation traduite en forme de condition que doit remplir tout préjudice, il n y a pas de réparation possible. Mais qu en est il des bénéficiaires de cette réparation ? et que dit le droit coutumier ? Le caractère restrictif du droit écrit est en opposition avec le droit coutumier. En effet, les actes dommageables pouvant donner lieu à réparation sont plus nombreux en droit coutumier. Traiter quelqu un d esclave, de sorcier, constitue un fait dommageable qui doit être réparé Chez les Nyanga 12 sauf si ses allégations sont vraies. Le fait pour un mari de dire à sa femme qu elle sent mauvais est un véritable fait dommageable. Ce sont là quelques cas pris au hasard ; les exemples sont légion car en droit coutumier « tout est acte dommageable ».

11 MAZEAUD ET TUNC ; Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle, T.I, 5e éd. Paris Montchrestien, 1957, P. 378.

12 NYANGA : Communauté tribale vivant dans le territoire de WALIKALE au NORD/KIVU.

Nous comprenons cette conception du droit coutumier, « quand nous savons que ce dernier traduit la manière de vivre des autochtones, leur civilisation particulière, leur façon d envisager le monde, les rapports sociaux, la justice » 13. Cette observation étant faite, examinons maintenant tour à tour les différents caractères du dommage réparable.

§ 1. Le dommage doit être certain et actuel.

Comme le préjudice matériel, pour donner lieu à réparation, le préjudice moral doit être certain. Est certain non seulement ce qui est mais aussi ce qui sera nécessairement. Certes, l intérêt doit être certain et actuel, mais il faut faire entrer dans l évaluation du préjudice, le préjudice futur lorsque celui-ci se lie nécessairement au préjudice présent car un événement futur peut être aussi certain, le juge devra en tenir compte dans la mesure où il est « la prolongation certaine et directe d un état de chose actuel » 14.

Cependant, un préjudice peut-être seulement futur, sans la prolongation

d un préjudice présent. Même dans ce cas, le juge doit faire droit à l action de la victime lorsque cette dernière demande réparation pour offense à un droit susceptible d évaluation immédiate, toujours à condition que le préjudice apparaisse déjà comme certain : « un préjudice qui n est pas réalisé peut justifier une condamnation actuelle si sa réalisation est dès maintenant certaine parce qu il sera le développement d un préjudice certain en évolution 15.

En dehors de ce caractère certain du préjudice, la victime doit avoir souffert personnellement de ce dommage. Cependant, il n est pas exclu qu un dommage subi par une personne porte préjudice à autrui par répercussion. Il faut également tenir compte du fait que le préjudice frappe à des degrés différents ceux qui en sont victimes. Cette hypothèse se rencontre surtout dans le cas d un accident mortel et soulève de nombreux problèmes, essentiellement celui relatif à la liste des ayants-droit. Nous aborderons ces problèmes quand nous étudierons la question de bénéficiaires de l action en réparation (Section I

13 KALONGO MBIKAYI ; « Problèmes d adaptation des principes moteurs de la responsabilité civile en droit privé Zaïrois » in cahiers (ex-études congolaises) n° 1, mars 1970, p. 81.

14 KALONGO MBIKAYI, Droit Civil des Obligations, notes de Cours, ULPGL/UNIKIN, 1994, P. 142, Inédit.

15 PLANIOL et RIPERT, les obligations, cités par KALONGO, op cit. P. 127.

du chap. II, titre II), et la nécessité d élaboration d une liste d ayants-droit (section 2).

Le caractère certain et actuel du préjudice moral est fondamental. La jurisprudence congolaise est unanime et constante à ce sujet 16.

La cour retient cependant pour la fille un dommage moral certain qui consiste « notamment dans les douleurs et souffrances causées par les blessures, dans le sentiment pénible que provoque la conscience d une certaine diminution physique, dans la répercussion que cette invalidité permanente peut avoir sur toutes les activités non professionnelles de la victime »17.

Le problème de la certitude du dommage réparable va de pair avec la question des bénéficiaires de l action en réparation et de la nécessité de la limitation de leur nombre. Nous serons donc obligés d y revenir plus loin. Cependant, disons déjà que la jurisprudence congolaise rend difficile les conditions d exercice de l action en réparation du dommage moral. Les décisions auxquelles nous venons de faire allusion confondent deux notions qui, à notre avis doivent être distinguées : le caractère certain du préjudice d une part et le degré de gravité de ce même préjudice d autre part. Un préjudice tout en étant certain peut être moins important qu un autre. Aussi, estimons-nous qu il faudrait accorder une indemnité qui soit proportionnée au degré de gravité du dommage. Certes, dans certains cas, cette indemnité sera fort réduite et ne revêtira qu un caractère symbolique, mais, au moins, elle aura abouti à une chose : l affirmation d un droit.

Certes, certaines personnes se demanderont comment peut-on apprécier la gravité du préjudice moral ? Cette gravité s appréciera par rapport aux liens qui unissent la victime directe d un fait quelconque au demandeur d une action

16 Trib. de 1ère Inst. du kivu, 10 oct. 1953, R.J.C.B 1954, p. 107 ; Cour d Appel d Elis, 26 1964, p. 176 ; Cour d Appel d Elis

23 mars 1965, R.J.C 1965, p. 121 ; Cour d Appel de Léo, 11 sept. 1958, R.J.C.B 1958, p. 223 ; Cour d Appel de Léo, 4 juin

1957, R.J.C.B 1958, P. 14 Elis. Nov. 1915, Jur. Col. 1926, p. 179.

17: Cour d Appel d Elis. 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176. La Jurisprudence coutumière affirme aussi le caractère certain du dommage réparable. Vo à ce sujet. Terr. Elis. N° 161, 21 ct. 1937, R.J.I n° 5, 1941, p. 105 évec note ; Cout. Pama

BAKUTU ; Cout. Banunu ; terr. Lukolela, 11 mai 1940, B.J.I n° 4, 1943, p. 82. Cité ar T.G.I Goma.

en réparation ; aux caractères certain, actuel, direct du préjudice moral souffert, préjudice qui est né suite à la violation d un intérêt légitime. Cette question a rencontré aussi bien notre préoccupation que celle des doctrinaires dont les écrits ont retenu note attention (Titre II, chap. II du présent travail).

§ 2. Le dommage doit être direct.

Le dommage réparable, qu il soit moral ou matériel, doit être direct c est à dire une suite directe et immédiate de la faute. C est ce qui ressort de l art. 258 qui exige un lien de causalité entre le dommage et la faute : ce qu il faut réparer, nous dit l art 258, c est « tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ».

La tâche du juge ne sera pas facile pour déterminer ce lien de causalité. Compte tenu de la complexité de la vie, le problème pour le juge sera de déterminer la cause exacte ; il peut y avoir plusieurs agissant d une manière immédiate, lointaine, directe ou indirecte. Plusieurs théories ont été développées dans ce domaine ; chacune d elles cherchant à mettre en valeur la cause ou les causes dont il faudrait tenir compte chaque fois qu il y aura un dommage : la théorie de l équivalence des conditions, la théorie de la proximité de la causalité adéquate.

Cette matière n a qu une incidence indirecte sur notre sujet. Aussi ne la développerons-nous pas dans le cadre de cette étude. Disons toutefois que ce lien de causalité n est pas en soi une condition s imposant d une manière objective car certains systèmes juridiques n y attachent pas beaucoup d importance. Il en est de même pour la plupart des systèmes africains et de certaines populations paysannes de l occident18.

L originalité africaine dans cette matière s explique par la place qu occupe la notion de faute en droit coutumier. Comme nous aurons l occasion de le démontrer dans les lignes qui vont suivre, le droit traditionnel

qui se soucie plus de la victime que de toute idée de faute ne cherchera pas à
connaître l origine du dommage, mais il en constatera tout simplement

l existence. Il y a là une objectivation de la responsabilité civile. Dès lors « on peut comprendre la préoccupation des gens des milieux traditionnels à attribuer à l ensorcellement, à l action des ancêtres ou à toute autre pratique superstitieuse l origine d un dommage qu il viendrait à subir sans en trouver

l origine et à entreprendre eux-mêmes toute action superstitieuse ou autre après consultation des devins pour arriver à la suppression de leur dommage19.

Mais notre système de droit écrit inspiré du droit franco-belge attache une grande importance à la notion de cause et fait de ce lien de causalité une des conditions sans laquelle tout exercice de l action en responsabilité civile est impossible.

Mais que faut-il entendre par dommage direct ? TOULEMON et MOORE répondent à cette question en ces termes : « pour employer le langage de la mathématique, on peut dire qu il y a dommage direct chaque fois que le fait dommageable en est la condition nécessaire et suffisante ; nécessaire parce que le dommage n aurait pas eu lieu si la faute ne s était pas produite ; suffisante parce que la faute s étant produite, le préjudice devait s en suivre sans qu aucun autre événement, action, ou omission, cas fortuit ou force majeure n ait concouru d une manière notable à la réalisation du dommage ; au contraire d une manière générale, le préjudice indirect sera celui dont la cause nécessaire sera le fait dommageable mais qui n en sera pas la cause suffisante, un fait distinct et complémentaire étant venu s ajouter à cette cause initiale »20.

§ 3. Le préjudice doit consister dans la violation d un intérêt légitime.

A côté des conditions que nous venons d étudier une autre condition est exigée : le dommage doit « porter atteinte à un intérêt légitime ». C est dire que la situation lésée doit être licite et morale. 21

19 : KALONGO MBIKAYI; Op. cit (article) p. 81.

20 TOULEMON et MOORE, le préjudice corporel et moral en droit commun,

Paris, Sirey, 1968, P. 130

21MAZEAUD H, la lésion d un « intérêt juridiquement protégé », condition de la

responsabilité civile, D. 1954 Chron p. 39 et Ss, Cité par KALONGO MBIKAYI, op cit, p. 24.

Mais la formule employée par la cour de cassation Française dans un arrêt de la chambre civile du 27 juillet 1937 semble exiger plus qu un intérêt légitime : « attendu que le demandeur d indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d un dommage quelconque mais de la lésion certaine d un intérêt légitime juridiquement protégé ».22

Toute l attention a été portée sur l expression « juridiquement protégé » et l on s est demandé la valeur qu il fallait accorder à ces mots. Sur base de ce principe en 1937, la cour rejeta l action de la concubine, non seulement parce que le préjudice qu elle invoque est immoral ou « illégitime » mais parce que le concubinage ne lui a pas donné de « droit » à l encontre de son concubin et qu il ne peut en conséquence, le lui donner à l encontre des tiers.23

Nous verrons dans la suite que cette question connaîtra une évolution. L action de la concubine ne sera plus rejetée sur base du manque d un intérêt « juridiquement protégé » mais sur base d autres éléments : le manque de garanties de stabilité et le caractère délictueux du concubinage.

Section III : LE PREJUDICE ET LA RESPONSABILITE

L action en responsabilité n est engagée que lorsqu il y a un dommage, une faute et un lien de causalité entre la faute et le dommage (art. 258, livre III C.C.C). Le dommage joue un rôle important car l on ne peut agir en justice que dans la mesure où il y a atteinte à un droit. C est là l application du principe : « pas d intérêt, pas d action ». Cet intérêt, nous l avons vu, peut être pécuniaire ou moral.

Cependant malgré cette importance du dommage que nous venons de souligner, l institution de la responsabilité civile était présentée en 1804 sous un aspect essentiellement répressif. C est dire que les rédacteurs du code de

22 MAZEAUD ET TUNE ; Op. cit., p. 390.

La cour a posé ce principe à l occasion d une action en responsabilité introduite par une concubine à la suite de la mort accidentelle de son amant.

23 IDEM, p. 390

1804 se sont plus préoccupés du comportement fautif de l auteur du dommage que du dommage lui-même.24

Suffit-il qu il y ait dommage pour engager la responsabilité civile ? Non, le seul dommage ne suffit pas, encore faut-il que ce dommage provienne d un comportement fautif. C est en fin de compte l affirmation de la primauté de la faute sur le dommage.

Nous comprenons dès lors que plus tard, c est-à-dire à la fin du XIXe siècle, le principe de la responsabilité pour faute se soit avéré inadapté et insuffisant devant le nombre de dommages toujours croissants à la suite du progrès technique. Aussi, nous écartons de notre étude l appréciation du dommage et responsabilité civile du point de vue de la matière qui intéresse le contentieux administratif, domaine qui apprécie différemment le concept comme « risque ».

Ainsi poursuivons-nous, l expérience occidentale nous montre que les tendances modernes vont dans le sens d une responsabilité collective, plaçant en second plan la notion de faute pour se soucier plus de la victime et pour lui garantir la réparation de tout dommage qu elle viendrait à subir.

Cependant malgré ce vent nouveau, notre droit écrit reste encore cantonné dans la conception classique de la responsabilité ; consacrant un principe individualiste et subjectiviste qui relègue au second plan la notion de dommage.

La conception du droit écrit dont nous venons de dégager les principes directeurs s oppose à la conception du droit coutumier. « Alors que, écrit KALONGO, la conception de la responsabilité civile est subjectiviste en droit congolais, la conception coutumière est objectiviste ; le seul dommage subi suffit pour donner à la victime le droit d exiger réparation sans fournir la moindre preuve de la faute ou de toute autre cause génératrice du dommage. Le droit traditionnel semble se soucier de la victime plutôt que tout état psychique de l auteur du dommage »25.

Là ne s arrête pas la différence entre notre système du droit écrit et le droit traditionnel. Nous avons déjà signalé le fait que les actes dommageables

24 KALONGO MBIKAYI ; Droit civil-Obligations, Cours polycopié, UNAZA, 1972, P. 134

25 KALONGO MBIKAYI ; Responsabilité civile et socialisation des risques en droit zaïrois, PUZ, Kinshasa,1979, P.13-25

sont plus nombreux en droit coutumier qu en droit écrit. En outre l individu est essentiellement dépendant du groupe, toute atteinte portée à ses droits se répercute sur ceux du groupe.

Rien ne nous surprend, cette conception reflète la philosophie même des Bantous, leur civilisation et l organisation de l institution familiale. Et c est non sans raison que TEMPELS écrivait que « le droit positif des Bantous cadre avec leur morale anthologique et tout droit coutumier digne de ce nom est inspiré, animé et justifié du point de vue bantou par sa philosophie de la force vitale, de l accroissement, de l intelligence, de l influence et de la hiérarchie vitale »26.

Nous venons de dégager une nette différence entre le droit coutumier et le droit écrit en matière de la responsabilité civile quant au rôle joué par le dommage dans les deux droits. Mais quels sont les mérites et les inconvénients de la conception objective ?

Le droit traditionnel se soucie plus de la victime que de l auteur du dommage. Tout danger d insolvabilité est écarté dans ce système ; c est tout le groupe qui répond du dommage causé par l un de ses membres. Cette conception a le mérite de prendre en même temps en considération les notions de faute et de dommage. En effet, dans ce système, la faute n est pas totalement exclue, elle sert de mesure de réparation. On doit cependant déplorer le fait que le groupe sur lequel pèse l obligation de réparer n est pas toujours bien déterminé. C est une notion élastique qui varie avec les coutumes : tantôt c est le clan, tantôt c est la cellule familiale. La conception subjectiviste au contraire en faisant peser la charge de la preuve de la faute sur le demandeur risque dans beaucoup de cas de laisser la victime dans l incapacité éventuelle à démontrer la faute de l auteur du dommage. L habileté du défendeur à prouver son innocence risque de laisser le préjudice non réparé.

Le droit coutumier est également imprégné des croyances religieuses ; il est souvent difficile de distinguer le juridique du religieux car « droit et religion, droit et morale ne font pas un». Ce caractère sacré n est pas propre au droit nègre, il semble que « tous les droits anciens, primitifs, avaient surtout un

caractère religieux. Ainsi les historiens du droit romain répètent qu avant le « ius », il y a eu le « fas ».27

Nous estimons pour notre part, qu il faut également désacraliser le doit coutumier, car l élasticité de la notion du dommage en droit coutumier ne s explique que par le caractère magico religieux de ce même droit. Il faut arriver, nous semble-t-il, à introduire la notion de lien de causalité pour que tout dommage ne soit pas réparable. Il faut en d autres termes limiter le nombre de dommages en excluant de cette matière les causes magiques, les croyances superstitieuses qui sont loin d être du droit.

Mises à part ces imperfections, la conception coutumière épouse bien la conception moderne de la responsabilité civile. Sous l influence de tout un faisceau de facteurs : machinisme, désir de venir en aide à toute victime la conception du droit écrit est en voie de virer vers celle du droit coutumier. Le problème qui se pose, c est de remédier aux inconvénients signalés plus haut. KALONGO espère « suppléer à l inefficacité de la garantie clanique en développant la socialisation moderne des risques grâce à l assurance et la sécurité sociale qui ont chez nous une structure monopolistique ».28

La proposition de KALONGO est heureuse, estimons-nous. Cette situation pourra réussir à concilier la tradition et le modernisme. Habitué à la dépendance du groupe, à son contrôle et surtout à sa protection, l africain ne pourra pas se sentir dépaysé en face « des techniques occidentales de réparation collective du type assurances ou de la sécurité sociale ».

Nous ne pensons pas nécessaire de marquer une insistance sur la capacité ou l incapacité (mineur, dément ) de l auteur du dommage moral parce que cette question trouve sa solution par l application des articles 258, 260, 261 et 262 du code civil livre troisième.

Nous aimerions ici fixer la curiosité scientifique de nos lecteurs : le dommage moral dont il est question ici est la conséquence d un préjudice principal pour lequel on sollicite sa réparation. C est le cas d une mort

27LAMY E.; Introduction historique et comparative à l étude du droit coutumier africain,

cours polycopié, U.O.C, 1967 1968,p. 67 reprenant la théorie de POSSOZ et de Tempels. Cité par KALONGO MBIKAYI, op. Cit, p. 83

28 KALONGO MBIKAYI ; Droit civil Obligations, cours polycopié, ULPGL, 1994, p. 177.

occasionnée par la circulation routière (accident) d un père de famille qui affecte les survivants de sa famille.

Nous voici à la fin de notre premier chapitre. Après avoir circonscrit la notion même du dommage moral en faisant l étude de sa définition, ses caractères et de son rôle en matière de la responsabilité aquilienne, il nous faudra rechercher à travers la jurisprudence congolaise les divers cas pratiques par elle rencontrés de façon à en dégager les différentes catégories du dommage moral. Ce sera l objet de notre second chapitre.

CHAPITRE II : LES CATEGORIES DU DOMMAGE MORAL.

Le dommage peut épouser plusieurs formes. Passons-les en revue en procédant à une classification de différents cas rencontrés ( I. l atteinte a

l honneur et a la considération, II. Atteinte au sentiment d affection).

Section 1. L ATTEINTE A L HONNEUR ET A LA CONSIDERATION.

Toute personne a droit à l honneur et à la considération. C est un des droits inhérents à la personnalité. Toute atteinte portée à ce droit cause un préjudice et l auteur du fait dommageable doit répondre des conséquences de son acte. La jurisprudence congolaise a rencontré à plusieurs reprises ce cas et chaque fois que les conditions étaient réunies, elle a accordé des dommages intérêts pour préjudice moral. 29

L atteinte à l honneur et à la considération est punie par notre code pénal30 .

Dès lors, avant d accorder des dommages intérêts, il faut se référer aux faits constitutifs de l infraction. Que faut-il pour parler d atteinte à l honneur ? Pour le cas des imputations dommageables, des injures, la jurisprudence exige une certaine publicité.31

29 : La Cour d Appel de Lubumbashi par exemple a condamné le directeur d un journal de la place au paiement d un franc à l U.M.H.K pour réparation du dommage moral qu elle a subi à la suite de la publication des propos malveillants tenus à son endroit par le dit journal. Cour d Appel Elis. 29 sept. 1942, voir aussi Trib. de district de Kibali-Ituri, 25 avril 1930, R.J.C.B 1932, p. 222, Cour d Appel d Elis. 8 janvier 1946, R.J.C.B 1946, P. 16 Appel Elis, 19 janvier 1946, R.J.C.B, 1946, 20, Cité par l assistant de droit pénal comparé ; Cours non polycopié. ULPGL 1997, inédit.

30 : Art. 74 : « celui qui méchamment et publiquement aura imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l honneur ou à la considération de cette personne, ou à

l exposer au mépris public sera puni d une servitude pénale de huit jours à un an et d une amende de vingt-cinq mille francs ou d une de ces peines seulement ».

31 : MINEUR ; Commentaire du droit pénal congolais, éd. Maison F larcier, Bruxelles, 1953, p. 52

Dans d autres cas, la publicité servira au juge d instrument de mesure pour apprécier l importance du préjudice moral subi : « une gifle qui a causé une blessure a provoqué un dommage matériel et moral à la victime. La gifle qui n a pas provoqué de blessure cause un dommage moral d autant plus grave qu elle a été portée en présence des tiers.

En dehors de la publicité, notre jurisprudence tient compte d un autre élément : l intention de nuire. C est ainsi qu elle estime que « ne peut être rendu responsable des conséquences dommageables de sa dénonciation celui qui adresse une plainte à l autorité judiciaire alors qu il a des raisons sérieuses de croire que le fait dénoncé est constituf d infraction.

Une plainte injustifiée peut également porter atteinte à l honneur et à la considération de quelqu un. En effet « celui qui par une plainte injustifiée met inconsidérablement la justice répressive en mouvement engage sa responsabilité quant aux conséquences de son acte. Il doit indemniser celui contre qui il a porté plainte de l entièreté du dommage que ce dernier a subi de ce fait de son action téméraire et vexatoire.33

La rupture des fiançailles peut être également considérée dans une certaine mesure comme une atteinte à l honneur et peut de ce fait engager la responsabilité de l auteur de l acte dommageable. Mais le problème des fiançailles pose la question de leur nature juridique. Les fiançailles constituentelles un contrat ? Si oui sa rupture peut-elle entraîner une réparation ?

M. M. Pirson et de Villé signalent que la jurisprudence Belge est divisée à ce sujet ; une partie de la jurisprudence estime que le seul fait de la rupture sans motif légitime est constitutif de faute ; une autre partie est d avis que

l absence de motif légitime ne suffit pas, il faut en outre une faute distincte de la rupture34.

Cette assertion a été critiquée par M. BOUILLENNE qui affirme à son tour qu il n existe pas de clans (l expression est de M. BOUILLENNE) dans la

33 Cour d Appel d Elis. 2 janvier 1925, p. 281. Cout. Bena Bayashi, Terr. Kongolo n° 45 et n° 89, B.J.L n° 3, 1933, P. 53, Cout. Bangengele, trib.non Cité (Kindu) 1948, B.J.I. n°8 ? 1952, p. 233 ; Terr. Kasenga n° 23, 20 sept. 1950, B.J.I n° 7,

1950, p. 218 avec note.

34 BOUILLENNE R. ; La responsabilité civile extra-contractuelle devant l évolution du droit,

jurisprudence Belge. En effet, chaque fois qu il fallait savoir si les fiançailles constituaient un contrat, la jurisprudence Belge a toujours répondu par la négative. Cependant « au nom de l équité qui exige que tout préjudice réel et certain soit réparé, elle ordonnait la réparation qui était due cette fois non pas en raison de la rupture elle-même mais en raison des faits dommageables dont elle a été l occasion ».

Pour étayer son opinion, Bouillenne fait appel à plusieurs décisions rendues par les tribunaux belges et qui d après lui tranchent bien cette question. Un arrêt de la Cour d Appel de Bruxelles, écrit-il, a nettement situé la position de la jurisprudence : « attendu que la rupture ne pourrait être imputée à la faute que dans des cas exceptionnels et lorsque les circonstances et modalités de cette rupture créeraient des éléments extrinsèques à la rupture eux-mêmes ; des actes dommageable »35.

Pour cette jurisprudence donc, les fiançailles ne constituent pas une situation contractuelle, il s agit d un stade pré conventionnel, d une situation de pur fait ne donnant naissance qu à de simples obligations morales. Dès lors la faute qui donne naissance à des dommages-intérêts réside non dans la rupture comme telle mais bien dans la manière dont celle-ci s est accomplie : raison injurieuses, publicité outrageante, etc.

La jurisprudence Congolaise a adopté la position de la jurisprudence Belge. La jurisprudence coutumière semble abonder dans le même sens : « la rupture d un contrat de fiançailles sans motif suffisant peut entraîner une condamnation à des dommages-intérêts ».36

Mais la jurisprudence emploie l expression « contrat de fiançailles » ; est-ce dire que le droit coutumier a une autre conception de la nature juridique des fiançailles ? C est notre avis. D ailleurs l expression même « contrat de fiançailles » est mal choisie, elle n est pas à sa place. Le droit coutumier ne

Bruxelles,, Ets. Bruylant, Paris, L.G.D.J, 1947, p. 195. Cité par KALONGO op. Cit.

35 KALONGO MBIKAYI. Op Cit. P 83. La jurisprudence des cours et tribunaux de Goma semblent s inspirer de ces convictions sans néanmoins faire référence directe à ces auteurs.

36 (1) Cour d Appel Goma RPA 509 (rôle Pénal en appel)

(2) Art. 259 code civil livre 3 « chacun est responsable du dommage qu il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence »

(3) Cour d Appel de Léopoldville 23 mars 1954 RJCB 1954 p. 198 cité par KALONGO

connaît pas de fiançailles au sens occidental du terme. C est à dire une situation de pur fait, un stade précontractuel qui n a d autre effet que la naissance de simples obligations morales. En droit coutumier, ce que le droit écrit appelle fiançailles, est un état de droit faisant naître des obligations réciproques dans le chef des parties en présence.

§1.

Etude de cas d adultère.

Comme l atteinte à l honneur et à la considération, l adultère peut causer un préjudice moral certain qui demande réparation. La Cour d Appel de Goma a déjà corroboré ce point de vue : « l adultère dont un prévenu s est rendu coupable a causé un préjudice certain tant à son épouse qu au mari de sa complice, préjudice dont celui-ci est fondé à réclamer réparation conformément au principe général de l article 258 du Code Civil livre troisième».37

§2. Etude du cas de concurrence illicite.

Dans un régime libéral, basé sur la liberté de commerce, sur le plan civil, la concurrence illicite peut causer un dommage soit matériel, soit moral. « Tombe sous le coup des articles 258 et 259 (2) du Code Civil livre III le fait de dénigrer le produit d un concurrent pour vanter par comparaison l excellence de ses propres produits. Si le préjudice causé est d ordre moral plutôt que matériel, la publication de l arrêt constitue la réparation la mieux adaptée aux dommages38 ».

Section II. L ATTEINTE AUX SENTIMENTS D AFFECTION.

Nous sommes ici en plein domaine des sentiments où la sagacité du juge sera à, maintes reprises mise à l épreuve. Il s agira pour lui, dans chaque cas

MBIKAYI, idem p. 93

37 (1) : cour d Appel de Goma. RPA 509, annexée ?

(2) : Art. 259 : « Chacun est responsable du dommage qu il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».

(3) : Cour d Appel de Léo, 23 mars 1954, R.J.C.B 1954, p. 198. Cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. p 68

38 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B 1955, p. 89

d espèce de calculer, mesurer la souffrance de ses semblables. La jurisprudence congolaise a rencontré ces cas plusieurs fois ; les décisions rendues en cette matière sont nombreuses.39 A la lumière de tous les différents cas examinés, nous prouvons dire que les dommages moraux les plus fréquents dans notre jurisprudence restent sans conteste l atteinte à l honneur et aux sentiments

d affection.

Une fille est écrasée par une voiture, la Cour d Appel de Léo accorde des indemnités pour dommage moral aux parents40. Une femme et un enfant perdent leur mari et leur père dans un accident d automobile, l auteur de l acte dommageable indemnise la veuve et l enfant pour dommage moral41.

L Administration n échappe pas à cette obligation de réparer. Si à la suite de sa négligence les routes publiques mal entretenues constituent à certains endroits un véritable danger pour la circulation et provoque des accidents où des vies humaines sont sacrifiées, il y a là lésion manifeste d un droit civil, l Administration engage sa responsabilité : la veuve de la victime, le frère du défunt ont droit à des dommages-intérêts pour réparation du dommage moral qu ils ont subi.42

Ce premier titre de notre travail nous aura permis de circonscrire la notion qui fait l objet de notre étude : le dommage moral. Nous en avons étudié la définition, les caractères et le rôle dans la responsabilité civile. Nous avons souligné relativement à ces questions l opposition entre le droit écrit et le droit coutumier. Après avoir ainsi défini l objet même de notre étude, voyons maintenant dans notre second titre, les problèmes posés par la réparation du dommage moral.

39 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 ; Cour d Appel d Elis 26 mais 1964, R.J.C.B 1964, P.176, Cour d Appel 23 mars 1965, R.J.C 1965, P. 211, Cour d Appel d Elis. 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944, P.48

40 : Cour d Appel de Léo, 28 septembre 1954, R.J.C.B, 1955, p. 89, R.J.C.B 1955, P. 1944, p. 89.

41 : Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, P. 13

TITRE II : DU PRINCIPE DE LA REPARATION DU

PREJUDICE MORAL

CHAPITRE I : CONTROVERSE RELATIVE A LA REPARATION DU

DOMMAGE MORAL

Le problème de la réparation du préjudice moral est une vieille question. Le droit romain l avait déjà rencontré et tranché. En effet, dans la vie, la notion de valeur ne consiste pas seulement en argent, au contraire il y a outre l argent,

d autres biens auxquels l homme civilisé attribue une valeur et qu il veut voir protéger par le droit.43

Mais si le droit romain a pu trouver une solution à ce problème, notre doctrine reste encore partagée. Dans ce chapitre, nous exposerons d abord cette controverse et déterminerons ensuite la position du droit Congolais.

SECTION 1 : LES OPPOSANTS A LA THESE.

Les négateurs du principe de la réparation du dommage moral partent des principes généraux qui gouvernent la responsabilité civile et affirment qu il n est pas possible d assurer cette réparation sans violer ces principes.44

Il y a d abord le but de l institution elle-même. Pourquoi l auteur d un dommage doit-il verser des dommages-intérêts à la victime ? C est pour réparer, répondent-ils, c est « pour que la victime se retrouve à nouveau dans la situation où elle était placée antérieurement ». Et l argent ne répond sûrement pas à ce but car « mille ou cent mille francs répareront-ils les blessures qui

42 : Ière Inst. Elis. 8 juillet 1931, RJCB p. 151

43 : PHILIPPE LE TOURNEAU, Responsabilité civile, Paris,2è édition,1982,P44.

44 : MAZEAUD ET TUNC, op. cit, P. 388

défigurent, les souffrances endurées, un préjudice moral quelconque ? Certes, non ; le mal est fait, il est trop tard pour le « réparer » ; l argent n y peut rien, parce qu il ne s agit pas d argent ».45

Ainsi, la douleur, les souffrances ne peuvent pas se monnayer. N est-il pas répugnant d égaliser la joie de toucher une somme d argent avec l atteinte à la pudeur ou à l honneur de la victime ou avec la peine que lui cause la mort

d un enfant ? Prêter à la victime le but de faire réparer une souffrance aussi haute par une joie aussi vulgaire, serait la rendre méprisable.46

C est cette même idée qu exprime sous le régime des Tsars, Cherchevirch quand il écrit : « la législation qui établit le principe de la compensation en argent du préjudice moral inspire dans l esprit des citoyens des motifs immoraux. Il faut être pénétré d un profond mépris de la personne

d un homme pour lui suggérer que l argent est capable de donner une compensation aux souffrances morales de toute sorte. La transformation d un préjudice moral en argent est le résultat de l esprit bourgeois qui apprécie tout en argent, qui considère que tout est à vendre »47. Nous comprenons très vite cette position qui est le reflet d un courant politique de l époque « le communisme ».

Le juge se trouve donc dans l impossibilité d évaluer le juste prix du préjudice moral. Comment évaluer la douleur, l affection de quelqu un ? Sur quels éléments se baserait-on ? Question difficile et pour sortir de l impasse, le juge sera obligé de proportionner la réparation à la faute ; la réparation prendra ainsi le caractère d une peine privée. Le juge va par ce fait même violer le principe de la responsabilité civile : « au lieu de réparer, le juge civil va punir »48.

45 : IDEM, Op. cit., P.389

46 : SAVATIER, R: Traité de la responsabilité civile, T. II, 2è éd. Paris PUF, incomplet.

47 : De page, H; Traité élémentaire de Droit civil Belge, Bruxelles, Ets. Bruylant, 1964, p. 954.

48 : MAZEAUD ET TUNC ; op cit. 389 et 390.

Cependant, à coté de ces négateurs, nous avons des systèmes intermédiaires accordant des dommages intérêts dans certains cas et les refusant dans d autres : ces sont des systèmes mixtes.49

Certains auteurs50 estiment en effet que la réparation n est possible que dans la mesure où le préjudice moral a une incidence matérielle.

On a objecté à ces auteurs que cette façon d envisager le problème reviendrait à affirmer que seul le dommage matériel pouvait être réparé. « Autant dire, écrivent MAZEAUD et TUNC que le préjudice moral ne peut être réparé »51.

D autres font une distinction entre le préjudice moral causé par une infraction pénale et celui qui n est pas causé par elle52. Ce n est que dans la première hypothèse seulement que l on admet la réparation du dommage moral distinct de tout préjudice pécuniaire.

D autres encore, au lieu de baser leur distinction sur la nature de la faute, ils tirent cette distinction du dommage. Ils divisent les préjudices moraux en préjudices moraux relatifs à la partie sociale du patrimoine moral et à la partie affective de ce même patrimoine.53 La réparation est admise dans le premier cas et ne l est pas dans le second cas. Les atteintes à l honneur, estimet-on, entraînent presque toujours avec elles un préjudice matériel. Il est dès lors possible de traduire les atteintes à l honneur en argent et non celles aux sentiments.

Que penser de cette thèse ?

L argumentation des négateurs de la réparation du préjudice moral est solide. Cependant, faisons remarquer que la réparation en nature que semblent viser les négateurs du principe de la réparation du dommage moral n est pas le

49 : IDEM : Op Cit p. 386

50 AUBRY et RAU, 5e éd. T VI § 445, P. 345 cité par MAZEAUD et TUNC, Op Cit, 387

51 TREBUTIEN, cours élémentaire de droit criminel, T.I n° 129 MANGIN, De l action civile, T.II, N° 123 ; Laborde, « Examen doctrinal », Rev. Crt. Légis et Juris, 1894, p. 26 cités par MAZEAUD ET TUNC : Op Cit. p. 387

52 Voir MAZEAUD et TUNC op cit. 386

53 AUBRY ET RAU ; Op cit 5e éd. T. VI & 445, p. 345, cité par MAZEAUD et TUNC, Op Cit, 387

seul mode de réparation. Il en existe d autres qui pourraient convenir au dommage moral.54

La difficulté d évaluer le préjudice moral est réel. Nous pensons cependant que ces difficultés d évaluation se rencontrent également dans le cadre du dommage matériel. Toute évaluation est subjective et nous ne pouvons pas prétendre, même dans la réparation du dommage matériel à une parfaite reconstruction du passé. D ailleurs, comme nous le verrons dans les développements qui vont suivre, les partisans du principe de la réparation du dommage moral n ont jamais perdu de vue tous ces problèmes.

SECTION 2 : LES TENANTS DE LA THESE

Il n existe pas, bien sûr, de commune mesure entre la souffrance morale et la somme d argent allouée à titre de dommages-intérêts. Les défenseurs du principe de la réparation du dommage moral admettent volontiers qu une équivalence rigoureuse entre l argent et la souffrance ne peut être établie55.

Mais, pensent-ils, il faudra surtout s entendre sur la signification du terme « Réparer ». Quelle est sa portée exacte ? Réparer, ce n est sûrement pas remettre en état égal à celui qui existait avant l accident. Réparer pour eux, « ce n est pas toujours refaire ce que l on a détruit, c est le plus souvent donner à la victime la possibilité de se procurer des satisfactions équivalentes à ce qu elle a perdu. Le véritable rôle des dommages-intérêts est un rôle satisfactoire »56. Ces dommages-intérêts vont jouer un rôle compensatoire, ils ont un effet psychologique certain sur la victime du préjudice.

Cependant les tenants du principe de la réparation du dommage moral n ont pas complètement ignoré le danger qu il y avait à « marchander sur

l honneur et la douleur ». Cette critique les a conduits à la recherche d un autre fondement : l indemnité allouée n aura plus un caractère compensatoire mais elle est considérée comme une peine privée ; elle sert plus à l affirmation d un droit qu à compenser un dommage. R. SAVATIER explique le rôle joué par les

54 Voir section III titre II du présent travail.

55 MAZEAUD ET TUNC ; op cit p. 389 et 390.

56 SAVATIER, R ; traité de la responsabilité civile, T. II, 2ème éd., N° 525 et S. DEMONGE : traité
des obligations en général.
T IV n° 405 ; Boistel, Philosophie du Droit T.I, P, 461 ; GANOT ;
la réparation du préjudice moral, thèse Grénoble 1938 cités par MAZEAUD et TUNC p, 390

dommages-intérêts en pareil cas, en ces termes : « le rôle que nous donnons aux dommages-intérêts soit pénal, soit d affirmation permet d éviter le reproche d arbitraire qui a souvent été fait aux indemnités pour préjudice moral Notre système permet plus facilement d éviter au débat le caractère

d un marchandage de l honneur, de l affection puisqu il s agit de réagir contre

l acte et non de l affamer même par une compensation. Rien ici n aura le caractère d un bénéfice »57 .

Cette idée de peine privée expliquera l influence sur l évaluation du dommage moral du degré de culpabilité de l argent, de l étendue de ses ressources. Elle poussera également les tribunaux à frapper plus lourdement

l auteur du dommage moral s il n est pas déjà atteint par la réparation d un préjudice matériel. Aussi si la victime d un accident mortel blesse beaucoup de parents proches, « leurs affections réunies ne seront pas indemnisées à proportion de leur nombre parce que l indemnité dépasserait alors la sanction équitablement encourue par le responsable. A la limite, lorsque celui-ci leur semblera déjà suffisamment frappé ; les tribunaux pourront toujours se restreindre à une condamnation symbolique.

Le dernier argument présenté par les défenseurs de la réparation du dommage moral est un argument de texte. En effet, l article 258 correspondant à l article 1382 du code Napoléon parle de la réparation du dommage tout court. Il ne fait pas de distinction entre le dommage matériel et le dommage moral. Ce serait violer le texte que de vouloir arbitrairement limiter le sens du terme « dommage » aux seuls dommages matériels58.

Nous adhérons personnellement à cette thèse. Elle a eu le mérite

d affirmer qu à côté des droits patrimoniaux, il existe également des droits extra patrimoniaux », « non économiques » dont la violation mériterait bien une sanction, une réparation. Certes, cette réparation reste difficile, mais nous ne pouvons pas nous retrancher derrière cette difficulté d appréciation pour

57 SAVATIER, R; Op Cit. p. 51

58 MUKADI BONYI ; Droit civil des obligations, cours non polycopié p. 34 ULPGL/UNIKIN 1994 1995, inédit.

méconnaître un droit certain et réel. Cette thèse est d autant plus solide qu elle se fonde sur le texte même de l article 1382 du code Napoléon. Les dispositions de ce texte restent générales et n excluent pas le dommage moral. En outre, l équité exige que celui qui a causé un dommage ; celui qui a posé un acte fautif puisse répondre des conséquences de son acte.

SECTION 3: LA THESE CONGOLAISE

La jurisprudence congolaise admet le principe de la réparation du dommage moral59. Certes, il y a pas de commune mesure entre l argent et la souffrance, mais la réparation bien qu imparfaite reste possible. Les dommages-intérêts alloués en pareil cas revêtent un caractère compensatoire60.

Tout en admettant la réparation du dommage moral, le juge Congolais ne nie pas la difficulté qu il a à établir une équivalence entre la souffrance et

l argent. Cette difficulté transparaît à travers certaines formules employées par
notre jurisprudence. En effet, dire que compte tenu de la délicatesse de la
matière, le droit Congolais reconnaît au juge un certain pouvoir discrétionnaire.

L appréciation du juge est souveraine. C est lui qui, d après les circonstances de fait, réduit ou augmente le montant des dommages-intérêts61.

Cependant, la jurisprudence congolaise entretient parfois une certaine confusion entre le dommage matériel et le dommage moral. Certaines décisions traduisent bien la nécessité de distinguer ces deux catégories de dommage62,

d autres se passent de cette distinction ou ne retiennent qu un seul aspect là où il faut retenir les deux63. Mais cette confusion ne sera que temporaire car notre jurisprudence connaîtra dans la suite une évolution manifeste, elle se rendra compte que la réduction de la capacité physique peut entraîner un préjudice

59 Voir Cour d Appel de Léo. 28 septembre 1954 R.J.C.B 1955 p. 89 cour d Appel d Elis. 17 mai 1960 R.J.C.B 1961 p. 13 cour d Appel 26 mai 1964 R.J.C.B 1946 p 179.

60 Cour d Appel d Elis 19 janvier 1946 R.J.C.B, p. 20, Cour d Appel d Elis, 29 septembre 1942, R.J.C.B, 1945, p. 1 Trib.

Des District du KIBALI ITURI, 25 Avril 1960 R.J.C.B 1932.

61 Cour d Appel d Elis 17 mai 1960 R.J.C.B 1961 P. 13 Cour d Appel d Elis 23 mars 1965 R.J.C.B 1965 P. 211.

62 Tribunal de 1ère Instance Elis R.J.C.B 1963 p. 186

63 Cour d Appel Léo 4 octobre 1956 R.J.C.B 1957 p. 87 Trib 1ère instance d Elis, 27 février 1961 R.J.A.C 1962 avec note.

matériel bien distinct du préjudice moral64. Il est aussi à constater que les juristes (juge ou avocat) utilisent la formule : tous préjudices confondus.

En relevant cette évolution, nous pouvons donner raison à LAMY qui en 1961 déjà s insurgeait contre une décision du Tribunal de 1ère Instance d Elisabethville qui avait estimé qu il y avait lieu de confondre le dommage matériel et le dommage moral au cas où le préjudice atteindrait une victime n exerçant pas de profession lucrative au moment de l accident. « Nous ne croyons pas, écrivait-il, que ce soit dans l état actuel de l évolution de la jurisprudence, une règle constante que de confondre dommage matériel et dommage moral, même dans le cas où la victime avant l accident qui a entraîné une invalidité permanente n exerçait pas une activité lucrative .. A côté du dommage matériel, il peut toujours subsister un éventuel dommage moral comme les craintes pour l avenir, le préjudice esthétique, le sentiment d une déchéance physique, d ennui constant d une gêne, etc. »65 La position de notre jurisprudence se justifie. Les raisons qui ont justifié notre adhésion à la thèse des défenseurs du principe de la réparation du dommage moral peuvent trouver leur place ici.

Après avoir dégagé la position congolaise de controverses doctrinales, il nous faudra maintenant examiner les différentes questions relatives à l action en réparation du préjudice moral en droit congolais.

64 Notre opinion se fonde sur l étude même de la jurisprudence. Alors qu avant 1963, certaines décisions confondaient les deux catégories de dommage (voir note 2) à partir de 1963 la tendance jurisprudentielle marque bien la nécessité se distinguer les deux catégories de dommage ; voyez les références données à la note 1.

65 Confère note sous Trib. De 1ère Instance d Elis ; 27 février 1961 R.J.C.B 1962.

CHAPITRE II : L ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE

MORAL EN DROIT CONGOLAIS

SECTION I : LES BENEFICIAIRES DE L ACTION EN REPARATION.

§ 1. Position doctrinale et légale.

Une fois que le dommage, la faute et le lien de causalité sont établis66 la victime du dommage a droit à l exercice de l action en réparation. Le problème ne présente pas de difficulté quand il s agit de dédommager la victime directe de l acte fautif.

Mais la question devient difficile à résoudre à partir du moment où le préjudice atteint plusieurs personnes à la fois. En effet, les conséquences d un accident mortel par exemple peuvent porter préjudice à plusieurs individus ; un décès cause presque toujours de « véritables catastrophes bouleversant la situation de tous ceux qui croyaient pouvoir compter pécuniairement sur le disparu et semant la douleur chez tous ceux qui avaient pour lui une affection véritable ». Dès lors comment limiter des actions en réparation intentées à la suite d un décès accidentel ?

66 : Voir cependant la valeur de ces éléments en droit coutumier in : KALONGO MBIKAYI : problèmes d adaptation des principes moteurs de la responsabilité civile en droit privé zaïrois in cahiers (ex-études Congolaises), n° 1 mars avril 1970.

Toutes ces personnes peuvent-elles bénéficier d une action en responsabilité contre l auteur du décès ? C est là tout le problème des bénéficiaires de l action en réparation du dommage moral. Faut-il limiter la liste des bénéficiaires de cette action ? Si oui comment fixer cette limite ; quels sont les critères de limitation ?

§ 2. Adoption d un critère général : « Les liens de parenté ou d alliance»

La jurisprudence congolaise a fixé un critère général au regard duquel doivent s apprécier l affection, la douleur de la victime d un dommage. « Le dommage moral, en effet, résulte des liens étroits de parenté ou d alliance qui unissent la victime à ceux qui demandent réparation, il s apprécie sur base de ces liens, ex aequo et bono »67. Il convient d analyser ce critère et en donner la portée réelle. Que faut-il entendre par « liens de parenté ou d alliance » ?

§ 3. Analyse de ce critère.

Le dictionnaire du Droit définit la parenté comme « le lien entre deux personnes descendant en ligne directe ou en ligne collatérale soit l une de

l autre soit toutes deux d un auteur commun. La ligne directe se subdivise en ligne ascendante et en ligne descendante. On distingue également la ligne paternelle et maternelle »68.

Par ailleurs les alliés sont « des personnes non parentées qui viendraient à la suite d un mariage se joindre à la famille. L alliance n engendre des rapports qu entre chaque époux et les parents de l autre »69.

Ce critère est général. Si notre jurisprudence veut rester logique avec elle-même, elle devra chaque fois qu elle y recourra, donner au terme « parent » une portée générale : ce terme devra viser aussi bien les parents

67 Cour d Appel de Léo, 28 sept 1954, R.J.C.B 1955, p. 89 ; Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 Cour d Appel juillet 1943, R.J.C.B 1944, P. 48

68 Dictionnaire de Droit, T II, paris, librairie Dalloz, 11, 1960.

Nous aurons pu partir des définitions Zaïroises, mais la jurisprudence écrite qui pose ce critère ne définit nulle part ce qu elle entend par parenté ou alliance. Il faut donc tenir compte du fait que les termes parenté et alliance auront une coloration différente selon que nous voyons les problèmes sous l angle droit écrit ou celui de droit coutumier. On

consultera à ce sujet pour plus de détail KALONGO MBIKAYI, in responsabilité civile et socialisation de risque en droit Zaïrois P. 32 à 37.

69 Dictionnaire de Droit précité, p. 250. D.I.64.1.99, S. 63. 1. 231 cité par H. Mazeaud : op. Cit. p. 79

germains, consanguins qu utérins. Il existe également plusieurs sortes de parenté : la parenté naturelle et la parenté adoptive.70

Cette formule a été reprise par la jurisprudence française. Pour cette jurisprudence, ce critère a été d une grande utilité dans la recherche des solutions aux problèmes que pose la réparation du dommage moral. Il traduit un net progrès quand nous le comparons à la formule encore plus générale dont a usé la cour de cassation française dans un arrêt de sa chambre criminelle du 20 février 1863 et dans lequel elle affirmait qu on ne pouvait pas tenir compte de la nature du lien qui doit unir en cas de décès la victime du fait avec lui de ses ayants droit qui en demanderait réparation »71 .

Beaucoup d arrêts de la Cour de cassation française vont dans la suite reproduire textuellement ce motif72 sans se rendre compte du fait que la cour de cassation n avait usé de cette formule que pour « rejeter certaines distinctions qu on lui demandait d établir entre les membres de la famille de telle sorte qu elle ne voulait peut-être point affirmer par là que le cercle des réclamants puisse dépasser celui de la parenté et d alliance ».

Cette erreur sur la portée réelle de la formule de la cour de cassation a amené les juridictions inférieures à interpréter à la lettre l arrêt précité de 1863. Cette interprétation aboutissait à l affirmation selon laquelle « toute personne se prévalant d une douleur réelle, quel que soit le lien l unissant au défunt (parenté, alliance, amitié ) devait obtenir réparation ». Aussi verrons-nous dans la suite non seulement des parents éloignés mais aussi des personnes sans lien de parenté ni d alliance avec la victime, de simples amis et même des concubines admises à se plaindre de la lésion éprouvée par leurs sentiments

d affection.

70 Idem p. 249 (Gaz. Pal. 1924.2.145, pars, 6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31 oct. 1930, vo Marty, note S. 1931.1.38 (VI) cités par H. MAZEAUD : op. Cit p. 79,

71 D.I..64.1.99, S.63. 1.231 cité par H. Mazeaud : Op. Cit p. 79 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport Pilon, S.

1931.1.1923 cité par H. MAZEAUD : op.cit.p.79 Voir Pilon rapport précité (D.P 1931.1.38) (IX-X) cité par H. MAZEAUD :

Op.cit.p.80 Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD :p.80,11 mai 1928 (S.1928.3.98) et note de M. HAURIOU cité par H. MAZEAUD p ; 80 : op. Cit. p. 80

72 Sur cette jurisprudence, voir Pilon, rapport sous Reg. 2 février 1931 (D.P 1931.1.38) cité par MAZEAUD H. :Op. Cit. p.79

Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD : Op Cit.p.79 H. MAZEAUD : op.cit p. 79, Montpellier, 24 juin 1924. Gaz. Pal. 1924.2.145, Paris, 6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31.10.1930, Vour Marty, note S.1931.1.38(VI) cité par H. MAZEAUD : op.Cit, P.79

Devant cette multitude d actions contre un seul responsable, il faudra attendre l arrêt du 2 février 193173 pour voir apparaître un critère nouveau, une nouvelle formule plus restrictive que la première : « le lien de parenté ou

d alliance ». Le principe est posé : seuls les parents et alliés peuvent exercer

l action en réparation. Mais pourquoi la chambre des requêtes a-t-elle posé ce critère ?

La première explication réside dans le souci de limiter le nombre d actions. La seconde est celle proposée par la doctrine. Elle est d ordre juridique et part du fait que le « dommage doit porter atteinte à un droit acquis ». Ce que l on exige ici est non seulement la certitude du dommage mais aussi et surtout la lésion a un droit. C est ce sens qui a été adopté par le conseil d Etat. Malheureusement comme le souligne H. Mazeaud, cette justification ne pouvait pas conduire à la limitation admise par la chambre des requêtes. Dans le cadre de notre travail, le droit lésé reste sans doute le droit à l affection. Peut-on alors limiter ce droit à l affection ? il faut admettre que les parents et alliés sont nombreux. Est-il possible de leur permettre d agir tous, chacun pour son compte, en réparation de la douleur éprouvée ?

C est ici qu apparaît la faiblesse du critère. Sans être dépourvu de toute utilité, ce critère ne joue pas réellement son rôle qui est celui de limiter le nombre d actions. Cependant il faut reconnaître qu il est difficile de poser dans une matière aussi délicate, des critères rigides sans courir le danger de verser dans l arbitraire. Le juge ne devrait pas se sentir trop prisonnier de ce principe.

Nous venons de situer le critère de « lien de parenté ou d alliance » et de démontrer en quoi il a constitué pour la jurisprudence française qui s en est servi la première, un progrès manifeste. Il nous reste à voir son application réelle aussi bien en France qu au Congo.

73 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport PILON, PILON, S. 1931.1.1923 cité par MAZEAUD H. : Op. Cit, P.79 Voir Pilon.

Rapport précité (D.P 1931.1.18) (IX-X) cité par H.MAZEAUD :Op.Cit, P.80

a) Sa portée réelle.

Le critère « liens de parenté ou d alliance » est resté, comme nous venons de le voir, dangereux, il est général. La jurisprudence française l a exploité à fond. Elle a allongé la liste des personnes qui peuvent agir en justice contre le responsable de l acte fautif. Cette action réservée d abord au conjoint, aux enfants et aux ascendants du défunt, a été étendue à des frères et s urs du défunt, aux grands parents d un enfant naturel et finalement à toute personne pouvant justifier d une simple communauté de vie avec la victime. C est ainsi que la filleule d une victime peut avoir droit à l action en réparation, qu une mère naturelle, même sans avoir reconnu son enfant pouvait bénéficier de l action dans la mesure où elle avait possession d état de mère naturelle. N estil pas un cas d indignité ?

Les tribunaux français ont parfois dépassé le cadre circonscrit par le critère de lien de parenté ou d alliance en admettant par exemple, l action d une fiancée, celle de toute personne justifiant d une simple communauté de vie avec la victime, etc.

Cette « extension funeste » a inquiété certains auteurs. « Actuellement, écrit DE PAGE, on peut voir des frères indifférents ou hostiles l un à l autre, de beaux-parents qui haïssent du fond du c ur leurs beaux enfants, se souvenir de leur affection « légale » pour la monnayer. Et qui sait, continue-t-il, où l on s arrêtera dans cette voie, à présent que toute limitation sérieuse a disparu : l arrière petit cousin, l ami, le voisin vont bientôt être conviés au partage du butin »74.

Notre jurisprudence n a pas encore connu de cortège d ayants droit. Cette situation, nous semble-t-il, s expliquerait par le fait que le plus souvent les gens ignorent leurs droits et n introduisent pas toujours des actions en réparation du dommage moral, subi à la suite du décès accidentel d un parent. Des quelques cas examinés, il ressort que la liste des « demandeurs se limite soit au conjoint et aux enfants quand il s agit du père ou de la mère qui est

74 H. DE PAGE; Traité élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Ets. Bruylant, 1964, P. 953.

victime, soit aux parents au sens strict quand la victime est un enfant .75 Est-ce à dire que tous les autres parents et alliés : frères, s urs, neveux, cousins, beaux-parents, amis n ont pas droit à l action en réparation ? Nous ne le pensons pas. Et c est ici que l on peut poser le problème de l avenir et se demander quelle serait la position des tribunaux Congolais devant les actions

d un frère, d une s ur, d un cousin Devront-ils les déclarer fondées ? C est une question de politique législative et de culture de prétoire qui semble engendrer peu d intérêt pour le congolais dans ce cas de question préjudicielle.

Nous pensons personnellement que pour rester logique avec elle-même, la jurisprudence congolaise devra admettre toutes ces actions. Notre opinion se fonde sur le fait que l article 258 de notre code civil, livre III milite en faveur de cette solution, compte tenu du caractère général de ses termes ; ensuite le critère de « lien de parenté ou d alliance » adopté par la même jurisprudence reste à son tour général ; il inclut aussi bien l action d un frère, d une s ur,

d un cousin que celle d un beau-père. Néanmoins une liste, pensons-nous, s impose car le caractère général de cet article ne saurait à tout coup justifier uniquement cet article.76 Le problème est encore plus délicat sur le plan du droit coutumier où la solidarité jouant, la notion de parenté est encore beaucoup plus ressentie. Peut-être, pour ne pas retomber dans l excès, faudra-t-il que les tribunaux congolais en arrivent à une meilleure formule qui « se tiendrait à égale distance entre l excès de généralité et l excès de précision », mais osons car dit-on, du choc des idées jaillit la lumière.

b) Possibilité d une pluralité d ayants droit

Comme nous venons de le voir, le critère adopté par notre jurisprudence est général. Son seul avantage, c est qu il permet d exclure du bénéfice de

l action en réparation tous les non parents et les non alliés.

75 Cour d Appel de Léo, 27 sept. 1954, RJCB 1955, P. 89 Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, RJCB 1961, P.13 Cour d Appel d Elis, 26 mai 1964, RJCB 1964, P. 176. Cour d Appel d Elis, 23 mars 1965, RJCB 1965, P. 211.

76 Voir section 2, Titre II du présent travail.

Cependant le danger de voir le responsable aux prises avec une multitude d actions subsiste. En effet, il existe encore beaucoup de familles nombreuses et la jurisprudence française nous donne l exemple d un responsable aux prises avec une foule d enfants, frères et s urs, père et mère.

C est encore la jurisprudence française qui nous donne l exemple d un cas où seize personnes, toutes proches parents réclament réparation de la douleur causée à chacune d elle par un décès accidentel.77

En droit coutumier, le problème présente la même difficulté. Le terme parenté acquiert une acception plus large compte tenu du rôle joué par les groupes dans ce droit. En outre, le mariage en droit coutumier apparaît non seulement comme alliance entre les époux mais aussi comme une alliance entre les deux familles. « Le mariage, écrit A. Sohier, se présente comme une institution complexe, composée de deux contrats étroitement unis, un contrat entre familles et un contrat entre personnes : nous appellerons le premier

l alliance, le second l union conjugale ».78

Cette conception de la parenté et de l alliance renforce davantage les liens d affection et complique du même coup le problème de la réparation du dommage moral. Qu il s agisse du droit écrit ou du droit coutumier, il sera difficile d épargner le responsable du dommage de cette multitude d actions.

Le même problème se pose sur le plan de la réparation. En effet, si la conception occidentale estime que la réparation doit être l équivalent du préjudice subi sans se préoccuper de la situation sociale du responsable, la mentalité africaine s insurge contre une telle conception.

« La mentalité africaine répugne à condamner une personne à des dommages-intérêts qu elle ne sera jamais à mesure de payer.

77 1ère Chambre, 17 novembre (arrêt non publié) (quatre enfants, trois belles-filles, un gendre, huit petits enfants) cités par H. MAZEAUD, P. 78, cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P.77.

78 SOHIER, A; Mariage, n° 3, P.5 cité par PAUWELS, Les droits Zaïrois de la famille, 2ème partie : droit coutumier et législation en matière coutumière, cours polycopié, UNAZA, Kinshasa ,1972, P.21.

Il y a là un sentiment de justice sociale. Le droit soviétique partageait la conception africaine qui, condamnant un délinquant aux dommages-intérêts, tient des ressources de la personne à condamner ».79

Ce danger a amené certaines législations étrangères à se montrer plus restrictives. Le code libanais des obligations exige un lien de parenté légitime ou d'alliance; celui de la république de Pologne de 1934 est encore plus restrictif. En effet, l art. 166 n accorde une réparation du préjudice moral, facultative pour le juge, qu aux membres les plus proches de la famille du défunt ». L article 47 du code suisse des obligations relève également le caractère facultatif de cette réparation et ce, uniquement à « la famille ». Le code civil autrichien dans son article 1327 va plus loin car la réforme apportée à ce texte en 1917 a eu pour but d exclure tous les parents qui n étaient pas créanciers alimentaires du défunt.80

De tout ce qui précède, il résulte que le critère de lien de parenté adopté par notre jurisprudence risque de susciter de nombreux problèmes insolubles. Peut-être qu aujourd hui rien ne présage un tel danger, mais le problème se posera sûrement pour l avenir. Aussi serait-il souhaitable de limiter le nombre d ayants droit. Cette question fera l objet de notre quatrième paragraphe. Mais avant cela, examinons quelques cas particuliers.

§ 3. Etude de quelques cas particuliers.

Dans ce paragraphe, nous nous proposons d examiner quelques cas qui pendant longtemps ont divisé la doctrine et la jurisprudence. Il s agit des actions d une concubine, d un enfant adultérin et des parents naturels. Notons cependant que des termes comme enfant adultérin ont été abandonnés au Congo avec l avènement de notre code de la famille.

a) L action d une concubine.

79 BAYONA BAMEYA ; Procédure pénale, Cours polycopié, UNAZA 1978, P.5, cité par NYABIRUNGU, Procédure pénale, cours non polycopié, ULPGL, 1992-1993.

80 MAZEAUD et TUNC ; Traité pratique et théorique de la responsabilité civile, délictuelle et contractuelle, 5ème Ed. Tome 1, P. 398, cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit, P.48.

Une concubine peut-elle exercer l action en réparation du dommage subi par elle à la suite de la mort accidentelle de son amant ? Cette question a longtemps laissé la doctrine et la jurisprudence hésitantes. Il nous faudra refaire le chemin parcouru par la jurisprudence française avant d en arriver à l arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970 qui consacre le principe de l admission de l action de la concubine.

Pendant longtemps la chambre criminelle et le conseil d Etat répondaient différemment à cette question.

La chambre criminelle fondera sa position sur le caractère général des termes de l art 1382 qui exige une interprétation large de la notion du dommage. C est ainsi que dès 1863 elle affirmait que « l article 1382 du code civil en ordonnant en temps absolu la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite en rien la nature du lien qui doit unir au cas de décès la victime du fait avec celui de ses ayants droit qui en demanderaient la réparation ».81 Avec une conception aussi large le seul problème qui se posait était de déterminer la certitude du dommage.

En 1926, la chambre criminelle accorde à une concubine réparation du préjudice matériel « subi par elle du fait du décès de l homme avec lequel elle vivait maritalement depuis 28 ans ».

Cependant à la même époque, le conseil d Etat adoptait une solution différente. Il estimait en effet que pour obtenir réparation « d un préjudice matériel (seul préjudice réparable à l époque) il ne suffisait pas d un intérêt, il fallait pouvoir justifier d un droit lésé »). Dans cette conception restrictive, le conseil d Etat exigeait un lien de droit. Aussi va-t-il rejeter la demande en indemnisation de la concubine, celle de la mère d un enfant naturel non reconnu et « de manière générale, celle des parents et alliés titulaires d une créance alimentaire dont les conditions d exigibilité n étaient pas réunies à la date du décès ».

81 JOSE VEDAL, « L arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970, le droit à réparation de la concubine et le concept de dommage réparable » in semaine juridique, 45ème année, 31 mars 1971, n° 13, cité par H. de Page, Op. Cit. P.50.

Ce jugement du conseil d Etat est sévère ; heureusement que ce même conseil d Etat accordait aux très proches parents réparation du préjudice résultant « des troubles de toute nature apportés dans leurs conditions

d existence »82.

Les solutions apportées par la chambre criminelle dans cette matière n ont pas laissé la doctrine indifférente. Certains auteurs les ont critiquées et ont rejeté l action de la concubine du fait qu il n y avait pas d intérêt légitime en raison du caractère immoral du concubinage ou du fait du caractère incertain du préjudice, en raison de la précarité du concubinage. Cependant d autres auteurs allaient faire appel à des arguments d ordre général :

« ils considéraient que seules les personnes liées par un lien de droit à la solution du conseil d Etat en admettant que seule la lésion d un droit et non celle d un simple intérêt, pouvait ouvrir à réparation »83 .

Malgré ces protestations, la chambre criminelle continuait à admettre la réparation du préjudice matériel et d affection à la concubine. Devant cette situation insolite de nombreux pourvois vont être introduits ; ils se fondent tous sur l instabilité et sur l immoralité des relations nées du concubinage. A ces pourvois, la chambre criminelle opposait le caractère général de l article 1382.

La chambre criminelle pouvait-elle maintenir sa position en cas d un concubinage adultérin si l épouse légitime était elle-même intervenue à

l instance ? Ici, elle excluait l action de la concubine et estimait que les liens
nés du concubinage ne pouvait donner ouverture à une action en indemnisation
que dans la mesure où ils offraient des garanties de stabilité et de non précarité

d une part et d autre part dans la mesure où ils ne présentaient pas un caractère délictueux.

82 JOSE VEDAL ; dommage réparable in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971, n° 13.

83 JOSE VEDAL ; V° article précité in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971, n° 13, cité par KALONGO, Op. Cit., UNAZA , p.58.

Mais, si la chambre criminelle s était prononcée clairement en faveur de la recevabilité de l action en réparation d une concubine, la deuxième chambre civile de son côté n a pas cessé de rejeter dans ses nombreux arrêts l action de la concubine qui ne pouvait selon elle invoquer « la lésion d un intérêt légitime juridiquement protégé».

De ce qui précède, il se dégage que la jurisprudence ainsi que la doctrine française ont connu de nombreuses vicissitudes, et des années durant, les solutions de diverses chambres de la cour de cassation sont restées divergentes alors que la chambre criminelle a fini par admettre l action de la concubine en se fondant sur la généralité de l art. 1382 ; la chambre civile, elle continuait à la rejeter parce que la concubine n avait pas d intérêt « juridiquement protégé ».

L arrêt du 27 février 1970 est venu justement mettre fin à cette opposition entre deux chambres d une même cour. Aujourd hui, nous pouvons dire que le problème a été tranché : la cour a abondé dans le sens de la chambre criminelle à savoir l admission de l action de la concubine.84 Vouloir, estime la chambre mixte, subordonner l application de l art. 1382 à l existence d un intérêt légitime protégé », c est violer le texte.

En effet, la formule d un intérêt « juridiquement protégé » invoquée a été critiquée par la doctrine qui a fondé sa critique sur le principe posé par la même cour de cassation en 1863 : « attendu que l art 1382 en ordonnant en termes absolus la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite rien, ni la nature85 du fait dommageable ni la nature du dommage éprouvé, ni la nature du lien qui doit unir, au cas de décès, la victime du fait avec celui de ses ayants-droit qui en demanderaient la réparation. »

84 KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P. 62.

85 Voir MAZEAUD ET TUNC, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle et

contractuelle, 5e éd T.I, 1957, p. 360 Crim. 20 fév. 1863, 1321 et rapport Nougier, D.1864, 199 cité par MAZEAUD et TUNC : Op. Cit, P. 360, Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, la responsabilité civile 1982, p. 190. Il nous faut noter que ce que nous disons à propos de « l intérêt juridiquement protégé » ne concerne que le concubinage non délictueux

En appliquant cette formule, l action de la concubine sera rejetée non seulement parce que le préjudice invoqué est immoral mais aussi parce que le concubinage est une situation qui ne crée pas de droits. Sur quoi se fonderait-on pour subordonner l application de l art. 1382 à la lésion d un droit ? Tout intérêt est juridiquement protégé lorsqu il n est pas illégitime85.

Cet arrêt a donc posé non seulement le problème des conditions d application de l art 1382 mais aussi celui du sens à donner aux expressions licéité, légitimité et bonnes m urs. Quand peut-on dire qu il y a violation de droit ou de bonnes m urs ? Peut-on dire que la réparation du dommage subi par une concubine à la suite du décès accidentel de son partenaire constitue une violation de l art. 1382 ?

L on pourrait procéder à une interprétation absolue et dire : pour qu il y ait réparation, il faut une faute, un dommage et un lien de causalité. Le dommage doit être juridiquement protégé apparaît comme condition qui ne ressort pas du texte, c est-à-dire de l art. 1382.86

Cependant, nous ne partageons pas cette interprétation basée sur un argument fragile : le silence du texte. Certes, l art. 1382 ne fait pas mention de la condition d un intérêt juridiquement protégé, mais il ne faut pas perdre de vue le caractère général et abstrait de tout texte, il est souvent complété par la jurisprudence et la doctrine.

Même les caractères certains et directs exigés de tout dommage ne ressortent pas du texte. Pour la chambre mixte, l indemnisation reste possible sans distinction de rapport de fait et de droit unissant le défunt au demandeur, à condition que ce rapport ne soit pas délictueux et illicite. Le concubinage non délictueux est licite.

Cependant subsiste pour certains arrêts une réserve quant à l action de la concubine. Seul le concubinage sérieux, stable et non délictueux (pas adultérin)

86 NOOMNA M.K : « La réparation du dommage et l existence d un intérêt juridiquement protégé (A propos de l arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970 », D.1970 201 in Recueil Dalloz Sirey, 1970, 14 oct.1970.

permettrait à la concubine d obtenir une réparation intégrale du préjudice matériel et moral causé par le décès de son compagnon.

Ce « concubinage » est un quasi mariage, un mariage auquel il ne manque en quelque sorte que la célébration pour reprendre une définition de Justinien (légitima confunctio sine honesta celebracione matrimonie)87.

Que signifie illicite ?

Une situation est illicite dans la mesure où elle viole une ou plusieurs règles de droit, l inverse est la licéité88. Et nous pouvons conclure que le concubinage non délictueux ne viole aucune règle de droit positif. Le mariage est un domaine de liberté89 et que le couple qui n a pas opté pour ce statut civil n en est pas coupable.

Dès lors, le concubinage ne peut pas être qualifié d illicite en dehors des rapports intimes entre individus qui relèvent du domaine du non droit. Le droit ne couvre pas tous les aspects de la vie sociale ; « il n est qu une mince pellicule à la surface des relations entre les hommes »90.

Si le concubinage ne constitue pas une violation du droit, peut-on dire qu il constitue une violation de bonnes m urs ? Mineur définit les bonnes

m urs comme « certaines règles morales qui s intègrent dans le cadre juridique de la société et dont le respect se trouve assuré par les tribunaux. Les règles de droit, continue-t-il ne sont pas suffisantes pour satisfaire l idéal de la société. Un minimum des règles morales est nécessaire pour compléter le droit. Toute demande à la justice doit être en harmonie avec ce minimum appelé « les bonnes m urs »91.

En parlant de cette définition, la thèse idéaliste qui « établit un certain nombre de principes abstraits conçus d une manière rationnelle et inspirés des enseignements religieux et du système de valeurs traditionnelles qui règnent sur

87 PHILIPPE LE TOURNEAU, Op. Cit. p. 175, 1982.

88 DICTIONNAIRE de termes juridiques, op. cit.p. ?

89 CODE DE LA FAMILLE art. 330 335 et suivants ( loi n°87/010 du 1er Aôut 19987 partout..)

90 CARBONIER J. ; Sociologie juridique, le procès et le jugement, P.95 et 97. Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, Op.Cit. P.179, 1982.

91 MINEUR ; Commentaire de droit pénal congolais p. 68.

la société « estime que les gens qui ne se conforment pas à ces principes sont de mauvaises gens et que tout rapport en dehors du mariage est immoral ».

Cette thèse évite les réalités sociales.

Il faut tenir compte des circonstances réelles car « la morale doit tenir compte du malheur des gens à juger, autrement il faudrait procéder à la moralisation de la morale ».

La thèse empirique soutient, au contraire, qu un rapport sexuel quelconque ne saurait être condamné s il est toléré et approuvé par l opinion publique et par la majorité des membres de la société. Le concubinage non délictueux est-il condamné par l opinion publique ?

« L opinion publique, croyons-nous, ne condamne pas le concubinage. Les m urs doivent suivre cette opinion car les m urs ne sauraient incriminer qu une conduite minoritaire. Et si cette conduite se trouve répandue et généralisée, ce seraient les m urs elles-mêmes qui seraient à changer ».

L arrêt de la chambre mixte est venue consacrer juridiquement une situation de fait et montrer que « nous vivons dans une société en pleine mutation où la famille légitime au sens classique n est plus le cadre adéquat et unique de la vie en commun entre un homme et une femme. Et nous nous demandons avec l auteur si la formule exigeant un « intérêt légitime juridiquement protégé » ne cédera pas la place à une autre formule exigeant pour réparer le dommage « un intérêt socialement protégé ».

Le problème de l action en réparation du préjudice moral diligentée par une concubine a connu une évolution certaine. De l admission de cette action, de la notion de cette action, de la notion de « l intérêt juridiquement protégé » on est passé aux notions de stabilité et de délit. Le concubinage stable et non délictueux n est plus considéré comme un domaine du « non droit » contrairement à ce qu affirme FRANÇOIS CHABAS : aux yeux de beaucoup, le dommage doit quand même être un « non man s land » juridique. La loi ne peut pas réglementer une situation qui est celle de la facilité et par cela même

offre une redoutable concurrence à une institution à laquelle tiennent les nations civilisées, à savoir le mariage92.

Qu en est-il du droit congolais ?

Bien que le droit congolais n a pas encore clairement posé le principe dans ce
domaine, nous osons croire, vu les jurisprudences peu fournies en matière

d action en réparation d une concubine, néanmoins nous découvrons dans
certaines dispositions de notre code de la famille la volonté du législateur,
lorsque, parlant des preuves du mariage, il cite en outre la possession d état

d époux et que par ailleurs, face à une action en divorce initiée par l un des
conjoints unis par le mariage coutumier, suspend la procédure jusqu à

l enregistrement de ce mariage avant que le tribunal puisse en connaître sur le fond93.

Le législateur ne dit pas qu un tel mariage est illicite mais il limite seulement ses effets juridiques jusqu à son enregistrement. Le droit coutumier quant à lui semble tenir compte en matière de concubinage de son caractère stable. La stabilité lui sert de critère pour identifier cette situation de fait à un état de droit qu est le mariage. Un concubinage de longue durée produit des effets analogues à ceux du mariage94. Nous pouvons affirmer dès lors qu il suffit qu un concubinage présente des garanties de stabilité pour que les tribunaux déclarent recevable l action en réparation d une concubine. Ce que F. CHABAS a écrit en 1975 est donc dépassé par l évolution de la société à l an 2000.

Il semble d ailleurs que le droit coutumier avait, avant de subir

l influence du droit occidental, une attitude fort différente de celle du droit écrit envers les formes de cohabitation et de relation en dehors du mariage. Certes, le droit traditionnel protégeait et favorisait même l institution du mariage mais il n était pas comme le droit occidental la servante d une certaine morale et son attitude n était pas purement négative. Le professeur PAUWELS affirme que

92 CHABAS, F; le c ur de la cour de cassation (le droit à la réparation de la concubine

adultère) in recueil Dalloz Sirey 1973, 20e cahier, Chron p. 41, cité par H. de page op., Cit. P.94

93 : Code de la famille : Art. 330 334

les « relations illicites étaient traitées moins comme incompatibles avec la morale que comme contraires à certains intérêts familiaux ou autres. Ainsi la répression de l adultère et de la séduction tiraient leur justification des droits exercés par certains hommes (père, mari, oncle) sur les femmes placées sous leur autorité. Dans la répression, le droit coutumier prend une attitude beaucoup moins négative que le droit écrit. Il n y a pas de maximes telles que « nemo auditur » ou « in pari causa95 ».

Le professeur PAUWELS reconnaît cependant que le coutumier dans cette matière est peu connu et que le concubinage était plutôt rare et difficile à déceler compte tenu de la variété des formes de mariage en droit coutumier.

Ainsi la solution de la chambre mixte se rapproche plus ou moins de cette conception coutumière. Ce qui est mis en évidence, c est plus le caractère de stabilité de certains concubinages plutôt que leur caractère immoral. Demain nos tribunaux seront peut-être submergés par ce genre d actions, puissent - ils dans leurs décisions s inspirer du droit coutumier pour que tout en restant un élément de stabilité dans une société organisée, le droit puisse cependant évoluer avec la même société. Dans sa recherche des solutions aux problèmes congolais, le juge devra d abord et avant tout s inspirer du droit national ; il ne doit pas perdre de vue que le droit congolais à créer devrait s assigner deux objectifs : le respect de la mentalité du peuple et l adaptation aux nouvelles conditions de vie.

C est pourquoi, pensons-nous rappeler ce qui suit : le préjudice réparable n est pas n importe quel préjudice certain. S il ne résulte pas nécessairement de l atteinte portée à un droit, les règles de la responsabilité civile ne peuvent pas permettre de sanctionner et de reconnaître de l intérêt ou des situations que le droit condamne parce qu ils sont contraires à la loi, à

l ordre public ou aux bonnes m urs.

94 : Coutume Bayeke, Coutume Baluba Banza, Coutume du Kasaï, Coutume Lunda B.S.I N° 1. 1941, p. 26 Centre Elis n° 13 383, CEC Ev. P. 294

95 : PAUWELS : voir son cours de droit coutumier précité, P. 23.

PAUWELS : op. Cit. P. 23 24. Cité par KALONGO MBIKAYI cours de droit civil : les obligations UNAZA.

Pour avoir droit à la réparation, l intérêt lésé ne doit pas être illégitime ou, pour dire l autre face, n est réparable que le préjudice licite. Il est seulement légitime, ne heurtant ni la loi ni les bonnes m urs (Cass. Mixte 27 février 1970, Veuve Gaudras C. dangereux ).

Cette conception morale choque certains par son archaïsme, la réparation découle du dommage qui est un fait et non d un droit préalable. Dès lors ne conviendrait-il pas de réparer tout préjudice sans porter un jugement de valeur sur la conduite de la victime, appréciation forcement subjective et variable. Nous l avons d ailleurs constaté.

La position inverse conduit au singulier résultat de faire bénéficier l auteur d un dommage d une irresponsabilité qui, de son côté, ne se justifie d aucune façon. Pourtant dans certains cas, il ne paraît pas possible en morale d accorder une réparation à la victime. La société fait ici un choix de politique législative.

L action de la concubine a fait couler beaucoup d encre.

En 1970, le principe de la réparation de dommage moral subi par la concubine est accepté, l avons-nous vu. A partir de 1937, la cour de cassation française jugea pour que le préjudice fut réparable qu il ait consisté dans « la lésion d un intérêt légitime, juridiquement protégé » (Civ, 27 juillet 1937, Droit 1938, 1.5, NR Savatier, S, 1938.)

Cette formule ambiguë a servi à écarter l action de la concubine mais sa portée était plus vaste car elle se dédoublait : il fallait que l intérêt mis en avant par le demandeur naquit d un droit légitime et de plus, qu un lien de droit existant entre le demandeur et la personne dont la mort ou les blessures lui causaient un préjudice.

pas issu de l atteinte à un droit, causé à toute personne, fut-elle sans lien de droit avec la victime, ouvre droit à réparation. La concubine peut donc invoquer en justice le préjudice matériel, que lui cause la mort de son compagnon, ou moral (douleur, etc).

Le conseil s aligna par la suite sur la Cour de cassation (CE, 3 mars 1978, Dame MUESSER, Droit, 79 in 49, obs Modirne96.

b) L action d un enfant adultérin

Comme le cas de l action d une concubine, l action d un enfant adultérin a posé le problème de l illicéité dans la jurisprudence française.

Au nom du principe que l illicéité ne peut créer le droit, la chambre civile a rejeté l action en réparation de l accident dont leur auteur a été victime . Il n existe, estime la jurisprudence, aucun lien juridique de parenté, l enfant adultérin est un étranger, il ne peut par conséquent avoir droit à réparation d un préjudice moral.

Mais TOULEMON et MOORE affirment que « la jurisprudence la plus récente, s ils remplissent certaines conditions, reconnaît aux enfants adultérins le droit à réparation du préjudice moral ». Nous devons cependant reconnaître que cette affirmation ne nous satisfait pas car, ses auteurs ne mentionnent pas les dites conditions.

Ici aussi le droit congolais n a pas encore dégagé des principes stables. Disons cependant que le droit écrit congolais, influencé lui-même par le droit franco-belge connaissait la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels simples ou adultérins et mettait ces derniers dans une situation inférieure par rapport aux premiers.

96 PHILIPPE LE TOURNEAU ; la responsabilité civile, Paris,1986,P.175.

PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.

Le droit traditionnel ne connaît pas cette distinction. Les enfants sans père ne jouissent pas d un statut inférieur comme en droit écrit. C est dommage qu une partie de la jurisprudence ait déclaré en matière de reconnaissance qu un enfant adultérin ne doit pas être reconnu97. Cette influence du droit occidental sur le droit coutumier est déplorable.

C est pourquoi nous avons salué avec joie le souhait du chef de l Etat MOBUTU de voir disparaître dans notre droit cette distinction98. Heureusement la commission de réforme constituée à ce sujet et chargée de revoir tout notre code civil n a pas eu de vue ce problème, ce qui a conduit à la disparition de « toute discrimination entre enfants adultérins et autres dans notre code de la famille99».

c) L action des parents naturels

Le problème de l illicéité de la cause s est posé également ici. On s est demandé si les tribunaux devaient rejeter l action des parents naturels sous prétexte qu elle est fondée sur des relations immorales.

Nous pouvons résumer la tendance générale en ces termes : « on ne peut opposer aux parents naturels l illicéité de la cause car la cause qui sert de fondement à leur action réside non pas dans les relations immorales mais dans

l obligation naturelle et morale de leur enfant envers eux, du fait du sinistre, les parents naturels perdent le droit corrélatif à cette obligation, droit qui existe avant même d être formulé en une action en pension alimentaire.

Mais la question se pose d une façon plus délicate encore pour les grands-
parents qui eux ne peuvent prétendre à aucun lien légal avec les petits enfants.
La jurisprudence tenant compte du fait qu on ne peut invoquer aucun caractère

97 PAUWELS ; op. cit. P. 310Pq Congo Ubangi, 20 mai 1949, B.J.I. 1952, p. 325, répertoire Pauwels P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.

98 PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU,

99 MOBUTU : Discours du 21 mai 1972 lors du premier congrès ordinaire du MPR.

illicite à leur encontre, admet leur action tant au point de vue du préjudice moral que du préjudice matériel100.

Quant au droit zaïrois, les observations faites à propos de la concubine et des enfants naturels sont valables ici aussi : notre droit n a pas encore posé des principes précis. Nous nous sommes contentés de relever l opposition entre la conception coutumière et l esprit du droit occidental et avons émis le souhait de voir disparaître de notre droit la discrimination entre les enfants légitimes et naturels.

§ 4. Nécessite d une limitation.

Notre étude sur l exercice de l action en réparation du préjudice morale nous a conduit à constater qu il peut y avoir plusieurs ayants-droit. La formule générale de l article 258 et le critère adopté par notre jurisprudence confirment cette affirmation. Cette situation a inquiété la doctrine qui a constamment souligné la nécessité d une limitation comme nous l avons indiqué. D ailleurs pour plus de détails, dans l ouvrage (chef d uvre) du professeur KALONGO MBIKAYI « Responsabilité civile et socialisation des risques en droit zaïrois » le professeur, dans son introduction a clairement souligné que l article 1382 et suivants du code Napoléon a été ébranlé par l essor de techniques nouvelles de réparation collective telle l assurance privée et la sécurité sociale. Il ressort de cet ouvrage que le caractère général de cet article mérite un regard sévère chaque fois qu il en est fait application.

Dans ce paragraphe, nous allons retracer le chemin parcouru aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine dans leur recherche des critères de limitation.

100 Nîmes, le 3 avril 1933, Gaz Pal ; 1933 3.54 ; D.H 1934, 1.389 ; Paris, 13 novembre 1933, gaz. Pal ; 1934 1.138, cité par TOULEMON ET MOORE, p. 155. Voir aussi Lalou : traité

pratique de la responsabilité civile, Paris, librairie Dalloz, 1955, P. 177 qui relève la même tendance jurisprudentielle : cfr. Discours du Chef d etat. Cité par KALONGO MBIKAYI,

Op. cit. UNAZA, P. 86.

De notre part, nous constatons qu il suffit de bien étudier et analyser la procédure civile, le droit civil des obligations, des personnes et autres pour qu à la fin nous puissions suggérer une liste limitative des demandeurs en réparation. C est donc un débat que nous relançons ou mieux, la poudre que nous mettons sur le feu. C est l évolution du droit civil.

a. Critères de limitation.

Ce n est pas sans raison que nous avons voulu faire de l introduction d une demande en réparation une question préalable101. En effet, pour en connaître le fond, le juge ou le tribunal doit s enquérir de la forme ou de la recevabilité de l action en vérifiant dans le chef du demandeur : la qualité, l intérêt et la capacité. Question d économie du temps pour le juge, et la suite du procès en dépend. La justice humaine n étant pas parfaite, on risque d enrichir indûment un demandeur véreux.

La première limitation est tirée de l article 258 CCL III lui-même. En effet, cet article exige pour toute action en responsabilité la triple nécessité d un préjudice, d une faute et d un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Nous avons souligné cependant, le rôle joué par ces trois éléments en droit coutumier. En droit écrit, la réunion de ces trois éléments dans le chef du demandeur vanté. Mettons de côté l ébranlement de cette notion en droit des assurances. Toute action qui ne répondrait pas à ces trois conditions serait déclarée non fondée. A contrario donc, l action serait déclarée recevable et fondée. Le juge aurait vérifié la forme et le fond.

Le préjudice doit porter atteinte à un droit acquis. La possibilité de prouver la certitude du dommage ne peut être accordée qu à ceux qui auraient une créance alimentaire contre le défunt. Cependant le caractère certain d un préjudice ne peut constituer une barrière au nombre des actions intentées que pour dommage matériel. Ce frein ne peut pas avoir le même effet pour le dommage moral car « l affection que l on éprouve pour une personne ne

101 : Section 3, Titre II du présent travail.

dépend en rien de l existence d une créance d aliments à son encontre.102 Le danger d une pluralité de demandes en réparation n est pas écarté.

L arrêt du 2 février 1931 nous proposera un critère nouveau : les liens de parenté ou d alliance. Ce critère a joué un grand rôle dans la recherche d une solution au problème de la limitation du nombre des bénéficiaires de l action en réparation. Cependant, les critiques n ont pas manqué. RIPERT pense « qu il oublie le conjoint qui n est ni parent ni allié et qu il parle des ayants-droit alors qu il s agit d une action personnelle ». En outre cette formule a un caractère de rigidité qui ne lui a pas permis de faire jurisprudence. Prise à la lettre, cette formule permet de recevoir l action du collatéral du plus éloigné degré et de repousser l action du fiancé ou du parrain qui a élevé son filleul.103

Ce principe demeure insuffisant à notre avis, les parents et alliés du défunt étant trop nombreux pour qu il soit possible de permettre à chacun d eux

d agir pour son propre compte en réparation de la douleur qu il éprouve. Le caractère légitime de la douleur a été souvent aussi invoqué comme moyen de limitation du nombre d actions en réparation du préjudice moral104. C est sur cette base que l action de la concubine sera rejetée. Mais cette solution, nous

l avons vu, est largement dépassée aujourd hui. En effet, depuis l arrêt du 27 février 1970 de la chambre mixte, on admet sous certaines conditions l action en réparation d une concubine.

Confrontés à toutes ces incertitudes, certains auteurs, notamment H. Mazeaud et Ripert105 vont se fier au pouvoir d appréciation des juges du fond.

C est grâce aux pouvoirs qui lui sont reconnus quant à l appréciation de

l existence du préjudice que le juge du fond doit trouver un frein à

l exagération du nombre de demandes. Remarquons tout de suite que l intime conviction du juge lui accorde un large pouvoir d appréciation, nous pensons que ce pouvoir doit être limité par une liste des demandeurs en réparation.

102 MAZEAUD H.; op. Cit P. 78 Cité par KALONGO. Op Cit. P.78 .

MPINDA ; cours de procédure civile, 2001, inédit, ULPGL, P 134.

103 RIPERT, G; Le prix de la douleur, D.H.1948 Chron p. 2 cité par De Page, Op. Cit, P. 30

104 Rp. Oct. 1921 (D.P. 1922 1.163, gaz. Pal ; 1921 2.558, H. et L. MAZEAUD : T.I n° 327 ; JOSSERAND :, D.H 1932, Chron p.p. 501 cité par De Page Op. Cit. p. 90.

Il faut établir la preuve de la douleur.

Cette preuve sera plus facile à apporter pour les parents ou alliés très proches que pour n importe qui. Mais ce degré de parenté ne joue que le rôle d une présomption ; une « présomption simple que l existence des circonstances particulières peut toujours détruire ». C est le cas d un héritier qui a attenté à la vie de son auteur, éprouverait-il douleur à la mort de celui-ci ?

Une autre barrière consisterait à donner à l action en réparation un caractère familial. Cela s expliquerait par le fait qu on partirait de l existence d un « véritable patrimoine familial comprenant à côté de l honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l affection qui unissent les uns aux autres les parents et alliés106 ; dès lors la lésion de ce patrimoine familial ne donnerait lieu qu à une action unique qui serait alors exercée au nom de la famille » par le conjoint, à défaut par le parent le plus proche en degré subséquent107. Ici aussi, la famille étant dépourvue de la personnalité juridique, on imaginerait mal la recevabilité de cette action ; aussi, la douleur est une question personnelle.

b) Le sens de l expression « circonstances exceptionnelles et graves »

A tous ces critères que nous venons d analyser, la jurisprudence congolaise ajoute un autre critère qui constitue également un obstacle sérieux à l exercice de l action en réparation du dommage moral.

D une manière générale, les tribunaux congolais n accordent des dommages-intérêts pour dommage moral que dans des « circonstances graves et exceptionnelles ». Cela revient à dire que le droit congolais estime qu un

105 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82, G. RIPERT : Op. Cit. p. 3

106.MAZEAUD, H : Op. Cit. p. 82

107 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82. Cette solution a été déjà admise par la jurisprudence

belge : Charleroi, 15 avril 1931 (S.1931 4.21). Le jugement n admet que l action du père du défunt à l exclusion de celle formée par les frères et s urs. Ve aussi Savatier, Traité de la responsabilité civile, T. II ; 2e éd. Paris, L.G.D.J. 1955, qui propose une solution plus ou moins identique.

dommage moral n est certain que dans la mesure où les lésions de la victime sont particulièrement graves108.

Désormais, il ne suffira pas de prouver l existence des liens de parenté ou d alliance avec la victime directe du dommage, encore faudra-t-il prouver la gravité des lésions de la victime de l acte fautif. Cette preuve nous paraît difficile à fournir ; elle ne pourra être facilitée qu en cas d accident mortel.

L examen de notre jurisprudence nous montre, en effet, que chaque fois qu il y a dommage moral, les tribunaux n accordent réparation que lorsque l accident entraîne la mort de la victime. La simple vue, par exemple, pour les parents des souffrances de leur enfant accidenté ne suffit pas pour fonder leur action en réparation109.

Ce point de vue de la jurisprudence rejoint celui de DE PAGE qui s indignait du fait qu aujourd hui on accorde, lorsque la victime est à la suite

d un accident atteinte de déchéance physique grave qui la laisse complètement défigurée et en proie à des souffrances qui perdureront toute sa vie, non seulement à elle-même un droit à la réparation du dommage moral résultant de sa souffrance et de son état, mais encore à son conjoint ou à ses parents en raison « du spectacle affligeant que ceux-ci ont subi à la vue de leur époux ou de leur enfant ».

Où donc, estime-t-on devoir s arrêter, se demande DE PAGE110.

Loin de nous l intention de contester la nécessité de limiter le nombre de bénéficiaires de l action en réparation. Ce qui reste notre préoccupation. Nous pensons cependant que cette limitation ne doit pas être arbitraire. Le juge devra dans chaque cas d espèce, chercher des circonstances objectives susceptibles

d éclairer sa religion. Il est fort possible que même en cas d accident non

108 Cour d Appel d Elis 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176, Cour d Appel d Elis 23 mars 1965, R.J.C.B 1965, p. 211.

109 Cour d Appel de Léo, 28 sept. 1954, R.J.C.B 1955, p. 89

Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13

Cour d Appel d Elis, 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944, p. 48

110 DE PAGE, H: Traité élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, établissements Bruylant, , 1964, p. 957.

mortel, les parents ou le conjoint de la victime aient subi un dommage moral certain. Qui nous prouvera qu il n y a dommage certain qu en cas d accident mortel ?

En guise de conclusion, nous dirons que la nécessité d une limitation s impose ; elle est impérieuse. Cependant il reste malaisé de fixer avec précision ces limites. Cette difficulté due au caractère extra-patrimonial du dommage moral transparaît à travers les nombreux tâtonnements que la doctrine ainsi que la jurisprudence ont connus en cette matière : aucun des critères proposés ne se suffit à lui-même.

Les liens de parenté ou d alliance ne pourraient jouer leur véritable rôle de frein que dans la mesure où ce critère ne constitue qu une simple présomption, un commencement de preuve que certains événements pourraient éventuellement renverser. Il ne suffirait plus, dans ce cas, d être parent ou allié, encore faudrait-il que certaines circonstances de fait établissent la certitude du dommage.

Ce critère jouerait encore mieux son rôle si l on donnait à l action en réparation un caractère familial. Cette situation est d autant plus souhaitable qu elle épouse la conception coutumière où la notion de « paternat » domine toute la vie familiale. Dépositaire de l autorité suprême, le « sui juris » pourra au nom de la famille exercer l action en réparation chaque fois qu il y aura un dommage qui atteint la communauté. Comme le fait remarquer E. LAMY « les rapports juridiques dans les coutumes africaines remontaient tous à l idée première de l autorité suprême du « paternat », continué, représentant la volonté et la causalité ancestrale et où les individus ne peuvent pas par euxmêmes être auteurs et titulaires de droits »111.

En adoptant cette conception , le doit congolais pourra donner de nouvelles dimensions au critère de « liens de parenté ou d alliance » en l adaptant à la mentalité des peuples qu il régit et en corrigeant certaines faiblesses que nous lui avons reconnues plus haut.

111 LAMY, E ; Introduction historique et comparative à l étude du droit coutumier africain,

Les tribunaux congolais ont rendu trop difficiles les conditions d exercice de l action en réparation en cas d accident : ils n accordent des dommages intérêts aux parents ou au conjoint que si l accident est mortel. Comme nous l avons déjà signalé , le juge devra plutôt chercher dans chaque cas d espèce des circonstances objectives susceptibles d éclairer sa religion. Certes, la certitude d un dommage moral subi à la suite d un accident mortel est plus facile à déceler ; mais cela n empêche nullement qu un accident non mortel cause un dommage moral aux parents et au conjoint.

Entre les deux situations, il n y a qu une différence de degré. Le problème qui se pose ici n est pas celui de déterminer la réalité, l existence du préjudice, mais bien celui de la détermination de l importance du préjudice. Aussi estimons-nous que le juge Congolais s est engagé sur une voie timide.

Voilà pourquoi pensons nous limiter le nombre des bénéficiaires de l action en réparation issue du caractère général de l art 258 CCC livre III en suggérant aux décideurs l élaboration d une loi secondaire, qui viendrait limiter le nombre de demandeurs de réparation, notamment en se fondant sur la personne du demandeur en réparation.

SECTION 2. LES DEMANDEURS EN REPARATION : QUESTION
PREALABLE.

Nous avons préféré intituler notre section ainsi, pour mieux comprendre la personne du demandeur en réparation qui assigne l auteur d un fait dommageable d abord sur la personne d autrui, et, dont estime-t-elle, les effets l ont atteint, pour lesquels il réclame réparation.

Il est donc normal que soit écarté, des bénéficiaires d une action en réparation du préjudice moral le demandeur n ayant pas qualité, capacité ou justifiant d un intérêt dérisoire, car il tomberait sous le coup d un enrichissement sans cause. Pouvons-nous enfin souligner que nous sommes en

cours polycopié, U.O.C, 1967 1968, p. 96 Cité par KALONGO MBIKAYI, op.Cit. p. 82

présence de deux enjeux majeurs : la personne du demandeur et ses prétentions à la réparation du préjudice moral. Question préalable et question principale.112

Que signifie question préalable ?

Une question préalable est celle que le juge doit examiner pour vérifier si certaines conditions sont requises pour l existence de la question principale.

Ainsi l action en réclamation d une succession (question principale) suppose que la qualité d héritier (question préalable) appartient bien au demandeur.

Comprenant bien la pertinence de la question, il appartiendra donc au demandeur de justifier de l intérêt, de la qualité, et de la capacité dans son chef avant de prétendre à une réparation d un préjudice moral subi, question principale ou objet de sa demande.

A présent, voyons ce que renferme en droit les concepts comme : intérêt, capacité et qualité, conditions d admission d une action en justice et fins de non-recevoir lorsque le demandeur n en justifie pas dans son chef.113

§ 1. L intérêt.

MPINDA écrit à ce propos : « une condition jugée indispensable par

l ensemble de la doctrine et de la jurisprudence pour l exercice d une action est

l intérêt. Cette règle trouve son fondement dans les maximes anciennes « pas

d intérêt, pas d action » ou encore l intérêt est la mesure de l action. L intérêt légitime forme la base de l action judiciaire comme il en est la mesure. Dès qu il y a action, l adage « SANS INTERET, PAS D ACTION » est un axiome de droit admis de tout temps ».

Cela signifie qu une personne n a pas le droit de soulever des contestations inutiles et d occuper les juges dont le temps est précieux, des contestations auxquelles ils sont indifférents.

112 MPINDA , op.cit. P.134

113 KATUALA KABA KASHALA, Les causes d irrecevabilité de l appel en matière civile, commerciale et sociale, Kin 1991, p.17

Ex : Mon voisin a été victime d un accident de circulation qui lui a fait perdre une jambe. Moi je vais saisir le tribunal pour demander des dommages intérêts pour cet accident au conducteur du véhicule alors que mon voisin, qui est vivant et d un esprit sain, ne le fait pas et ne m a pas mandaté. Cette action sera déclarée irrecevable faute d intérêt dans mon chef, laquelle action étant de caractère personnel ; aussi, ajoutons-nous, si la mort s en suive ! le préjudice moral prétendument souffert par cet homme est-il réparable ?

A. CARACTERE DE L INTERET OU SA NATURE.

Il est important d examiner ce que renferme la notion de l intérêt ; étant entendu que notre démarche vise à cerner la personne qui doit réellement être bénéficiaire d une demande en réparation d un préjudice moral.

Ainsi, l intérêt moral ou pécuniaire que doit justifier le demandeur en réparation doit être :

A1. Légitime et sérieux.

C est-à-dire qu il ne doit pas être insuffisant. Il est en outre indispensable qu il présente un certain caractère de gravité. Ainsi par exemple le mécontentement provoqué chez un citoyen par une émission de télévision dont la qualité est contestable ne saurait justifier une action.

A2.

L intérêt né actuel.

Ce qui signifie qu il doit exister au moment où la demande est formée devant le tribunal. Mais, il a été très souvent admis qu il n est pas nécessaire que le préjudice à raison duquel l action est intentée soit réalisé ni que l exercice du droit que l on veut défendre soit entravé au moment où on intente l action. En effet, il peut arriver qu il soit imminent de prévenir un dommage

ou de mettre le droit à l abri d une contestation ultérieure. Tel est le cas des actions préventives (action interrogatoire, provocatoire, déclaratoire) et des actions ad futurum.

A3. Enfin, l intérêt doit être direct et personnel

Ce qui veut dire que pour pouvoir ester en justice il faut avoir été directement et personnellement lésé dans ses intérêts propres. Il n est pas question en général de venir au tribunal pour invoquer les intérêts d autrui. Mais s il est vrai que cette exigence est évidente lorsque l action est exercée par le titulaire du droit, le problème devient complexe quand il s agit d une autre personne agissant sans mandat du titulaire de ce droit. Hors mis le cas de certains syndicats et ordres pour lesquels la jurisprudence française a reconnu l exercice de l action pour l intérêt collectif,114 qui d autre viendrait pour réclamer réparation du préjudice moral du fait d un tiers sur ses parents ou alliés ?

En dépit de l importance qu il présente, l intérêt condition nécessaire à l admission d une action en justice n a fait l objet d aucune disposition générale dans le code de procédure civile du Congo. Mais la jurisprudence a admis dans de nombreux cas que l intérêt est une condition indispensable pour ester en justice.

§ 2. LA QUALITE.

La qualité est le pouvoir en vertu duquel une personne exerce l action en justice. Ainsi, la qualité apparaît comme une telle affinité que l on a parfois pu en déduire qu elle ne constitue que l un des aspects de la condition de l intérêt. (pour plus de détails lire MPINDA, P. 58 60, op. cit.)

Nous venons ainsi de préciser que la personne du demandeur doit justifier de la qualité, de l intérêt et de la capacité. La réunion de ces éléments

114 MPINDA, op. Cit, p. 134 et suivants.

fera l objet d un jugement avant dire droit qui ouvrera au juge la possibilité de connaître le fond du litige et donc de consacrer son temps aux prétentions du demandeur.

§ 3. DES DEMANDEURS EN REPARATION DU PREJUDICE MORAL.

Les motivations d une liste limitative des bénéficiaires, d une action en réparation du préjudice moral trouvent leur résonance dans les lois congolaises et l expérience jurisprudentielle qu elles ont connues. A présent, dégageons les personnes généralement connues et traitées par le législateur dans les différents codes.

Code de la famille.

Voici les personnes généralement connues ou traitées par le code : - les conjoints (art. 330) et la fiancée (art. 337) ;

- Père et mère, tuteur, personne qui exerce un droit d autorité sur l individu (336) ;

- Le conjoint d un mariage coutumier (438) ;

- Entant allié ou non (590 649) ;

- L adopté et non sa famille d origine (679) ;

- L adopté et ses descendants (690) ;

- Le débiteur d aliments (728) ;

- Les héritiers (758), à l exception de ceux frappés par l indignité prévue à l article 765.

2° Code Civil des obligations.

Cet article parle de la responsabilité civile qu assume le père, et la mère après le décès du mari, du dommage causé par leurs enfants, habitant avec eux.

Mais, pourquoi parler de tous ces articles dans la recherche d élaboration d une liste limitative de demandeurs en réparation ?

La réponse est simple. En lisant la loi, il se dégage que, il existe des rapports juridiques entre ces personnes et qu un ami par exemple ne serait pas apprécié comme lesdites personnes, lorsqu ils sont en concours d intérêts en justice. Aussi, pensons-nous, il faut partir de ce qui existe pour enfin consacrer ce qui doit être pris en considération en procédant par élimination au regard de la jurisprudence et de la doctrine que nous avons étudiées au chapitre 2, titre 1 et chapitre 1 titre deux, du présent travail.

Il sera ainsi aisé de retenir de notre liste de demandeurs en réparation :

1° Les (parents) père et mère ainsi que leurs enfants pour les dommages causés par un tiers sur eux ou sur les personnes de l un d eux et vice-versa.

Ces personnes, ont-elles qualité, intérêt et jouissent-elles d une capacité pour initier une action en réparation de préjudice moral subi par l une d elles ?

A première vue, dirons-nous oui, l exercice de cette action pour ces personnes justifient d un intérêt, et d une qualité et, eu égard à l âge, jouissent d une capacité pour ce faire. Néanmoins dans le cas prévu à l art 765 du code de la famille, l enfant frappé d indignité ne saurait initier une telle action parce qu il ne peut invoquer une douleur subie par lui du fait d un dommage causé par un tiers sur la personne de ses père et mère, alors que lui même n accordait aucune importance sur la personne de ces derniers. D où, à cette occasion, le juge doit, par un avant dire droit, dire si oui ou non cette personne indigne a été violentée dans ses droits, par la mort de ses parents ou l handicap par eux subi du fait de tiers. L irrecevabilité de son action sera donc déclarée faute d intérêt.

Il s agit pour cette première réflexion de :

- Père et mère, enfant né dans le mariage et enfant affilié et l adopté. Nous concluons l enfant non affilié, pour la simple raison que l affiliation est une question de procédure, bien appliquée dans le code de la famille (notamment l action en recherche de paternité.) .

Quant aux conjoints entr eux le problème ne se pose pas pour autant qu ils demeurent liés par le contrat de mariage.

2° Les frères et s urs de la victime de la faute dommageable. Descendants et ascendants.

Ils seront retenus pour autant que soit, ils dépendaient psychologiquement de la victime soit pécuniairement, et qu ils soient à l abri de tout reproche d inimitié permanente et scandaleuse.

Certes, les termes inimitié permanente et scandaleuse ouvre la voie à qui le veut d évoquer la difficulté qu éprouverait le juge pour apprécier le degré de cette inimitié. Il aurait peut être raison. Néanmoins, la philosophie de base qui a conduit le législateur congolais à disposer que l obligation alimentaire « est d ordre public » (art. 750) est éloquente.

En effet, les traditions africaines et congolaises en particulier, imposent la solidarité sans faille entre frères et s urs ou ascendants et descendants. Il serait donc mal venue de reconnaître à un frère ou une s ur le pouvoir d initier une action en réparation du préjudice moral suite au fait dommageable qu aurait subi son consanguin alors qu avant la survenance de la faute dommageable, il ne s acquittait par exemple pas de son obligations alimentaire.

3° Les descendants et ascendants par alliance. Le terme « alliance », nous rappelle ici toute la théorie, la jurisprudence et la thèse qui ont soldé par des démonstrations, l inefficacité du critère de parenté et alliance étudié sous le chapitre 1, titre II, dans toutes ses sections. Nous pensons ici que ces derniers

ne seront justifiés à diligenter la procédure quant à ce, que si effectivement ils bénéficiaient et vivaient de cette assistance de la victime prévue par l obligation alimentaire ; mais ceux là, pour qui cette obligation n était que théorique, n auraient pas à justifier une lésion par la mort ou l incapacité de leur débiteur.

Quant à la réflexion découlant de l article 758 du code de la famille, il est aisé de constater que même le législateur a prévu que lors d une ouverture successorale, ne sont invités à succéder que :

- d abord les héritiers de la première catégorie ;

- ensuite ceux de la deuxième catégorie ;

- puis la 3ème catégorie.

Les adverbes d abord, ensuite, puis, marquent les différents degrés de rapport juridique, psychologique et social qui existent entre chaque catégorie et le de cujus ; une manière, pensons-nous aussi, de souligner qui de ces 3 catégories seraient touchées par cette mort, pourquoi pas de l inimitié permanente ou temporaire qui pourrait exister entre ces différentes catégories. Toutefois la preuve contraire sera apportée par toute voie de droit.

Les mêmes observations valent aussi pour les considérations sur les personnes reprises à l article 260 CCL III.

Ainsi, après analyse légale, jurisprudentielle, doctrinale et sociologique nous pensons, proposer comme demandeurs en réparation du préjudice moral les personnes suivantes :

- les conjoints ;

- les enfants nés pendant le mariage, les enfants affiliés et non, l adopté ; - les frères et s urs ;

- le débiteur d aliments retenu par notre étude ;

- le (la) fiancé(e) : pour autant que la rupture écrase ses aspirations conjugales ;

- le tuteur (art. 336 code de la famille).

Gardant à l esprit cependant que, le jugement de responsabilité est un jugement déclaratif et non attributif de droit ; le doit naît dès que les trois conditions sont réunies : dommage, faute et lien de causalité entre le dommage et la faute. D où l étude de la personne du demandeur évitera au juge la perte de temps mais aussi de déclarer le droit dans le chef d une personne complètement tierce à la victime.

SECTION 3: MODES DE REPARATION.

La réparation d un dommage moral peut se faire en nature ou par équivalent ; elle peut être aussi symbolique.

§ 1. La réparation en nature.

Réparer en nature, c est reconstituer la valeur détruite115. A SOHIER affirme que cette réparation est impossible en cas d atteinte à l intégrité physique, en cas de dommage moral. L opinion de SOHIER traduit certes, la difficulté d évaluation du dommage moral, mais notre jurisprudence a cependant admis que ce mode de réparation était possible.

En effet, en cas d injures ou de diffamation, la réparation se réalise par la publication du jugement statuant sur le cas116. Si la réparation du dommage en nature est impossible, elle peut être en toute autre mode de réparation. La victime peut refuser cette réparation.

115 SOHIER, A; Droit civil du Congo-Belge, Bruxelles, Maison Larcier, , 1956, P. 438.

116 Cour d Appel de Léo, 23 mars 1944, RJCB, 1954, P. 198, Elis 13 mars 1926, Kat II, P. 164, District de Léo, 19 mai 1928, RJCB, 1931, P. 302.

Quand il existe deux moyens de remplacer la victime dans une situation identique à celle qu elle avait avant le fait dommageable, il n y a aucun intérêt légitime d imposer le plus onéreux au défendeur.

Le montant du dommage dépend uniquement de l étendue du dommage, le degré de la faute est sans importance.

Bref, la réparation en nature du dommage moral est possible. Elle se réalise le plus souvent en cas d imputations dommageables par la publication du jugement statuant sur la condamnation aux dommages-intérêts.

§ 2. La réparation par équivalent.

Il s agit ici de l allocation d une somme d argent en vue de compenser le préjudice subi. C est le mode le plus courant en matière de réparation du dommage moral117.

Ainsi le juge devra évaluer le préjudice et fixer l indemnité de manière à « rétablir aussi exactement que possible l équilibre détruit par le dommage et remplacer la victime aux dépens du responsable du préjudice dans la situation où elle se serait trouvée si l acte dommageable n avait pas eu lieu ».

L appréciation du montant du dommage se fait « ex aequo et bono ». Ces dommages-intérêts peuvent être réduits et proportionnés aux possibilités financières du redevable.

Il semble que selon la coutume « le tribunal ne statue pas sur le montant des dommages intérêts : les parties doivent se mettre d accord sur le montant . Si le préjudicié ne déclarait pas satisfaction la réparation offerte par l auteur du dommage, il peut y avoir lieu à nouvelle instance118.

§ 3. La réparation symbolique

117 Boma, 8 déc. 1914, Jur. Col. 1925, P. 283, Elis 19 janv. 1946, RJCB, P.20 ; Cour d Appel d Elis. 11 janv. 1946, P.20 ;

Cour d Appel d Elis, 29 sept. 1924.

118 PINDI-MBENSA KIFU : Etude comparative de la responsabilité civile coutumière et de droit écrit au Zaïre : Dissertation, UNAZA, 1972, P.46, cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. P. 153 154.

La réparation symbolique peut être « comparée » dans sa première acception à la réparation par équivalent. On s imaginerait alors dans ce cas un tribunal accorder un likuta symbolique pour réparation du dommage moral subi par la victime d un fait dommageable. Comme dans la réparation par équivalent, ici encore c est au moyen de l argent que l on veut panser les blessures subies par la victime.

Cependant dans sa seconde acception, la réparation symbolique ou rituelle apparaît comme un mode de réparation propre au droit coutumier. Comme nous l avons vu précédemment, il existe en droit coutumier une série d actes dommageables qui lui sont propres. Nous citerons à titre d exemple l inceste ou la violation de certains rites commémoratifs des morts. La réparation de ce genre de dommages est symbolique ou rituelle.

Nous aurons également ce que KALONGO appelle « la réparation spontanée du coupable lui-même ». En effet, « la peur de la vengeance automatique de la force invisible des trépassés pousse souvent les auteurs de certains dommages à se révéler et à faire des sacrifices aux morts pour implorer leur pardon et avant même toute action de la victime.

De tout ce que nous venons d examiner nous pouvons dire que la réparation en nature et par équivalent se rencontrent dans le cadre du dommage moral. Mais si le droit écrit ne connaît essentiellement que ces deux modes, le droit coutumier nous en fournit un troisième qui reste rituel, attestant ainsi du caractère sacré des droits coutumiers. « Le mode de réparation en droit écrit, remarque KALONGO s écarte de beaucoup de ces pratiques ; c est un droit essentiellement laïc qui ignore toutes les réparations rituelles ou tous autres procédés imaginaires qui ne peuvent permettre une réparation appréciable en argent ou en nature119. »

119 : KALONGO MBIKAYI,op.cit, P. 81.

CONCLUSION GENERALE

L étude de la notion du dommage moral nous a conduit à constater qu il s agit de la violation d un droit extra patrimonial, non évaluable en argent.

Cependant comme tout dommage, pour être réparé le dommage moral doit remplir certaines conditions : notamment être certain, actuel, direct et consister dans la violation d un intérêt légitime.

Nous avons signalé à ce niveau la différence fondamentale qui existe entre le droit écrit et le droit coutumier. Alors que le droit écrit limite le nombre de dommages réparables, le droit coutumier connaît de nombreux actes dommageables propres à lui. Par ailleurs l article 258 de notre code civil exige un lien de causalité entre le dommage et la faute pour engager l action en responsabilité tandis que le droit coutumier ignore cette condition.

Cette originalité s explique par la place qu occupe la notion de faute dans ce droit. En effet, notre droit écrit revêt un caractère essentiellement répressif ; il se préoccupe plus du comportement fautif de l auteur du dommage alors que le droit coutumier se préoccupe plus du sort de la victime. Ce droit

ne cherchera pas à connaître l origine du dommage mais il se contentera d en constater l existence. La faute n interviendra que comme mesure de réparation.

La responsabilité coutumière est objective et collective ; celle du droit écrit est subjective et individuelle. Cette conception subjective et individualiste a rendu à la fin du XIXe siècle l institution même de la responsabilité civile inadaptée et dès lors incapable de jouer réellement son rôle dans un monde moderne vivant sous l emprise du machinisme : le progrès technique a entraîné avec lui de nombreux dommages dont il n était pas toujours aisé de connaître l origine.

La conception coutumière, en dépit de certaines déficiences que présente la garantie clanique, répondrait mieux aux nouvelles conditions de vie et pourrait en la revalorisant grâce aux « techniques occidentales de réparation collective du type des assurances ou de la sécurité sociale », venir au secours de cette institution essoufflée et lui apporter ce « supplément d âme » qui lui manque en ce moment. L occident lui-même, jadis confronté à tous ces problèmes recourut à un système de responsabilité collective qui consacre la primauté du dommage sur la faute, garantissant ainsi à la victime la réparation de tout dommage quelle que soit son origine. L apport du droit coutumier dans cette matière est donc grand. Heureusement la commission de réforme de notre code civil n a pas perdu de vue ce problème et a évité le danger de consacrer les principes vieillis d une institution dont la philosophie ne répond plus aux réalités du moment. En consacrant juridiquement une responsabilité collective et objective au Congo (ex-Zaïre) la commission de réforme pourrait avoir le mérite de nous forger un droit nouveau adapté à la mentalité du peuple qu il régit et répondant aux impératifs du développement.

Mais le caractère extra patrimonial du préjudice moral a suscité de nombreuses controverses doctrinales quant à sa réparation. Les négateurs du principe de la réparation ont estimé que l évaluation en argent d un préjudice moral était impossible. En voulant admettre ce principe, le juge risquerait de punir. Tout en admettant ces difficultés d évaluation, les tenants du principe pensent que le caractère général des termes de l article 258 ne permet pas

d exclure de son champ d application le dommage moral et que la réparation dans cette matière revêt un caractère plutôt compensatoire.

Nous avons soutenu avec la jurisprudence congolaise, le principe de la réparation du dommage moral, le caractère compensatoire de cette réparation peut, nous semble-t-il, avoir un effet psychologique certain sur la victime du dommage. Aussi est il admis en droit congolais que les atteintes à l honneur, la rupture fautive des fiançailles, l adultère, la concurrence illicite, les atteintes aux sentiments d affection, le préjudice esthétique peuvent donner lieu à une action en réparation du dommage moral.

Cette réparation peut se faire en nature ou par équivalent. Mais si le droit congolais ne connaît que ces deux modes de réparation, le droit coutumier connaît aussi la réparation symbolique ou rituelle. Ce mode de réparation atteste du caractère sacré du droit coutumier. Cependant dans cette matière la jurisprudence congolaise a entretenu une confusion entre le dommage matériel et le dommage moral, surtout en cas de déchéance physique ou lorsque la victime n exerçait pas d activité lucrative au moment de l accident. Mais une évolution s est dessinée à travers la même jurisprudence, marquant de plus en plus la nécessité de distinguer clairement le dommage matériel du dommage moral car à côté du dommage matériel, il peut toujours subsister un éventuel dommage moral comme les craintes pour l avenir, le préjudice esthétique, le sentiment d une déchéance physique, l ennui constant d une gêne, etc.

L étude de l exercice de l action en réparation a soulevé plusieurs problèmes notamment ceux relatifs aux bénéficiaires de cette action, à la limitation de la liste des demandeurs. En effet, un décès accidentel pouvant causer préjudice à plusieurs individus à la fois, nous nous sommes demandé si toutes ces personnes pouvaient bénéficier d une action en responsabilité contre l auteur du décès. Si oui, au regard de quel critère fallait-il apprécier la certitude de leur douleur. A tous ces problèmes déjà importants, est venu se greffer un autre non moins important : la question de la recevabilité de l action d une concubine, des enfants adultérins, etc.

La jurisprudence congolaise a cru résoudre le problème de l appréciation de la certitude de la douleur en posant le critère de la parenté et de l alliance repris de la jurisprudence française. L analyse de ce critère nous a amené à constater qu en France, tout en étant un symbole de progrès certain, l application de ce critère a conduit à des conséquences pratiques désastreuses : au nom des « liens de parenté ou d alliance » avec la victime, du défunt aux grands parents d un enfant naturel Ainsi ce critère manquait de répondre au but que la chambre des requêtes lui avait assigné : limiter le nombre d actions en responsabilité.

Nous avons marqué l adhésion de la jurisprudence congolaise à la même formule tout en montrant que l occasion ne lui a pas encore été jusqu ici fournie d avoir à l instance plusieurs ayants droit se prévalant de liens de parenté ou d alliance avec la victime. Cette situation semble s expliquer par le fait que les gens ignorent encore leurs droits et ne savent pas toujours quand faut-il intenter une action en réparation du dommage moral contre le responsable du décès d un parent ou d un allié. En outre, la mentalité africaine semble s intéresser plus à la répression d un fait plutôt qu à sa réparation.

Constatant l absence des principes stables dans cette matière en droit congolais, nous nous sommes contenté de poser le problème de l avenir : quelle serait la position des tribunaux congolais devant les actions d un frère, d une s ur, d un cousin, d un beau-père ; les déclareraient-ils fondées comme c est le cas en France ? dans l état actuel de notre législation, nous avons répondu par l affirmative. Notre opinion s est fondée sur le caractère général des termes de l art. 258 et sur le critère même qu adopte notre jurisprudence. Nous avons également démontré que la demande en justice dans ce domaine doit être une question préalable. Ce qui nous oblige à proposer une liste qui serait consacrée par le législateur comme une loi secondaire. A ce stade de notre étude, nous avons donc dénoncé le danger d avoir une multitude d actions contre un seul responsable. Ce danger est d autant plus grand chez nous qu en droit coutumier les notions de parenté ou d alliance sont plus ressenties et intensément vécues

par la population. Il fallait naturellement nous poser le problème de la limitation de cette liste d ayants-droit qui demain envahiront peut-être nos tribunaux.

Les recherches de la doctrine dans ce domaine ont été décevantes car ni les conditions imposées par l article 258 C.C.C.L III, ni le caractère de certitude exigé du dommage réparable, ni le critère de liens de parenté ou d alliance, etc, n ont donné une solution satisfaisante. Devant ces tâtonnements nous avons donné notre adhésion à la solution préconisée par H. Mazeaud ; donner à l action en réparation un caractère familial et faire confiance aux juges en se fiant à leur pouvoir d appréciation quant à l existence du préjudice. Loin d être absolu, le critère des liens de parenté ou d alliance ne jouera plus dans cette solution que le rôle d une présomption « juris tantum » que certaines circonstances de fait pourraient renverser.

Certes, cette solution comporte un danger d arbitraire, mais elle présente moins d inconvénients. En outre, cette solution nous a semblé plus conforme à la mentalité africaine car, l africain plus que quiconque croit fermement à l existence d un véritable patrimoine familial comprenant à côté de l honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l affection qui unissent les uns aux autres, les parents et alliés.

Dépositaire de l autorité suprême, « le père de famille » pourra au nom de toute la famille, toutes les fois qu un de ses membres sera lésé dans ses droits exercer l action en réparation du dommage moral. Nous émettons dès lors le souhait de voir le législateur congolais introduire dans notre législation à l instar de certains codes étrangers, des dispositions expresses relatives au dommage moral en suivant la voie que nous venons d indiquer.

Notre étude nous a permis d aborder d autres problèmes : l action de la concubine, de l enfant adultérin, et celle de grands-parents naturels. La jurisprudence et la doctrine françaises sont restées hésitantes pendant plusieurs années. Alors que la chambre criminelle n a pas hésité à admettre l action de la concubine, fondant son opinion sur la généralité des termes de l art. 1382, la chambre civile pour sa part continuait à débouter la concubine parce que, selon

elle, la concubine n avait pas d intérêt « juridiquement protégé ». Il fallut attendre l arrêt du 27 février 1970 de la chambre mixte pour voir unifiée la jurisprudence de deux chambres et consacré le principe de la recevabilité de l action de la concubine. L exigence d un intérêt légitime « juridiquement protégé » est une condition supplémentaire qui ne ressort pas de l art. 1382. Le principe est donc posé : l action de la concubine est recevable à condition que ce concubinage présente des garanties de stabilité et soit non délictueux. Des considérations d ordre sociologique ont largement justifié cette position de la chambre mixte : « la famille légitime au sens classique n est plus le cadre unique de la vie en commun entre un homme et une femme »120.

Ici encore, nos recherches sur le terrain congolais nous ont révélé une évolution à propos de l absence de principes précis en droit écrit ; il fallait attendre le Code de la Famille pour voir les concepts, tels « la possession d état d époux ou la commune renommée » apparaître. Nous constatons que le droit coutumier consacre une solution plus ou moins analogue à celle de la chambre mixte française. En effet, un concubinage de longue durée en droit coutumier produit les mêmes effets que le mariage. Partant de cette constatation, nous avons préconisé au nom des principes du droit africain qui, contrairement au droit occidental, n est pas « la servante d une certaine morale », la consécration de cette solution par le législateur congolais. Ce concubinage est pour nous ici, une union libre qui ne manque que son enregistrement à l état civil.

La chambre civile a également rejeté l action des enfants adultérins, estimant que l illicite ne pouvait pas fonder le droit. Nous sommes ici en 1970, nous estimons que cette position est déjà dépassée et battue en brèche par le code de la famille.

Nous pensons ainsi que notre analyse, loin d avoir épuisé le sujet, permettra de relancer le débat sur cet état de choses caractéristique de l évolution des peuples et du droit, auquel nous venons d apporter notre modeste contribution.

120 : Confère Section II du présent travail.

BIBLIOGRAPHIE

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JURISPRUDENCE

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3. Cour d Appel de Léon, 04 juin 1955 RJCB 1958 ; p 14

4. Cour d Appel de Léon, 11 septembre 1958 ; RJCB. 1959 ; p 223

5. Cour d Appel de LUBUMBASHI 1er décembre 1970 RJC 1971, p 35

6. Cour d Appel de Léon, 07 sept 1965, RJC 1966 .

7. Cour d Appel d Elis, 3 juillet 1965, RJC 1966. P 287

8. Cour d Appel de LUBUMBASHI, 27 juillet 1965, RJC 1967 p 287

9. Cour 1ère instance de Léon, 18 septembre 1929, RJCB 1930, p 30

10. Cour d Appel d Elis, 02 juin 1925, RJCB 1925 p 81

11. Cour d Appel d Elis, 19 janvier 1946, RJCB 1946, p 20

12. Cour d Appel d Elis, 29 septembre 1940 RJCB 1945, p 1.

13. Cour d Appel de Léon, 17 novembre 1942,RJCB 1932, p 154.

14. Coutume BENA BAYASHI ; Territoire KONGOLO n° 23 BJU n° 3, 1933, p 47.

15. Centre Elis n° 13 383, CEC Ev. p 234

16. Coutume Baluba-Bambo, secteur DOMBI, (LUEBO) 5 octobre 1951, BJI n°3, 1953, p 67 avec note

17. Coutume Warega, Territoire PANGI n°435,16 mars 1941, BJI n°6, 1953, p 128

18. Coutume Warega, secteur Wakabango n°1519, BJI n°6, 1953, p128

19. Coutume Bena kasinge, chef Bena kasinge ( kabalo) n°42, 1951,BJIn°41953, p92 avec note

20. Coutume Batetela, sect. Batetela (Lomela) n°34 8 avril 1952, BJI
n°51953, p 17 avec note.

21. Coutume Bayeke, chef Bukeya n°85, 1935, BJI n°7, 1938, p53

22. Coutume Bayeke, chef Bukenya n°106-1932, BJI n°2, 19337, p 38

23. Coutume Pama-bakutu, coutume Banunu, Territoire Lukolela, 11 mai 1940, BJI n°4, 1943, p 82

24. Coutume Bayeke, chef Bukenya n° 16, 1933, BJI n° 3, 1937, p 70

25. Centre Elis n°13, 730, CEC Ev. p 250

26. Coutume Warega, Territoire Pangi n° 431, 12 mars 1941, cent. Kamituga n° 171, 1949 et n° 143, 1951, chef Loindi n° 470, 4 octobre 1951, BJI n° 6, 1953, p 128

27. Coutume Warega Territoire Pangi n° 435, 16 mars 1941, chef Wamuzimu II n° 164, janvier 1951, BJI n° 6, 1953, p 128

28. Tribunal de 1ère instance du Kivu, 10 octobre 1953, RJCB 1953, RJCB 1954, p 409

29. Territoire Kasenga n° 23, 20 septembre 1950, BJI n° 7, 1952 p 218 avec note

30. Territoire Elis n° 161, 21 octobre 1937, BJI n° 5, 1941 p 105 avec note

31. Tribunal de district du Haut-katanga 22 novembre 1960 RJCB 1962 p 37

32. Tribunal de 1ere instance d Elis, 27 février 1961, RJCB 1962 ? p 171

33. Tribunal de 1ère instance d Elis, 14 juin 1961 RJAC 1964, p 186. Tribunal de 1ère instance d Elis, 8 juillet 1931, RJCB, 1930 p 154

34. Tribunal de district du Kibali-ituri, 25 avril 1930, RJCB 1932 p 222

35. Territoire Léo 1er mars 1955 ( 2ème espèce ) JTO 1955, 105 notes A. SOHIER

36. Territoire Léo n° 6.543/MP, 7 juin 1955, BJI 1952 p 56

37. Tribunal : Territoire Mitwaba n° 285, 1er décembre 1952, BJI 1955, p 45

TABLE DES MATIERES
AVANT PROPOS

Introduction

.

3

01. Généralités .

..3

02. Problématique et hypothèses

. 4

03. Choix et intérêt du sujet

5

04. Méthodes d approche ..

6

05. Délimitation du sujet

.7

TITRE I. NOTION ET CATEGORIES DU DOMMAGE

MORAL

..

... 9

Chapitre I. NOTION DE DOMMAGE

MORAL . . ....9

Section 1 : Définition du dommage moral

. . .

..9

Section 2 : Caractères du dommage moral réparable

10

§ 1. Certain et actuel 11

§ 2. Direct 13

§ 3. Préjudice doit consister à la violation d un intérêt légitime 15

Section 3 : Le préjudice et la responsabilité . 15

Chapitre II. LES CATEGORIES DU DOMMAGE

MORAL ...20

§ 1.

Atteinte à l honneur et à la considération et à la réputation .. 20

§ 2. Etude de quelques cas .23

- cas d adultère ; ..23

- Concurrence illicite ; 23

§ 3. Atteinte aux sentiments d affection 23

TITRE II. DU PRINCIPE DE LA REPARATION DU PREJUDICE MORAL ..25

Chapitre 1. Controverses relatives à la réparation du dommage moral ..25

Section 1 : Les opposants à la thèse .25

Section 2 : Les tenants de la thèse 28

Section 3 : La thèse congolaise .30

Chapitre 2. Action en réparation du préjudice moral en droit congolais

32

..

Section 1 : Les bénéficiaires de l action en réparation .32

§ 1. Position doctrinale et légale 32

§ 2.

Adoption d un critère général ( le lien de parenté ou d alliance) . 32

§ 3. Analyse de ce critère

 

...33

a) Sa portée réelle .

.35

 

b) Position d une pluralité d ayants droit

37

 
 

§ 4. Etude de quelques cas particuliers

 

39

a) l action d une concubine

 

..39

b) l action d un enfant adultérin

 

..49

c) l action des parents naturels

 

...50

 

§ 5. Nécessité d une limitation ..51

a) Critère de limitation . 51

b) Le sens de l expression « circonstances exceptionnelles et graves » ...54

Section 2 : LES DEMANDEURS EN REPARATION : QUESTION PREALABLE .. 57

A. Que signifie question préalable ...57

§ 1. Intérêt .58

a). Caractères de l intérêt ou sa nature ..59

b). Légitime et sérieux 59

c). L intérêt né et actuel 59

d). L intérêt direct et personnel 59

§ 2. La qualité 59

B. Des demandeurs en réparation du préjudice moral .60

§1 Code de la famille . 61

§2 Code civil des obligations . .61

Section 3 : Modes de réparation 65

§ 1. Réparation en nature .65

§ 2. Réparation par l équivalent ..66

§ 3. Réparation symbolique 66

CONCLUSION GENERALE ..

. ..68

BIBLIOGRAPHIE 74

ANNEXE I. . .78

ANNEXE I

Premier feuillet

COUR D APPEL DU NORD-KIVU, SEANT A GOMA, Y SIEGEANT EN MATIERE REPRESSIVE AU DEGRE D APPEL A RENDU SON ARRET DONT LA TENEUR SUIT :

AUDIENCE PUBLIQUE DU DIX SEPT ONZE MIL NEUF CENT 99 EN CAUSE : Ministère Public et P.C. RUS.

CONTRE : 1) CHIR, Congolais, né à Bukavu, le 01 août 1979, fils de SAHA. (ev) et de TABA. (ev), originaire de la localité NGWESHE, Collectivité NGWESHE, Territoire de WALUNGU, Province du Sud-Kivu, Célibataire et père d un enfant, élève, résidant à Goma, Quartier Mikeno, Avenue Kasongo n°38.

2) MAH ., Congolais, né à Goma, le 17 mai 1979 , fils de MAHESHE MJOK. ( ev) et de SINAND. ( ev), originaire de la localité de NGWESHE, Groupement Izege, Collectivité de NGWESHE, Territoire de WALUNGU, Province du Sud-Kivu, célibataire sans enfant, élève résidant à Goma.

ARRET

Aux termes de son jugement RP. 14.469 contradictoirement rendu le 08 mars 1999, et qui a ordonné la disjonction des poursuites en ce qui concerne les prévenus ADJI et BLAI non autrement identifiés, le Tribunal de Grande Instance de Goma a déclaré non établie dans le chef du prévenu MAHE NZIR le prévention de viol et l en a acquitté ; il a, par contre, déclaré établie en fait comme en droit la même infraction dans le chef du prévenu CHIRU MUR, avant de l en condamner à 12 mois de servitude pénale avec sursis de 12 mois, à la moitié des frais d instance récupérables par 14 jours de contrainte par corps en cas de non paiement dans le délai et à l équivalent en francs congolais de 500 dollars américains au titre de dommages-intérêts à la partie civile RUSA MAK ;

Contre ce jugement, deux appels ont été interjetés par déclarations faites et reçues au greffe du tribunal a quo, d abord, par la partie civile RUS MAK, père de la victime SIF RUS le 12 mars 1999 et, ensuite, par le Procureur de la République près ce tribunal, le 13 du même mois. La partie civile a consigné au greffe de la Cour les frais y afférents le 07 juin 1999.

Exercés dans les délais et forme de la loi, ces deux appels sont réguliers et recevables.

Concernant les faits, il est reproché aux prévenus CHIR. et MAH. d avoir violé Mademoiselle SIF. RUS. le 29 septembre 1998 dans la maison du nommé ADJILI WACHI, avec le concours d un certain nombre de leurs amis non encore tous identifiés, qui la maîtrisaient et l empêchaient de crier pendant ces actes.

La victime n est sortie de cette maison que grâce à sa belle-s ur, Madame KAB. AW. qui, alertée par des passants indignés de ce qui se passait dans cette chambre, Il y a lieu de noter que devant l'OPJ verbalisant, le prévenu CHIR. a déclaré à propos de MAH. " je l'avais tout seulement tiré de son tricot quand il se défendait contre la fille SAF.". Le prévenu MAH. lui a déclaré au même OPJ avoir entendu du bruit dans la chambre où se trouvaient SAFI et CHIRUCHIRU quand il était au salon et que ce bruit a cessé lorsqu'il s'en est approché.

Ces déclarations attestent sans conteste les violences exercées sur la fille SAF. par ses agresseurs pour arriver à leur fin, lesquelles violences sont confirmées par le rapport médical.

Les prévenus n'ont pas pu renverser les dépositions de leur ami ADJILI, propriétaire de la maison où ils ont commis leur forfait, qui a déclaré devant la Cour avoir appris de ses petits-frères lorsqu'il est rentré chez lui qu'une jeune fille était sortie de sa chambre sous la huée des badeaux et des petits enfants ni celles du chef de l'avenue Kisangani, Monsieur BULIK. NSO., et du chef de la Cellule Mapendo

Quatrième feuillet

Monsieur KABAL., qui a reçu Madame KABALA et sa belle-soeur SIFA en pleurs sous la huée des badeaux et des petits enfants qui leur jetaient des pierres, vers 17 heures.

La cour en infère que les faits incriminés ont été perpétrés par les deux prévenus. CHIR. en reconnaît la matérialité; tandis que les déclarations cidessus faites par les prévenus au niveau de l'instruction préparatoire et par les témoins dans les dépositions devant la Cour, démontrent que le prévenu MAHESHE y a été mêlé. Sa participation a consisté à maîtriser la victime pendant que son ami réalisait la conjonction sexuelle avec elle. Sans cette aide, le viol n'aurait pas été commis comme il l'a été.

Il en découle que le premier juge a mal apprécié les faits en estimant que la prévention libellée n'était pas établie dans le chef du prévenu MAH. Il a aussi minoré sans raison, d'une part, le danger que court la société par la témérité de ces deux prévenus qui, bien qu apparemment délinquants primaires, doivent être découragés pour l'avenir dans leurs comportements de ce genre, et d'autre part, les préjudices dûs au déshonneur de la victime, qui pourrait avoir des difficultés pour se trouver facilement un mari, et à l opprobre jeté sur la famille par l'acte perpétré par les prévenus.

l'infraction retenue et les condamnera chacun à huit mois de servitude pénale principale ferme, tout en ordonnant leur arrestation immédiate, ainsi qu'à la moitié des frais récupérables par 7 jours de contrainte par corps en cas de non paiement dans le délai de la loi, et solidairement à l'équivalent en franc congolais de 800 dollars américains, au titre des dommages - intérêts fixés ex aequo et bono", tous les éléments d'appréciation mathématique de la hauteur des préjudices ci-dessus évoqués n'étant pas fournis avec précisions par la partie civile ( cfr.kin.,12 avril 1972, RJZ 1976, n°.1 et 2, p.89, rapporté par KATUALA KABA KASHALA, in jurisprudence des Cours et Tribunaux ( 1975 - 1987 ) , Kinshasa, 1992, p.26, point 6°; Goma, RPA. 504 du 29 avril 1998, aff.MP et PC BUHEN. c/ DJUMAP. et crts; RPA.515 du 15 juin 1998, aff.MP et PC KALIB. BUY. C/ AMULI MUS.; inédits).

C'EST POURQUOI

La Cour, Section Judiciaire;

Statuant contradictoirement après avoir entendu le Ministère Public, représenté par Monsieur l'Avocat Général KAZADI NDUBA, en ses réquisitions;

Accueille les deux appels et les dit fondés;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et statuant à nouveau, déclare établie en fait comme en droit la prévention libellée à charge de deux prévenus;

Les en condamne chacun à huit mois de servitude pénale principale avec arrestation immédiate, à la moitié des frais

Cinquième feuillet. R.P.A.565

d'instance tarif réduit, récupérables par 7 jours de contrainte par corps en cas de non paiement dans le délai de la loi;

Dit recevable et fondée la constitution de partie civile du Sieur RUSANGIZA MAKALA et condamne en conséquence les prévenus à payer solidairement l'équivalent en franc congolais de 800 $ ( dollars américains huit cents ) au titre de dommages-intérêts fixés " ex aequo et bono".

Ainsi jugé et prononcé par la Cour d'Appel de Goma Section Judiciaire, à son audience publique du 17/11/1999, où siégeaient Messieurs MPINDA BAKANDOWA et KIBASHIMBA bin LULONGE, Conseillers, avec le concours de Monsieur HITIMANA, officier du Ministère public et l'assurance de Monsieur SELEMANI, Greffier du siège.

LE GREFFIER, LES CONSEILLERS, LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE

SELEMANI MALIKIDOGO MUS. MPINDA BANKADOWA.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe