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La réparation du préjudice moral en droit congolais

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par Arsene KIRIZA MASHALI
Centre universitaire de Goma - Licence 2003
  

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CHAPITRE II : L ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE

MORAL EN DROIT CONGOLAIS

SECTION I : LES BENEFICIAIRES DE L ACTION EN REPARATION.

§ 1. Position doctrinale et légale.

Une fois que le dommage, la faute et le lien de causalité sont établis66 la victime du dommage a droit à l exercice de l action en réparation. Le problème ne présente pas de difficulté quand il s agit de dédommager la victime directe de l acte fautif.

Mais la question devient difficile à résoudre à partir du moment où le préjudice atteint plusieurs personnes à la fois. En effet, les conséquences d un accident mortel par exemple peuvent porter préjudice à plusieurs individus ; un décès cause presque toujours de « véritables catastrophes bouleversant la situation de tous ceux qui croyaient pouvoir compter pécuniairement sur le disparu et semant la douleur chez tous ceux qui avaient pour lui une affection véritable ». Dès lors comment limiter des actions en réparation intentées à la suite d un décès accidentel ?

66 : Voir cependant la valeur de ces éléments en droit coutumier in : KALONGO MBIKAYI : problèmes d adaptation des principes moteurs de la responsabilité civile en droit privé zaïrois in cahiers (ex-études Congolaises), n° 1 mars avril 1970.

Toutes ces personnes peuvent-elles bénéficier d une action en responsabilité contre l auteur du décès ? C est là tout le problème des bénéficiaires de l action en réparation du dommage moral. Faut-il limiter la liste des bénéficiaires de cette action ? Si oui comment fixer cette limite ; quels sont les critères de limitation ?

§ 2. Adoption d un critère général : « Les liens de parenté ou d alliance»

La jurisprudence congolaise a fixé un critère général au regard duquel doivent s apprécier l affection, la douleur de la victime d un dommage. « Le dommage moral, en effet, résulte des liens étroits de parenté ou d alliance qui unissent la victime à ceux qui demandent réparation, il s apprécie sur base de ces liens, ex aequo et bono »67. Il convient d analyser ce critère et en donner la portée réelle. Que faut-il entendre par « liens de parenté ou d alliance » ?

§ 3. Analyse de ce critère.

Le dictionnaire du Droit définit la parenté comme « le lien entre deux personnes descendant en ligne directe ou en ligne collatérale soit l une de

l autre soit toutes deux d un auteur commun. La ligne directe se subdivise en ligne ascendante et en ligne descendante. On distingue également la ligne paternelle et maternelle »68.

Par ailleurs les alliés sont « des personnes non parentées qui viendraient à la suite d un mariage se joindre à la famille. L alliance n engendre des rapports qu entre chaque époux et les parents de l autre »69.

Ce critère est général. Si notre jurisprudence veut rester logique avec elle-même, elle devra chaque fois qu elle y recourra, donner au terme « parent » une portée générale : ce terme devra viser aussi bien les parents

67 Cour d Appel de Léo, 28 sept 1954, R.J.C.B 1955, p. 89 ; Cour d Appel d Elis. 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13 Cour d Appel juillet 1943, R.J.C.B 1944, P. 48

68 Dictionnaire de Droit, T II, paris, librairie Dalloz, 11, 1960.

Nous aurons pu partir des définitions Zaïroises, mais la jurisprudence écrite qui pose ce critère ne définit nulle part ce qu elle entend par parenté ou alliance. Il faut donc tenir compte du fait que les termes parenté et alliance auront une coloration différente selon que nous voyons les problèmes sous l angle droit écrit ou celui de droit coutumier. On

consultera à ce sujet pour plus de détail KALONGO MBIKAYI, in responsabilité civile et socialisation de risque en droit Zaïrois P. 32 à 37.

69 Dictionnaire de Droit précité, p. 250. D.I.64.1.99, S. 63. 1. 231 cité par H. Mazeaud : op. Cit. p. 79

germains, consanguins qu utérins. Il existe également plusieurs sortes de parenté : la parenté naturelle et la parenté adoptive.70

Cette formule a été reprise par la jurisprudence française. Pour cette jurisprudence, ce critère a été d une grande utilité dans la recherche des solutions aux problèmes que pose la réparation du dommage moral. Il traduit un net progrès quand nous le comparons à la formule encore plus générale dont a usé la cour de cassation française dans un arrêt de sa chambre criminelle du 20 février 1863 et dans lequel elle affirmait qu on ne pouvait pas tenir compte de la nature du lien qui doit unir en cas de décès la victime du fait avec lui de ses ayants droit qui en demanderait réparation »71 .

Beaucoup d arrêts de la Cour de cassation française vont dans la suite reproduire textuellement ce motif72 sans se rendre compte du fait que la cour de cassation n avait usé de cette formule que pour « rejeter certaines distinctions qu on lui demandait d établir entre les membres de la famille de telle sorte qu elle ne voulait peut-être point affirmer par là que le cercle des réclamants puisse dépasser celui de la parenté et d alliance ».

Cette erreur sur la portée réelle de la formule de la cour de cassation a amené les juridictions inférieures à interpréter à la lettre l arrêt précité de 1863. Cette interprétation aboutissait à l affirmation selon laquelle « toute personne se prévalant d une douleur réelle, quel que soit le lien l unissant au défunt (parenté, alliance, amitié ) devait obtenir réparation ». Aussi verrons-nous dans la suite non seulement des parents éloignés mais aussi des personnes sans lien de parenté ni d alliance avec la victime, de simples amis et même des concubines admises à se plaindre de la lésion éprouvée par leurs sentiments

d affection.

70 Idem p. 249 (Gaz. Pal. 1924.2.145, pars, 6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31 oct. 1930, vo Marty, note S. 1931.1.38 (VI) cités par H. MAZEAUD : op. Cit p. 79,

71 D.I..64.1.99, S.63. 1.231 cité par H. Mazeaud : Op. Cit p. 79 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport Pilon, S.

1931.1.1923 cité par H. MAZEAUD : op.cit.p.79 Voir Pilon rapport précité (D.P 1931.1.38) (IX-X) cité par H. MAZEAUD :

Op.cit.p.80 Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD :p.80,11 mai 1928 (S.1928.3.98) et note de M. HAURIOU cité par H. MAZEAUD p ; 80 : op. Cit. p. 80

72 Sur cette jurisprudence, voir Pilon, rapport sous Reg. 2 février 1931 (D.P 1931.1.38) cité par MAZEAUD H. :Op. Cit. p.79

Voir rapport Pilon cité par H. MAZEAUD : Op Cit.p.79 H. MAZEAUD : op.cit p. 79, Montpellier, 24 juin 1924. Gaz. Pal. 1924.2.145, Paris, 6 février 1929 (rapporté sur pouvoir par Crim. 31.10.1930, Vour Marty, note S.1931.1.38(VI) cité par H. MAZEAUD : op.Cit, P.79

Devant cette multitude d actions contre un seul responsable, il faudra attendre l arrêt du 2 février 193173 pour voir apparaître un critère nouveau, une nouvelle formule plus restrictive que la première : « le lien de parenté ou

d alliance ». Le principe est posé : seuls les parents et alliés peuvent exercer

l action en réparation. Mais pourquoi la chambre des requêtes a-t-elle posé ce critère ?

La première explication réside dans le souci de limiter le nombre d actions. La seconde est celle proposée par la doctrine. Elle est d ordre juridique et part du fait que le « dommage doit porter atteinte à un droit acquis ». Ce que l on exige ici est non seulement la certitude du dommage mais aussi et surtout la lésion a un droit. C est ce sens qui a été adopté par le conseil d Etat. Malheureusement comme le souligne H. Mazeaud, cette justification ne pouvait pas conduire à la limitation admise par la chambre des requêtes. Dans le cadre de notre travail, le droit lésé reste sans doute le droit à l affection. Peut-on alors limiter ce droit à l affection ? il faut admettre que les parents et alliés sont nombreux. Est-il possible de leur permettre d agir tous, chacun pour son compte, en réparation de la douleur éprouvée ?

C est ici qu apparaît la faiblesse du critère. Sans être dépourvu de toute utilité, ce critère ne joue pas réellement son rôle qui est celui de limiter le nombre d actions. Cependant il faut reconnaître qu il est difficile de poser dans une matière aussi délicate, des critères rigides sans courir le danger de verser dans l arbitraire. Le juge ne devrait pas se sentir trop prisonnier de ce principe.

Nous venons de situer le critère de « lien de parenté ou d alliance » et de démontrer en quoi il a constitué pour la jurisprudence française qui s en est servi la première, un progrès manifeste. Il nous reste à voir son application réelle aussi bien en France qu au Congo.

73 Req. 2 février 1931 (D.P 1931.1.18) et rapport PILON, PILON, S. 1931.1.1923 cité par MAZEAUD H. : Op. Cit, P.79 Voir Pilon.

Rapport précité (D.P 1931.1.18) (IX-X) cité par H.MAZEAUD :Op.Cit, P.80

a) Sa portée réelle.

Le critère « liens de parenté ou d alliance » est resté, comme nous venons de le voir, dangereux, il est général. La jurisprudence française l a exploité à fond. Elle a allongé la liste des personnes qui peuvent agir en justice contre le responsable de l acte fautif. Cette action réservée d abord au conjoint, aux enfants et aux ascendants du défunt, a été étendue à des frères et s urs du défunt, aux grands parents d un enfant naturel et finalement à toute personne pouvant justifier d une simple communauté de vie avec la victime. C est ainsi que la filleule d une victime peut avoir droit à l action en réparation, qu une mère naturelle, même sans avoir reconnu son enfant pouvait bénéficier de l action dans la mesure où elle avait possession d état de mère naturelle. N estil pas un cas d indignité ?

Les tribunaux français ont parfois dépassé le cadre circonscrit par le critère de lien de parenté ou d alliance en admettant par exemple, l action d une fiancée, celle de toute personne justifiant d une simple communauté de vie avec la victime, etc.

Cette « extension funeste » a inquiété certains auteurs. « Actuellement, écrit DE PAGE, on peut voir des frères indifférents ou hostiles l un à l autre, de beaux-parents qui haïssent du fond du c ur leurs beaux enfants, se souvenir de leur affection « légale » pour la monnayer. Et qui sait, continue-t-il, où l on s arrêtera dans cette voie, à présent que toute limitation sérieuse a disparu : l arrière petit cousin, l ami, le voisin vont bientôt être conviés au partage du butin »74.

Notre jurisprudence n a pas encore connu de cortège d ayants droit. Cette situation, nous semble-t-il, s expliquerait par le fait que le plus souvent les gens ignorent leurs droits et n introduisent pas toujours des actions en réparation du dommage moral, subi à la suite du décès accidentel d un parent. Des quelques cas examinés, il ressort que la liste des « demandeurs se limite soit au conjoint et aux enfants quand il s agit du père ou de la mère qui est

74 H. DE PAGE; Traité élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, Ets. Bruylant, 1964, P. 953.

victime, soit aux parents au sens strict quand la victime est un enfant .75 Est-ce à dire que tous les autres parents et alliés : frères, s urs, neveux, cousins, beaux-parents, amis n ont pas droit à l action en réparation ? Nous ne le pensons pas. Et c est ici que l on peut poser le problème de l avenir et se demander quelle serait la position des tribunaux Congolais devant les actions

d un frère, d une s ur, d un cousin Devront-ils les déclarer fondées ? C est une question de politique législative et de culture de prétoire qui semble engendrer peu d intérêt pour le congolais dans ce cas de question préjudicielle.

Nous pensons personnellement que pour rester logique avec elle-même, la jurisprudence congolaise devra admettre toutes ces actions. Notre opinion se fonde sur le fait que l article 258 de notre code civil, livre III milite en faveur de cette solution, compte tenu du caractère général de ses termes ; ensuite le critère de « lien de parenté ou d alliance » adopté par la même jurisprudence reste à son tour général ; il inclut aussi bien l action d un frère, d une s ur,

d un cousin que celle d un beau-père. Néanmoins une liste, pensons-nous, s impose car le caractère général de cet article ne saurait à tout coup justifier uniquement cet article.76 Le problème est encore plus délicat sur le plan du droit coutumier où la solidarité jouant, la notion de parenté est encore beaucoup plus ressentie. Peut-être, pour ne pas retomber dans l excès, faudra-t-il que les tribunaux congolais en arrivent à une meilleure formule qui « se tiendrait à égale distance entre l excès de généralité et l excès de précision », mais osons car dit-on, du choc des idées jaillit la lumière.

b) Possibilité d une pluralité d ayants droit

Comme nous venons de le voir, le critère adopté par notre jurisprudence est général. Son seul avantage, c est qu il permet d exclure du bénéfice de

l action en réparation tous les non parents et les non alliés.

75 Cour d Appel de Léo, 27 sept. 1954, RJCB 1955, P. 89 Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, RJCB 1961, P.13 Cour d Appel d Elis, 26 mai 1964, RJCB 1964, P. 176. Cour d Appel d Elis, 23 mars 1965, RJCB 1965, P. 211.

76 Voir section 2, Titre II du présent travail.

Cependant le danger de voir le responsable aux prises avec une multitude d actions subsiste. En effet, il existe encore beaucoup de familles nombreuses et la jurisprudence française nous donne l exemple d un responsable aux prises avec une foule d enfants, frères et s urs, père et mère.

C est encore la jurisprudence française qui nous donne l exemple d un cas où seize personnes, toutes proches parents réclament réparation de la douleur causée à chacune d elle par un décès accidentel.77

En droit coutumier, le problème présente la même difficulté. Le terme parenté acquiert une acception plus large compte tenu du rôle joué par les groupes dans ce droit. En outre, le mariage en droit coutumier apparaît non seulement comme alliance entre les époux mais aussi comme une alliance entre les deux familles. « Le mariage, écrit A. Sohier, se présente comme une institution complexe, composée de deux contrats étroitement unis, un contrat entre familles et un contrat entre personnes : nous appellerons le premier

l alliance, le second l union conjugale ».78

Cette conception de la parenté et de l alliance renforce davantage les liens d affection et complique du même coup le problème de la réparation du dommage moral. Qu il s agisse du droit écrit ou du droit coutumier, il sera difficile d épargner le responsable du dommage de cette multitude d actions.

Le même problème se pose sur le plan de la réparation. En effet, si la conception occidentale estime que la réparation doit être l équivalent du préjudice subi sans se préoccuper de la situation sociale du responsable, la mentalité africaine s insurge contre une telle conception.

« La mentalité africaine répugne à condamner une personne à des dommages-intérêts qu elle ne sera jamais à mesure de payer.

77 1ère Chambre, 17 novembre (arrêt non publié) (quatre enfants, trois belles-filles, un gendre, huit petits enfants) cités par H. MAZEAUD, P. 78, cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P.77.

78 SOHIER, A; Mariage, n° 3, P.5 cité par PAUWELS, Les droits Zaïrois de la famille, 2ème partie : droit coutumier et législation en matière coutumière, cours polycopié, UNAZA, Kinshasa ,1972, P.21.

Il y a là un sentiment de justice sociale. Le droit soviétique partageait la conception africaine qui, condamnant un délinquant aux dommages-intérêts, tient des ressources de la personne à condamner ».79

Ce danger a amené certaines législations étrangères à se montrer plus restrictives. Le code libanais des obligations exige un lien de parenté légitime ou d'alliance; celui de la république de Pologne de 1934 est encore plus restrictif. En effet, l art. 166 n accorde une réparation du préjudice moral, facultative pour le juge, qu aux membres les plus proches de la famille du défunt ». L article 47 du code suisse des obligations relève également le caractère facultatif de cette réparation et ce, uniquement à « la famille ». Le code civil autrichien dans son article 1327 va plus loin car la réforme apportée à ce texte en 1917 a eu pour but d exclure tous les parents qui n étaient pas créanciers alimentaires du défunt.80

De tout ce qui précède, il résulte que le critère de lien de parenté adopté par notre jurisprudence risque de susciter de nombreux problèmes insolubles. Peut-être qu aujourd hui rien ne présage un tel danger, mais le problème se posera sûrement pour l avenir. Aussi serait-il souhaitable de limiter le nombre d ayants droit. Cette question fera l objet de notre quatrième paragraphe. Mais avant cela, examinons quelques cas particuliers.

§ 3. Etude de quelques cas particuliers.

Dans ce paragraphe, nous nous proposons d examiner quelques cas qui pendant longtemps ont divisé la doctrine et la jurisprudence. Il s agit des actions d une concubine, d un enfant adultérin et des parents naturels. Notons cependant que des termes comme enfant adultérin ont été abandonnés au Congo avec l avènement de notre code de la famille.

a) L action d une concubine.

79 BAYONA BAMEYA ; Procédure pénale, Cours polycopié, UNAZA 1978, P.5, cité par NYABIRUNGU, Procédure pénale, cours non polycopié, ULPGL, 1992-1993.

80 MAZEAUD et TUNC ; Traité pratique et théorique de la responsabilité civile, délictuelle et contractuelle, 5ème Ed. Tome 1, P. 398, cité par KALONGO MBIKAYI, Op. Cit, P.48.

Une concubine peut-elle exercer l action en réparation du dommage subi par elle à la suite de la mort accidentelle de son amant ? Cette question a longtemps laissé la doctrine et la jurisprudence hésitantes. Il nous faudra refaire le chemin parcouru par la jurisprudence française avant d en arriver à l arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970 qui consacre le principe de l admission de l action de la concubine.

Pendant longtemps la chambre criminelle et le conseil d Etat répondaient différemment à cette question.

La chambre criminelle fondera sa position sur le caractère général des termes de l art 1382 qui exige une interprétation large de la notion du dommage. C est ainsi que dès 1863 elle affirmait que « l article 1382 du code civil en ordonnant en temps absolu la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite en rien la nature du lien qui doit unir au cas de décès la victime du fait avec celui de ses ayants droit qui en demanderaient la réparation ».81 Avec une conception aussi large le seul problème qui se posait était de déterminer la certitude du dommage.

En 1926, la chambre criminelle accorde à une concubine réparation du préjudice matériel « subi par elle du fait du décès de l homme avec lequel elle vivait maritalement depuis 28 ans ».

Cependant à la même époque, le conseil d Etat adoptait une solution différente. Il estimait en effet que pour obtenir réparation « d un préjudice matériel (seul préjudice réparable à l époque) il ne suffisait pas d un intérêt, il fallait pouvoir justifier d un droit lésé »). Dans cette conception restrictive, le conseil d Etat exigeait un lien de droit. Aussi va-t-il rejeter la demande en indemnisation de la concubine, celle de la mère d un enfant naturel non reconnu et « de manière générale, celle des parents et alliés titulaires d une créance alimentaire dont les conditions d exigibilité n étaient pas réunies à la date du décès ».

81 JOSE VEDAL, « L arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970, le droit à réparation de la concubine et le concept de dommage réparable » in semaine juridique, 45ème année, 31 mars 1971, n° 13, cité par H. de Page, Op. Cit. P.50.

Ce jugement du conseil d Etat est sévère ; heureusement que ce même conseil d Etat accordait aux très proches parents réparation du préjudice résultant « des troubles de toute nature apportés dans leurs conditions

d existence »82.

Les solutions apportées par la chambre criminelle dans cette matière n ont pas laissé la doctrine indifférente. Certains auteurs les ont critiquées et ont rejeté l action de la concubine du fait qu il n y avait pas d intérêt légitime en raison du caractère immoral du concubinage ou du fait du caractère incertain du préjudice, en raison de la précarité du concubinage. Cependant d autres auteurs allaient faire appel à des arguments d ordre général :

« ils considéraient que seules les personnes liées par un lien de droit à la solution du conseil d Etat en admettant que seule la lésion d un droit et non celle d un simple intérêt, pouvait ouvrir à réparation »83 .

Malgré ces protestations, la chambre criminelle continuait à admettre la réparation du préjudice matériel et d affection à la concubine. Devant cette situation insolite de nombreux pourvois vont être introduits ; ils se fondent tous sur l instabilité et sur l immoralité des relations nées du concubinage. A ces pourvois, la chambre criminelle opposait le caractère général de l article 1382.

La chambre criminelle pouvait-elle maintenir sa position en cas d un concubinage adultérin si l épouse légitime était elle-même intervenue à

l instance ? Ici, elle excluait l action de la concubine et estimait que les liens
nés du concubinage ne pouvait donner ouverture à une action en indemnisation
que dans la mesure où ils offraient des garanties de stabilité et de non précarité

d une part et d autre part dans la mesure où ils ne présentaient pas un caractère délictueux.

82 JOSE VEDAL ; dommage réparable in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971, n° 13.

83 JOSE VEDAL ; V° article précité in semaine juridique, 45ème année 31 mars 1971, n° 13, cité par KALONGO, Op. Cit., UNAZA , p.58.

Mais, si la chambre criminelle s était prononcée clairement en faveur de la recevabilité de l action en réparation d une concubine, la deuxième chambre civile de son côté n a pas cessé de rejeter dans ses nombreux arrêts l action de la concubine qui ne pouvait selon elle invoquer « la lésion d un intérêt légitime juridiquement protégé».

De ce qui précède, il se dégage que la jurisprudence ainsi que la doctrine française ont connu de nombreuses vicissitudes, et des années durant, les solutions de diverses chambres de la cour de cassation sont restées divergentes alors que la chambre criminelle a fini par admettre l action de la concubine en se fondant sur la généralité de l art. 1382 ; la chambre civile, elle continuait à la rejeter parce que la concubine n avait pas d intérêt « juridiquement protégé ».

L arrêt du 27 février 1970 est venu justement mettre fin à cette opposition entre deux chambres d une même cour. Aujourd hui, nous pouvons dire que le problème a été tranché : la cour a abondé dans le sens de la chambre criminelle à savoir l admission de l action de la concubine.84 Vouloir, estime la chambre mixte, subordonner l application de l art. 1382 à l existence d un intérêt légitime protégé », c est violer le texte.

En effet, la formule d un intérêt « juridiquement protégé » invoquée a été critiquée par la doctrine qui a fondé sa critique sur le principe posé par la même cour de cassation en 1863 : « attendu que l art 1382 en ordonnant en termes absolus la réparation de tout fait quelconque de l homme qui cause à autrui un dommage ne limite rien, ni la nature85 du fait dommageable ni la nature du dommage éprouvé, ni la nature du lien qui doit unir, au cas de décès, la victime du fait avec celui de ses ayants-droit qui en demanderaient la réparation. »

84 KALONGO MBIKAYI, Op. Cit. UNAZA, P. 62.

85 Voir MAZEAUD ET TUNC, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle et

contractuelle, 5e éd T.I, 1957, p. 360 Crim. 20 fév. 1863, 1321 et rapport Nougier, D.1864, 199 cité par MAZEAUD et TUNC : Op. Cit, P. 360, Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, la responsabilité civile 1982, p. 190. Il nous faut noter que ce que nous disons à propos de « l intérêt juridiquement protégé » ne concerne que le concubinage non délictueux

En appliquant cette formule, l action de la concubine sera rejetée non seulement parce que le préjudice invoqué est immoral mais aussi parce que le concubinage est une situation qui ne crée pas de droits. Sur quoi se fonderait-on pour subordonner l application de l art. 1382 à la lésion d un droit ? Tout intérêt est juridiquement protégé lorsqu il n est pas illégitime85.

Cet arrêt a donc posé non seulement le problème des conditions d application de l art 1382 mais aussi celui du sens à donner aux expressions licéité, légitimité et bonnes m urs. Quand peut-on dire qu il y a violation de droit ou de bonnes m urs ? Peut-on dire que la réparation du dommage subi par une concubine à la suite du décès accidentel de son partenaire constitue une violation de l art. 1382 ?

L on pourrait procéder à une interprétation absolue et dire : pour qu il y ait réparation, il faut une faute, un dommage et un lien de causalité. Le dommage doit être juridiquement protégé apparaît comme condition qui ne ressort pas du texte, c est-à-dire de l art. 1382.86

Cependant, nous ne partageons pas cette interprétation basée sur un argument fragile : le silence du texte. Certes, l art. 1382 ne fait pas mention de la condition d un intérêt juridiquement protégé, mais il ne faut pas perdre de vue le caractère général et abstrait de tout texte, il est souvent complété par la jurisprudence et la doctrine.

Même les caractères certains et directs exigés de tout dommage ne ressortent pas du texte. Pour la chambre mixte, l indemnisation reste possible sans distinction de rapport de fait et de droit unissant le défunt au demandeur, à condition que ce rapport ne soit pas délictueux et illicite. Le concubinage non délictueux est licite.

Cependant subsiste pour certains arrêts une réserve quant à l action de la concubine. Seul le concubinage sérieux, stable et non délictueux (pas adultérin)

86 NOOMNA M.K : « La réparation du dommage et l existence d un intérêt juridiquement protégé (A propos de l arrêt de la chambre mixte du 27 février 1970 », D.1970 201 in Recueil Dalloz Sirey, 1970, 14 oct.1970.

permettrait à la concubine d obtenir une réparation intégrale du préjudice matériel et moral causé par le décès de son compagnon.

Ce « concubinage » est un quasi mariage, un mariage auquel il ne manque en quelque sorte que la célébration pour reprendre une définition de Justinien (légitima confunctio sine honesta celebracione matrimonie)87.

Que signifie illicite ?

Une situation est illicite dans la mesure où elle viole une ou plusieurs règles de droit, l inverse est la licéité88. Et nous pouvons conclure que le concubinage non délictueux ne viole aucune règle de droit positif. Le mariage est un domaine de liberté89 et que le couple qui n a pas opté pour ce statut civil n en est pas coupable.

Dès lors, le concubinage ne peut pas être qualifié d illicite en dehors des rapports intimes entre individus qui relèvent du domaine du non droit. Le droit ne couvre pas tous les aspects de la vie sociale ; « il n est qu une mince pellicule à la surface des relations entre les hommes »90.

Si le concubinage ne constitue pas une violation du droit, peut-on dire qu il constitue une violation de bonnes m urs ? Mineur définit les bonnes

m urs comme « certaines règles morales qui s intègrent dans le cadre juridique de la société et dont le respect se trouve assuré par les tribunaux. Les règles de droit, continue-t-il ne sont pas suffisantes pour satisfaire l idéal de la société. Un minimum des règles morales est nécessaire pour compléter le droit. Toute demande à la justice doit être en harmonie avec ce minimum appelé « les bonnes m urs »91.

En parlant de cette définition, la thèse idéaliste qui « établit un certain nombre de principes abstraits conçus d une manière rationnelle et inspirés des enseignements religieux et du système de valeurs traditionnelles qui règnent sur

87 PHILIPPE LE TOURNEAU, Op. Cit. p. 175, 1982.

88 DICTIONNAIRE de termes juridiques, op. cit.p. ?

89 CODE DE LA FAMILLE art. 330 335 et suivants ( loi n°87/010 du 1er Aôut 19987 partout..)

90 CARBONIER J. ; Sociologie juridique, le procès et le jugement, P.95 et 97. Cité par PHILIPPE LE TOURNEAU, Op.Cit. P.179, 1982.

91 MINEUR ; Commentaire de droit pénal congolais p. 68.

la société « estime que les gens qui ne se conforment pas à ces principes sont de mauvaises gens et que tout rapport en dehors du mariage est immoral ».

Cette thèse évite les réalités sociales.

Il faut tenir compte des circonstances réelles car « la morale doit tenir compte du malheur des gens à juger, autrement il faudrait procéder à la moralisation de la morale ».

La thèse empirique soutient, au contraire, qu un rapport sexuel quelconque ne saurait être condamné s il est toléré et approuvé par l opinion publique et par la majorité des membres de la société. Le concubinage non délictueux est-il condamné par l opinion publique ?

« L opinion publique, croyons-nous, ne condamne pas le concubinage. Les m urs doivent suivre cette opinion car les m urs ne sauraient incriminer qu une conduite minoritaire. Et si cette conduite se trouve répandue et généralisée, ce seraient les m urs elles-mêmes qui seraient à changer ».

L arrêt de la chambre mixte est venue consacrer juridiquement une situation de fait et montrer que « nous vivons dans une société en pleine mutation où la famille légitime au sens classique n est plus le cadre adéquat et unique de la vie en commun entre un homme et une femme. Et nous nous demandons avec l auteur si la formule exigeant un « intérêt légitime juridiquement protégé » ne cédera pas la place à une autre formule exigeant pour réparer le dommage « un intérêt socialement protégé ».

Le problème de l action en réparation du préjudice moral diligentée par une concubine a connu une évolution certaine. De l admission de cette action, de la notion de cette action, de la notion de « l intérêt juridiquement protégé » on est passé aux notions de stabilité et de délit. Le concubinage stable et non délictueux n est plus considéré comme un domaine du « non droit » contrairement à ce qu affirme FRANÇOIS CHABAS : aux yeux de beaucoup, le dommage doit quand même être un « non man s land » juridique. La loi ne peut pas réglementer une situation qui est celle de la facilité et par cela même

offre une redoutable concurrence à une institution à laquelle tiennent les nations civilisées, à savoir le mariage92.

Qu en est-il du droit congolais ?

Bien que le droit congolais n a pas encore clairement posé le principe dans ce
domaine, nous osons croire, vu les jurisprudences peu fournies en matière

d action en réparation d une concubine, néanmoins nous découvrons dans
certaines dispositions de notre code de la famille la volonté du législateur,
lorsque, parlant des preuves du mariage, il cite en outre la possession d état

d époux et que par ailleurs, face à une action en divorce initiée par l un des
conjoints unis par le mariage coutumier, suspend la procédure jusqu à

l enregistrement de ce mariage avant que le tribunal puisse en connaître sur le fond93.

Le législateur ne dit pas qu un tel mariage est illicite mais il limite seulement ses effets juridiques jusqu à son enregistrement. Le droit coutumier quant à lui semble tenir compte en matière de concubinage de son caractère stable. La stabilité lui sert de critère pour identifier cette situation de fait à un état de droit qu est le mariage. Un concubinage de longue durée produit des effets analogues à ceux du mariage94. Nous pouvons affirmer dès lors qu il suffit qu un concubinage présente des garanties de stabilité pour que les tribunaux déclarent recevable l action en réparation d une concubine. Ce que F. CHABAS a écrit en 1975 est donc dépassé par l évolution de la société à l an 2000.

Il semble d ailleurs que le droit coutumier avait, avant de subir

l influence du droit occidental, une attitude fort différente de celle du droit écrit envers les formes de cohabitation et de relation en dehors du mariage. Certes, le droit traditionnel protégeait et favorisait même l institution du mariage mais il n était pas comme le droit occidental la servante d une certaine morale et son attitude n était pas purement négative. Le professeur PAUWELS affirme que

92 CHABAS, F; le c ur de la cour de cassation (le droit à la réparation de la concubine

adultère) in recueil Dalloz Sirey 1973, 20e cahier, Chron p. 41, cité par H. de page op., Cit. P.94

93 : Code de la famille : Art. 330 334

les « relations illicites étaient traitées moins comme incompatibles avec la morale que comme contraires à certains intérêts familiaux ou autres. Ainsi la répression de l adultère et de la séduction tiraient leur justification des droits exercés par certains hommes (père, mari, oncle) sur les femmes placées sous leur autorité. Dans la répression, le droit coutumier prend une attitude beaucoup moins négative que le droit écrit. Il n y a pas de maximes telles que « nemo auditur » ou « in pari causa95 ».

Le professeur PAUWELS reconnaît cependant que le coutumier dans cette matière est peu connu et que le concubinage était plutôt rare et difficile à déceler compte tenu de la variété des formes de mariage en droit coutumier.

Ainsi la solution de la chambre mixte se rapproche plus ou moins de cette conception coutumière. Ce qui est mis en évidence, c est plus le caractère de stabilité de certains concubinages plutôt que leur caractère immoral. Demain nos tribunaux seront peut-être submergés par ce genre d actions, puissent - ils dans leurs décisions s inspirer du droit coutumier pour que tout en restant un élément de stabilité dans une société organisée, le droit puisse cependant évoluer avec la même société. Dans sa recherche des solutions aux problèmes congolais, le juge devra d abord et avant tout s inspirer du droit national ; il ne doit pas perdre de vue que le droit congolais à créer devrait s assigner deux objectifs : le respect de la mentalité du peuple et l adaptation aux nouvelles conditions de vie.

C est pourquoi, pensons-nous rappeler ce qui suit : le préjudice réparable n est pas n importe quel préjudice certain. S il ne résulte pas nécessairement de l atteinte portée à un droit, les règles de la responsabilité civile ne peuvent pas permettre de sanctionner et de reconnaître de l intérêt ou des situations que le droit condamne parce qu ils sont contraires à la loi, à

l ordre public ou aux bonnes m urs.

94 : Coutume Bayeke, Coutume Baluba Banza, Coutume du Kasaï, Coutume Lunda B.S.I N° 1. 1941, p. 26 Centre Elis n° 13 383, CEC Ev. P. 294

95 : PAUWELS : voir son cours de droit coutumier précité, P. 23.

PAUWELS : op. Cit. P. 23 24. Cité par KALONGO MBIKAYI cours de droit civil : les obligations UNAZA.

Pour avoir droit à la réparation, l intérêt lésé ne doit pas être illégitime ou, pour dire l autre face, n est réparable que le préjudice licite. Il est seulement légitime, ne heurtant ni la loi ni les bonnes m urs (Cass. Mixte 27 février 1970, Veuve Gaudras C. dangereux ).

Cette conception morale choque certains par son archaïsme, la réparation découle du dommage qui est un fait et non d un droit préalable. Dès lors ne conviendrait-il pas de réparer tout préjudice sans porter un jugement de valeur sur la conduite de la victime, appréciation forcement subjective et variable. Nous l avons d ailleurs constaté.

La position inverse conduit au singulier résultat de faire bénéficier l auteur d un dommage d une irresponsabilité qui, de son côté, ne se justifie d aucune façon. Pourtant dans certains cas, il ne paraît pas possible en morale d accorder une réparation à la victime. La société fait ici un choix de politique législative.

L action de la concubine a fait couler beaucoup d encre.

En 1970, le principe de la réparation de dommage moral subi par la concubine est accepté, l avons-nous vu. A partir de 1937, la cour de cassation française jugea pour que le préjudice fut réparable qu il ait consisté dans « la lésion d un intérêt légitime, juridiquement protégé » (Civ, 27 juillet 1937, Droit 1938, 1.5, NR Savatier, S, 1938.)

Cette formule ambiguë a servi à écarter l action de la concubine mais sa portée était plus vaste car elle se dédoublait : il fallait que l intérêt mis en avant par le demandeur naquit d un droit légitime et de plus, qu un lien de droit existant entre le demandeur et la personne dont la mort ou les blessures lui causaient un préjudice.

pas issu de l atteinte à un droit, causé à toute personne, fut-elle sans lien de droit avec la victime, ouvre droit à réparation. La concubine peut donc invoquer en justice le préjudice matériel, que lui cause la mort de son compagnon, ou moral (douleur, etc).

Le conseil s aligna par la suite sur la Cour de cassation (CE, 3 mars 1978, Dame MUESSER, Droit, 79 in 49, obs Modirne96.

b) L action d un enfant adultérin

Comme le cas de l action d une concubine, l action d un enfant adultérin a posé le problème de l illicéité dans la jurisprudence française.

Au nom du principe que l illicéité ne peut créer le droit, la chambre civile a rejeté l action en réparation de l accident dont leur auteur a été victime . Il n existe, estime la jurisprudence, aucun lien juridique de parenté, l enfant adultérin est un étranger, il ne peut par conséquent avoir droit à réparation d un préjudice moral.

Mais TOULEMON et MOORE affirment que « la jurisprudence la plus récente, s ils remplissent certaines conditions, reconnaît aux enfants adultérins le droit à réparation du préjudice moral ». Nous devons cependant reconnaître que cette affirmation ne nous satisfait pas car, ses auteurs ne mentionnent pas les dites conditions.

Ici aussi le droit congolais n a pas encore dégagé des principes stables. Disons cependant que le droit écrit congolais, influencé lui-même par le droit franco-belge connaissait la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels simples ou adultérins et mettait ces derniers dans une situation inférieure par rapport aux premiers.

96 PHILIPPE LE TOURNEAU ; la responsabilité civile, Paris,1986,P.175.

PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.

Le droit traditionnel ne connaît pas cette distinction. Les enfants sans père ne jouissent pas d un statut inférieur comme en droit écrit. C est dommage qu une partie de la jurisprudence ait déclaré en matière de reconnaissance qu un enfant adultérin ne doit pas être reconnu97. Cette influence du droit occidental sur le droit coutumier est déplorable.

C est pourquoi nous avons salué avec joie le souhait du chef de l Etat MOBUTU de voir disparaître dans notre droit cette distinction98. Heureusement la commission de réforme constituée à ce sujet et chargée de revoir tout notre code civil n a pas eu de vue ce problème, ce qui a conduit à la disparition de « toute discrimination entre enfants adultérins et autres dans notre code de la famille99».

c) L action des parents naturels

Le problème de l illicéité de la cause s est posé également ici. On s est demandé si les tribunaux devaient rejeter l action des parents naturels sous prétexte qu elle est fondée sur des relations immorales.

Nous pouvons résumer la tendance générale en ces termes : « on ne peut opposer aux parents naturels l illicéité de la cause car la cause qui sert de fondement à leur action réside non pas dans les relations immorales mais dans

l obligation naturelle et morale de leur enfant envers eux, du fait du sinistre, les parents naturels perdent le droit corrélatif à cette obligation, droit qui existe avant même d être formulé en une action en pension alimentaire.

Mais la question se pose d une façon plus délicate encore pour les grands-
parents qui eux ne peuvent prétendre à aucun lien légal avec les petits enfants.
La jurisprudence tenant compte du fait qu on ne peut invoquer aucun caractère

97 PAUWELS ; op. cit. P. 310Pq Congo Ubangi, 20 mai 1949, B.J.I. 1952, p. 325, répertoire Pauwels P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU, droit civil les personnes, cours non pol, ULPGL/UNIKIN, 1992, inédit.

98 PAUWELS P. 158 cité par KALAMBAY LUMPUNGU,

99 MOBUTU : Discours du 21 mai 1972 lors du premier congrès ordinaire du MPR.

illicite à leur encontre, admet leur action tant au point de vue du préjudice moral que du préjudice matériel100.

Quant au droit zaïrois, les observations faites à propos de la concubine et des enfants naturels sont valables ici aussi : notre droit n a pas encore posé des principes précis. Nous nous sommes contentés de relever l opposition entre la conception coutumière et l esprit du droit occidental et avons émis le souhait de voir disparaître de notre droit la discrimination entre les enfants légitimes et naturels.

§ 4. Nécessite d une limitation.

Notre étude sur l exercice de l action en réparation du préjudice morale nous a conduit à constater qu il peut y avoir plusieurs ayants-droit. La formule générale de l article 258 et le critère adopté par notre jurisprudence confirment cette affirmation. Cette situation a inquiété la doctrine qui a constamment souligné la nécessité d une limitation comme nous l avons indiqué. D ailleurs pour plus de détails, dans l ouvrage (chef d uvre) du professeur KALONGO MBIKAYI « Responsabilité civile et socialisation des risques en droit zaïrois » le professeur, dans son introduction a clairement souligné que l article 1382 et suivants du code Napoléon a été ébranlé par l essor de techniques nouvelles de réparation collective telle l assurance privée et la sécurité sociale. Il ressort de cet ouvrage que le caractère général de cet article mérite un regard sévère chaque fois qu il en est fait application.

Dans ce paragraphe, nous allons retracer le chemin parcouru aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine dans leur recherche des critères de limitation.

100 Nîmes, le 3 avril 1933, Gaz Pal ; 1933 3.54 ; D.H 1934, 1.389 ; Paris, 13 novembre 1933, gaz. Pal ; 1934 1.138, cité par TOULEMON ET MOORE, p. 155. Voir aussi Lalou : traité

pratique de la responsabilité civile, Paris, librairie Dalloz, 1955, P. 177 qui relève la même tendance jurisprudentielle : cfr. Discours du Chef d etat. Cité par KALONGO MBIKAYI,

Op. cit. UNAZA, P. 86.

De notre part, nous constatons qu il suffit de bien étudier et analyser la procédure civile, le droit civil des obligations, des personnes et autres pour qu à la fin nous puissions suggérer une liste limitative des demandeurs en réparation. C est donc un débat que nous relançons ou mieux, la poudre que nous mettons sur le feu. C est l évolution du droit civil.

a. Critères de limitation.

Ce n est pas sans raison que nous avons voulu faire de l introduction d une demande en réparation une question préalable101. En effet, pour en connaître le fond, le juge ou le tribunal doit s enquérir de la forme ou de la recevabilité de l action en vérifiant dans le chef du demandeur : la qualité, l intérêt et la capacité. Question d économie du temps pour le juge, et la suite du procès en dépend. La justice humaine n étant pas parfaite, on risque d enrichir indûment un demandeur véreux.

La première limitation est tirée de l article 258 CCL III lui-même. En effet, cet article exige pour toute action en responsabilité la triple nécessité d un préjudice, d une faute et d un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Nous avons souligné cependant, le rôle joué par ces trois éléments en droit coutumier. En droit écrit, la réunion de ces trois éléments dans le chef du demandeur vanté. Mettons de côté l ébranlement de cette notion en droit des assurances. Toute action qui ne répondrait pas à ces trois conditions serait déclarée non fondée. A contrario donc, l action serait déclarée recevable et fondée. Le juge aurait vérifié la forme et le fond.

Le préjudice doit porter atteinte à un droit acquis. La possibilité de prouver la certitude du dommage ne peut être accordée qu à ceux qui auraient une créance alimentaire contre le défunt. Cependant le caractère certain d un préjudice ne peut constituer une barrière au nombre des actions intentées que pour dommage matériel. Ce frein ne peut pas avoir le même effet pour le dommage moral car « l affection que l on éprouve pour une personne ne

101 : Section 3, Titre II du présent travail.

dépend en rien de l existence d une créance d aliments à son encontre.102 Le danger d une pluralité de demandes en réparation n est pas écarté.

L arrêt du 2 février 1931 nous proposera un critère nouveau : les liens de parenté ou d alliance. Ce critère a joué un grand rôle dans la recherche d une solution au problème de la limitation du nombre des bénéficiaires de l action en réparation. Cependant, les critiques n ont pas manqué. RIPERT pense « qu il oublie le conjoint qui n est ni parent ni allié et qu il parle des ayants-droit alors qu il s agit d une action personnelle ». En outre cette formule a un caractère de rigidité qui ne lui a pas permis de faire jurisprudence. Prise à la lettre, cette formule permet de recevoir l action du collatéral du plus éloigné degré et de repousser l action du fiancé ou du parrain qui a élevé son filleul.103

Ce principe demeure insuffisant à notre avis, les parents et alliés du défunt étant trop nombreux pour qu il soit possible de permettre à chacun d eux

d agir pour son propre compte en réparation de la douleur qu il éprouve. Le caractère légitime de la douleur a été souvent aussi invoqué comme moyen de limitation du nombre d actions en réparation du préjudice moral104. C est sur cette base que l action de la concubine sera rejetée. Mais cette solution, nous

l avons vu, est largement dépassée aujourd hui. En effet, depuis l arrêt du 27 février 1970 de la chambre mixte, on admet sous certaines conditions l action en réparation d une concubine.

Confrontés à toutes ces incertitudes, certains auteurs, notamment H. Mazeaud et Ripert105 vont se fier au pouvoir d appréciation des juges du fond.

C est grâce aux pouvoirs qui lui sont reconnus quant à l appréciation de

l existence du préjudice que le juge du fond doit trouver un frein à

l exagération du nombre de demandes. Remarquons tout de suite que l intime conviction du juge lui accorde un large pouvoir d appréciation, nous pensons que ce pouvoir doit être limité par une liste des demandeurs en réparation.

102 MAZEAUD H.; op. Cit P. 78 Cité par KALONGO. Op Cit. P.78 .

MPINDA ; cours de procédure civile, 2001, inédit, ULPGL, P 134.

103 RIPERT, G; Le prix de la douleur, D.H.1948 Chron p. 2 cité par De Page, Op. Cit, P. 30

104 Rp. Oct. 1921 (D.P. 1922 1.163, gaz. Pal ; 1921 2.558, H. et L. MAZEAUD : T.I n° 327 ; JOSSERAND :, D.H 1932, Chron p.p. 501 cité par De Page Op. Cit. p. 90.

Il faut établir la preuve de la douleur.

Cette preuve sera plus facile à apporter pour les parents ou alliés très proches que pour n importe qui. Mais ce degré de parenté ne joue que le rôle d une présomption ; une « présomption simple que l existence des circonstances particulières peut toujours détruire ». C est le cas d un héritier qui a attenté à la vie de son auteur, éprouverait-il douleur à la mort de celui-ci ?

Une autre barrière consisterait à donner à l action en réparation un caractère familial. Cela s expliquerait par le fait qu on partirait de l existence d un « véritable patrimoine familial comprenant à côté de l honneur de la famille, la « cohésion familiale », l amour et l affection qui unissent les uns aux autres les parents et alliés106 ; dès lors la lésion de ce patrimoine familial ne donnerait lieu qu à une action unique qui serait alors exercée au nom de la famille » par le conjoint, à défaut par le parent le plus proche en degré subséquent107. Ici aussi, la famille étant dépourvue de la personnalité juridique, on imaginerait mal la recevabilité de cette action ; aussi, la douleur est une question personnelle.

b) Le sens de l expression « circonstances exceptionnelles et graves »

A tous ces critères que nous venons d analyser, la jurisprudence congolaise ajoute un autre critère qui constitue également un obstacle sérieux à l exercice de l action en réparation du dommage moral.

D une manière générale, les tribunaux congolais n accordent des dommages-intérêts pour dommage moral que dans des « circonstances graves et exceptionnelles ». Cela revient à dire que le droit congolais estime qu un

105 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82, G. RIPERT : Op. Cit. p. 3

106.MAZEAUD, H : Op. Cit. p. 82

107 MAZEAUD, H : Op. Cit. P. 82. Cette solution a été déjà admise par la jurisprudence

belge : Charleroi, 15 avril 1931 (S.1931 4.21). Le jugement n admet que l action du père du défunt à l exclusion de celle formée par les frères et s urs. Ve aussi Savatier, Traité de la responsabilité civile, T. II ; 2e éd. Paris, L.G.D.J. 1955, qui propose une solution plus ou moins identique.

dommage moral n est certain que dans la mesure où les lésions de la victime sont particulièrement graves108.

Désormais, il ne suffira pas de prouver l existence des liens de parenté ou d alliance avec la victime directe du dommage, encore faudra-t-il prouver la gravité des lésions de la victime de l acte fautif. Cette preuve nous paraît difficile à fournir ; elle ne pourra être facilitée qu en cas d accident mortel.

L examen de notre jurisprudence nous montre, en effet, que chaque fois qu il y a dommage moral, les tribunaux n accordent réparation que lorsque l accident entraîne la mort de la victime. La simple vue, par exemple, pour les parents des souffrances de leur enfant accidenté ne suffit pas pour fonder leur action en réparation109.

Ce point de vue de la jurisprudence rejoint celui de DE PAGE qui s indignait du fait qu aujourd hui on accorde, lorsque la victime est à la suite

d un accident atteinte de déchéance physique grave qui la laisse complètement défigurée et en proie à des souffrances qui perdureront toute sa vie, non seulement à elle-même un droit à la réparation du dommage moral résultant de sa souffrance et de son état, mais encore à son conjoint ou à ses parents en raison « du spectacle affligeant que ceux-ci ont subi à la vue de leur époux ou de leur enfant ».

Où donc, estime-t-on devoir s arrêter, se demande DE PAGE110.

Loin de nous l intention de contester la nécessité de limiter le nombre de bénéficiaires de l action en réparation. Ce qui reste notre préoccupation. Nous pensons cependant que cette limitation ne doit pas être arbitraire. Le juge devra dans chaque cas d espèce, chercher des circonstances objectives susceptibles

d éclairer sa religion. Il est fort possible que même en cas d accident non

108 Cour d Appel d Elis 26 mai 1964, R.J.C.B 1964, p. 176, Cour d Appel d Elis 23 mars 1965, R.J.C.B 1965, p. 211.

109 Cour d Appel de Léo, 28 sept. 1954, R.J.C.B 1955, p. 89

Cour d Appel d Elis, 17 mai 1960, R.J.C.B 1961, p. 13

Cour d Appel d Elis, 10 juillet 1943, R.J.C.B 1944, p. 48

110 DE PAGE, H: Traité élémentaire du droit civil belge, Bruxelles, établissements Bruylant, , 1964, p. 957.

mortel, les parents ou le conjoint de la victime aient subi un dommage moral certain. Qui nous prouvera qu il n y a dommage certain qu en cas d accident mortel ?

En guise de conclusion, nous dirons que la nécessité d une limitation s impose ; elle est impérieuse. Cependant il reste malaisé de fixer avec précision ces limites. Cette difficulté due au caractère extra-patrimonial du dommage moral transparaît à travers les nombreux tâtonnements que la doctrine ainsi que la jurisprudence ont connus en cette matière : aucun des critères proposés ne se suffit à lui-même.

Les liens de parenté ou d alliance ne pourraient jouer leur véritable rôle de frein que dans la mesure où ce critère ne constitue qu une simple présomption, un commencement de preuve que certains événements pourraient éventuellement renverser. Il ne suffirait plus, dans ce cas, d être parent ou allié, encore faudrait-il que certaines circonstances de fait établissent la certitude du dommage.

Ce critère jouerait encore mieux son rôle si l on donnait à l action en réparation un caractère familial. Cette situation est d autant plus souhaitable qu elle épouse la conception coutumière où la notion de « paternat » domine toute la vie familiale. Dépositaire de l autorité suprême, le « sui juris » pourra au nom de la famille exercer l action en réparation chaque fois qu il y aura un dommage qui atteint la communauté. Comme le fait remarquer E. LAMY « les rapports juridiques dans les coutumes africaines remontaient tous à l idée première de l autorité suprême du « paternat », continué, représentant la volonté et la causalité ancestrale et où les individus ne peuvent pas par euxmêmes être auteurs et titulaires de droits »111.

En adoptant cette conception , le doit congolais pourra donner de nouvelles dimensions au critère de « liens de parenté ou d alliance » en l adaptant à la mentalité des peuples qu il régit et en corrigeant certaines faiblesses que nous lui avons reconnues plus haut.

111 LAMY, E ; Introduction historique et comparative à l étude du droit coutumier africain,

Les tribunaux congolais ont rendu trop difficiles les conditions d exercice de l action en réparation en cas d accident : ils n accordent des dommages intérêts aux parents ou au conjoint que si l accident est mortel. Comme nous l avons déjà signalé , le juge devra plutôt chercher dans chaque cas d espèce des circonstances objectives susceptibles d éclairer sa religion. Certes, la certitude d un dommage moral subi à la suite d un accident mortel est plus facile à déceler ; mais cela n empêche nullement qu un accident non mortel cause un dommage moral aux parents et au conjoint.

Entre les deux situations, il n y a qu une différence de degré. Le problème qui se pose ici n est pas celui de déterminer la réalité, l existence du préjudice, mais bien celui de la détermination de l importance du préjudice. Aussi estimons-nous que le juge Congolais s est engagé sur une voie timide.

Voilà pourquoi pensons nous limiter le nombre des bénéficiaires de l action en réparation issue du caractère général de l art 258 CCC livre III en suggérant aux décideurs l élaboration d une loi secondaire, qui viendrait limiter le nombre de demandeurs de réparation, notamment en se fondant sur la personne du demandeur en réparation.

SECTION 2. LES DEMANDEURS EN REPARATION : QUESTION
PREALABLE.

Nous avons préféré intituler notre section ainsi, pour mieux comprendre la personne du demandeur en réparation qui assigne l auteur d un fait dommageable d abord sur la personne d autrui, et, dont estime-t-elle, les effets l ont atteint, pour lesquels il réclame réparation.

Il est donc normal que soit écarté, des bénéficiaires d une action en réparation du préjudice moral le demandeur n ayant pas qualité, capacité ou justifiant d un intérêt dérisoire, car il tomberait sous le coup d un enrichissement sans cause. Pouvons-nous enfin souligner que nous sommes en

cours polycopié, U.O.C, 1967 1968, p. 96 Cité par KALONGO MBIKAYI, op.Cit. p. 82

présence de deux enjeux majeurs : la personne du demandeur et ses prétentions à la réparation du préjudice moral. Question préalable et question principale.112

Que signifie question préalable ?

Une question préalable est celle que le juge doit examiner pour vérifier si certaines conditions sont requises pour l existence de la question principale.

Ainsi l action en réclamation d une succession (question principale) suppose que la qualité d héritier (question préalable) appartient bien au demandeur.

Comprenant bien la pertinence de la question, il appartiendra donc au demandeur de justifier de l intérêt, de la qualité, et de la capacité dans son chef avant de prétendre à une réparation d un préjudice moral subi, question principale ou objet de sa demande.

A présent, voyons ce que renferme en droit les concepts comme : intérêt, capacité et qualité, conditions d admission d une action en justice et fins de non-recevoir lorsque le demandeur n en justifie pas dans son chef.113

§ 1. L intérêt.

MPINDA écrit à ce propos : « une condition jugée indispensable par

l ensemble de la doctrine et de la jurisprudence pour l exercice d une action est

l intérêt. Cette règle trouve son fondement dans les maximes anciennes « pas

d intérêt, pas d action » ou encore l intérêt est la mesure de l action. L intérêt légitime forme la base de l action judiciaire comme il en est la mesure. Dès qu il y a action, l adage « SANS INTERET, PAS D ACTION » est un axiome de droit admis de tout temps ».

Cela signifie qu une personne n a pas le droit de soulever des contestations inutiles et d occuper les juges dont le temps est précieux, des contestations auxquelles ils sont indifférents.

112 MPINDA , op.cit. P.134

113 KATUALA KABA KASHALA, Les causes d irrecevabilité de l appel en matière civile, commerciale et sociale, Kin 1991, p.17

Ex : Mon voisin a été victime d un accident de circulation qui lui a fait perdre une jambe. Moi je vais saisir le tribunal pour demander des dommages intérêts pour cet accident au conducteur du véhicule alors que mon voisin, qui est vivant et d un esprit sain, ne le fait pas et ne m a pas mandaté. Cette action sera déclarée irrecevable faute d intérêt dans mon chef, laquelle action étant de caractère personnel ; aussi, ajoutons-nous, si la mort s en suive ! le préjudice moral prétendument souffert par cet homme est-il réparable ?

A. CARACTERE DE L INTERET OU SA NATURE.

Il est important d examiner ce que renferme la notion de l intérêt ; étant entendu que notre démarche vise à cerner la personne qui doit réellement être bénéficiaire d une demande en réparation d un préjudice moral.

Ainsi, l intérêt moral ou pécuniaire que doit justifier le demandeur en réparation doit être :

A1. Légitime et sérieux.

C est-à-dire qu il ne doit pas être insuffisant. Il est en outre indispensable qu il présente un certain caractère de gravité. Ainsi par exemple le mécontentement provoqué chez un citoyen par une émission de télévision dont la qualité est contestable ne saurait justifier une action.

A2.

L intérêt né actuel.

Ce qui signifie qu il doit exister au moment où la demande est formée devant le tribunal. Mais, il a été très souvent admis qu il n est pas nécessaire que le préjudice à raison duquel l action est intentée soit réalisé ni que l exercice du droit que l on veut défendre soit entravé au moment où on intente l action. En effet, il peut arriver qu il soit imminent de prévenir un dommage

ou de mettre le droit à l abri d une contestation ultérieure. Tel est le cas des actions préventives (action interrogatoire, provocatoire, déclaratoire) et des actions ad futurum.

A3. Enfin, l intérêt doit être direct et personnel

Ce qui veut dire que pour pouvoir ester en justice il faut avoir été directement et personnellement lésé dans ses intérêts propres. Il n est pas question en général de venir au tribunal pour invoquer les intérêts d autrui. Mais s il est vrai que cette exigence est évidente lorsque l action est exercée par le titulaire du droit, le problème devient complexe quand il s agit d une autre personne agissant sans mandat du titulaire de ce droit. Hors mis le cas de certains syndicats et ordres pour lesquels la jurisprudence française a reconnu l exercice de l action pour l intérêt collectif,114 qui d autre viendrait pour réclamer réparation du préjudice moral du fait d un tiers sur ses parents ou alliés ?

En dépit de l importance qu il présente, l intérêt condition nécessaire à l admission d une action en justice n a fait l objet d aucune disposition générale dans le code de procédure civile du Congo. Mais la jurisprudence a admis dans de nombreux cas que l intérêt est une condition indispensable pour ester en justice.

§ 2. LA QUALITE.

La qualité est le pouvoir en vertu duquel une personne exerce l action en justice. Ainsi, la qualité apparaît comme une telle affinité que l on a parfois pu en déduire qu elle ne constitue que l un des aspects de la condition de l intérêt. (pour plus de détails lire MPINDA, P. 58 60, op. cit.)

Nous venons ainsi de préciser que la personne du demandeur doit justifier de la qualité, de l intérêt et de la capacité. La réunion de ces éléments

114 MPINDA, op. Cit, p. 134 et suivants.

fera l objet d un jugement avant dire droit qui ouvrera au juge la possibilité de connaître le fond du litige et donc de consacrer son temps aux prétentions du demandeur.

§ 3. DES DEMANDEURS EN REPARATION DU PREJUDICE MORAL.

Les motivations d une liste limitative des bénéficiaires, d une action en réparation du préjudice moral trouvent leur résonance dans les lois congolaises et l expérience jurisprudentielle qu elles ont connues. A présent, dégageons les personnes généralement connues et traitées par le législateur dans les différents codes.

Code de la famille.

Voici les personnes généralement connues ou traitées par le code : - les conjoints (art. 330) et la fiancée (art. 337) ;

- Père et mère, tuteur, personne qui exerce un droit d autorité sur l individu (336) ;

- Le conjoint d un mariage coutumier (438) ;

- Entant allié ou non (590 649) ;

- L adopté et non sa famille d origine (679) ;

- L adopté et ses descendants (690) ;

- Le débiteur d aliments (728) ;

- Les héritiers (758), à l exception de ceux frappés par l indignité prévue à l article 765.

2° Code Civil des obligations.

Cet article parle de la responsabilité civile qu assume le père, et la mère après le décès du mari, du dommage causé par leurs enfants, habitant avec eux.

Mais, pourquoi parler de tous ces articles dans la recherche d élaboration d une liste limitative de demandeurs en réparation ?

La réponse est simple. En lisant la loi, il se dégage que, il existe des rapports juridiques entre ces personnes et qu un ami par exemple ne serait pas apprécié comme lesdites personnes, lorsqu ils sont en concours d intérêts en justice. Aussi, pensons-nous, il faut partir de ce qui existe pour enfin consacrer ce qui doit être pris en considération en procédant par élimination au regard de la jurisprudence et de la doctrine que nous avons étudiées au chapitre 2, titre 1 et chapitre 1 titre deux, du présent travail.

Il sera ainsi aisé de retenir de notre liste de demandeurs en réparation :

1° Les (parents) père et mère ainsi que leurs enfants pour les dommages causés par un tiers sur eux ou sur les personnes de l un d eux et vice-versa.

Ces personnes, ont-elles qualité, intérêt et jouissent-elles d une capacité pour initier une action en réparation de préjudice moral subi par l une d elles ?

A première vue, dirons-nous oui, l exercice de cette action pour ces personnes justifient d un intérêt, et d une qualité et, eu égard à l âge, jouissent d une capacité pour ce faire. Néanmoins dans le cas prévu à l art 765 du code de la famille, l enfant frappé d indignité ne saurait initier une telle action parce qu il ne peut invoquer une douleur subie par lui du fait d un dommage causé par un tiers sur la personne de ses père et mère, alors que lui même n accordait aucune importance sur la personne de ces derniers. D où, à cette occasion, le juge doit, par un avant dire droit, dire si oui ou non cette personne indigne a été violentée dans ses droits, par la mort de ses parents ou l handicap par eux subi du fait de tiers. L irrecevabilité de son action sera donc déclarée faute d intérêt.

Il s agit pour cette première réflexion de :

- Père et mère, enfant né dans le mariage et enfant affilié et l adopté. Nous concluons l enfant non affilié, pour la simple raison que l affiliation est une question de procédure, bien appliquée dans le code de la famille (notamment l action en recherche de paternité.) .

Quant aux conjoints entr eux le problème ne se pose pas pour autant qu ils demeurent liés par le contrat de mariage.

2° Les frères et s urs de la victime de la faute dommageable. Descendants et ascendants.

Ils seront retenus pour autant que soit, ils dépendaient psychologiquement de la victime soit pécuniairement, et qu ils soient à l abri de tout reproche d inimitié permanente et scandaleuse.

Certes, les termes inimitié permanente et scandaleuse ouvre la voie à qui le veut d évoquer la difficulté qu éprouverait le juge pour apprécier le degré de cette inimitié. Il aurait peut être raison. Néanmoins, la philosophie de base qui a conduit le législateur congolais à disposer que l obligation alimentaire « est d ordre public » (art. 750) est éloquente.

En effet, les traditions africaines et congolaises en particulier, imposent la solidarité sans faille entre frères et s urs ou ascendants et descendants. Il serait donc mal venue de reconnaître à un frère ou une s ur le pouvoir d initier une action en réparation du préjudice moral suite au fait dommageable qu aurait subi son consanguin alors qu avant la survenance de la faute dommageable, il ne s acquittait par exemple pas de son obligations alimentaire.

3° Les descendants et ascendants par alliance. Le terme « alliance », nous rappelle ici toute la théorie, la jurisprudence et la thèse qui ont soldé par des démonstrations, l inefficacité du critère de parenté et alliance étudié sous le chapitre 1, titre II, dans toutes ses sections. Nous pensons ici que ces derniers

ne seront justifiés à diligenter la procédure quant à ce, que si effectivement ils bénéficiaient et vivaient de cette assistance de la victime prévue par l obligation alimentaire ; mais ceux là, pour qui cette obligation n était que théorique, n auraient pas à justifier une lésion par la mort ou l incapacité de leur débiteur.

Quant à la réflexion découlant de l article 758 du code de la famille, il est aisé de constater que même le législateur a prévu que lors d une ouverture successorale, ne sont invités à succéder que :

- d abord les héritiers de la première catégorie ;

- ensuite ceux de la deuxième catégorie ;

- puis la 3ème catégorie.

Les adverbes d abord, ensuite, puis, marquent les différents degrés de rapport juridique, psychologique et social qui existent entre chaque catégorie et le de cujus ; une manière, pensons-nous aussi, de souligner qui de ces 3 catégories seraient touchées par cette mort, pourquoi pas de l inimitié permanente ou temporaire qui pourrait exister entre ces différentes catégories. Toutefois la preuve contraire sera apportée par toute voie de droit.

Les mêmes observations valent aussi pour les considérations sur les personnes reprises à l article 260 CCL III.

Ainsi, après analyse légale, jurisprudentielle, doctrinale et sociologique nous pensons, proposer comme demandeurs en réparation du préjudice moral les personnes suivantes :

- les conjoints ;

- les enfants nés pendant le mariage, les enfants affiliés et non, l adopté ; - les frères et s urs ;

- le débiteur d aliments retenu par notre étude ;

- le (la) fiancé(e) : pour autant que la rupture écrase ses aspirations conjugales ;

- le tuteur (art. 336 code de la famille).

Gardant à l esprit cependant que, le jugement de responsabilité est un jugement déclaratif et non attributif de droit ; le doit naît dès que les trois conditions sont réunies : dommage, faute et lien de causalité entre le dommage et la faute. D où l étude de la personne du demandeur évitera au juge la perte de temps mais aussi de déclarer le droit dans le chef d une personne complètement tierce à la victime.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand