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Les populations rurales du Burkina Faso à  l'épreuve du déboisement : l'exemple du département de Toma

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par Jean Paulin KI
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA en sociologie 2009
  

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IV.1. Déboisement et dysfonctionnement de la structure sociale san

La notion de structure fait appelle à celle d'organisation, de système. Pour Gilles Ferréol, la structure se définit plus généralement comme « ensemble d'éléments interdépendants formant système ».69 La structure sociale comme système organisé fait apparaître des rôles, des normes et des valeurs. Les conséquences du déboisement en termes de dysfonctionnement sont ressenties à ces niveaux dans les villages du Département de Toma.

Au Burkina Faso, la société san qui habite le Département de Toma occupe un territoire qui couvre deux provinces : le Sourou et le Nayala. La société san parle le san comme langue et ses habitants s'appellent les Sanan. D'autres peuples ou groupes ethniques les appellent Samos. Les Sanan sont un peuple d'agriculteurs et, par conséquent, sont sédentaires.

La société san est une société segmentaire avec une organisation sociale basée essentiellement sur l'autonomie des villages. C'est dire qu'il n'y a pas pour toute la société un gouvernement central laissant percevoir une organisation pyramidale comme chez certains peuples tels que les Mosse. « L'organisation sociale des Sanan révèle cinq principaux groupes horizontaux de parenté dans chaque village san. Chaque groupe, formant un quartier, est repérable à son patronyme : Ki, Toé, Sô, Go, Parè. Chaque groupe exerce une fonction sociale

68 MERTON, K., R., Éléments de théorie et de méthode sociologique, (traduit de l'américain et adaptés par Henri Mendras), Paris, Plon, 1965.

69 FERRÉOL, G., (sous la direction de), Dictionnaire de sociologie, 3ème éd., Paris, Armand Colin, 2004, p. 203.

reconnue par les autres : les chefs de village (Ki), les chefs de terre (T), les griots (Sô), les forgerons (Go) et les juges (Parè). »70 Il est important de signaler ici que dans l'organisation sociale san, les chefs de terre et les chefs de village jouent conjointement un rôle capital dans le domaine environnemental : du point de vue religieux, il leur revient d'offrir des sacrifices en cas de sécheresse afin qu'il pleuve et, sur le plan social, ils doivent veiller au respect strict des interdits liés à la nature71 et gérer les conflits fonciers.

Au chapitre précédent (III.2.3), nous expliquions qu'avec les nouvelles technologies telles que le vélo et la charrette, de nouveaux acteurs, c'est-à-dire les hommes, sont entrés dans l'arène de la coupe du bois. Or dans l'organisation sociale traditionnelle san l'activité de collecte de bois était réservée uniquement aux femmes qui avaient la charge des préparations culinaires. Le phénomène du déboisement massif a créé un changement dans la structure sociale faisant de la recherche du bois une activité des deux sexes. Mais, les moyens employés par les hommes dans cette coupe de bois étant plus performants que ceux des femmes, on peut dire que la part de déboisement des hommes surpasse celle des femmes au point d'en faire une affaire masculine. Ce qui est certain désormais c'est que la problématique genre et déboisement est créée et reste à débattre.

De plus, lorsque les femmes seules cherchaient le bois, elles pratiquaient une certaine sélection puisque dans la société san il y a des espèces d'arbres que la femme ne doit couper sous aucun prétexte, à commencer d'abord par les arbres fruitiers dont on se nourrit. Ici, le lien structural entre l'arbre fruitier et la femme qui donne la vie est très apparent. Ensuite, d'autres espèces telles que le guissii (cassia sieberiana), le kwii (Gardenia erubescens), le boélèbondan (Ozoroa insignis), et le donoonensewo (Holarrhena florinbunda) qui remplissent des fonctions thérapeutiques, symboliques et religieuses sont également épargnées. En effet, dans la société san, les racines du guissii servent en décoction pour laver les bébés ; le kwii est utilisé pour bannir quelqu'un du village ou pour empêcher de boire l'eau d'un puits sur un terrain litigieux ; par sa sève blanche, le boélèbondan qui signifie « la mère du chevreau qui doit vivre » est rattaché au lait maternel, tandis que le donoonensewo est mis en rapport avec les génies puisque sa signification est « le poison des génies ». A ces espèces, il faut joindre celles liées aux différents totems des familles que chaque nouvelle épouse en arrivant doit scrupuleusement respecter sous peine d'être répudiée. Enfin, en rapport à la cuisine, les femmes connaissaient les espèces fumigènes et n'en voulaient pas comme bois de feu.

70 KI, J.P., Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à grain dans le Département de Toma, Mémoire de Maîtrise, Yaoundé, 2000, p. 47.

71 Chez les Sanan la brousse est sacrée ; c'est pourquoi il est interdit d'avoir des rapports sexuels dans la nature. Il est également interdit de couper tout arbre fruitier, même pour des raisons agricoles. A la chasse, on ne tue pas un animal en gestation ou en train de mettre bas ni un boa en train d'avaler sa proie. Le crocodile est objet d'une protection sérieuse : le tuer, même par inadvertance, exige des sacrifices de réparation avec un mouton.

Aujourd'hui, les charbonniers et les charretiers vendeurs de bois n'épargnent aucune espèce et coupent même de gros troncs. Or, selon un groupe d'experts en environnement, « lorsque l'espèce en cause joue un rôle symbolique ou religieux, sa disparition peut saper l'identité culturelle et mener à une déstructuration de la société traditionnelle, voire sa destruction physique (alcoolisme, violences, suicides) ».72

Au niveau des actions collectives, les grandes chasses traditionnelles connaissent moins de participation qu'autrefois à cause du manque de gibier. Pour certaines chasses les gens accomplissent symboliquement le rituel sans aller loin en brousse.

Dans l'organisation sociale san, la gestion des terres se fait par lignage. Ainsi, les sols sont la propriété de groupes de familles. L'on ne saurait aller couper du bois sur le sol d'un autre lignage, ni mettre le feu à la jachère d'autrui. Aujourd'hui, les vendeurs de bois violent les propriétés des autres et se servent en bois. De nombreux conflits interpersonnels ont été engendrés dans les villages par ces actes de violation.

En somme, retenons que le phénomène du déboisement met à mal aujourd'hui le système traditionnel de gestion des terres, des arbres et, d'une manière générale, des ressources naturelles parce que les normes et les valeurs traditionnelles ne sont plus respectées. Ce non-respect des normes et valeurs pose au niveau de la structure villageoise le problème du respect de l'autorité traditionnelle et celui du contrôle social en général. Comme nous le verrons dans le chapitre prochain, le pouvoir de l'autorité traditionnelle en matière de contrôle social est aujourd'hui transféré au niveau des autorités administratives chargées de la gestion de l'environnement. Ce sont celles-ci que les populations craignent le plus et auxquelles elles obéissent bon gré mal gré.

IV.2. Les conflits sociaux

Selon nos enquêtés les conflits fonciers apparaissent dans les villages ou bien entre villages à l'approche de la période hivernale, lorsqu'il s'agit d'agrandir les champs ou de défricher de nouveaux champs. La pratique de l'agriculture extensive et itinérante est la cause directe de ces conflits. Un cas classique de ces conflits est celui qui existe depuis 1982 entre les habitants de Sien et Nièmè et qui, d'hivernage en hivernage, se réveille comme un volcan. Parfois il dégénère en conflit armé entre les familles réclamant la propriété des terres.

72 ENTREPRISES POUR L'ENVIRONNEMENT, Problèmes d'environnement. Dires d'experts, Éd. Entreprises pour l'environnement, 1996, p. 20.

D'autre part, la coupe du bois dans la propriété d'autrui a également créé de nombreuses bagarres dans les villages. Selon les témoignages de nos enquêtés, il est arrivé que certains coupeurs de bois, pris sur les faits, se voient retirer le bois qu'ils viennent de couper. Mais d'autres ont refusé de remettre le bois coupé en brandissant l'argument du permis de coupe qui leur a été délivré par le service forestier. Ces refus d'obtempérer ont occasionné des conseils de familles. Nous traduisant son mécontentement un propriétaire foncier posait la question suivante : «Est-ce que le service forestier, en délivrant le permis de coupe, a dit que c'est chez moi qu'il faut couper le bois ? »73 Il faut dire que la loi nationale sur Réforme Agraire et Foncière (RAF) et le code forestier respectivement en application depuis 1996 et 1997 ne prennent suffisamment pas en compte les coutumes locales et sont de ce fait sources de conflits. Avec la RAF de 1996, la terre appartient soit à l'Etat, soit aux particuliers qui ont des titres fonciers74. Les populations rurales ont du mal, d'une part, à accepter l'idée d'un titre foncier pour être propriétaire sur une terre ancestrale et, d'autre part, à comprendre comment un permis de coupe de bois peut autoriser un individu à « violer » la propriété d'autrui.

Aujourd'hui dans le Département de Toma, les conflits opposent d'abord des individus coupeurs de bois et des lignages dont la propriété foncière a été violée. Ensuite, le conflit est latent entre les autorités administratives représentant l'Etat et les autorités traditionnelles qui se sentent dépossédées de leur pouvoir dans la gestion du foncier et de l'environnement. Enfin, pour des raisons personnelles telles que la difficulté d'insertion dans le milieu, certains agents du service forestier étatique ont des rapports tendus avec les populations locales qui exploitent les formations ligneuses. Ce qu'il faut retenir de ces conflits, c'est qu'ils sont des conflits d'intérêts autour des ressources naturelles dont les uns et les autres ont conscience de la raréfaction avec le temps. Et comme nous le signifie Lewis Coser, « il y a des occasions de conflit dans toutes les formes de structure sociale car les individus et les sous-groupes sont toujours susceptibles de se plaindre de manquer de ressources, de prestiges ou de pouvoir ».75

Dans la logique du changement social, les conflits dont nous parlons relèvent des dysfonctionnements. Ceux-ci sont liés à la structure sociale. En effet selon Guy Rocher, « il ne suffirait pas, par exemple, d'expliquer les conflits sociaux en termes exclusivement psychologiques comme s'ils ne résultaient que de sentiments personnels, de l'humeur ou des émotions des membres de la société. C'est dans la structure de l'organisation sociale, dans

73 Un enquêté de Zouma, le 7 août 2010.

74 Cette mesure est stipulée dans les articles 4 et 5 de la loi N° 014/96/ADP du 23 mai 1996 portant réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso.

75 COSER, L., A., Les fonctions du conflit social, Paris, PUF, 1982, p. 84.

son mode de fonctionnement, qu'il faut retrouver la source permanente qui provoque et alimente les conflits ».76 D'une manière générale, les conflits dont il est question ici peuvent s'expliquer sociologiquement par la nouvelle restructuration redistribuant des pouvoirs où les uns et les autres y trouvent peu ou prou leur compte. En réalité, ces conflits sont les réponses (réponses sociopolitiques) de la société globale face au problème écologique qui est créé par les populations elles-mêmes. Ils mettent en présence divers acteurs dont les intérêts et les moyens sont variés. Il convient à présent de considérer une autre conséquence du déboisement qu'est l'insécurité alimentaire et sanitaire.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon