WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les populations rurales du Burkina Faso à  l'épreuve du déboisement : l'exemple du département de Toma

( Télécharger le fichier original )
par Jean Paulin KI
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - DEA en sociologie 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I.1.2. Littérature africaine sur le déboisement en Afrique

Comme pour leurs homologues occidentaux, nous présentons cette revue littéraire d'auteurs africains dans l'ordre chronologique des publications. Chez eux aussi, le problème du déboisement ou de la déforestation demeure de tout temps celui du rapport de l'homme ou des sociétés à leur environnement en vue de satisfaire les besoins de subsistance. C'est dans ce rapport dynamique que certains auteurs (surtout les anthropologues) révèlent que tout n'est pas qu'une question d'exploitation de ressources naturelles.

Par exemple, selon Jean Baptiste Ouédraogo16, les usages de l'espace rural et les stratégies de survie, qui permettent de comprendre les enjeux environnementaux, sont fonction de la perception que les différentes sociétés ont de leur environnement. L'espace naturel occupé devient un espace culturel où sont projetées les structures et les valeurs des sociétés. Pour les Mossi, si la nature est une ressource inestimable elle n'est cependant pas inépuisable. D'ailleurs les périodes de sécheresse, en l'occurrence celle exceptionnelle entre 1968 et 1984, l'ont fait comprendre. Ouédraogo montre que ces aléas climatiques ainsi que la forte croissance démographique, facteurs de raréfaction de « l'espace richesse », conduisent les Mossi à modifier leurs structures sociales et économiques : taille réduite des villages, occupation rationnelle de l'espace en distinguant espace de culture et espace d'installations humaines, pratique de l'agriculture couplée de l'élevage, établissement de « règles d'affectation et d'utilisation » de l'espace, adoption de nouvelles techniques agricoles telles que le « Zay » (technique locale de fertilisation des sols), etc.

Sans parler explicitement de déboisement, Ouédraogo montre un rapport dynamique sur fond culturel entre les populations mossi et la nature pourvoyeuse en ressources. Les stratégies de survie sont le signe d'une recherche de maîtrise de l'environnement ainsi que d'une capacité d'adaptation aux changements environnementaux. L'auteur démontre bien une interaction entre dynamiques naturelles et dynamiques sociales, mais ne met pas en relief la dimension conflictuelle des dynamiques sociales qui intéresse notre problématique.

Sur l'état de l'environnement sahélien, l'étude de Kélétigui A. Mariko, datant de 1996, est intéressante. En effet, dans La mort de la brousse17, l'auteur présente une dégradation progressive de l'environnement sahélien depuis les indépendances. En trois décennies, cette dégradation a atteint aujourd'hui « le stade irréversible de la désertification, de la mort de la

16 OUEDRAOGO, J.B., « Perception de l'environnement et usages de l'espace rural par les Mossi du Burkina : stratégies de survie et enjeux environnementaux », Science et technique, Sciences sociales et humaines, Vol. 21, N° 2, 1994-1995, pp.80-88.

17 MARIKO, K.A., La mort de la brousse. La dégradation de l'environnement au Sahel, Paris, Kartala, 1996.

brousse et de la mort de la terre »18. Pour les mêmes raisons (surpopulation, accroissement du cheptel, conjonction des facteurs écologiques et humains) avancées par d'autres auteurs, occidentaux et africains, Mariko conclut que le bilan de la gestion et de l'exploitation des ressources naturelles du Sahel est catastrophique et totalement négatif. Une telle gestion de l'environnement sahélien a pour conséquences, selon l'auteur, la ruine économique des populations, les migrations, l'exode rural et la mendicité dans les centres urbains.

Si l'on peut admirer la justesse de l'observation de cet ancien expert du CILSS (Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel), on peut aussi lui reprocher de ne pas prendre en compte les différentes tentatives de lutte pour sauvegarder l'environnement et renverser la tendance de la vitesse de désertification du Sahel. Ce manque d'intérêt à ces initiatives fait de l'ouvrage une étude descriptive avec un arrière-fond pessimiste, puisque l'auteur parle d'irréversibilité de la désertification du Sahel. Ce débat portant sur le futur n'intéresse pas le sociologue que nous sommes.

Tout autre est l'approche de l'anthropologue Séverin Cécile Abéga19. Partant de la littérature orale badjue du Cameroun, celui-ci analyse la forêt comme culture. Transcendant l'approche économiste et matérialiste qui fait de la forêt « seulement un gisement de ressources », l'auteur focalise son attention sur les aspects culturels des rapports entre l'homme badjue et son milieu naturel. Il fait ressortir comment le milieu naturel forestier a structuré toute la vie des peuples depuis des millénaires. En effet, « le Badjue, vit la forêt consciemment ou inconsciemment. Sa culture, son mode de vie donne à celle-ci une dimension religieuse, sociale, psychologique »20.

Bien que ne traitant pas spécifiquement du déboisement, cette étude a son importance pour notre problématique puisqu'elle met en relief les représentations socioculturelles d'un peuple par rapport à son environnement dont il est dépendant et avec lequel il entretient des rapports dynamiques. En cela elle révèle le rôle structurant de la forêt. Egalement, cette étude aide à comprendre que le déboisement, tel qu'il apparaît aujourd'hui chez les peuples de la savane, se produit à une phase de leur histoire où certaines valeurs culturelles se changent en lois économiques de consommation. Or dès lors qu'une société arrive à ce seuil, il va de soi que sa perception de son environnement poussera à des comportements qui créeront la rareté

18 Ibidem, p. 51.

19 ABEGA, S.C., Adzala. Espèces et Espaces dans la forêt badjue, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 1999.

20 Ibidem, p. 10.

des ressources. Cette rareté elle-même engendrera des conflits de tous genres : « conflits aussi de limites, conflits d'intérêts, alors que la forêt est un espace de paix ».21

Dans la même perspective que M. Abéga, les chercheurs burkinabè Doti Bruno Sanou et Yacouba Traoré22 s'intéressent à la dimension culturelle de la sauvegarde de l'environnement. Pour ce faire, ils proposent une méthode pour l'étude des questions environnementales : « la génétique culturelle ». Cette méthode de la génétique culturelle consiste à partir de l'histoire des communautés locales, c'est-à-dire à s'appuyer sur les traditions multiséculaires des sociétés dans la gestion de leur environnement, pour appréhender les nouveaux systèmes afin de proposer des comportements en vue d'une gestion, non seulement durable mais responsable, des ressources naturelles. Quoique le concept de génétique culturelle soit discutable, cet ouvrage à l'avantage d'inviter les chercheurs socio-anthropologues, s'investissant dans la recherche appliquée, à ne pas négliger les traditions des peuples.

Diarra-Doka et Anne Luxereau23, quant à elles, montrent que si la désertification et le déboisement sont une réalité dans certaines régions du Niger, il y a cependant un renversement de tendance dans la région de Maradi où on observe une évolution positive de la végétation c'est-à-dire une multiplication des ligneux, grâce aux innovations et techniques maîtrisées de conservation des sols et aux efforts de reboisement consentis par les paysans. « Les perceptions paysannes de la nature et de sa dynamique ont changé ainsi que les attitudes vis-à-vis des plantes et des végétations ».24 À partir des discours et pratiques des acteurs ainsi que des travaux de terrain antérieurs, Diarra-Doka et Luxereau analysent les dynamiques sociales complexes où la diffusion des savoirs et les possibilités de valorisation économique sont à l'avantage des populations : replantations de fruitiers locaux, créations de vergers exotiques et de petits bois d'oeuvre.

L'étude de ces auteurs révèle chez les populations de Maradi une réelle volonté de changement de leurs conditions de vie. Et cela montre que la désertification n'est pas une fatalité, contrairement à Mariko25 qui parle d'irréversibilité de la situation. La désertification peut être combattue par des moyens appropriés évitant ainsi aux populations des migrations interminables.

21 Ibidem.

22 SANOU, D.B. et TRAORE, Y., Culture et sauvegarde de l'environnement. Essai d'une méthode d'approche des communautés par la génétique culturelle, Bobo-Dioulasso, Edition du CAD, 1999.

23 DIARRA-DOKA, M. et LUXEREAU, A., « Déboisement-reboisement en pays haussa : évolution des paysages et du rapport à l'arbre », Annales de l'Université Abdou Moumouni, N° spécial, 2004.

24 Ibidem, p.140.

25 MARIKO, K.A., La mort de la brousse. La dégradation de l'environnement au Sahel, Paris, Kartala, 1996.

S'agissant justement du rapport entre déboisement et migration, l'apport de Ram Christophe Sawadogo26 sur le phénomène au Burkina Faso est précieux. En effet, M. Sawadogo fait état du rapport dynamique entre migration, environnement et dégradation écologique au Burkina Faso. S'appuyant sur des études antérieures, il montre comment les migrations internes de départ et celles de retour ont eu, dans les régions centre, centre-ouest, nord-ouest du pays, des conséquences négatives sur l'environnement. En effet, ces études ont révélé clairement des « comportements dépradateurs » (sic) ainsi qu'une « conscience non suffisamment éveillée sur la fragilité de l'écosystème » 27 chez les populations migrantes comme chez celles d'accueil. En outre, la raréfaction de l'espace utile dans certaines localités donne lieu à des sentiments d'hostilité des populations autochtones à l'endroit des migrants. C'est pourquoi l'auteur pense qu'il faut élargir la relation entre la migration et l'environnement à celui, plus général, de la fragilisation de l'écosystème où entrent en ligne de compte d'autres facteurs importants comme la pollution atmosphérique et la péjoration climatique. Sawadogo signale cependant que malgré cette situation de fragilisation de l'écosystème, des études récentes révèlent un renversement des tendances grâce aux innovations technologiques initiées dans les régions appauvries et délaissées par les flux d'émigrants. Cette transformation des rapports à l'environnement pose toute la problématique du changement social où les actions de sensibilisation ainsi que d'autres types d'interventions des services publics ou des ONG sont considérés comme facteurs externes et le génie propre des groupes sociaux à s'adapter à de nouvelles contraintes affectant leurs conditions d'existence comme facteur endogène.

Remarquons que c'est en connaisseur du milieu (le Burkina Faso) et des problèmes liés à la migration que Ram Christophe Sawadogo a fait ce bilan du rapport des migrants à l'environnement. Il soulève dans son étude le problème de la quotidienneté des rapports entre les populations et leur environnement, d'une part, et des rapports sociaux entre autochtones et populations migrantes autour des ressources naturelles, d'autre part. La dynamique de ces différents rapports sociaux, surtout en contexte de rareté des ressources naturelles, se manifeste en tensions et conflits parfois armés (cas récurrent des pasteurs peuls et des agriculteurs ça et là au Burkina). Le changement social qui résulte de cette situation est le signe non seulement de la capacité des populations à s'adapter à leurs nouvelles conditions de vie mais encore de leur détermination à trouver des solutions pour un mieux vivre, c'est-à-dire à améliorer leurs conditions d'existence, ce qu'on appelle développement. Et de fait, comme

26 SAWADOGO, R. C., Migrations et développement au Burkina Faso : Expériences de recherches, pratiques de développement et perspectives, Thèse de Doctorat d'État, UCAD, Dakar, 2009-2010.

27 Ibidem, p. 323.

nous l'avons déjà signalé ailleurs, la question singulière du déboisement et celle, générale, de la dégradation de l'environnement posent fondamentalement le problème du développement ou du mal développement des populations rurales et de l'humanité tout entière.

En résumé, la littérature africaine sur l'environnement en général et sur le déboisement en particulier, telle que nous venons de la présenter, prend en compte les perceptions et représentations sociales de l'espace. En effet les auteurs sont conscients que celles-ci structurent le mode de vie des sociétés. D'où l'importance de la dimension culturelle du rapport société-environnement dans leurs recherches. Dans ce rapport dynamique, des paramètres tels que la densité, les dysfonctionnements du marché, les besoins liés aux conditions de vie des populations sont déterminants dans le rythme de la pression sur les ressources naturelles, surtout ligneuses. Les migrations, comme cela a été montré, sont elles aussi, à la fois, causes et conséquences des pressions sur les ressources naturelles.

Au total, il ressort de cette revue de la littérature sur le déboisement que le phénomène est d'actualité dans le monde et en Afrique, surtout sahélienne. Les proportions qu'il prend en Afrique, à cause de l'accroissement de la population, des méthodes culturales, de la pauvreté, et bien d'autres facteurs, sont le signe de la rupture progressive des équilibres de l'écosystème dont dépend en grande partie l'équilibre de la vie des sociétés. Il s'en suit donc un ensemble d'effets, en termes de changements sociaux, auxquels le sociologue doit être attentif. Telle est l'ambition de cette étude que nous avons entreprise sur le déboisement dans le Département de Toma au Burkina Faso.

I.2. Problématique

Dans son rapport de 2010 portant sur l'évaluation des ressources forestières mondiales, la FAO28 note que bien qu'il y ait un recul de la déforestation durant ces dix dernières années à cause des programmes nationaux de reboisement et de la législation sur les forêts, la déforestation se poursuit à un rythme alarmant dans certaines régions du monde (Amérique du Sud, Afrique et Océanie). S'agissant de l'Afrique, le continent aurait perdu environ 4 millions d'hectares de forêt par an de 2000 à 2005, soit près d'un tiers de la superficie déboisée dans le monde. Entre 2000 et 2010, l'Afrique aurait perdu 3, 4 millions

28 FAO, Évaluation des ressources forestières mondiales 2010. Résultats principaux, p.3. Disponible sur le site : www.fao.org/forestry/static/data/fra2010/KeyFindings-fr.pdf, (consulté le 12 avril 2010).

d'hectares de forêts29. Cette brève présentation de l'état du déboisement dans le monde et en Afrique par l'institution onusienne, montre combien le problème est d'actualité et invite à se préoccuper de ses conséquences.

Pour ne parler que de la région sahélienne de l'Afrique, l'histoire révèle qu'elle a connu, des périodes dures et successives de sécheresse qui ont eu des conséquences désastreuses sur la végétation et sur les populations à majorité agricoles et dont les récoltes dépendent des pluies. On peut citer entre autres conséquences le manque d'eau, la désertification, la perte de la biodiversité et la dégradation des sols. Malheureusement, à ces phénomènes naturels, il faut ajouter ceux, humains, qui ont aggravé la dégradation de l'environnement en Afrique sahélienne. Au nombre de ces facteurs anthropiques de la dégradation de l'environnement sahélien se trouvent « le surpâturage, particulièrement dans les terres sèches, le défrichement de grande étendue de végétation pour l'agriculture, la déforestation, la culture extensive sur des terres à faible rendement, l'utilisation de techniques agricoles non appropriées, la mauvaise gestion des terres arables... »30 Cette dégradation de l'environnement sahélien a connu une vitesse terrible depuis les indépendances sous la poussée de la pression démographie et des nouvelles méthodes de production agricole. Ainsi, la conjonction des facteurs écologiques et des facteurs humains laisse dire à Mariko Kélétigui que « le bilan de la gestion et de l'exploitation des ressources naturelles du Sahel est catastrophique et totalement négatif ».31

Le déboisement est un fait réel et inquiétant, surtout en milieu rural africain, et pose particulièrement le problème de la gestion des ressources naturelles. A grande échelle, le déboisement ouvre la voie à la désertification et au déplacement des populations. C'est ainsi qu'au Burkina Faso on constate une migration permanente des populations des zones arides du nord vers celles semi-arides ou humides de l'ouest et du sud-ouest. Face à cette réalité, le gouvernement burkinabè a adopté en 2000 un programme de lutte contre la désertification et de protection de l'environnement visant à sensibiliser, former et engager les communautés villageoises dans la lutte pour la sauvegarde de l'environnement. C'est dire combien, face au phénomène croissant du déboisement, cette lutte se présente comme une urgence dans toutes les provinces du Burkina Faso.

En effet, dans le Département de Toma, situé au coeur de la province du Nayala, le déboisement a pris des proportions importantes avec l'introduction de la culture du coton et des moyens de transport de grande capacité que sont les charrettes tirées par les ânes. La

29 ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'ALIMENTATION ET L'AGRICULTURE, Situation des forêts du monde 2009, Rome, 2009, p. 4.

30 PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT, Indicateurs de l'état de l'environnement pour l'Afrique de l'Ouest, novembre 2002, p.11.

31 MARIKO, K. A., op. cit., p. 63.

culture attelée aussi a augmenté les superficies déboisées. En outre, une étude révèle que « chaque année près de 50% des superficies de la province sont brûlées par les feux de brousse ».32 On peut dire qu'au cours des 50 dernières années l'évolution de l'environnement végétal dans la province du Nayala, en général, et dans le Département de Toma, en particulier, a connu une dégradation graduelle. En effet, des vieux témoignent encore aujourd'hui de l'existence, à une époque reculée, d'une végétation dense abritant une faune abondante et parfois dangereuse. Des forêts villageoises, il ne reste plus, de nos jours, que des résidus sinon le souvenir. Patrice Toé confirme cette observation des vieux au sujet de l'ensemble du pays san (dont relève la province du Nayala) en ces termes : « Cette végétation est en constante dégradation, liée à l'action déprédatrice de l'homme ; et les survivances d'une tradition religieuse menacent, encore de nos jours, la forêt par les feux de brousse ».33 Ceci dit combien la culture locale contribue elle aussi au déboisement.

Au nombre des activités qui occasionnent le déboisement par la coupe des arbres, on ne saurait oublier de citer cette activité commerciale des femmes qui absorbe une grande quantité de bois : la préparation de la bière de mil (le dolo). On compte dans le Département de Toma plus d'une centaine de brasseries de cette boisson alcoolisée dont la préparation dure en général deux jours et nécessite au minimum deux charrettes de bois.

Il va sans dire que si le déboisement est une réalité dans le Département de Toma, ses conséquences socioculturelles sont aussi importantes que l'ampleur du phénomène dans cette région du Burkina où les populations sont agricoles, pauvres et dépendantes de leur environnement. En effet, l'arbre semble être aujourd'hui la principale source de revenus des populations dans cette zone rurale où il n'y a pas d'industrie et où l'artisanat est peu structuré. Dans un tel contexte où la pauvreté et l'accroissement démographique se conjuguent et où les besoins humains dépassent toujours les ressources, le déboisement nous apparaît comme un facteur sérieux de changement social qu'il importe d'étudier. Notre problématique se structure autour de la question suivante : Quelles sont les transformations socioculturelles opérées par le déboisement dans le Département de Toma ? S'interroger sur les mutations socioculturelles liées au déboisement c'est poser le problème fondamental de la gestion sociale de l'environnement dans notre zone d'étude. Pour nous, le problème du déboisement dans le Département de Toma s'inscrit dans l'ensemble de la crise environnementale qui sévit à l'échelle nationale et mondiale. C'est pourquoi, il nous importe également de chercher à

32 KABA, A., et TOE, R.M., Monographie de la province du Nayala, Tougan, Décembre 1998, p. 17.

33 TOE, P., Contribution à l'étude des transformations socio-agraires en Afrique tropicale : une approche anthropologique des politiques d'innovation dans l'agriculture en pays san méridional (Burkina Faso),Thèse de doctorat, EHESS, Paris, 1994, pp.39-40.

comprendre comment les populations du Département réagissent face au problème de la dégradation de leur environnement. En d'autres termes, comment les populations du Département de Toma s'impliquent-elles dans la lutte pour la sauvegarde et la protection de l'espace naturel qu'elles occupent ? Telle est la deuxième question qui sous-tend notre recherche.

I.3. Objectifs

L'objectif général de notre recherche est de déterminer les conséquences socioculturelles du déboisement sur les populations rurales du Burkina Faso.

Les objectifs spécifiques sont :

- Déterminer les conséquences socioculturelles du déboisement sur la vie sociale dans les villages du Département de Toma.

- Identifier les stratégies utilisées par les populations du Département de Toma dans la coupe et le transport du bois.

- Identifier les actions de lutte contre la dégradation de l'environnement végétal dans le Département de Toma.

I.4. Hypothèses Notre hypothèse principale est la suivante :

Le déboisement, comme facteur de changement social, déstructure les communautés villageoises, instaure de nouvelles socialités et est une cause de paupérisation des populations du Département de Toma.

Cette hypothèse est sous-tendue par trois hypothèses secondaires qui sont :

- Le déboisement crée des dysfonctionnements dans les systèmes traditionnels de gestion communautaire des ressources naturelles dans le Département de Toma.

- Plus les autorités administratives taxent la coupe de bois, plus les populations développent des stratégies raffinées d'exploitation des ressources ligneuses.

- Le degré d'implication des populations dans la protection de l'environnement est fonction de l'appui institutionnel dont elles bénéficient. Autrement dit, plus les populations perçoivent comme avantageuses pour elles les interventions des services étatiques et des ONG, plus elles participent à la protection de l'environnement.

I.5. Concept opératoire : le changement social

Dans la mesure où notre étude s'intéresse aux dynamiques du monde rural en tentant d'analyser les effets socioculturels du déboisement sur la vie sociale des populations, le concept opératoire de changement social nous semble pertinent comme outil de théorisation. Qu'est-ce que le changement social ? En quoi est-il pertinent pour notre recherche ?

Lorsque l'on consulte Le petit Larousse illustré (1995), on y trouve plusieurs termes synonymes du verbe « changer » dont le substantif est « changement ». Ce sont : remplacer, rendre différent, modifier, transformer, faire passer d'un état à un autre. Tous ces verbes sont des verbes d'action renvoyant à un mouvement. C'est pourquoi le même dictionnaire définit le changement comme l'«action, le fait de changer, de se modifier, en parlant de quelqu'un ou de quelque chose ». Le changement social y est défini comme « ensemble des mécanismes permettant la transformation lente des sociétés et non leur reproduction ». Cette définition laisse ainsi entendre le changement social comme un processus dynamique, évolutif et visible des sociétés. En effet, Guy Rocher définit le changement social comme « toute transformation observable dans le temps, qui affecte, d'une manière qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, la structure ou le fonctionnement de l'organisation sociale d'une collectivité donnée et modifie le cours de son histoire ».34 Le changement social est, toujours selon Rocher, « le changement de structure qui résulte de l'action historique de certains acteurs ou de certains groupes à l'intérieur d'une collectivité donnée ».35

Mais l'histoire de l'évolution du concept montre que le changement social est un phénomène complexe, difficile à cerner. Selon Raymond Boudon et François Bourricaud36, le processus dynamique (et historique) dont il est question ci-dessus avait été l'objet d'une théorisation d'abord par les philosophes puis ensuite par les sociologues. Tandis que chez les philosophes comme Hegel et Marx37 le changement social est « le résultat de différentes «contradictions» », chez Nisbet38, il « résulte de causes externes ». La sociologie classique qui a développé une pléthore de théories sur le changement social s'est préoccupée d'en rechercher le « primum mobile », le moteur et les formes. La sociologie moderne, quant à elle, rejette l'idée d'une cause dominante du changement social et admet une pluralité de types de changement (endogène, exogène, mixte, linéaire, oscillatoires, prévisibles et difficilement prévisibles).39 Pour Raymond Boudon cette « diversité des processus de

34 ROCHER, G., Introduction à la sociologie générale. T3, Le changement social, Ltée, éd. HMH, 1968, p. 22.

35 Ibidem, p. 24.

36 Cf. BOUDON, R. BOURRICAUD, F., Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982, p. 70.

37 Cités par BOUDON, R.et BOURRICAUD, F., op. cit., p. 70.

38 Idem.

39 Ibidem, p. 71.

changement » oblige le sociologue, qu'il est, à admettre l'inexistence d'une théorie générale du changement social et à insister sur la distinction entre processus endogènes et processus exogènes sans pour autant opter entre une « théorie endogéniste » et une « théorie exogéniste ». C'est pourquoi il est préférable, et nous sommes d'avis avec Boudon, de parler de changement « exogène-endogène » car il en va ainsi de la réalité. « En effet, un changement exogène provoque toujours une cascade plus ou moins complexe de conséquences qui représentent des ajustements endogènes ».40

Claude Rivière a la même approche que Guy Rocher lorsqu'il se fonde sur la dimension historique des processus pour définir le changement social. « Identifiable dans le temps comme ensemble de transformations dans les conditions et modes de vie d'une collectivité ou comme succession d'états (t1, t2, t3,...), le changement social se détermine positivement comme phénomène à la fois historique, collectif et structurel affectant l'organisation sociale, sinon dans sa totalité, du moins dans certaines de ses composantes ».41 Tout autre est l'approche de Michel Crozier et Erhard Friedberg pour qui « le changement n'est ni une étape logique d'un développement humain inéluctable, ni l'imposition d'un modèle d'organisation sociale meilleur parce que plus rationnel, ni même le résultat naturel des luttes entre les hommes et de leurs rapports de force. Il est d'abord la transformation d'un système d'action (...) C'est-à-dire que les hommes doivent mettre en pratique de nouveaux rapports humains, de nouvelles formes de contrôle social ».42 Vu sous l'angle de l'analyse systémique, il va de soi que le changement social apparaisse comme tel à ces auteurs. Mais toutes ces approches montrent toujours la complexité du phénomène et donne raison à Raymond Boudon. Finalement ce que le sociologue moderne doit admettre, dans le cadre d'une théorisation sur le changement social, c'est que :

« Il est vain de chercher à ramener le changement social à un cas de figure unique. Certains processus de changement social résultent de conflits entre groupes antagonistes. D'autres résultent d'innovations techniques. D'autres encore de changements dans l'ethos des groupes. Certains dérivent peut-être de changements dans la structure de la personnalité (qui s'expliquent eux-mêmes par d'autres facteurs). D'autres proviennent d'états de « déséquilibre » engendrés par la structure de certains systèmes d'interdépendance ou d'interaction. Mais aucun de ces

40 BOUDON, R., La logique du social. Introduction à l'analyse sociologique, Paris, Hachette, 1979, p. 232.

41 RIVIÈRE, C., L'analyse dynamique en sociologie, Paris, PUF, 1978, p.22-23.

42 CROZIER, M., FRIEDBERG, E., L'acteur et le système. Les contraintes de l'action collective, Paris, Seuil, 1977, p. 383.

mécanismes ne peut être tenu pour général, ni même comme plus important que les autres. »43

La pertinence du concept de changement social, dans le contexte de notre étude, provient du fait que le déboisement, comme fait social, est un phénomène observable sur une longue durée dans le Département de Toma et prend, au fur et à mesure du temps, des proportions importantes. Certains facteurs explicatifs du phénomène sont connus comme la croissance démographique, la pauvreté, les dysfonctionnements du marché, etc. Ces facteurs accélèrent le déboisement qui engendre une série de conséquences sur les conditions de vie des populations. Ce sont ces effets dans le temps que nous entendons étudier et qui constituent des transformations socioculturelles dans le Département de Toma. En somme, nous voulons rendre compte de la dynamique des rapports sociaux dans cette localité du Burkina, parce qu'il nous semble que le changement est, d'après Gilles Ferréol « le coeur de la nature des choses »44.

I.6. Modèle théorique et modèle d'analyse I.6.1. Modèle théorique

Le modèle théorique qui sous-tend notre recherche à caractère socio-anthropologique est le fonctionnalisme. D'emblée, nous signalons que nous sommes averti de la position de certains auteurs selon laquelle le fonctionnalisme appréhende difficilement le changement, car comme le souligne Robert K. Merton, « les fonctionnalistes tendent à porter toute leur attention sur la statique de la structure sociale et à négliger l'étude des changements structurels ». Or, toujours selon Merton, « Le concept de dysfonction, qui est lié au concept de tension, d'effort et de contrainte au niveau structurel, fournit un point de vue analytique à l'étude de la dynamique sociale ».45 Il nous apparaît donc que, même si ce n'est totalement du moins partiellement, le fonctionnalisme qui étudie le système social dans sa globalité peut intégrer le changement, puisqu'aucun système social n'est statique mais toujours dynamique. L'analyse d'Emile Durkheim qui est une étude de la dynamique sociale concernant la division du travail n'est-elle pas fonctionnaliste ? Pour nous, les notions de fonction (ou dysfonction) et de structure comptent. Étudiant le déboisement comme un phénomène social qui prend de plus en plus de l'ampleur dans la société san et dans les villages du Département de Toma, il nous semble donc que ce phénomène n'est pas sans effet sur la structure ou encore

43 BOUDON, R., La logique du social. op. cit., p. 236-237.

44 FERRÉOL, G., Dictionnaire de sociologie, 3ème éd., Paris, Armand Colin, 2004, p. 11.

45 MERTON, K., R., Éléments de théorie et de méthode sociologique (traduits de l'américain et adaptés par Henri Mendras), Paris, Plon, 1965, p. 104.

l'organisation de la société concernée. Toutefois, il nous faut définir le fonctionnalisme et montrer en quoi il prend en compte notre problématique du changement social.

Selon Philippe Descola, « les ethnologues qualifient de fonctionnaliste une certaine manière de décrire et d'interpréter les faits sociaux, de poser et de traiter des problèmes, étayée par une représentation d'ensemble de l'état de la société ».46 En effet, pour les fonctionnalistes, l'explication causale (durkheimienne) se dit en termes de fonction : la fonction d'une institution, d'un objet dans une société est la cause de son existence. S'inscrit dans la même perspective de l'analyse fonctionnelle la théorie des besoins élaborée par Malinowski47. Il distingue des besoins primaires (conditionnés par la nature de l'homme et par les caractéristiques écologiques du milieu où il évolue) et des besoins secondaires liés à la culture. Comme cela apparaît clairement, cette théorie « malinowskienne » des besoins est très fondamentale dans notre recherche sur le Département de Toma où besoins primaires et secondaires des populations rurales sont conditionnés et orientés par le phénomène du déboisement galopant. C'est pourquoi, nous retenons comme fondement justificatif de notre choix de ce modèle théorique cette assertion de Malinowski selon laquelle « Dans tous les types de civilisation, chaque coutume, chaque objet, chaque idée, chaque croyance remplit une fonction vitale, a une tâche à accomplir, représente une partie indispensable d'une totalité organique ». 48

D'un autre côté, le fonctionnalisme nous permet, d'une part, d'identifier et de comprendre les rôles joués par les différents acteurs sociaux intervenant dans le phénomène du déboisement (charretiers, femmes préparant le dolo, agriculteurs, sculpteurs, agents du service administratif de l'environnement, ...) et, d'autre part, de mettre en relief comment les structures de la société san sont modifiées dans les villages et fonctionnent désormais en intégrant le phénomène du déboisement massif. En effet, les différents rôles, appréhendés en termes d'interactions et d'interdépendances entre divers acteurs sociaux rendent compte des liaisons fonctionnelles au sein des communautés villageoises du Département de Toma et du changement social en cours.

Avec Lewis Coser (1956) le fonctionnalisme aborde, avec une originalité particulière, la question des conflits. Mais pour Coser les conflits ne déstructurent pas forcément la société. Au contraire « un conflit, à l'intérieur d'un groupe, peut contribuer à créer son unité, ou à ramener l'unité et la cohésion lorsque celles-ci ont été menacées par des sentiments hostiles

46 DESCOLA, P., Les idées de l'anthropologie, Paris, Armand Colin, 1988, p. 63.

47 MALINOWSKI, B., Une théorie scientifique de la culture, Paris, Maspero, 1968.

48 MALINOWSKI, cité par DESCOLA P., op. cit., p. 99.

et opposés parmi ses membres ». 49 Le conflit donne naissance à de nouvelles institutions. Or le conflit est inhérent aux phénomènes du déboisement et du changement social. C'est là donc qu'apparaît visiblement le rôle structurant et déstructurant de déboisement comme phénomène de changement social dans les villages que nous étudions. Henri Mendras nous éclaire davantage : « Toute société comporte des groupes différents dont les intérêts divergents entrent à un moment ou à un autre en conflit et l'idée qu'une société idéale serait une "harmonie" sans tension n'est évidemment qu'un rêve dont il faut se défaire. »50 En effet, le déboisement dans le Département de Toma est source de conflits entre propriétaires fonciers, autorités administratives et coupeurs de bois. Il crée des ruptures dans l'écosystème rendant ainsi caduques certaines pratiques culturelles (raréfaction du gibier et rôle fictif des grandes chasses traditionnelles), mettant en échec certaines fonctions religieuses (prêtre faiseur de pluie) et rendant difficile l'approvisionnement en bois de construction et en produits de la médecine traditionnelle.

Par ailleurs, les différents conflits dont il est question font naître chez les acteurs des stratégies visant à une exploitation optimale de la ressource naturelle arbre. C'est pourquoi l'analyse stratégique de Michel Crozier, que nous empruntons comme approche théorique du phénomène de déboisement dans le Département de Toma, se révèle d'une importance sans précédent. Selon cette théorie, chaque acteur social est un stratège dans les systèmes où il évolue et où il fait jouer sa liberté en tentant d'avoir une maîtrise des zones d'incertitude. En effet, dans les relations de pouvoir comme celles entre les autorités administratives de contrôle de l'environnement à Toma et les coupeurs de bois (clandestins et officiels) ou mêmes les agriculteurs, les différents acteurs développent de part et d'autre des stratégies visant la maximisation de la coupe de bois pour les uns et la sauvegarde de l'environnement pour les autres. C'est pourquoi l'analyse stratégique proposée par Michel Crozier dans le cadre de l'étude des organisations convient aussi dans notre étude. Comme le disent si bien Henri Mendras et Michel Forsé, « Le changement, ce n'est pas seulement des forces historiques et macrosociales, c'est aussi l'interaction des stratégies multiples de très nombreux acteurs ».51

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault