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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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2) Implication des jeunesses partisanes

Les lendemains de cette journée de mobilisation vont changer la donne. La réussite de la mobilisation va inciter une jeunesse partisane à massivement rejoindre les rangs. Même si l'implication de certains jeunes des partis de gauche était déjà à l'oeuvre dans les prémisses du 20 février, c'est surtout après cette date que le mouvement se gonfle d'un effectif militant supplémentaire. Ces nouveaux militants, fraîchement débarqués des partis, dés lors s'identifient au mouvement, le gratifient de leurs réseaux, de leurs compétences militantes, mais aussi de leurs querelles de chapelles. Comme l'indiquent

L. Zaki et A. Tourabi « ces partis comptent certes peu de militants encartés, mais ces derniers sont expérimentés, rompus aux techniques de mobilisation et aux face-à-face avec les forces de l'ordre, et constituent donc à ce titre des soutiens centraux durant les mobilisations. Par ailleurs, ils sont souvent multipositionnés et ont une forte capacité de mobilisation au sein des syndicats de gauche et du tissu associatif >>27. Les jeunesses des partis de gauche, qu'elles aient ou non participé à la première manifestation, rejoignant massivement le noyau pionnier du mouvement, intègrent également les groupes privés

26 Tourabi Abdellah, Zaki Lamia , Maroc : une révolution royale ?, Mouvements, n° 66, 2011, p102

27 Ibid, p 99

Facebook28. Celui de la coordination de Rabat compte autour de 150 membres à la mijuillet. C'est aussi une période où les cercles s'agrandissent d'une façon telle que rapidement les participants vont être filtrés. On s'assure (par une sorte de parrainage) que les militants qui pénètrent les cercles de discussions (sur les groupes Facebook ou dans les réunions) sont dignes de confiance et ne sont pas des agents des renseignement (ou de quelconques mouchards du régime). Mais cependant le principe d'ouverture du mouvement à tous les citoyens prévaut sur l'impératif de confiance. La pratique du filtrage se déplace au niveau des responsabilités organisationnelles (les comités), qui agissant le plus souvent en secret (et à huis clos) sont désignés en AG parmi les militants les plus méritants (ceux qui ont fait leurs preuves) cependant qu'un turn-over est institué pour freiner toute tentative de monopolisation des postes clés.

L'ouverture du mouvement à tous les citoyens marocains désireux de contribuer au changement politique offre une occasion pour les partis politiques de la gauche de renouer avec l'action politique non partisane, comme certains partis l'avaient fait entre 2006 et 2008 pendant les mobilisations locales contre la vie chère. Il faut bien dire qu'à cet égard tous les partis ne sont pas logés à la même enseigne. Annahj Addimocrati est évidemment le parti politique qui fait de la participation au mouvement social sa priorité (le parti ne participe pas au processus électoral). En terme d'éloignement du << mouvement social », l'USFP remporte la palme, cependant que certains de ses jeunes militants les plus radicaux ne s'en soient jamais éloignés complètement. Il n'est nullement surprenant de voir que les jeunes militants USFP qui ont participé à ces espaces de renouvellement de la question sociale - au sein des coordinations locales contre la vie chère ou dans le Forum Social Marocain - sont naturellement ceux qui ont ensuite pris part au mouvement du 20 février. Le parti de l'USFP offre une image particulièrement intéressante de l'évolution binaire d'un parti de masse, symptomatique d'une ambivalence qui travaille le parti depuis plus d'une décennie, et qui trouve avec l'avènement du 20 février prétexte à clarifier les positions et donc à accentuer les tensions internes. L. Zaki et A. Tourabi notent fort à propos, << Les tergiversations de la direction de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) sur l'attitude à adopter

28 Chaque coordination locale du mouvement du 20 février possède son groupe Facebook privé. A l'intérieur de ces groupes ne peuvent entrer que ceux qui ont reçu la permission des administrateurs, il faut donc montrer patte blanche pour devenir membre du 20 février et avoir ainsi accès aux informations et au fil des discussions.

par rapport au mouvement du 20 février donnent à voir les divisions en son sein >>29. Cette ambivalence du parti est à comprendre par le fait qu'il n'a pas connu qu'une forme de « notabilisation >> (comme on le répète souvent), mais qu'il a su gardé nolens volens, dans les rangs de ses bases militantes, un noyau de jeunes militants, plus proches des positions révolutionnaires des fondateurs que celles de la direction actuelle du parti. Ainsi, bien malgré lui, le parti de l'USFP n'a pas su contrarier complètement ses bases, et c'est cette étonnante fidélité qui permet au parti de garder actuellement un pied dans le mouvement social. Par ailleurs, bien que nombreux et puissants au sein du 20 février les jeunes de l'USFP ne sont pas pour autant tous d'accord sur les positions à adopter. Un nombre non négligeable de jeunes ittihadis se situe sur l'aile modérée du mouvement, appelant toujours à des formes tempérées de mobilisation, afin de ne pas trop s'écarter des limites tolérées par le parti (qui rappelons-le participe au gouvernement d'Abbas el-Fassi). Une position qui tranche avec celles d'al-Adl walIhssan et d'Annahj Addimocrati, fervents adeptes d'options révolutionnaires et d'une confrontation directe avec le Makhzen. La période de positionnement sur la question du référendum constitutionnel consommera la rupture entre le 20 février et une certaine frange de la jeunesse ittihadie. A partir de Juillet (après que le référendum ait validé le projet constitutionnel) on assiste à des scènes étonnantes à l'occasion de plusieurs manifestations, où certains militants USFP, hier participant aux cortèges, se retrouvent au café Balima à siroter des limonades en regardant médusés défiler, quelques mètres plus loin, les manifestants du 20 février sur l'avenue Mohamed V.

Le PSU apparaît comme le parti de gauche parlementaire qui a su le mieux gérer sa relation avec le mouvement social. Le parti dirigé par Mohamed Moujahid, a été extrêmement actif dans les « tansikiyates contre le hausse des prix >> entre 2006 et 2008. Ce combat pour des questions économiques dans un cadre extra-électoral a crédité le parti d'un gain de confiance au sein des forces sociales. Et en investissant ainsi le champ social dans plus de quatre-vingt villes du pays, le parti a également contribué au processus de politisation de cet espace contestataire. La participation du PSU aux tansikiyates est une volonté préméditée de reconstruire la gauche par le bas. Cette volonté est une réponse stratégique à l'effondrement du capital de sympathie des marocains pour la politique, dont les élections législatives de 2007 en sont le symptôme.

29 Tourabi Abdellah, Zaki Lamia , Maroc : une révolution royale ?, Mouvements, n° 66, 2011, p 100

A l'inverse, la stratégie de l'USFP visant à reconquérir des sièges à la chambre des représentants a consisté à solliciter l'appui des notables locaux (rétribués en sièges au parlement), quitte à brader la cohérence idéologique du parti et à tourner le dos aux bases militantes. Il nous semble que le travail antérieur effectué par le PSU pour parvenir à une unification de la gauche, dont le G3 est l'illustration (PSU, PADS, CNI30), ainsi que l'effort consenti à faire un retour nécessaire dans l'espace des mouvements sociaux, est - tout comme l'intégrité de ses fondateurs, à l'image de l'incorruptible Mohamed Bensaïd Aït Idder - à l'origine de son gain de popularité auprès des jeunes militants du 20 février.

Au final au sein du 20 février, les positions des militants par rapport au champ politique font le grand écart. Certains militants adhèrent aux schémas classiques de la politique tels qu'ils prévalent, et ne souhaitent nullement s'en couper. Ils émettent certes des critiques mais ne disqualifient pas le système dans son entier (c'est le cas des USFPistes). D'autres sont plus critiques, notamment au regard de ce à quoi a conduit la participation gouvernementale de 1998 : nous avons là les militants de l'alliance du G3 : PSU, PADS, CNI. Cette attitude labile du G3 est charnière, car elle circule entre la participation ou le boycott de la politique traditionnelle. Encore un point où la position du G3 sur la question de la participation ou non aux prochaines élections législatives sera décisive. Par ailleurs certains autres militants disqualifient le système partisan totalement mais ne sont pas anti-parlementaristes pour autant (c'est la position de la plupart des « indépendants »). La position des militants d'Annahj s'inscrit également dans un refus de cautionner les institutions de la « démocratie bourgeoise », sans pour autant disqualifier la modalité politique que représente le « parti ». Enfin une dernière position observable est celle que partagent les militants d'extrême gauche d'obédience « basiste ». Ceux-là n'officient dans aucun parti, pour la raison qu'ils renoncent à participer à un système partisan voué à l'instrumentalisation par le pouvoir central. Largement présent dans les syndicats (notamment l'UNEM) et les associations (comme ATTAC-Maroc), les « basistes » représentent une nébuleuse, un collectif dilué et peu identifiable, qui s'investit essentiellement dans les mouvements de protestation locaux (d'où l'appellation « basistes »). Ils sont en cela de fervents adeptes de la démocratie directe et de la décentralisation radicale des instances de décision au niveau de la

30 PSU, parti socilaiste unifié ; PADS : parti de l'avant-garde socialiste ; CNI : congrès national ittihadi

société. Il est à noter que les positions à l'égard de la monarchie subissent le même éclectisme, dont les tergiversations relatives à la composition des revendications de la plateforme du mouvement sont le révélateur.

Nous pouvons in fine faire état de la répartition des forces disponibles dans la coordination de Rabat comme suit : sur la base d'une présence régulière en AG située entre 50 et 60 personnes, une dizaine de militants appartiennent à l'USFP, une dizaine également sont au PSU ou au PADS, cinq militants viennent d'Annahj Addimocrati, une dizaine de militants sont liés à al-Adl wal-Ihssan, quatre militants sont affiliés à l'association ATTAC-Maroc, et enfin 2 militants viennent du mouvement « Baraka »31 . Le reste des effectifs composant les AG relève des militants sympathisants ou indépendants, soit une quinzaine d'individus. Ainsi l'observation empirique nous montre bien la prégnance des militants encartés et donc redevables d'une socialisation politique opérée en partie au sein de formations politiques classiques. Nous sommes donc assez loin de l'idée selon laquelle ces nouvelles mobilisations et ces nouveaux forums seraient l'apanage de « néo-militants », d'un collectif composé d'individus idéologiquement et politiquement vierges.

Il ne peut donc s'agir d'un mouvement qui s'émancipe complètement des règles de la politique classique, pour investir un chemin radicalement alternatif, mais ce n'est pas non plus un mouvement absolument entenaillé par le champ partisan. Tout d'abord parce qu'il existe bel et bien des forces indépendantes qui refusent cette mainmise, et en second lieu parce que le champ partisan est à ce point hétérogène et conflictuel qu'il ne peut en lui-même conduire à l'acceptation de règles unanimes. Le mouvement n'est pas autre chose, en somme, qu'un équilibre fragile de forces convergentes autant que divergentes, et qui se trouve présentement dans une configuration de convergence, largement suscitée par l'élan unificateur du « printemps arabe ». Mais cette convergence, qui semble être contrariée de toute part et fonctionner sur le principe de l'unanimité silencieuse par la grâce d'un ennemi ciblé en commun, peut à tout moment se défaire. La particularité du mouvement du 20 février repose pourtant sur ce fait

31 Affilié au parti islamiste PJD, le mouvement « Baraka », s'est opposé à la position du PJD qui a appelé officiellement, en la personne se son leader Abdelillah Benkirane, à ne pas participer au mouvement du 20 février.

ambivalent : quoi qu'une division du mouvement paraisse non seulement possible mais quasiment inéluctable, en revanche une fois défait le mouvement semble être en mesure, à la manière du rhizome, de se reconstruire à tout moment. Ses effets paraissent avoir marqué la réalité sociale d'une trace indélébile, comme un système créateur d'une nouvelle culture de la mobilisation, et dont les éléments participant gardent en mémoire les référentiels communs. Il y a donc un << esprit 20 février » qui n'est pas près d'épuiser les ressorts du mouvement social marocain, et qui semble même s'incarner comme la nouvelle formule du politique, à laquelle le champ partisan conventionnel ne pourra pas échapper.

Une chose est sûre, alors que les leaders politiques de la génération précédente connaissent entre eux beaucoup de tensions, liées aux expériences passées de désunions et de scissions, il y a dans la nouvelle jeunesse de gauche un puissant désir d'unification, que les partis politiques pourront utiliser comme un levier pour rebondir électoralement. Mais il faut aussi compter sur ce fait nouveau : les jeunes partisans ont acquis une place dans le 20 février qu'ils n'ont jamais pu acquérir au sein de leur parti. Sur le plan politique, en participant à cette vaste mobilisation les militants du 20 février ont désormais un temps d'avance sur les appareils partisans, car ils ont gagné en expérience, ils ont acquis un ample réseau de camarades multipositionnés ; ils ont capté en somme un véritable pouvoir supplémentaire. Leur retour dans l'espace partisan proprement dit ne se fera certainement pas sans l'imposition de certaines conditions. Des changements substantiels vont probablement avoir lieu à l'intérieur des directions des partis de gauche. C'est ce que les militants rencontrés dans la coordination de Rabat aiment à appeler << la 20févriérisation des partis ». Ainsi le mouvement du 20 février plutôt que d'être uniquement perçu comme un espace politique alternatif, qui exclut d'un même geste le makhzen et son opposition officielle en proposant une nouvelle configuration du politique, doit être appréhendé davantage, nous semble-t-il, comme un espace protestataire dans lequel une nouvelle élite militante tente de se construire une légitimité (une identité propre, un réseau militant inédit, et une expérience éprouvée collectivement à même de forger une mémoire générationnelle) pour peut-être reconquérir une place et une force propositionnelle dans le cadre des formations politiques classiques.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon