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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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3) Construire le collectif et l'adversaire : les antidotes contre le Makhzen

William Gamson32 donne à l'action collective trois dimensions qui conditionnent son avènement. L'injustice, qui est le cadre éthique primordial motivant le sentiment de devoir agir, pour réparer un grief ou un dysfonctionnement. L'identité, qui formalise le cadre dans lequel s'opposent les rivalités de valeurs ou d'intérêts. Et l'agencement, qui est une mise en situation concrète de l'action à un moment où l'opportunité d'agir est rendue possible.

Dans le cas de la mobilisation du mouvement du 20 février, ces trois dimensions trouvent un contenu substantiel. En premier lieu, le sentiment d'une injustice est unanime, il est la clé de voûte d'un mouvement qui a réussi à prendre immédiatement grâce à ce sentiment d'indignation reconnu. A cet égard M. Bennani Chraïbi et O. Fillieul parlent quant à eux d'un << cadre d'injustice partagé »33. Ce cadre d'injustice est le référentiel commun d'identification à un grief ou à une situation inique qu'il faut rectifier. Dans le cas du 20 février il ne s'agit pas d'un cadre faisant référence à un préjudice vécu directement dans la vie de ceux qui se mobilisent, mais se présente plutôt comme un cadre identifiant le refus de voir la perpétuation d'une structure d'iniquité systémique. Qu'il s'agisse de la corruption, de la prédation économique, de l'incurie politique, du principe de soumission, tous ces éléments composent la cadre général identifiant les motifs de la mobilisation et auxquels les participants adhèrent unanimement et spontanément. Ce cadre ne fait pas l'objet d'une construction intellectuelle, il est spontanément identifié, il est d'une simplicité radicale qui n'attend pour rencontrer l'adhésion que le sentiment d'en partager les principes élémentaires et de devoir agir en conséquence pour les rendre effectifs. Le temps de l'action, c'est-à-dire le moment où un sentiment d'injustice se meut vers l'édification d'une stratégie d'action pour remédier au problème, rejoint la dimension de l'agencement. Le sentiment d'injustice et le mécontentement social n'est pas neuf au Maroc, il imbibe une partie

32 Talking politics, Cambridge University Press, 1992, 292p,

33 Bennani-Chraïbi Mounia et Fillieule Olivier, Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Presses de Sciences Po << Académique », 2003, p116

importante de la population (des classes les plus défavorisées aux catégories moyennes déclassées) cependant que les opportunités de porter publiquement ce mécontentement requiert un moment particulier, un agencement à même d'organiser la protestation dans une situation où les instances de pouvoirs sont susceptibles de l'entendre, soit qu'elles se trouvent dans une posture d'ouverture ou plus simplement dans une situation de faiblesse. L'opportunité de l'action collective est donc une condition nécessaire de mise en mouvement d'un sentiment d'injustice, qui est un motif toujours en situation de latence, un motif en sursis qui réclame son heure.

L'expérience de la frustration vis-à-vis d'aspirations démocratiques non satisfaites, apparaît comme le mobile de base poussant à la contestation. Cette frustration qui s'éprouve dans le sentiment d'inachevé, répond directement à ce que L. Mathieu dénomme le << décalage entre la nature du discours délivré par l'institution et la réalité observable des attitudes et des comportements »34. Ce décalage a atteint, au fil des mobilisations sociales, un point d'orgue, qui a mis la dernière pierre à un lent processus de défection, désormais quasi irréversible, tant le socle commun à l'origine du lien entre ces jeunes participants réside dans la mise hors jeu des appareils de pouvoirs traditionnels. Cette radicalité du changement s'illustre dans le slogan << mamfakinch ! », autrement dit << plus de concession ! ». Le pouvoir institué est inconditionnellement rejeté, cette inconditionnalité de l'exclusion est le ciment du mouvement parce qu'il a été le plus fort motif de rassemblement. Revoir cette position serait prendre un grand risque de dissolution du mouvement. A cet égard, les forces les plus éloignées de cette pierre angulaire, celles qui n'en admettaient pas nécessairement l'intangibilité, sont celles qui sont justement assez rapidement sorties du mouvement, pour rejoindre in fine les règles du jeu proposées par le pouvoir central (illustré par la participation de certains jeunes de l'USFP au référendum constitutionnel).

Dans le mouvement du 20 février il y a la volonté de créer un récit du << nous » fondateur, qui puisse à la fois réexaminer l'histoire << officielle » de la nation marocaine post-indépendance et réexaminer les possibilités de salut collectif, en reprenant l'équation politique de l'époque de l'indépendance pour en changer les variables, afin de sortir de cette ornière qui désamorce toute tentative démocratique depuis l'avènement du

34 Mathieu Lilian, Les ressorts sociaux de l'indignation militante, Sociologie, Vol.1, 2010, p308

Maroc indépendant. C'est ici, nous semble-t-il, que se situe précisément la substance révolutionnaire du mouvement. Réexaminer l'histoire politique d'un pays est le geste le plus radical qu'un mouvement protestataire puisse réaliser. Le passage d'une protestation sociale contre la vie chère et le chômage, pour la défense des services publics ou pour la libération de détenus politiques, à un mouvement national qui propose de réexaminer la légitimité même du pouvoir institué, est le signe manifeste qu'à l'aune du « vouloir collectif » un changement dans l'ordre de la revendication a été opéré, et qu'un passage du social au politique a objectivement été effectué.

L'expérience de l'instrumentalisation et de la récupération des mouvements contestataires par le régime agit comme un traumatisme dans l'esprit des févriéristes. Une phobie de la récupération s'installe très tôt dans les coordinations locales, qui refusent d'être associées ou de défiler à côté d'organisations soupçonnées de collaborer avec le Makhzen. Cette phobie présente dans le subconscient du mouvement a indiscutablement été à l'origine de la construction du mouvement sur un mode acéphale. L'insaisissabilité étant portée comme condition première pour se prémunir du Makhzen et de ses alliés masqués, c'est toute l'organisation du mouvement, son identité et son mode de fonctionnement, qui en ont été marqués. Liquide et anonyme, le mouvement peut ainsi éviter d'être entièrement compris, saisi, et anticipé, de telle sorte qu'une récupération se révèle impossible.

A cette exclusion de toute compromission possible avec le système makhzénien, s'associe une méthodologie de l'organisation collective constituée en anti-thèse de l'autocratie. Il parait naturelle qu'un mouvement contestataire qui se construit contre un régime considéré comme dictatorial ne puisse le faire que sur des principes de fonctionnement horizontaux et démocratiques, en dépit de quoi il ne ferait que reproduire le système qu'il conteste.

Le mouvement des jeunes févriéristes ne souhaite aucune identification possible par le makhzen, il ne souhaite ni parler sa langue, ni réveiller quelques réminiscences historiques qui permettraient au prédateur de repérer et identifier sa proie afin de mieux préparer son attaque. Volontairement ou malgré-lui (il s'agit de comprendre ce qui motive ses partisans à agir de la sorte : est-ce un subconscient, ou est-ce déterminé ?), le mouvement préfère rester dans l'indicible, le flou, et se déployer telle une pieuvre

évanescente, insaisissable, multiple, et tentaculaire, ouvrant de petites brèches mais sur tous les fronts, glissant dans les failles du régime un poison inconnu. La désorganisation apparente du mouvement - autant cognitive que pratique - ne le rend pas vulnérable pour autant, du moins pas tout à fait. Certes en tentant de s'émanciper des structures classiques d'opposition, et en refusant d'incarner une forme de proposition politique claire et concrète, le mouvement augure un renouveau dont il n'est pas sûr qu'il reçoive une adhésion unanime au sein même des catégories de la population réfractaires à l'autocratie. La manière dont la presse d' << opposition >> (ou du moins critique à l'égard du régime) a traité les mobilisations du 20 février, partagée entre l'enthousiasme et le désarroi, est révélatrice de l'ambivalence et de la circonspection qui habitent ces catégories de la population à l'égard du 20 février. Mais cependant cette imprécision du mouvement, ce mélange contradictoire des forces contestataires (de l'extrême gauche à l'islamisme), cette application à demeurer imperturbable sur le terrain du << refus >>, sont au final les seuls moyens trouvés pour se prémunir contre une récupération du régime. Se déterminer sur une proposition précise de réforme est non seulement difficile au regard du large spectre idéologique qui compose le mouvement, mais ce serait aussi ouvrir une brèche dont le régime pourrait se servir pour déguiser une réforme à moindre frais. A titre d'exemple, la demande d'un changement constitutionnel inscrite dans la première plateforme du mouvement a été subtilement utilisé par le régime pour réagir rapidement (le roi fait son discours le 9 mars) en chargeant une commission d'élaborer un nouveau projet constitutionnel. Après le 9 mars en effet, le mouvement du 20 février s'est essentiellement évertué à se battre contre ce projet, en revendiquant en guise de riposte des élections démocratiques pour une assemblée constituante. Mais il était presque trop tard. Le régime, outillé de son appareil de propagande, avait réussi à faire passer le mouvement du 20 février pour une bande de radicaux inconséquents. On le voit, même en se prémunissant au maximum contre les dispositifs de neutralisation de la contestation du régime, celui-ci sait utiliser toutes les failles. La suite des événements portés par le 20 février est une succession de variations sur le thème du << refus >> à l'encontre de ce processus de réforme constitutionnelle.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand