WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

( Télécharger le fichier original )
par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

4) Capitaliser les luttes : effets de vérité et redéploiement

Dans l'arrière-plan du mouvement protestataire actuel, il y a bien sûr l'influence des mouvements sociaux antérieurs qui ont impacté les manières concrètes d'occuper la rue, de créer du collectif, d'investir le social. Mais à vrai dire, dans le mouvement actuel on ne peut comprendre la confiance mise en l'efficacité des nouveaux outils sociaux d'Internet si l'on n'a pas à l'esprit combien ils se sont révélés efficaces dans un passé très proche. Le mouvement MALI35 de 2009 est la première expérience marocaine du passage des réseaux sociaux à la réalité d'une mobilisation protestataire. Ce « Mouvement alternatif pour les libertés individuelles », créé par quelques cyberactivistes désireux de soulever le tabou de la laïcité au Maroc, est un pur produit des réseaux sociaux. En marge des organisations de la société civiles (bien que soutenu par certaines structures de plaidoyer), ce collectif formé de quelques dizaines de militants a organisé - via la page du groupe Facebook - un pique-nique en plein ramadan durant l'été de l'année 2009, afin de protester contre la criminalisation des « non pratiquants » et de défendre d'une manière plus générale le droit individuel de ne pas suivre un précepte religieux. Cette action protestataire a reçu un accueil plutôt circonspect dans la presse marocaine, a mis en branle les services de sécurité de l'Etat, et a attisé les rancoeurs et la haine de la part de certains groupes politiques conservateurs ou islamistes, allant jusqu'à proférer des menaces de mort à l'encontre des « déjeuneurs ». L'événement en lui-même a davantage engendré la polémique qu'ouvert un débat d'idées sur la question de la laïcité au Maroc. Mais ce qui nous intéresse ici c'est l'effet de vérité que la méthode de mobilisation a projeté sur le champ de la protestation au Maroc. En effet, l'espace du numérique et des réseaux sociaux s'est soudain révélé être un levier performant pour créer du collectif à partir du virtuel, afin de détourner les différents tabous prévalant dans l'espace public. On retrouvera d'ailleurs les fondateurs du groupe MALI à la pointe des événements du 20 février. Nous verrons en troisième partie, à travers les trajectoires de jeunes militants, comment l'expérience MALI a été vécue par certains d'entre eux.

35 Sur la factualité des événements, voir l'enquête réalisée par l'hebdomadaire marocain « Tel quel » n°391, 26 septembre - 2 octobre 2009

Pour compléter la compréhension de la genèse du 20 février nous aimerions faire également un bref détour sur ce qui nous semble avoir été comme une préfiguration, ou en tout cas une expérience qui a directement projeté ses réussites pratiques sur l'esprit du mouvement du 20 février : le mouvement social des tansikiyates36 contre le vie chère. Ce moment de mobilisation, particulièrement actif sur la période allant de 2006 à 2008, illustre à la fois la manière dont le << localisme » a gagné en terme de modalité opérationnelle, et comment l'alliance de forces sociales et politiques a permis de solidifier une unité protestataire inédite. Et enfin comment l'échec partiel du mouvement, lié aux modalités de cette union, a projeté ses enseignements sur le mouvement actuel du 20 février.

En octobre 2005, une première expérience de protestation contre la hausse des prix rassemblant un large spectre de la gauche a lieu dans la ville d'Ouadzem. Des militants de gauche et la section locale de l'AMDH organisent des manifestations sporadiques sous le slogan << Ne touche pas à mon pain ». D'autres petites coordinations naîtront ailleurs dans toute la périphérie37 marocaine, et auxquelles viennent se joindre des structures comme ATTAC-Maroc, le PSU, Annahj Addimocrati, et le PADS. Le mouvement s'essouffle peu à peu, mais renaît pourtant très rapidement après l'adoption de la loi de finance de 2006 qui fait augmenter le prix de l'eau et de l'électricité dans toutes les villes du royaume. Cette augmentation du prix de l'eau et de l'électricité se répercute sur d'autres biens de première nécessité (comme la nourriture ou le prix des transports en commun). A partir de septembre 2006, un mouvement social d'ampleur national se met en route, alors que les forces sociales et politiques classiques sont focalisées sur les élections à la chambre des conseillers. Le siège de l'AMDH à Rabat reçoit un nombre important de plaintes et d'appels à l'organisation d'un mouvement de protestation contre la hausse des prix. Après un temps de réflexion sur la légitimité d'une intervention de l'AMDH sur ce domaine d'ordinaire chasse gardée des syndicats, l'organisation en vient à considérer cette augmentation des prix comme une atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux. Elle décide dés lors d'appeler à une alliance des

36 << Tansiqiyât mahaliya » signifie en arabe << coordinations locales », nous utilisons l'abréviation << tansikiyates »

forces démocratiques. Trois partis rejoignent le collectif : Annahj Addimocrati, le PSU et le PADS, et trois syndicats également : l'UMT, la CDT, et l'ODT. Cette alliance qui se décline dans toutes les villes sujettes aux protestations (environs 90 coordinations en tout) donnera naissance à un fonctionnement décentralisé du mouvement, les coordinations locales bénéficiant d'une large autonomie opérationnelle, et encadré par un << comité national de suivi >> composé de onze personnes, dont la majorité sont des militants qui affectionnent les méthodes basistes. Depuis les années 2000, les << basistes >> gagnent en importance au sein des mouvements sociaux dans la périphérie du Maroc (Tanger, Oujda, Guercif, Bouarfa, Sidi Ifni, Sefrou...). Les courant basistes (Qaïdistes) apparaissent dans les années 1980, à une période où le centralisme, l'Etatisme et la bureaucratie subissent une puissante critique au sein de la gauche révolutionnaire : Le courant basiste << al-Kourass >> apparaît en 1984. Le courant basiste << al-Qaïdi >> apparaît en 1986, et les basistes progressistes appelés << al-Moumanîne >> apparaissent en 1989. Agissant en satellites autonomes en marge d'Annahj Addimocrati à partir de 1995, les basistes investissent les syndicats étudiants et ouvriers, ainsi que les organisations de la société civile. Si les années 1990 voient grandir la mainmise des islamistes sur l'UNEM, les années 2000 sont en revanche témoins de la remontée des militants marxistes radicaux au sein du syndicat étudiant, qui viennent contrebalancer le pouvoir des islamistes (à Fès, Marrakech, Oujda et Agadir notamment).

Les tansikiyates reprennent donc le flambeau des luttes sociales, dans lesquelles les structures politiques et sociales traditionnelles (partis et syndicats), bien que parties prenantes, sont quelques peu reléguées à la marge, et ne disposent en tout cas plus des manettes de pilotage. Ces mobilisations d'ampleur nationale recréent un lien entre la région Casablanca-Rabat et les régions périphériques du Maroc. A cet égard il est à noter que les différents efforts de synchronisation et de << coordination >> des actions entre les différentes villes touchées par le mouvement, seront facilités par l'usage d'Internet. Nous ne sommes, à ce stade, pas encore à l'heure de l'usage massif des << réseaux sociaux >> mais cependant la pratique des << mailing list >> et des << groupes Yahoo >> (regroupant des milliers de militants des tansikiyates) se diffuse, et contribue à faire de l'usage d'Internet une pratique indispensable dans la boite à outils des mouvements protestataires.

Les émeutes de Sefrou en septembre 2007 (quelques jours après les élections législatives), ont alerté le ministère de l'Intérieur sur la nécessité de contrôler les coordinations locales contre la vie chère. Il fallait que ces coordinations puissent avoir une structure centralisée susceptible d'être mieux contrôlée et avec laquelle le ministère serait plus apte à négocier. La mainmise des radicaux sur les structures décentralisées n'a pas fait peur qu'au ministère, mais également aux partis politiques engagés dans le mouvement. Lors de la quatrième rencontre nationale des « tansikiyates » de Casablanca en mars 2008, le mouvement, qui avait jusque là réussi à transcender les clivages, a buté sur un litige opposant deux groupes, celui des partis de gauche et celui des « basistes », au sujet de la stratégie à suivre. Les premiers souhaitant une structuration décisionnelle au niveau national, les seconds refusant catégoriquement cette proposition. La force des « basistes » repose sur le local, dépourvus de structure au niveau national, ils n'ont de prise sur le mouvement social que dans la mesure où celui-ci s'incarne localement. Cette gauche révolutionnaire basiste rassemble de nombreux courants très divisés entre eux (léninistes, maoïstes, trotskistes de la IVe internationale, anarchistes...) mais qui ont cependant réussi à s'entendre pour bloquer les « réformistes ». Ainsi la méfiance des basistes à l'égard des structures politiques nationales, perçues comme prédatrices et porteuses d'une volonté de contrôler le mouvement, a fini par affaiblir le collectif qui s'est scindé en deux (créations de 2 secrétariats nationaux distincts). Les événements de Sidi Ifni de 2008, avec le blocage du port par les chômeurs et les violents affrontements avec les forces de l'ordre qui s'en sont suivis, illustrent le délitement d'un collectif initialement porteur d'un projet pacifique et politiquement alternatif.

Les tansikiyates étaient alors composées de différentes forces sociales et politiques qui, bien que réunies en un collectif, conservaient leurs étiquettes à l'intérieur de celui-ci. Les partis politiques, les associations et les syndicats montraient leurs couleurs, et chacun avançait son pion en espérant tirer la meilleure épingle du jeu. Cette manière de constituer le collectif par superposition de structures a favorisé les rivalités d'intérêts et les conflits politiques, jusqu'au point d'aboutir à la désarticulation des coordinations et au délitement de l'unité initiale. Trois ans plus tard cet échec devait servir d'enseignement lors de la formation des toutes premières coordinations du mouvement du 20 février. L'impératif d'union ne devait plus succomber à la tentation hâtive d'amalgamer toutes les structures derrière un collectif. Celui-ci devait exister sui generis, au détriment des structures. Seuls les individus, les « citoyens », pouvaient en

devenir membre. De telle sorte qu'une répétition du scénario funeste de 2008 aurait plus de difficulté à se produire. L'union des organisations classiques (représentées en tant que telles) a trouvé tout de même à se former, mais en marge du mouvement, dans ce qui a été baptisé le conseil national d'appui au mouvement du 20 février. Les organisations qui composent ce conseil d'appui sont des institutions rodées à la gestion d'un mouvement social. Dans cette combinaison classique et émérite on retrouve les mêmes acteurs quasi institutionnels de la société civile qui composaient les coordinations contre la vie chère. L'organisation interne est elle aussi des plus classiques, il y a une cohérence organisationnelle, des statuts, des portes paroles, une hiérarchie, des responsables, en somme une véritable << bureaucratie ».

En définitive les tansikiyates contre la vie chère, augurent, après le fort taux d'abstention aux législatives de 2007, un véritable renouvellement des formes de l'action politique38. Si le mouvement s'épuise en 2008 dans une crise de confiance liée aux rivalités de chapelles, les méthodes << basistes » d'autonomie locale et les formes horizontales de prise de décision gagneront le répertoire d'actions et les modalités d'organisation, que le mouvement du 20 février se chargera de réactiver.

38 << De fait, la déconsidération des syndicats et partis signale moins une crise de la participation politique, corroborée par le faible taux de participation électorale, qu'un renouvellement des modes d'action politique », in Bennafla Karine, Emperador Monserrat, Le Maroc inutile redécouvert par l'action publique : le cas de Sidi Ifni et de Bouarfa, Politique Africaine, n°120, décembre 2010, p76-77

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King