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Autopsie du phénomène migratoire tunisien : entre "rationalité" de l'émigré et pragmatisme politique

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par Raef JERAD
Ecole Nationale d'Administration de Tunis - Cycle Supérieur de l'ENA 2011
  

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Section II. Hypertrophie des coûts

L'hypertrophie des coûts est perceptible, essentiellement, à travers la précarité professionnelle (paragraphe 1), d'une part, et le malaise social, d'autre part (paragraphe 2).

§1. Précarité professionnelle

Les Tunisiens expatriés ne pourraient échapper à la tendance générale de précarisation de la main d'oeuvre qui frappe, de plein fouet, les économies capitalistes, de plus en plus boulimiques, récession économique oblige, de force de travail inconditionnellement flexible et davantage bon marché. Un bon nombre de Tunisiens qui se recrutent majoritairement parmi les faiblement et moyennement qualifiés, dénoncent l'instabilité grandissante de l'emploi dans les pays de destination et éprouvent, de ce fait, un profond sentiment d'appréhension et d'incertitude envers leur devenir professionnel. La faiblesse relative des revenus, la profusion des contrats de travail

provisoires et succincts, et les licenciements massifs, constituent les principales tares d'un marché du travail pour immigrés, selon l'expression chère à Abdelmalek Sayad. Pour lui, l'émigré/immigré serait, au dernier recours, une force de travail qui est provisoire, temporaire et en transit63. La précarité qui en découle n'est pas une donnée objective, qui tire son existence et trouve ses justifications dans le statut de l'émigré/immigré lui-même, loin de ça, elle est le produit d'un processus de précarisation, initié par les modalités de fonctionnement du système productif prévalant dans les pays d'arrivée64. Un processus de précarisation qui serait à l'origine d'une nouvelle classe sociale, théorisé sous le concept de précariat65. L'exploitation ressort comme le prix que devrait payer l'émigré de la nécessité en contre partie de la disponibilité de l'emploi en terres d'immigration. Pis, en ce qui concerne les immigrés tunisiens en situation irrégulière, les emplois occupés sont, le plus souvent, des emplois pénibles qui se situent au bas de l'échelle des métiers et des qualifications. Les secteurs qui attirent le plus la main d'oeuvre en situation irrégulière sont l'agriculture, le bâtiment et la restauration, secteurs qui ne peuvent offrir que des postes d'une extreme instabilité et volatilité66. D'ailleurs, il nous paraît abusif d'utiliser les termes travail ou emploi pour qualifier de telles occupations. Il nous semble plus adéquat, en fait, de les qualifier de simples activités de débrouille et de subsistance.

Les conclusions d'une enquête réalisée en France, et dont les résultats ont été rendus publics en octobre 2010, révèle que, dans ce pays, les immigrés

63 SAYAD (Abdelmalek), L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, tome I, Raisons d'agir, Paris, 2006, pp. 50-51.

64 PAUGAM (Serge), Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l'intégration professionnelle, collection Quadrige Essais Débats, PUF, 2007.

65 Précariat, un néologisme de la sociologie, formé à partir des mots précarité et prolétariat, pour désigner les travailleurs précaires comme nouvelle classe sociale.

66 Voir ANNEXE II.

et leurs descendants ont deux fois moins de chances d'accéder à l'emploi que la population majoritaire67. Le taux de chômage des immigrés tunisiens atteint, selon la même enquête, 17%, contre une moyenne générale de 10% pour l'ensemble des immigrés en France. Le risque de chômage étant 2,1 fois plus important pour les immigrés tunisiens que pour la population majoritaire68. Les enquêteurs font état, en outre, d'une inégalité salariale significative entre la population immigrée et leurs descendants, d'un côté, et la population majoritaire, d'un autre côté. Celle-là est beaucoup moins payée que celle-ci. Les écarts constatés ne sont pas dus à un soi-disant niveau de qualification moindre, mais il s'agit en effet de discriminations à l'embauche. Les enquêteurs remarquent que de telles discriminations ne concernent que les immigrés maghrébins et africains puisque aucun écart significatif n'est enregistré entre la population majoritaire et les immigrés et descendants d'immigrés européens, que ce soit en termes de risque de chômage ou en termes de niveau de salaire69.

§2. Malaise social

Force est de constater que, dans les pays d'accueil, les émigrés demeurent, toujours, à l'écart des droits et prérogatives réservés aux seuls nationaux. L'exclusion politique et officielle, artificiellement légitimée par un certain juridisme anti-immigré, se double d'une exclusion culturelle et de

67 Par population majoritaire les enquêteurs désignent les français dont aucun des deux parents n'est immigré.

68 Voir les données recueillies auprès de la Direction Générale des Affaires Consulaires, en juin 2011, ANNEXE I.

69 C'est ce que révèle l'enquete Trajectoire et Origines qui a été réalisée, conjointement, par l'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (I.N.S.E.E) et l'Institut National des Études Démographiques (I.N.E.D), et dont les résultats ont été publiés le 19 octobre 2010. L'enquête a été réalisée entre septembre 2008 et février 2009 sur un échantillon de 21 000 personnes, [consulté sur le web le 17 juillet 2011] www.lexpress.fr

masse, celle de tous les jours, véhiculée par les jugements préconçus et les idées reçues, de tout genre et de toute forme. Lors de certaines entrevues, nous avons constaté que les Tunisiens vivant à l'étranger ne sont pas à l'abri des attitudes xénophobes70 qui atteignent un niveau paroxystique lors des phases de décélération et de crise économiques, où l'étranger devient un bouc émissaire. Tout récemment, l'afflux massif de plusieurs milliers d'émigrés Tunisiens clandestins, suscite, dans les pays d'arrivée, une inquiétude à l'égard de ces nouveaux arrivants (( sans feu ni lieu », (( anomiques », (( déstabilisateurs » potentiels de l'ordre social. Nombreux sont les Tunisiens qui s'entassent et se confinent dans les cités de banlieues des grandes villes européennes, réduits à la marginalité sociale et culturelle, à l'instar de plusieurs autres communautés d'immigrés, sous l'effet d'une politique de l'urbanisme qui entérine et éternise l'exclusion sociale et culturelle de l'immigré, par le cloisonnement et le compartimentage physiques. Les autoroutes et les zones industrielles deviennent les nouvelles frontièresremparts qui démarquent et circonscrivent banlieues, confins de l'immigréétranger-non-national, et la Cité, faveur et exclusivité des seuls nationaux. L'exclusion est, dans les faits, l'histoire d'une éternelle expulsion du corps social, dans le sens où elle est reproductible et transmissible de père en fils. C'est dire que plusieurs Tunisiens de deuxième et troisième générations, nés aux pays d'accueil, se trouvent otages du statut de l'éternel émigré/immigré. Une éternelle arrivée, à la fois, de l'ascendance dans le pays d'accueil, et de la descendance, comble du paradoxe, sur le sol natal. Constatant que leurs descendants resteront continuellement des éternels arrivants, les Tunisiens

70 Xénophobie, étymologiquement du grec xenos, (( étranger » et phobos, (( peur », (( effroi ». Littéralement, la xénophobie désigne les sentiments irraisonnés de crainte et d'hostilité, voire de haine envers l'étranger. Ce dernier est perçu comme étant un ennemi envahisseur, comme une menace pour l'équilibre sociétal.

émigrés de première heure s'accusent eux-mêmes en permanence et se sentent moralement responsables d'avoir fait, un jour, le mauvais choix : celui de demeurer immigré/père d'immigré. L'affliction est grande surtout lorsque la progéniture emprunte les chemins de la délinquance et de la criminalité, échec scolaire prématuré aidant. L'inconfort psychologique qui en résulte est d'autant plus marqué qu'il convient de dire que nombre de Tunisiens vivent leur démarche migratoire initiale sous le mode d'une perpétuelle remise en cause71. De leur côté, les jeunes de l'émigration tunisienne évoquent souvent des images de déchirement entre deux cultures72. D'aucuns protestent contre le « déracinement » par un retour au sacré et à la pratique religieuse73. D'autres, enclins au maximalisme, empruntent les chemins de l'intégrisme religieux et réinventent une version combative et résolument anti-occidentale de l'islam. Le malaise est d'autant plus grand que les déclarations des interviewés nous ont persuadé que la question du retour à la Tunisie, terre natale, hante les esprits, toutes catégories confondues. L'entreprise migratoire, qu'elle soit vue sous l'angle du fait social objectif ou sous l'angle de la représentation mentale subjective et relative à l'acteur migrant, s'est construite, dès le début, comme entreprise provisoire et limitée dans le temps. Toutefois, les transformations structurelles qui affectent la famille tunisienne résidente à l'étranger, suite à l'avènement de la deuxième et troisième génération, embrouillent l'arbitrage entre, d'un côté, le retour définitif au

71 TAAMALLAH (Khemaïes), Les travailleurs tunisiens en France. Aspects sociodémographiques, économiques et problèmes de retour, Publication de l'Université de Tunis, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, 1980.

72 Voir ABOU-SADA (Georges) et MILET (Hélène) (Dir.), Générations issues de l'immigration. Mémoires et devenirs, actes de la table ronde de Lille, 12-14 juin 1985, Arcantère Éditions, Paris, 1986 ; RUDE-ANTOINE (Edwige), Jeunes de l'immigration. La fracture juridique, Éditions Karthala, Paris, 1995.

73 CUNHA (Maria do Céo), « Pratique religieuse des jeunes musulmans dans une cité de banlieue parisienne », in Migrations Société, volume 8, n°45, mai-juin 1996, Paris, 1996.

pays, devenant de plus en plus incertain et problématique, et, de l'autre côté, une prolongation continuelle du séjour qui semble durer indéfiniment74.

Complexe comme il est, le phénomène migratoire tunisien ne pourrait être réduit à un simple réceptacle d'enjeux individuels, par-delà, pragmatisme politique aidant, il se donne à l'observation comme étant le terrain propice à la concrétisation de toute une batterie d'enjeux politiques.

74 TALHA (Larbi), « Les aides au retour et la problématique réinsertion des émigrés », in LACOSTE (Camille et Yves) (Dir.), /'ÉJlJ duTO lTKreE, Cérès Édition, Tunis, 1991, pp. 542-545.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams