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L'éloge du matriarcat dans "la mémoire amputée de Werewere-Liking

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par Arnaud TCHEUTOU
Université de DoualaCameroun - Diplôme d'études approfondies 2008
  

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PREMIERE PARTIE :
LE RAYONNEMENT ETHICO-FAMILIAL.

Le personnage féminin se distingue dans la société du texte d'abord par ses responsabilités familiales, ensuite par son intégrité et enfin par son humanisme. Dans le domaine familial, il détient le pouvoir du maternage qui se manifeste par l'omniprésence de la grand-mère. En régime matriarcal, la grandmère agit permanemment dans le développement de l'enfant. Dans le récit, Grand Madja, la grand-mère de Halla Njokè, la berce et lui donne beaucoup de conseils. Le maternage se manifeste aussi par la force du lien maternel entre la mère et son enfant. Ce lien rapproche affectivement les deux êtres et pousse la mère à se sacrifier pour le bien-être de son enfant. Halla Njokè le prouve par l'attention qu'elle porte à son fils.

La bonne moralité du personnage féminin est visible à travers sa propension à la justice. Il respecte tous ses engagements et bénéficie de ce fait de la confiance des siens. Halla déteste sa mère parce qu'elle a menti contre son père. Ainsi, elle promet à celui-ci de le soutenir dans l'affaire qui oppose les deux et elle tient sa promesse. La femme est également portée vers l'humanisme grâce à son humilité et à son altruisme. Elle sait reconnaître ses torts. La mère de Halla a fait son mea culpa au sujet du différend qui l'a opposée à son ex-mari, le père de la narratrice. Tantie Roz, une des tantes de Halla, est celle par qui se justifie l'altruisme de la femme. Elle fait de l'encadrement des déshérités son combat bénévole quotidien.

CHAPITRE I :
LE POUVOIR DU MATERNAGE

Le personnage féminin se penche vers le premier rôle de la femme qui est lié à la maternité, c'est-à-dire celui d'assumer sa qualité de mère. L'implication de la grand-mère dans tout le processus éducatif et l'instinct maternel sont les principaux éléments qui justifient la force matrilinéaire.

I.1- L'omniprésence de la grand-mère.

En régime matriarcal, la grand-mère joue un rôle très important dans l'équilibre familial et l'éducation de l'enfant. L'homme qui construit la société est l'enfant qu'il a été auprès de sa grand-mère puisqu'il a été bercé et éduqué par celle-ci. La grand-mère joue un rôle fondamental dans le devenir de l'enfant. Elle est la principale « berceuse » depuis la naissance jusqu'à l'âge adulte. En Afrique, la grand-mère est omniprésente dans le vécu de l'individu. C'est elle, notamment la grand-mère maternelle, qui vient à la rescousse de la mère quand il y'a accouchement, pour la suppléer dans l'exercice des tâches ménagères. L'époux ne vit donc pas l'accouchement comme un fardeau qui augmente à ses responsabilités celles de son épouse. Sa belle-mère fait le ménage et remplace valablement l'épouse. Les naissances peuvent être multipliées en Afrique sans que cela n'influe négativement sur l'équilibre familial quant à ce qui concerne l'accomplissement des tâches domestiques.

Ailleurs, le planning familial est rigoureusement respecté parce que la société n'est pas organisée de cette façon. Un foyer qui n'a pas de femme de ménage se retrouve fort obligé d'en recruter quand la femme accouche. Surtout qu'après la période de congé de maternité, au cas où la femme exerce dans une entreprise, c'est la femme de ménage qui s'occupe des tâches domestiques et même du bébé. Une ligne de dépense supplémentaire est donc forcément créée dans le budget familial. Pourtant, en Afrique, même quand la femme est en

service dans une entreprise, elle ne peut solliciter les services d'une domestique que par pur snobisme. Il y'a toujours une grand-mère prête à prendre le relais. L'éducation de Halla Njokè est assurée par Grand Madja.

La grand-mère de la narratrice s'investit dans son éducation en lui inculquant la culture africaine et en lui prodiguant des conseils. Halla Njokè a beaucoup de privilèges en tant que l'homonyme de sa grand-mère37. En Afrique, l'enfant homonyme d'un parent bénéficie toujours, plus que les autres, des bonnes grâces de ce dernier. En Afrique traditionnelle, l'enfant grandit auprès de ses grands-parents jusqu'à un certain âge. Cette pratique vise non seulement à permettre à l'enfant de maîtriser la langue du terroir qui lui servira de principal outil de communication, mais aussi d'asseoir chez lui les bases de la tradition. Cette tâche incombe dans le système matriarcal prioritairement à la grand-mère. Grand Madja enseigne que le travail assure à l'individu son autonomie, sa loyauté et le dispense de la servitude et de la mendicité :

« Grand Madja Halla mon homonyme m'affirmait : `'Toi, tu sauras toujours si tu es libre ou pas, selon que tu pourras associer travail et plaisir, ou pas». [...] Dès la première lueur de l'aube, elle recueille des braises, place des machettes et des houes dans des paniers que nous portons sur la tête et nous allons au champ. Elle allume un feu car il fait bien froid à ces heures. Nous travaillons en silence, avec une double ardeur pour avoir chaud et ne pas nous faire piquer par des insectes. Parfois, elle entonne un chant et crée un rythme auquel ma puînée et moi nous abandonnons. Une sorte de moteur régulier, irrésistible. Ainsi, nous abattons toujours un travail énorme qui nous vaut les félicitations de notre `' mari `'» (M.A., 44).

Le travail doit être perçu comme un objet de plaisir et non comme une corvée. Au même titre qu'un hobby, il doit être une partie de délassement. En considérant ainsi le travail, l'individu s'en accommode et s'y complaît. Le résultat ne peut être qu'excellent. Le culte du travail bien fait est une leçon que

37 - Elles portent toutes deux le même nom, Halla.

la grand-mère inculque à sa petite-fille. En vue d'obtenir un rendement efficient, Grand Madja pense que l'on ne doit pas travailler comme un forçat qui, sous des intempéries peu favorables, se plie à la tâche : « A l'abri des brûlures du soleil, vous pourrez prendre le temps. Et si vous prenez le temps de bien faire chaque chose, chaque chose bien faite vous procurera sa part de plaisir » (M.A., 44).

Le temps est une donnée à prendre en compte dans toute entreprise. Une sagesse de l'Egypte pharaonique affirme que « Le temps est sagesse ». Il faut prendre le temps nécessaire pour s'engager dans une action. La précipitation et l'impatience sont des obstacles à l'épanouissement du travailleur, susceptibles de susciter soit le découragement si on n'obtient pas aussitôt les résultats attendus ; soit le bâclage, auquel cas, la tâche effectuée hâtivement reste à refaire:

« A l'ombre des cacaoyers, prenez le temps de fendiller proprement les cabosses : vous serez payées de pouvoir en sucer les fèves sans le désagrément du sable et des saletés sur les machettes négligées. Prenez le temps de bien sélectionner les fèves les plus belles et les plus juteuses en les séparant des fèves médiocres. Vous serez doublement rétribuées d'abord par la qualité du vin de cacao que vous pourrez en extraire, ensuite, pour la catégorie du cacao à chocolat dans laquelle vos fèves seront classées au marché, au moment de la vente » (M.A., 44-45).

Halla Njokè n'est pas la seule interlocutrice de Grand Madja. Elle s'adresse à toutes les femmes africaines en utilisant le vouvoiement. Si elle s'adressait à sa petite-fille seulement, elle aurait employé le tutoiement car le «vous » de majesté n'existe pas dans les langues africaines. C'est à dessein que la grand-mère parle du cacao qui est un produit de rente destiné à la transformation industrielle. La plupart des Africains pensent que la culture des produits d'exportation tels que le cacao, le café, le coton, l'hévéa... est réservée à l'homme et que les femmes doivent se contenter des produits vivriers destinés

à la consommation familiale et à la commercialisation locale. Cette disparité qui, au demeurant est insensée et machiste, est un abus colonial.

Le colonialisme a importé sur le sol africain la culture du cacao. Fort de leur phallocentrisme, les Occidentaux ne pouvaient pas permettre que les femmes s'intéressent à ce produit. Elles qui, selon eux, est une créature impure : « La femme, enfant malade et douze fois impur »38. Cette idéologie avait pour souci d'imposer le patriarcat aux Africains. L'homme est le sexe fort, le puissant, le « surpuissant », un « Lôs ». Un Lôs dans la société du texte est un homme surpuissant (M.A., 48). Il lui revient donc « à juste titre » les produits industriels et par conséquent, la richesse matérielle, symbole précieux du capitalisme et de la domination selon les Occidentaux. A la femme, « sexe faible », être vulnérable et impuissant, reviennent les produits vivriers qui ne peuvent rapporter gros. Elle doit croupir dans la pauvreté, la misère et le statut permanent de dominée.

La femme africaine a le droit de s'intéresser et même de s'approprier le cacao, que ce soit au niveau de sa transformation qu'au niveau de sa vente sur le marché international. Cette dénonciation sonne comme un cri d'alarme que Liking lance en direction de toutes les femmes africaines, les appelant à sortir de l'obscurantisme où la civilisation phallocratique les a plongées, il y a près de six cents ans. Dans un environnement qui abrite « le berceau du matriarcat »39, la femme doit exercer les mêmes fonctions que l'homme, et même, ses fonctions doivent être supérieures. Les domaines du pouvoir réservés aux hommes dans le régime du patriarcat reviennent aux femmes dans le système matriarcal.

Werewere-Liking laisse entendre que la culture des produits de rente revient à la femme. Au pire des cas, la femme africaine doit s'impliquer dans cette activité et même s'intéresser à sa transformation. Elle doit s'investir davantage dans la création des industries. On a l'impression que c'est une

exclusivité masculine et que les femmes qui s'y retrouvent, soit dérogent à l'ordre des choses ou soit, elles cessent d'être femme. Pourtant, elles se réapproprient tout simplement le véritable rôle dévolu à la femme dans l'Afrique la plus ancienne, l'Afrique pharaonique. Il ne s'agit pas de concurrencer l'homme comme les féministes le laissent entendre. Mais d'assumer une identité qui est réelle, collée à chaque femme africaine et qui se trouve en sommeil à cause des mutilations colonialistes. Il revient donc à celle-ci d'en prendre conscience et de s'engager dans l'action et non de discourir ou de se plaindre incessamment en restant dans l'inertie.

Un autre enseignement est celui de la conformité aux lois. La grand-mère de Halla lui conseille d'être « une femme caramel » (M.A., 46), c'est-à-dire une femme capable de s'adapter à toutes les situations. Le caramel fond quand il fait chaud mais demeure le même et durcit quand il fait froid :

« Mais qu'est-ce que c'était cette histoire de caramel ? Or pendant une vingtaine d'années, j'ai essayé de vivre selon une autre de ses théories sacrées : `' je n'ai pas de loi, je fais de l'adaptabilité ma principale loi. `' Je me suis alors faite eau, me condensant avec le froid, fondant et m'évaporant avec la chaleur, ruisselant en pluie selon les intempéries, bondissant en cascades et chutes libres des sommets vertigineux vers des abysses insondables...Certes, c'était bien, tout avait une place et revenait toujours, il n'y a pas meilleure situation pour un esprit que cette malléabilité » (.M.A., 45- 46).

La conformité aux lois, aux dires de Grand Madja, est le meilleur mode de vie. Elle facilite l'intégration et permet de s'adapter aux institutions. Cette démarche évite l'étiquette de subversif et son lot de fâcheuses conséquences. Tout comme la grand-mère, la mère génitrice a un pouvoir réel sur sa progéniture.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera