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L'éloge du matriarcat dans "la mémoire amputée de Werewere-Liking

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par Arnaud TCHEUTOU
Université de DoualaCameroun - Diplôme d'études approfondies 2008
  

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I.2- La force du lien maternel.

Les critiques de la littérature négro-africaine sont unanimes quant à la valorisation de la femme en tant que mère et aussi quant à son influence notoire dans l'éducation des enfants. La Mémoire amputée est un témoignage exemplaire de cette opinion. Le récit révèle d'abord qu'il existe un rapprochement affectif entre une mère et sa progéniture et ensuite que la mère est prête à se sacrifier pour celle-ci.

Le pouvoir du maternage est matérialisé à travers le lien maternel qui lie affectivement une mère à son enfant. Ce lien dont les manifestations sont généralement spontanées, se construit depuis le sein maternel à travers ce que les psychologues appellent l'« histoire » de la mère et de l'enfant. Mais l'affection maternelle peut être manifestée à l'égard d'un enfant par toute femme génitrice ou pas. Elle est plus prononcée très souvent chez la mère génitrice grâce à l'instinct maternel. La démonstration en est faite entre Halla Njokè et son fils. En effet, ce dernier lui a été enlevé après l'accouchement pour être donné à Mam Naja, la femme que le père de la narratrice épouse après avoir quitté la mère de cette dernière. Halla Njokè et Mam Naja enfantent le même jour. Mam Naja qui se fait accoucher la première met au monde un mort-né :

« Toute transie, je suis ainsi tout le travail. Au bout de ce qui me semble une éternité, un gros foetus tout mou vient au monde après un long cri de Mam Naja, un cri comme j'imagine, le dernier avant la mort. Elle s'évanouit une seconde fois. Ma mémoire ne me restitue de nouveau que ses plans fixes, quelques uns accélérés, et d'autres ralentis. Le gros foetus mort sur la balance pèse cinq kilogrammes. Une glaire suinte de sa bouche » (M.A., 138).

Juste après sa nourrice, Halla Njokè fait des jumeaux dont l'un est aussi mort-né. Son père profite de ce que Mam Naja, évanouie après son accouchement, et que Halla est dans le bureau de Chris, la sage-femme, pour

substituer l'enfant mort-né de la nourrice. Il prend le nouveau-né vivant et va le poser à côté de Mam Naja, comme s'il était le sien :

« Chris m'amène sous la vieille douche après m'avoir aidé à expulser les placenta. Elle me lave, me "lange" et me rhabille. - Repose-toi un peu dans mon bureau, je m'occupe du bébé et je reviens te chercher pour te conduire à ton lit, dit Chris. Mes yeux, ma bouche, et même mon coeur sont secs. Je ne peux pas pleurer. Je ne peux pas parler. Je suis insensible... Cependant je me sens incapable de rester en place. Je me lève et me rends dans la salle d'accouchement. Au moment de franchir la porte, je reste pétrifiée : Mam Naja est penchée sur le bébé et le regarde avec perplexité en parlant à la sage-femme. - Ça par exemple, Chris ! Ce n'était que cette petite souris qui me faisait un si gros ventre ? dit-elle à l'infirmière » (M.A., 140).

Le ton méprisant de Mam Naja à l'égard de « son fils » est déjà fort évocateur sur la nature du lien affectif entre une mère et un enfant qui n'est pas génétiquement le sien. Ignorant totalement que le bébé qui est à ses côtés n'est pas le sien, puisque la révélation de la substitution ne lui a pas été faite, Mam Naja qualifie péjorativement « son bébé ». Il s'agit-là d'un paradoxe quand on connaît la tendresse d'une mère vis-à-vis de son nouveau-né. Même inconsciemment, une mère manifeste une certaine désaffection à l'égard de l'enfant qui n'est pas biologiquement le sien.

Mam Naja a failli brûler l'enfant qu'elle croit être le sien lorsqu'elle a frappé « un coup de canne à sucre à la tête [de Halla] et un autre au genou droit qui [lui] fait l'effet d'une électrocution. [Et qu'elle est] propulsée en arrière alors que l'enfant vole vers la marmite bouillante de sauce d'arachide » (M.A., 165). Cette scène se passe « dans la cuisine où [Halla] s'affaire, [son] enfant dans les bras, épluchant des ignames et surveillant la cuisson des repas sur les foyers » (M.A., 165). « La vieille Rébecca » (M.A, 165), un personnage du troisième âge faisant partie des membres de la maison, perçoit la haine dans le geste de Mam Naja. Elle « bondit avec une rapidité et une vélocité

incroyables et recueille l'enfant dans ses bras de justesse [alors que] la main gauche du petit est quand même entrée dans la soupe d'arachide et il hurle de surprise, de peur et de douleur » (M.A., 165). La réaction de Rébecca, après son geste salvateur, est sans concession :

« Quand l'enfant commence à se calmer, la vieille femme, avec une colère qui fait vibrer sa vieille voix déjà si chevrotante, se tourne vers Mam Naja pleurant contre la porte de la cuisine [et dit] : Je pensais bien que tu détestais cet enfant, que ce n'est peut-être pas le tien. Maintenant, j'en suis sûre et tu veux le tuer, le brûler vif, publiquement. Ma parole, je n'ai jamais vu ça » (M.A., 165).

Deux raisons peuvent justifier cette réaction. La première, le geste imprudent et malencontreux de Mam Naja. Une mère, génitrice de l'enfant que portait Halla, n'aurait pas agi de la sorte. L'instinct qui la lie à son bébé lui aurait permis de prévenir les dangers du coup sur celui-ci. La vieille Rébecca le sait en tant qu'un personnage du troisième âge fort expérimenté en la matière. La deuxième raison est liée à la double vie des vieillards. En Afrique, il est communément admis que les vieux partagent deux mondes : le monde des vivants, celui que le commun des mortels partage et le monde des morts, celui où résident les ancêtres, anges, archanges et Dieu :

« En Afrique, la vieillesse symbolise l'aspect mystique de la vie. [...] Les vieux sont respectés, écoutés et aimés. Les conseils qu'ils prodiguent font l'objet de réflexions, voire de méditations profondes. Ce comportement de la masse vis-à-vis des anciens n'est ni arbitraire, ni le fruit d'une politique paternaliste. Elle est plutôt le reflet d'une connaissance selon laquelle les dires des vieux émanent de deux sources : la première étant matérielle, parce que l'enseignement d'un Sage, son point de vue, ne révèlent rien d'autre qu'une synthèse des expériences de sa vie passée. Spirituelle, parce que dès que la vieillesse arrive, le physique perd de ses exigences, et laisse la direction de ses fonctions au psychisme, lequel est en rapport direct avec le cosmique, Dieu »40.

La force du lien affectif se lit également dans la tendresse et le sacrifice de la mère pour son enfant. La mère biologique est prête à tout pour assurer à sa progéniture le bien-être. L'éloignement de son enfant suscite en elle beaucoup d'angoisse. Halla Njokè en fait la douloureuse expérience quand après le drame, Mam Naja décide d'emporter le bébé comme si elle veux blesser sa mère biologique:

« Sitôt mon père rentré, elle se leva, mon enfant dans ses bras, et dit comme un couperet : `' oubliez cet enfant. `' C'est ce qu'il me fallait faire immédiatement. Oui, dès le lendemain, je m'emploierai à oublier mon enfant. C'était une question de vie ou de mort pour nous tous. D'ailleurs, officiellement, je ne l'avais jamais eu, et de ça au moins il me fallait m'en souvenir définitivement, ou tout au moins essayer de vivre comme si » (M.A., 166-167).

Le ton extrêmement pathétique de ce discours montre que Halla est très affectée par ce qu'on peut considérer comme l'enlèvement de son enfant. En fait, c'était le deuxième enlèvement puisque le premier a été administratif. Après la substitution de l'enfant à l'hôpital avec la complicité de la sage-femme, « une seule naissance a été inscrite sur les registres du dispensaire des fonctionnaires, et un seul assassinat sur ceux des actes de décès de la ville » (M.A., 141). Pourtant, il y'a eu trois naissances et deux décès. Administrativement, l'enfant de Halla lui a été enlevé. La décision de Mam Naja apparaît alors comme le second rapt.

L'abandon du projet de poursuivre ses études à cause de son fils montre que Halla se sacrifie pour ce dernier. Après l'obtention du certificat d'études primaires, elle est obligée par son père d'arrêter momentanément l'école pour défaut, dit-il, d'argent. Pourtant elle a hâte d'aller le plus loin possible dans ses études pour ressembler aux femmes occidentales et orientales. L'accouchement la résout à abandonner ce pressant voeu pour se consacrer exclusivement à son enfant afin de lui assurer un bien-être :

« Je cessai de suivre le feuilleton dès que je dus m'occuper de mon enfant. Rien d'autre ne comptait plus, même la fameuse école de femmes blanches et jaunes qui demeurait jusque-là ma seule motivation fondamentale. Ma seule raison de continuer la route maintenant était de donner à cette petite créature perdue d'avance pour moi, tout ce dont je serai capable dans le laps de temps imprévisible qui nous serait accordé » (M.A., 146-147).

Le lien affectif rend la femme non seulement attendrissante, mais aussitrès intègre.

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