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La radiodiffusion au Cameroun de 1941 à  1990

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par Louis Marie ENAMA ATEBA
Université de Yaoundé I (Cameroun) - Master II en Histoire des Relations Internationales 2011
  

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II- LES EFFETS DE LA RADIODIFFUSION DU CAMEROUN

La radiodiffusion du Cameroun avait rendu crédibles les idéaux du gouvernement local, à l'échelle nationale et internationale. Il convient de reconnaître l'importance du rôle qu'elle avait joué dans le maintien de la paix et la promotion de la stabilité sociale du pays.

II.1. La promotion de la politique du gouvernement

Après l'indépendance et la réunification, la majorité de Camerounais était politiquement inculte. La préoccupation du gouvernement était la consolidation de la souveraineté du pays. Il était question de valoriser l'image du Cameroun à l'intérieur et à l'extérieur. De ce fait, le rôle de la radio consistait à communiquer sur l'action des pouvoirs publics.

II.1.1. La place des supports linguistiques des émissions

La station nationale était la plus représentative, parce qu'elle offrait des programmes à audience large. Les langues utilisées ici étaient le français et l'anglais, le P.N. étant un médium d'État. Les programmes étaient fixés suivant des critères de formes, de contenus et les publics, et étaient conformes à la formule définie par Jean Cazeneuve, qui affirme: « La classification comporte une part d'arbitraire, quel que soit le système adopté, car beaucoup d'émissions peuvent appartenir à plusieurs genres à la fois ».

Parmi les deux langues officielles du Cameroun, le français était la plus usitée. Cela était relatif au fait que le Cameroun était majoritairement francophone. La radio nationale avait alors une audience beaucoup plus francophone. En plus, les journalistes camerounais étaient majoritairement francophones. En effet, le gouvernement français, plus que le gouvernement britannique, avait opté pour l'octroi des bourses d'études aux étudiants camerounais, en matière de journalisme et de techniques de transmission de l'information, afin de garantir un meilleur fonctionnement de la radio nationale, ainsi que l'affirme si bien Roger Owona : « Avant la création de l'E.S.I.J.Y., c'est la France qui assurait en priorité la formation des professionnels de l'audiovisuel »62(*). Un concours était ainsi lancé pour le recrutement des élèves journalistes d'Afrique francophone dans des écoles françaises. Ce concours avait notamment consacré l'admission avec brio de deux étudiants camerounais, devenus aujourd'hui des hauts cadres de l'administration nationale : Jacques Fame Ndongo et Léonard Israël Sah63(*). Ce dernier, au terme de ses études en France, avait été admis comme réalisateur à la radio nationale, et y avait officié comme directeur général en 197864(*). Les programmes en français occupaient alors l'essentiel de l'espace de la radio nationale, au détriment des programmes en anglais, qui y avaient été intégrés de manière progressive, avec la prise de conscience de la nécessité, pour la radio, d'atteindre au maximum sa cible, et de taire les velléités de sécession dans sa partie anglophone65(*).

L'importance de l'anglais dans la diffusion des programmes de la radiodiffusion du Cameroun résidait dans le fait qu'il existait une multiplicité de langues nationales, et les autorités lésinaient sur les moyens d'assurer une diffusion large. Ainsi, il a été décidé que les programmes fussent diffusés en langues anglaise à Radio-Buea, l'unique radio régionale du Cameroun anglophone après la réunification. Mais il n'existait pas de techniques efficaces par lesquelles pouvaient être diffusés les programmes en ces langues. Il n'existait non plus de journalistes spécialisés dans la diffusion d'émissions en langues locales. Ainsi, en dépit de la maîtrise approximative de l'anglais chez les auditeurs potentiels, les autorités de l'information avaient opté pour la diffusion des programmes en langue anglaise à Radio-Buea. Par après, afin de permettre l'accès à l'information à un public large, il fut intégré, à Radio-Buea, des programmes en langues nationales, notamment des programmes en « pidgin ».

II.1.2. La place des programmes

Dans le but d'asseoir l'efficacité de la radio, il avait été établi, au sein de la station centrale, et des stations régionales, des programmes tenant compte des enjeux majeurs.

La radiodiffusion du Cameroun présentait 16 genres d'émissions. Il convient de les décrire, afin d'en dégager la portée. Il existait trois types d'informations à Radio-Cameroun : les informations d'actualité, les informations de renseignement, et les discours. L'actualité était issue des sources informationnelles et des agences télégraphiques, et renseignait sur des problèmes politiques, économiques et sociaux, d'intérêt national et international. Elle était diffusée sous forme de journaux parlés, de flashs ou de magazines. Les renseignements regroupaient les avis et les communiqués, destinés à instruire sur la vie sociale. Les communiqués étaient rédigés dans un style personnalisé. Les discours étaient notamment ceux du Président de la République, et étaient diffusés intégralement, en direct ou en différé. Leur diffusion était suivie d'analyses de journalistes, et durait parfois longtemps, en raison de leur caractère exceptionnel. Les émissions de variété regroupaient notamment la musique, les chansons et les jeux radiophoniques. Le but des émissions de variété était de divertir. Elles faisaient la part belle à la musique populaire camerounaise, africaine ou internationale. Elles excluaient les chorales religieuses et la musique classique. Les émissions musicales portaient sur la présentation de nouveaux disques camerounais et étrangers, la présentation de genres musicaux particuliers, à l'exemple du Jazz et des chorales religieuses nationales. Elles portaient aussi sur la critique d'oeuvres musicales.

Les émissions de culture concouraient à la transmission des connaissances dans le domaine de la science et de la technique. Elles concernaient aussi les programmes destinés à transmettre le patrimoine culturel, à forger le goût du public par des séries consacrées à l'histoire du Cameroun, ses arts, sa littérature, son tourisme, sa géographie, ses médias, etc. Les émissions socio-éducatives préoccupaient les pouvoirs publics. Les émissions éducatives étaient, d'après Roger Clausse, celles conçues et réalisées à des fins didactiques66(*). Les émissions socio-éducatives étaient conçues sous forme de micro-programmes. Il s'agissait des messages qui se distinguaient par leur contenu persuasif, leur durée très courte, et leur diffusion répétée. Ces émissions étaient de véritables leçons sur divers aspects de la vie individuelle et collective, conçues dans le but d'inculquer aux destinataires des attitudes susceptibles de faire d'eux des citoyens responsables. Le contenu de ces émissions était lié à la protection de la santé, à l'organisation de la production, à l'amélioration du cadre de vie, et à l'expansion de la modernité. Les émissions consacrées à la jeunesse étaient définies en fonction des préférences du public-cible. Elles se distinguaient par leurs contenus composites, incluant la musique, les contes, les devinettes, les jeux, la vie scolaire. Les émissions féminines étaient aussi fonction du public-cible (les femmes). Elles visaient à promouvoir l'amélioration de la condition de la femme camerounaise, et à rendre celle-ci consciente de son rôle et de sa place dans la vie nationale. Dès l'indépendance du Cameroun sous tutelle française, sa réunification avec sa partie occidentale, les émissions de propagande à la radio nationale étaient destinées à la promotion du parti unique, d'abord l'U.N.C. et, par après, le R.D.P.C. La radio était alors destinée à informer les militants des activités et des décisions du parti unique, à expliquer sa doctrine, et à valoriser ses programmes politiques. L'une des obligations de la radio nationale du Cameroun était d'ouvrir périodiquement ses antennes aux forces armées. L'émission « Honneur et fidélité », diffusée chaque samedi, de 14 h 00 à 14 h 40, permettait aux composantes de la défense nationale, de « se reconnaître dans un corps restreint ». Elle était produite et réalisée par le B.P.M.D.

Les émissions sportives étaient constituées de magazines d'informations, de réflexion ou de retransmission, en direct ou en différé, à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Il s'agissait, par exemple, des émissions « Vive le Sport », « Sports et Rythmes », et « Antenne Olympique ». Les émissions documentaires concernaient l'information, l'analyse. Le documentaire portrait sur un événement ou une question d'actualité particulière, qui préoccupait l'opinion publique nationale. Mais le documentaire, à la radiodiffusion camerounaise, ne relevait pas du quotidien. Il pouvait être réalisé à l'occasion d'événements exceptionnels, à l'exemple des sommets ordinaires et extraordinaires de l'O.U.A., des congrès ordinaires et extraordinaires du parti unique, des comices agro-pastoraux, des visites de Chefs d'États, des rentrées scolaires, des rétrospectives annuelles. Les émissions de fiction tenaient lieu de récits romanesques, et étaient présentées sous forme de feuilletons, de séries, de dramatiques, de théâtres radiophoniques. Les autres émissions de fiction étaient constituées d'oeuvres de dramaturges camerounais, enregistrées lors de représentations publiques sur différents lieux de culture. Les émissions religieuses comprenaient tous les programmes comportant un message religieux et spirituel. Y étaient aussi inclus, des programmes d'informations religieuses et des retransmissions d'offices religieux. Les mots d'ordre du parti unique étaient faits de discours du Chef de l'État67(*). Par l'extrême brièveté du message (45 minutes au maximum), et par sa diffusion réitérée, précédent chaque édition du journal, ce programme suscitait une prise de conscience des idéaux nationaux, tels que le développement comme exigence première, l'édification d'un sentiment d'appartenance à une même nation, un sentiment débarrassé de tout esprit de sectarisme, de tribalisme ou de régionalisme. Les émissions de publicité concernaient les spots publicitaires, notamment les publicités commerciales, conçues par la C. P. E., chargée de la production des annonces, et de la perception des recettes. Les divers étaient présentés au sein de la radio nationale du Cameroun lors des changements de fréquences, avec des musiques d'accompagnement.

La classification des émissions de la radio nationale du Cameroun avait obéi à des critères relatifs à ses principales missions qu'étaient : l'information, l'éducation, la distraction et la promotion culturelle. La double mission informative et éducative occupait une place de choix dans les discours officiels. Les informations représentaient 35 % des émissions produites à la radio nationale. Les émissions éducatives y occupaient un espace réduit. Le divertissement préoccupait moins les pouvoirs publics. Cependant, il occupait l'essentiel des programmes diffusés, avec près de 49 % du temps d'antenne hebdomadaire. Mais les responsables des programmes et les autorités gouvernementales tenaient à parvenir à un nouvel équilibre « en faveur des émissions culturelles et éducatives au détriment de la musique »68(*). Par la promotion et l'utilisation des langues nationales, la collecte et la diffusion des cultures locales, les stations provinciales servaient à la revalorisation et à la promotion des richesses culturelles, à l'échelle provinciale et locale, en les rendant accessibles à un public large. En effet, la production d'émissions dépendait des particularités linguistiques et culturelles des régions concernées, dans le but de « mener une action éducative en direction des populations rurales, et faciliter une intégration nationale harmonieuse »69(*). En 1986, les stations de radiodiffusion provinciales camerounaises utilisaient une quarantaine de langues nationales. Les efforts déployés par le gouvernement, dans le sens de familiariser les Camerounais à la pratique du bilinguisme, étaient vains. Le français et l'anglais sont demeurés des langues étrangères. Peu de Camerounais s'exprimaient convenablement en ces langues. D'où l'utilisation récurrente des langues nationales.

Les stations provinciales avaient une mission spécifique de promotion culturelle. Par l'utilisation des langues nationales et par un travail profond de collecte et de diffusion des cultures locales, les stations provinciales avaient vocation à aider à la revalorisation et à la promotion des richesses culturelles à l'échelle locales et régionale, en les faisant connaître à un public large. Elle s'employaient à produire des émissions ayant trait aux particularités linguistiques et culturelles des régions concernées, dans le but de mener une action éducative en direction des populations rurales, et faciliter une intégration nationale harmonieuse. Ainsi, entre 1961 et 1990, les stations de radio provinciales du Cameroun diffusaient deux principaux types de programmes : les programmes en langues officielles et les programmes en langues nationales. Radio-Buea diffusait des programmes en français, en anglais, en dialectes.

La programmation des émissions de Radio-Buea respectait un ordre relevant d'un planning hebdomadaire. Ainsi, l'émission « Variety Show » était bihebdomadaire. Elle portait sur des sujets relatifs à la vie des citoyens ordinaires. Parmi ces sujets, il y avait ceux concernant les autorités administratives, les problèmes de développement, la corruption. Ce programme avait suscité des sanctions administratives contre Radio-Buea. En effet, il s'investissait dans la subversion, traitaient des thèmes sensibles70(*). « Listener's Viewpoint » était assimilable à un forum : les auditeurs pouvaient y exprimer leurs points de vue. Des journalistes constitués en panel y donnaient leurs opinions. Le programme servait ainsi de voie d'échanges interactifs entre les auditeurs et ses promoteurs. En raison de leurs opinions de pertinence « approximative », certains auditeurs voyaient la durée de leurs interventions écourtée71(*). Le programme « Meet the patient » s'adressait aux malades hospitalisés dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Les patients avaient la possibilité, au cours de ce programme, d'envoyer des messages à leurs connaissances, en langue anglaise, française, ou en langues vernaculaires. L'émission « Radio Titbits » avait pour objet des communiqués d'intérêt général. Elle avait lieu deux fois par jour, et consistait en des annonces sur les opportunités d'emploi, les résultats des examens, les avis de décès, et les nominations des cadres administratifs.

L'importance des programmes sportifs était liée à l'intérêt accordée par les pouvoirs publics au football, à la boxe, etc. Il avait été créé cinq éditions d'émissions sportives par semaine, dont trois en français, et deux en anglais. L'objectif de ce programme était de promouvoir les traditions de la région anglophone du Cameroun. Cela était d'une importance capitale, dans la mesure où l'un des défis du gouvernement camerounais, depuis l'indépendance, était d'intéresser les citoyens à la valorisation systématique de leurs us et coutumes. C'est d'ailleurs la raison qui explique le jumelage du MIN.CULT. au MIN.COM.72(*) Les programmes musicaux de Radio-Buea étaient les suivants: « Variety Music »; « Listeners »; « Request »; « Teledisc »; « Our Musical Album ». Ils occupaient un espace large, car intéressant beaucoup d'auditeurs.

Les programmes en langue française occupaient un espace radiophonique de 28 heures par semaine à Radio-Buea. Ils étaient constitués d'émissions d'informations, de reportages, de communiqués d'intérêt local. Les informations nationales étaient diffusées à la station de radiodiffusion nationale de Yaoundé, et relayées à Radio-Buea. Les programmes étaient produits localement ou à la R.F.I. La politique des programmes de la radiodiffusion du Cameroun était favorable aux émissions locales. Mais les programmes en langue française s'inspiraient des productions internationales. Il existait deux programmes d'importance capitale, diffusés en langue française à Radio-Buea: « Télé disc » et « Spécial Jeunes ». Ces programmes transmis par téléphone avaient connu des succès notoires. Ils admettaient la participation des citoyens d'expression française et anglaise, et boostaient le bilinguisme prôné par le Président Amadou Ahidjo. Le programme « Spécial Jeunes » était destiné aux jeunes.

Les programmes en langues vernaculaires de Radio-Buea présentaient des informations, des annonces spéciales, des questions éducatives. Ils étaient diffusés de lundi à vendredi. Un exemple de programme diffusé ici, c'était l'émission « Good Evening Cameroon », présentée tous les samedis, dans la nuit. Ledit programme était diffusé en 25 langues vernaculaires. Cela caractérisait toutes les stations provinciales du Cameroun. Une sélection préalable des langues des provinces du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun était menée. Seules 4 des langues retenues était utilisées dans la diffusion des programmes en langues vernaculaires au sein de la station. La principale source d'information pour ces programmes était la station elle-même. Les informations disponibles en langue anglaise étaient traduites par chaque artiste, en langue vernaculaire. Ces informations avaient une portée locale ou nationale. Pour être habilités à traduire les informations de la langue anglaise en langues vernaculaires, les candidats devaient avoir au minimum le C.A.P. Les programmes de la radiodiffusion du Cameroun étaient conformes à des objectifs que lui avaient assignés les gouvernants, à savoir former, éduquer, informer et divertir les citoyens, avec pour finalité ultime, la consolidation de l'indépendance et le développement du pays. L'élaboration et la diffusion des programmes de la radio respectaient un ordonnancement juridique mis en place par le gouvernement, considérant, comme délits, certains actes liés à la publication des informations : la diffamation, la publication des secrets militaires, etc.

 

La forme et le contenu des programmes de la radio nationale du Cameroun libre tenaient compte de l'audience et de l'auditoire. Les publics-cibles étaient définis en fonction de l'âge, du sexe, de l'activité socio-professionnelle, et de la langue d'écoute. L'âge conduisait à la production d'émissions pour les jeunes, les personnes âgées, les enfants. Le sexe permettait de définir les émissions pour les femmes ou les hommes. L'activité socio-professionnelle entrainait, par exemple, la programmation d'émissions pour les agriculteurs ou pour les forces armées. La langue d'écoute impliquait la production d'émissions en français, en anglais, en Basaa, en Béti, en Douala, etc. Les programmes étaient spécifiés selon les stations (station nationale ou les stations provinciales).

Les émissions diffusées au sein de la radio nationale visaient le renforcement de l'esprit patriotique et le nationalisme camerounais. Ainsi, le Gouvernement y avait mis sur pied des programmes susceptibles de répondre aux attentes des auditeurs.

II.2. La consolidation du patriotisme

En tant que médium d'État, la radio nationale entendait cultiver l'esprit patriotique chez les Camerounais. Pour ce faire, elle s'employait à intéresser l'auditoire à ses émissions. Cela tenait compte des attentes des citoyens. L'impact de l'institution y était aussi pour beaucoup.

II.2.1. Les attentes des auditeurs

D'une manière globale, les auditeurs de la radio nationale souhaitaient l'amélioration de leurs conditions de vie. Les attentes des auditeurs vis-à-vis de la radiodiffusion étaient fonction des besoins de ceux-ci.

Il existait : les auditeurs dépendants, les auditeurs occasionnels, les auditeurs indifférents. Les auditeurs dépendants étaient ceux qui avaient perdu la liberté de s'abstenir de la radio. Par le contact de la radio, ils acquéraient un automatisme de comportement, qui faisait des récepteurs leurs « compagnon de vie ». Les auditeurs dépendants étaient « analphabètes », et ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour l'achat de la presse. Ils ne s'informaient et ne se divertissaient que par la radio. Les auditeurs dépendants de la radio menaient des activités compatibles avec l'écoute permanente (les conducteurs de taxi entre autres). Il ne s'agissait pas des personnes vivant dans l'isolement, dans une situation de captivité, ou de semi-captivité (les ménagères, les malades hospitalisés, les prisonniers). L'écoute de la radio devenait, pour eux, « un loisir passif qui compensait une situation mal vécue »73(*).

Les auditeurs occasionnels étaient un peu moins fanatiques de la radio. Ils étaient sélectifs dans le choix des stations. Ils étaient, pour la plupart, des cadres, des fonctionnaires ou des étudiants. Parfois, ils privilégiaient la lecture des journaux, lorsqu'ils voulaient s'informer, et le cinéma, lorsqu'ils voulaient se divertir. Ils qualifiaient de médiocres les programmes musicaux, et préféraient le libre choix que leur permettaient la chaîne stéréo et la radio-cassette.

Les auditeurs indifférents étaient les moins attachés à la radio. Ils entretenaient avec la radio une réelle aversion, à cause de la médiocrité de ses programmes, ou en raison des valeurs qu'elle représentait, et qu'ils détestaient.

Depuis l'indépendance, les auditeurs de la radio nationale s'adonnent à la recherche d'un lien affectif, de l'élévation de l'esprit et de la sensation. La recherche d'un lien affectif est liée aux besoins de socialisation et de projection. Il s'agit du désir de rapprochement à d'autres individus. Selon Jean Stoetzel, cela renvoie au besoin de reliance sociale74(*). À son avis, les abstentionnistes de l'information sont fatalement des abstentionnistes de la vie sociale, tant la consommation régulière de l'information est un indice de participation sociale et politique. En tant que moyen d'information de masses, la radio favorise l'insertion des individus dans leurs groupes. Elle aide le citoyen à participer « au présent des mondes »75(*), et à régler ses problèmes quotidiens. L'auditeur est mis au courant des événements nationaux et mondiaux, et des décisions prises au nom de la communauté. Il se sent proche des autres citadins, et s'enquiert du sort des populations villageoises.

Le besoin de projection se manifeste par le lien affectif que l'auditeur établit avec le journaliste ou l'animateur qu'il écoute. Il souhaite réussir les mêmes exploits que cette « vedette des ondes » qu'il magnifie. Même sans l'avoir rencontrée, il suit ses qualités avec curiosité et admiration. Il s'intéresse beaucoup plus à la forme qu'au fond du message véhiculé. Il se projette alors sur le présentateur, qui fait preuve d'une bonne élocution76(*).

La recherche de l'élévation de l'esprit se manifeste sous quatre formes : le désir d'accéder à des connaissances ; le désir de renforcer son statut ; le refus de s'identifier à des « analphabètes » ; le besoin de justification intellectuelle. Les connaissances sont d'ordre général ou pratique. D'une part, ce désir est partagé par des personnes qui espèrent apprendre par la radio, bien que non scolarisées. D'autre part, il est partagé par des lettrés, qui entendent s'améliorer par la radio. Le statut personnel de l'auditeur s'exprime dans son entourage. Cela concerne des auditeurs qui transmettent des informations tirées de la radio. Ainsi, l'auditeur éprouve le besoin de pratiquer une écoute éclectique, en suivant plusieurs stations de radio. Le refus de s'identifier à des analphabètes est l'apanage des personnes qui critiquent des émissions jugées médiocres et sans apport intellectuel. Les animateurs de ces émissions s'expriment dans un langage approximatif et maîtrisent peu les sujets qu'ils abordent. En réaction à cela, l'auditeur recherche des émissions d'un niveau élevé, dans des stations les plus représentatives, ou s'abstient d'écouter la radio. Il s'adonne alors à d'autres moyens de diffusion d'idées. L'écoute de plusieurs stations de radiodiffusion est, pour certains, la matérialisation du désir de différenciation et d'appartenance culturelle. Pour certains, la culture des élites et des privilégiés est « la vraie culture », et les radios étrangères, ses seuls supports. Aussi, certains auditeurs écoutent-ils la R.F.I. ou la V.O.A., par snobisme. Cette référence à l'étranger est un moyen d'évasion permanente chez les intellectuels camerounais, ou prétendus tels, animés par un complexe d'infériorité culturelle. L'intelligentsia n'apprécie que ce qui tend à valoriser la culture nationale.

La recherche de la sensation consiste pour les auditeurs à écouter notamment la musique. Pour L. Barbedette, A. Adelmann et G. Robert, elle correspond au besoin de se délasser, de se décontracter, de s'exciter, de se libérer du stress77(*). La musique est fortement concurrencée par le disque et la cassette, qui permettent à l'usager de choisir ses titres. Pour certains auditeurs, l'écoute de la radio est basée sur les bruits. Voilà pourquoi Guy Robert affirme : « Ce qui prime en radio, c'est le document sonore, sa coloration humaine, son pouvoir de suggestion, l'émotion qui s'en dégage »78(*). Dans ce cas, l'auditeur s'intéresse peu au contenu des programmes. L'important pour lui est de s'assurer une coloration humaine. Dans son enquête réalisée en 1981, Michel Tjadé Eonè avait relevé la position d'une ménagère qui considérait la radio comme un moyen d'accompagnement, en soulignant: « Ma petite radio, pensait-elle, c'est comme une amie fidèle et bien aimée. Elle me suit partout, même au champ. En la promenant avec moi, j'ai l'impression d'être en contact avec les personnes que je ne vois pas, même si parfois, je ne suis pas ce qu'on y dit »79(*). Cela suppose que ce qui importait à la radio était, non pas l'information véhiculée ou le message transmis, mais la qualité du son qu'elle présentait. La radio jouait alors un rôle de défoulement et de divertissement. L'auditeur pouvait écouter la radio en vaquant à ses occupations habituelles. Il n'avait ni l'objectif de s'instruire, ni l'envie d'édification intellectuelle. Pour lui, l'important était la présence, auprès de lui, d'un outil de communication, lui donnant l'impression d'accompagnement physique. Les auditeurs de cette catégorie étaient en général des non intellectuels. À défaut de disposer d'une radio-cassette, pouvant diffuser permanemment de la musique, ils se contentaient de l'élément sonore qui leur était proposé, quel qu'en fut le contenu. Dans certains cas, l'auditeur ne comprenait ni français, ni anglais, mais écoutait des programmes diffusés en ces langues. C'est l'une des raisons pour lesquelles les auditeurs parfois déconnectés de l'instruction s'adonnaient à l'écoute de la R.F.I. ou de la B.B.C. Pour eux, l'importance de la radio se réduisait à la qualité de son son. Un observateur neutre de la scène médiatique avait alors confié:

La radio, avant tout, c'était l'écoute. Quand il n'y avait pas une bonne écoute, la radio n'était pas suivie. L'auditeur le plus banal ne cherchait pas l'information, mais sa qualité sonore. R. F. I. ayant l'une des meilleures qualités sonores de l'époque au sein de notre environnement médiatique, il était évident que les auditeurs, même analphabètes, se mettent à son écoute80(*).

En résumé, les auditeurs camerounais trouvaient en la radio nationale un moyen d'épanouissement. Les responsables de ladite radio avaient alors opté pour la diffusion d'émissions susceptibles de répondre aux attentes des citoyens.

II.2.2. Les motifs de satisfaction des auditeurs de la radio nationale

Comme nous l'avons mentionné plus haut, la majorité des auditeurs écoutait la radio, non pas en tant qu'outil d'élévation intellectuelle, ou d'édification sociale, mais en tant que moyen de loisir, d'évasion. Une minorité d'auditeurs s'adonnait à l'écoute des émissions instructives et d'informations.

Les auditeurs de la radio nationale du Cameroun s'adonnaient avec passion à l'écoute des émissions musicales. Ces auditeurs appartenaient à la catégorie de ceux qualifiés de « dépendants ». Ils appréhendaient la radio comme un moyen de divertissement, au contact duquel ils s'évadaient. D'où le succès d'un des disques ayant pour titre « À votre Choix »81(*). D'après Tjadé Eonè, près de 49% du temps d'antenne hebdomadaire de la radio nationale était consacré à sa fonction récréative. Des émissions de fiction et de sport y étaient aussi diffusées. La musique diffusée à la radio nationale était essentiellement traditionnelle. D'après les musicologues, il existait cinq grandes traditions musicales, représentant les foyers culturels nationaux: la musique populaire communautaire ; la musique des cours de chefferies traditionnelles des lamidats et des sultanats; le « Hilung-ba-Nganda »; le « Mvet »; la musique des Pygmée; les chorales religieuses. Ces courants de la musique traditionnelle correspondaient aux styles et aux genres divers, conformes aux spécificités linguistiques, sociales et anthropologiques de chaque région du pays. En effet, comme le soulignait Barrate Eno Belinga, et Chantal Nourrit, dans leur « Discographie sur le Cameroun », en dépit d'une longue histoire marquée par les brassages culturels, à chaque groupe ethnique du Cameroun, correspondait un type musique particulier. La musique diffusée à la radio n'était pas gratuite. Elle ne relevait non plus de « l'art pour l'art ». Elle portait des messages instructifs et des significations non moins intéressantes. Les auditeurs camerounais qui l'écoutaient cherchaient, non seulement la sensation de bien-être, mais aussi le plaisir des sons. Ils recherchaient aussi des conseils et des souvenirs. Car s'inspirant des civilisations de l'oralité, la musique enrichissait et entretenait la mémoire collective, qui allait aux générations présentes et futures. La radio nationale contribuait ainsi à la valorisation des traditions musicales, grâce à l'oeuvre de collecte, de conservation et de diffusion de ses stations provinciales. Elle remplissait, par là, l'une de ses missions, dont le succès inspirait satisfaction et encouragements chez les auditeurs.

Les informations de renseignement constituaient un motif de satisfaction des auditeurs de la radio nationale. En effet, l'écoute de la radio était plus intense entre 12 heures et 14 heures. C'était une période de la journée au cours de laquelle était diffusée l'émission quotidienne « Cameroon Magazine », le programme le plus suivi de la radio nationale. Son contenu répondait au besoin de reliance sociale du Camerounais. L'information de renseignement satisfaisait à suffisance le besoin de socialisation des Camerounais. Car elle était faite de communiqués, annonçant les décès, les résultats des concours administratifs, les pertes d'enfants et d'effets personnels. Il s'agissait des messages interpelant le citoyen dans son vécu quotidien. Grâce à ce magazine réalisé en multiplex82(*), la radio rendait des services pratiques aux auditeurs nationaux et internationaux. La liaison était ainsi établie entre la radio mère et les stations provinciales. Cela permettait aux auditeurs, où qu'ils se trouvaient, d'être imprégnés des réalités qui avaient cours autour d'eux, et dans des localités éloignées. À titre d'exemple, certains Camerounais logeaient sur des montagnes, étaient éloignés des centres urbains et du monde. Dans les villes, il existait des quartiers enclavés, à cause de l'absence des artères de communication, de l'indisponibilité des moyens de transport en commun, et du manque de moyens de communication rapides, notamment le téléphone et le télex. La radio nationale parvenait, en servant de palliatif à ces handicaps, à rapprocher les Camerounais.

Par ailleurs, la radio nationale faisait figure d'un relais de la diffusion tambourinée. Et comme telle, elle s'incorporait dans un système de communication traditionnel, basé sur le tambour dit d'appel83(*). Le tambour d'appel était ainsi un précurseur des techniques modernes de transmission de l'information. Par analogie au téléphone et au télégraphe, le tambour était appelé « téléphone-tambour »84(*), ou « téléphone-télégraphe »85(*). Si la datation de l'invention du tambour est une entreprise difficile, son antériorité par rapport aux techniques modernes de transmission de l'information est évidente. Bernard Voyenne le confirmait, lorsqu'il soutenait:

Parmi tous les modes ancestraux de communication, le tam-tam africain est celui qui préfigure le mieux la radio, parce que les messages qu'il transmet se propagent simultanément dans plusieurs directions86(*).

En effet, le tambour, pensait J.P. Nana Mvogo, présentait des analogies frappantes avec la radiodiffusion87(*). Tout en mettant en oeuvre une technologie avancée, la radiodiffusion se fondait, comme le tambour, sur le principe de la propagation des ondes. Cependant, le tambour émettait de simples ondes sonores, de faible portée88(*). Celles-ci étaient transformées en impulsions électriques propagées par les ondes hertziennes, pouvant être transportées au-delà des océans. Le tambour était l'instrument le plus utilisé dans la communication interactive. Le mode de communication dont il était le support mettait en rapport deux intervenants. Les deux intervenants communiquaient par tambour interposé et faisaient appel à un code d'usage. L'élément le plus important de ce code était le « ndan-nku ». Il s'agissait d'un mot inspiré d'un proverbe, ou d'un dicton de la sagesse populaire89(*). Le tambour était devenu un instrument de musique. Dans la société traditionnelle, sa fonction première était d'assurer une information permanente, à l'intention des populations villageoises. Ses transmissions n'avaient pas de périodicité fixe; elles avaient de véritables éditions de nouvelles locales. Le tambour était en effet destiné à renseigner sur la vie individuelle et collective, en s'intéressant à l'exceptionnel, par rapport au quotidien. Il était aussi destiné à convoquer les habitants des villages et des contrées voisines à des cérémonies d'importance capitale. D'où l'appellation « tambour d'appel ». Par exemple, le tambour d'appel invitait les populations à assister un malade en agonie, convoquait au deuil ou à une séance de palabre, invitait au mariage ou au partage d'un gibier exceptionnel. Avec l'avènement du colonialisme, les missionnaires s'en servaient pour convier les chrétiens au culte.

Comme le message tambouriné, les communiqués permettaient aux publics de tous bords de participer à la production d'émissions radiophoniques. Il existait cependant une différence notoire entre les communiqués officiels et les communiqués de l'information-service. Les communiqués officiels émanaient des services gouvernementaux et concernaient les décisions officielles. Les communiqués de l'information-service étaient des messages brefs et personnels. Les communiqués de l'information-service faisaient l'objet de plusieurs rubriques spécialisées, à l'instar des avis de recherche, de naissance et de décès. Ils portaient la mention « Affaires vous concernant ». La diffusion des avis de décès était courante à la radio nationale du Cameroun. Les avis de décès étaient appréciés par les Camerounais. Ils étaient denses, car leur diffusion était gratuite. Mais ils étaient réfutés par les Européens vivant au sein du pays, parce que ceux-ci ne s'y sentaient pas concernés90(*).

La responsabilité et la tâche de la radiodiffusion du Cameroun s'avéraient difficiles, car le Cameroun était encore un État jeune, et avait des défis importants à relever, dans tous les secteurs de la vie nationale. Une enquête réalisée par Albert Mbida avait révélé ces propos d'un auditeur de la radio publique camerounaise : « Je me plais souvent à écouter les conseils qu'elle prodigue ; ils sont très précieux: des conseils d'hygiène et de morale »91(*). Pour les auditeurs, la radio informait de l'actualité politique et économique. Les campagnes radiophoniques contre certaines maladies et certains fléaux conduisaient les auditeurs à prendre des précautions nécessaires. Leur éducation sanitaire était d'une grande utilité. La radio inculquait aux auditeurs la nécessité de payer l'impôt, d'assister aux réunions du parti unique. La radio leur prodiguait des conseils liés à la gestion du foyer conjugal, à la stigmatisation des comportements déviants de certains hommes et de certaines femmes. Les messages diffusés en langues vernaculaires retenaient l'attention des auditeurs. La plupart des conseils étaient mis en pratique. La loi de 1972 disposait:

Le service de l'animation et de la diffusion culturelle sur l'ensemble du territoire national s'emploiera par l'organisation ou l'encouragement des spectacles de tous genres et la diffusion d'oeuvres artistiques et littéraires, à l'encouragement à la créativité dans les domaines artistiques, littéraires et audio-visuels; l'éducation populaire et scolaire en matière artistique, notamment par la production, en liaison avec le Ministère de l'Éducation Nationale, des documents artistiques et culturels92(*).

La radio nationale se devait ainsi de vulgariser la civilisation, l'art et la culture nationaux. « Histoire du Cameroun », une émission coproduite par Dandjouma Aoudou, et Jean-Baptiste Obama, était, d'après des personnes interrogées par Albert Mbida, un moyen de booster leur connaissance de l'histoire du Cameroun. Elle leur a ainsi permis d'avoir des idées précises sur des faits mal reproduits dans certains manuels. Par cette émission, les auditeurs avaient acquis des connaissances sur l'histoire des Bamoum, des Douala, sur le personnage de Charles Atangana Ntsama. Les auditeurs avait ainsi déduit qu'elle était plus intéressante que l'Histoire de la France ou d'Angleterre. C'était une émission qui, dans une certaine mesure, remplaçait un livre, parce que diffusant des faits et des dates. Hormis les émissions culturelles, il existait, à la radio nationale, des magazines culturels, qu'étaient : « Eh bien quoi de neuf », « Voir et connaître », (magazines de spectacle, de culture et des arts). Ils se proposaient de donner des informations sur les programmes de divers spectacles, s'attachaient à des analyses de films, des présentations de livres. Ces magazines permettaient aux auditeurs de connaître des films projetés au cinéma.

Peu d'auditeurs suivaient entièrement des émissions. En effet, les Camerounais n'avaient pas encore la culture de l'écoute de la radio. Pour solliciter instamment l'attention de l'auditeur, il fallait lui présenter un programme « l'obligeant à entrer de plain pied dans la ruse ». Les jeux radiophoniques, dotés des prix de toutes sortes, visaient ce but. Ils se proposaient aussi d'améliorer les connaissances des auditeurs, dans les domaines divers: le sport, la littérature, la politique, la science, l'histoire, la géographie, etc. Radio-Cameroun en avait pris conscience et voulait, par ces jeux, consolider son prestige. De telles émissions permettaient à l'auditeur de s'y sentir concerné et d'y participer directement. Les personnes interrogées par Albert Mbida avaient déclaré que ces émissions avaient accru leurs connaissances dans les domaines politiques, scientifiques, religieux, sportifs, littéraires, géographiques et économiques. Les émissions « Inter-ville », « Toutes les villes jouent », « Le jeu de mille francs », étaient produites par Radio-Yaoundé. Les financements respectifs de ces productions étaient assurés par La Loterie nationale, le G.C.A.C. Les participants étaient satisfaits des prix remportés et des connaissances acquises. Ces productions renvoyaient à la réflexion et à la recherche dans les documents. Le caractère historique de ces émissions pouvait aussi être révélé. Un auditeur avait ainsi déclaré: « Il est très intéressant d'entendre les gens se casser la figure sur certaines questions; ça fait rigoler un peu quand quelqu'un passe complètement à côté de la question ». De multiples détails sur la vie quotidienne des Camerounais nécessitaient le recours à la radio. Les promenades du week-end dépendaient ainsi des prévisions météorologiques, de l'état des routes, des heures de départ et d'arrivée des trains et des avions. Le Cameroun présentant un taux de chômage élevé. Chaqu'avis d'emploi à la radio était écouté avec attention. « Cameroun Magazine », émission informative et musicale, jouait pleinement ce rôle. L'émission permettait de découvrir le pays, de découvrir les qualités de la musique nationale, et son originalité. Elle remplaçait le message tambouriné et combinait l'information et le divertissement93(*). Les émissions locales avaient un auditoire consistant. La musique camerounaise était privilégiée par rapport à la musique européenne. La préférence pour la musique camerounaise se manifestait chez les ruraux, les commerçants, les ouvriers et les employés. À ce propos, un auditeur déclara:

Je ne vois pas la raison d'être de la musique étrangère sur nos antennes, il faut que les Camerounais écoutent et apprécient leur musique. À étendre la musique anglo-saxonne sur Radio-Cameroun, on a envie de fermer son poste94(*).

En tant qu'institution, l'église était un organisme public. Le Cameroun était un État laïc, mais restait diplomatiquement lié au Vatican. De ce fait, l'église était soumise à la loi de la publicité. Ses activités, parfois règlementées par l'État, étaient contrôlées par ses membres. L'église demandait à ses fidèles une participation responsable à ses activités, et particulièrement à son apostolat. Radio-Cameroun assistait l'église dans l'accomplissement de sa mission d'information et d'enseignement de ses fidèles. Les émissions religieuses avaient trait à l'information sur les activités de l'Église, à l'échelle nationale et internationale, et à l'enseignement à la foi. Un auditeur avait ainsi déclaré:

Non seulement ces émissions nous enseignent la fois, mais aussi elles nous renseignent sur les faits qui nous intéressent; elles essayent, tant bien que mal, de nous donner l'image la plus exacte de la vie de l'Église95(*).

L'Église s'exprimait pour se faire comprendre. Elle n'y parvenait, au lendemain de l'indépendance, que par la radio. Grâce à radio, l'Église transmettait à toutes les couches de la population, des informations et des renseignements utiles.

De 1960 à 1990, la radio nationale du Cameroun diffusait des émissions audio. Seuls des messages non visibles pouvaient y être véhiculés. Ces programmes excluaient alors des publications obscènes, à l'exemple des pornographies. Ce que défend Raphael Tah, lorsqu'il déclare : « Grâce à la radio nationale, les citoyens, et les jeunes en particulier, pouvaient s'informer, se former, en marge des perversités véhiculées par la télévision »96(*). La diffusion intense de la publicité portait préjudice à la presse écrite, en en diminuait les rentrées financières. Cette concurrence conduisait à la faillite de certains journaux, et limitait ainsi le pluralisme médiatique97(*).

Les objectifs de la radiodiffusion du Cameroun ne pouvaient être atteints, estimaient les pouvoirs publics, certains États et organismes non gouvernementaux, sans le soutien international, dans la perspective d'assurer le rayonnement de l'institution à l'échelle mondiale. Cela passait sans doute aucun par l'édification des principales populations cibles : les Camerounais. La radio voilait alors des informations de nature à provoquer le désordre social. Ainsi, il a été possible de compromettre l'aboutissement du coup d'État de juin 1984.

II.2.3. Un moyen de compromission du coup d'État de 1984: l'importance du rôle joué par Gabriel Ebili

Le 04 novembre 1982, le président Ahmadou Ahidjo démissionne du pouvoir, dans un discours diffusé par la radio nationale du Cameroun. Il passe le témoin à son successeur dit constitutionnel, Paul Biya. Le nouveau président Paul Biya prête serment le 06 novembre 1982. Un an et 05 mois plut tard, survient au sein du pays un « putsch » orchestré par l'armée nationale. Les acteurs du putsch annonce notamment la suspension des télécommunications. Cela signifiait que même la radio nationale qui avait servi à la retransmission du discours des radicaux devait être fermée, « jusqu'à nouvel ordre ». La tentative de coup d'État échouera, grâce à la contribution exceptionnelle de Gabriel Ebili, technicien de Radio-Cameroun. Avant le 06 avril 1984, Gabriel Ebili est contacté par des hommes qui lui demandent de coopérer. Selon ces hommes, Ebili se devait de céder, au risque de faire l'objet des représailles. Ebili ne savait ni le jour, ni l'heure de l'opération. Il était alors âgé de 27 ans. Quelques jours avant le coup d'État, il prit le soin de mettre sa famille à l'abri, en l'envoyant à Lolodorf à Bibondi, son village natal. Ayant pris peur, il se garda d'informer sa hiérarchie. Aux premières heures de la matinée du 06 avril 1984, des tirs d'obus retentissaient à Yaoundé, capitale du pays. Comme à l'accoutumée, Gabriel Ebili se rendit à son lieu de service au petit matin. Sans anicroche, il atteignit l'enceinte de Radio-Cameroun. Mais lorsqu'il franchissait le portail, il réalisa que la radio était envahie par les militaires armés. L'un d'eux lui administra une sévère bastonnade. Traîné de force par les mutins, Gabriel Ebili mit les émetteurs en marche. Il se garda discrètement de mettre le C.D.M. en marche. Les mutins se montrèrent de plus en plus menaçants, et le conduisirent au studio. Chemin faisant, Ebili rencontra ses collègues Hyppolite Nkengué et Jean Vincent Tchiénéhom, croupissant dans la torture. Les mutins récupérèrent la bande et ordonnèrent Ebili de faire passer leur discours à l'antenne. Ebili s'y était soumis. Voici un extrait du message des fomenteurs du putsch :

L'armée camerounaise vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur tyrannie, de leur escroquerie, et de leur rapine incalculable. Oui, l'armée a décidé de mette fin à la politique criminelle de cet individu contre l'unité nationale de notre cher pays. En effet, le Cameroun vient de vivre au cours de ces quinze derniers mois qu'a duré le régime Biya les heures les plus noires de son histoire. Son unité mise en péril, la paix interne troublée, sa prospérité économique compromise, la réputation nationale ternie...Dès maintenant, le Conseil militaire supérieur est amené à prendre un certain nombre de décisions au regard de la sécurité nationale. Et le Conseil militaire supérieur demande au peuple camerounais de le comprendre. En premier lieu, les liaisons aériennes, terrestres, maritimes et les télécommunications sont suspendues jusqu'à nouvel ordre. Le couvre-feu est institué sur l'ensemble du territoire national de 19 heures à 5 heures ...Par ailleurs, la Constitution est suspendue, l'Assemblée nationale est dissoute, le Gouvernement est démis ; tous les partis politiques sont suspendus ; tous les gouverneurs de provinces sont relevés et, enfin sur le plan militaire, les officiers supérieurs exerçant le commandement d'unités opérationnelles sont déchargés de leurs fonctions. L'officier subalterne le plus ancien dans le grade le plus élevé prend le commandement98(*).

Les mutins étaient convaincus du passage effectif de leur message sur l'ensemble du réseau national. Or par les manoeuvres secrètes de Gabriel Ebili, le discours des mutins n'avait été écouté qu'à Yaoundé. Jusqu'à 16 heures, l'entrée de la radio était encore envahie par les mutins. C'est alors qu'arriva le colonel Samobo pierre et ses troupes restée fidèles au régime. Gabriel Ebili lui fit état de la situation. Ebili et Samobo furent rejoints par le capitaine Ivo. Les mutins étaient dispersés. Dès lors, Ebili restaura les branchements des émetteurs, et diffusa le discours du Président de la République qui stipulait que la situation est redevenue à la normale, et que la radio ne pourrait reprendre son fonctionnement que le dimanche. Le 29 septembre 1984, Gabriel Ebili, Alexandre Kokoh, directeur de la radio, et Francis Achu Samba, ingénieur des télécommunications, recevaient la médaille de la vaillance de l'ordre national, pour avoir « sauvé les institutions du pays ».

Les événements ci-dessus font état de la place de la radio nationale dans la communication politique à l'époque. Ils démontrent à suffisance l'importance de son rôle dans la définition des stratégies des acteurs du putsch. Ils laissent entrevoir le rôle important qu'elle avait joué dans l'échec du coup d'État. Selon les stratèges des questions militaires, les mutins auraient réussi leur coup si leur message avait été diffusé sur l'ensemble du territoire99(*).

En tant vecteur de développement, la radio devait avoir pour cible de ces activités les populations locales. Ses émissions devaient tenir compte des enjeux sociaux et des situations des auditeurs potentiels. La radio allait ainsi devenir un moyen de promotion du bien-être de ces derniers.

II.3. La radiodiffusion et les populations nationales

Le défaut d'information des populations était susceptible de compromettre l'efficacité des services sociaux. Il n'était pas possible d'entreprendre des actions de développement dans une communauté sans la participation active des populations concernées. Les hommes n'acceptaient de modifier leurs attitudes que s'ils étaient convaincus que le changement proposé leur était bénéfique. Pour mieux se faire comprendre par les populations, les animateurs de radio leur envoyaient des messages simples, claires, adaptés à leurs besoins et à leur niveau d'instruction. Afin de susciter la participation active des populations concernées, le service de santé travaillait en étroite collaboration avec les services de promotion humaine. La radio était un moyen d'action, de propagande éducative, en direction de toutes les couches sociales. Elle accompagnait l'homme partout. Elle réalisait ainsi les missions éducatives et sociales. Surtout, elle réussissait à convaincre. Tous les services publics étaient représentés. Ici, la radio jouait le rôle de « coordonnatrice ».

II.3.1. L'éducation par la radio

La radio permettait aux citoyens d'élargir leurs horizons intellectuels. Elle leur permettait de connaître de façon rapide les phénomènes qui survenaient à des endroits plus ou moins éloignés. Le Cameroun étant un pays en développement, sa radio ouvrait les populations aux civilisations étrangères et les amenait à voir leur vie sous un jour nouveau.

À cette période, les élus et les autorités locales avaient mis sur pied un ensemble de moyens permettant une écoute collective de la radio et des programmes à visée éducative. Dans des villes et des grandes agglomérations, ce procédé fut un échec, car les populations utilisaient des postes à piles exigeant des recharges fréquentes. Les campagnes étant reculées, elles ne bénéficiaient pas de l'information éducative. Par ailleurs, toute la population citadine n'était pas concernée par ces programmes, en raison des différentes activités de ses membres. La plupart du temps, les auditeurs étaient des chômeurs et non des ouvriers occupés par leur travail et soumis à des horaires rigides. Artisans et commerçants échappaient aussi au circuit, parce qu'ils ne pouvaient abandonner leurs activités pour s'intéresser à des programmes radiodiffusés. C'était également le cas des mères qui ne consentaient pas à abandonner leurs foyers pour aller suivre des émissions à des endroits distants de leurs domiciles. En raison du poids de l'âge, les personnes vieilles ne s'intéressaient pas à ce type de programme. Par après, les transistors étaient répandus sur presque toute l'étendue du territoire. Leur diffusion croissante avait modifié la vie sociale. Chaqu'information était perçue en fonction de sa résonnance théâtrale. Les faits perdaient leur importance, à cause de la personne qui les décrivait.

Au lendemain de l'installation de la radiodiffusion, et par l'intermédiaire de celle-ci, les autorités avaient fait appel à la conscience des parents, leur demandant de laisser les enfants aller à l'école. Mais cela n'avait pas rencontré l'adhésion des parents. En effet, les parents refusaient d'envoyer les enfants à l'école, car ces derniers constituaient pour eux une main d'oeuvre prépondérante pour les travaux des champs. Grâce à l'action de la radiodiffusion, les parents prirent conscience de l'importance de l'école. L'éducation par l'antenne contribua à motiver les parents à envoyer les enfants à l'école. Ainsi, des programmes furent lancés dans le sens d'asseoir l'éducation des enfants. En 1966, Georges Friedman mit sur pied le programmes « The school on air », c'est-à-dire « Une école par l'antenne ». Dans ce programme, Friedman présentait un ensemble de circuits par lesquels les élèves pouvaient acquérir des connaissances en dehors de l'école classique. Il proposa alors la radio comme l'une des voies les plus indiquées100(*).

De 1956 à 1958, Chicot et Mayer réalisèrent une expérience d'éducation radiophonique, au travers des programmes suivants : « Articulation d'une leçon-type » ; « Organisation d'une campagne et conclusion générales de l'expérience »; « Une brève introduction en langue du pays ». Les thèmes originaux étaient exposés de façon plaisante. Les champs folkloriques laissaient aux maîtres et aux élèves le temps de se préparer. Les leçons étaient diffusées en français. Chaque leçon comprenait le calcul, le langage, la dictée, les conseils aux maîtres. Chaque phrase prononcée à la radio était suivies de quatre coups de timbre régulièrement espacés, laissant aux maîtres un délai de quinze secondes pour exécuter les consignes données par le poste entre chaque partie de la leçon. La musique permettait aux élèves de se détendre et aux maîtres de vérifier que les exercices écrits et commandés donnaient la possibilité de formuler des phrases avec des mots déjà connus. La campagne radiophonique mettait en valeur les points suivants : la nécessité de faire précéder toute méthode d'alphabétisation radiophonique d'une phase de motivation; la nécessité d'une participation effective des autorités administratives et académiques. En 1958, Radio-Garoua, sous l'égide de Radio-Cameroun, diffusait une émission enfantine réalisée en collaboration avec une école pilote dont le directeur appliquait la méthode Freinet101(*). Les enfants écrivaient des textes et fabriquaient des instruments de musique nécessaires à l'émission. L'émission comportait des histoires, des conseils et des contes dans lesquels se mêlaient récits, dialogues et chansons. Le tout était conçu exclusivement par les enfants eux-mêmes, qui faisaient des bruitages, interprétaient des chansons des musiques. Ils se servaient alors des instruments traditionnels familiers. Dès 1971, la radio avait pour rôle de motiver par des slogans, des informations, des entretiens et des conseils. Cela était fait au moyen d'un programme que suivaient 3000 adultes appartenant à 120 clubs radiophoniques102(*). Il existait deux projets-pilotes sur l'emploi de la radiodiffusion dans l'alphabétisation. À l'ex-Cameroun sous tutelle anglaise (région de Buea), une émission radiophonique d'enseignement du français parlé intitulé « African Dialogue » était diffusée. Concernant l'ancien Cameroun sous tutelle française, il avait été proposé et adopté l'émission « Learn your English ».

II.3.2. L'encadrement des ruraux

Comme la plupart des pays africains, le Cameroun traversait dans son ensemble une crise des plus déstabilisatrices. Cette crise était un véritable frein au développement. Elle était beaucoup plus persistante dans les campagnes que dans les villes. Elle était marquée notamment par le conflit entre jeunes et adultes à propos du progrès, et le manque de formation mentale et intellectuelle chez les ruraux. René Leduc évaluait l'ampleur de cette crise et en proposait quelques pistes de réflexion, en ces termes:

Il va de soit qu'un homme non formé, pris à l'état brut, en quelque sorte, sans autre ressource que sa force physique, ne peut être considéré comme un agent économique. L'acquisition des connaissances peut être considérée comme un véritable perfectionnement du capital, c'est-à-dire comme un investissement103(*).

La radio était susceptible d'y apporter des solutions dans l'immédiat.

Dans son ensemble, le Cameroun était confronté à un déséquilibre social et économique dont l'origine tenait pour une large part au malentendu séparant les jeunes et les adultes. En effet, les anciens s'appuyaient sur des structures sociales et économiques qui ne répondaient presque plus ni aux nécessités matérielles, ni aux impératifs sociaux de la vie moderne. Ces structures s'effritaient et se dégradaient104(*). Les jeunes ressentaient confusément le caractère dépassé des idéaux d'antan et s'employaient à s'y soustraire. Mais il était évident que la formation des jeunes à des fins politiques, économique et sociales leurs permettait d'être utiles à leurs villages et de devenir des promoteurs du progrès lorsqu'ils étaient mis en condition de discuter de façon constructive des problèmes locaux. Ils pouvaient ainsi être écoutés et entendus partout, car la mobilisation générale y était nécessaire104(*). Il avait alors été décidé la mise sur pied d'une voie de réconciliation. Seule la radio pouvait assurer cette réconciliation.

L'une des tâches urgentes entreprises au Cameroun pour promouvoir le progrès avait consisté en l'initiation des agriculteurs aux méthodes de savoir-faire qui pouvaient leur permettre de mettre en pratique les procédés d'exploitation. À cette fin, le gouvernement avait mis à leur disposition un service de vulgarisation agricole. Celui-ci assurait entre le chercheur et l'agriculteur les avantages de l'énergie électrique, des machines modernes, un meilleur encadrement alimentaire et sanitaire des animaux et des végétaux, l'accès aux crédits, la gestion rationnelle des exploitations. La radio était chargée de répondre à cette mission complexe. En outre, il était demandé aux agriculteurs de prendre conscience de leur condition, de prendre en main leur destin. L'encadrement des agriculteurs devait répondre aux besoins économiques du pays. Il était en effet question de mobiliser les personnes en vue d'une amélioration substantielle de leurs modes de vie.

L'action de la radio nationale du Cameroun avait vocation à lui assurer un meilleur rayonnement international, susceptible de traduire sa souveraineté effective. Au delà des limites de ce rayonnement international, la radiodiffusion du Cameroun se devait de relever des défis importants.

CHAPITRE III

RAYONNEMENT INTERNATIONAL, DIFFICULÉS ET DÉFIS DE LA

RADIODIFFUSION AU CAMEROUN

Dans le monde moderne, les institutions aspirent à un meilleur rayonnement international qui ferait d'elles des références. C'est l'exemple des radiodiffusions publiques dont le rôle fondamental est de promouvoir les politiques gouvernementales. Pour garantir son évolution et son perfectionnement, la radiodiffusion du Cameroun entretenait des relations avec les médias étrangers. Dans son fonctionnement, elle faisait face à des difficultés non négligeables.

I- LA RADIODIFFUSION DU CAMEROUN DANS

L'UNIVERS MÉDIATIQUE INTERNATIONAL

En dépit de l'indépendance et de la réunification du pays, la radiodiffusion du Cameroun ne pouvait échapper à l'influence des médias internationaux. Elle a ainsi intégré le système de l'information mondial. Ce système est alors apparu comme le socle de son évolution.

I.1. La radio nationale et la coopération internationale

Après l'indépendance et la réunification du pays, la radiodiffusion s'est affirmée comme un cadre de coopération important entre le Cameroun et le monde extérieur. La coopération radiophonique s'exprimait par le truchement de l'A.CA.P. et des accords de soutien signés avec les anciennes puissances coloniales.

I.1.1. La coopération par l'intermédiaire de l'A.CA.P.

L'importance du rôle de l'A.CA.P. se traduisait par les missions que lui avaient assignées les pouvoirs publics, et son déploiement. Principale sources d'informations des organismes de presse nationaux, l'A.CA.P. s'est avérée indispensable à l'évolution de la radiodiffusion camerounaise.

L'A.CA.P. était un établissement public, doté de la personnalité civile, et géré selon les règles commerciales. Elle avait pour missions: la recherche d'informations complètes et objectives; la distribution des services d'informations mondiales; la mise à disposition des informations nationales et internationales; l'entretien des services de dépêches portant sur la vie politique.

L'activité de l'A.CA.P. consistait à recueillir, à élaborer et à diffuser des informations, dans les meilleures conditions. L'A.CA.P. était libre. Elle avait le monopole de distribution des informations, et faisait ainsi office de « puissance politique »105(*). Cela était de nature à influencer le gouvernement, car l'opinion publique était sensible. Voilà pourquoi le gouvernement contrôlait systématique ses sources d'informations. D'où l'adoption au Cameroun de la loi n°66/LF/9 du 10 juin 1966106(*). En tant que structure étatique, l'A.CA.P. collectait des informations nationales et internationales crédibles, et en assurait la distribution aux organes de presse. Elle jouissait d'un monopole certain sur toute l'étendue de la République fédérale. Toute reproduction ou exploitation de ses services était subordonnée à un accord préalable107(*).

I.1.2. La coopération avec les anciennes puissances impérialistes

Après l'indépendance et la réunification, le Cameroun connaissait des déficits d'équipements. Les pouvoirs publics étaient préoccupés par des questions relatives à la souveraineté de la nation et au progrès économique. D'où l'acceptation du gouvernement de nouer des partenariats avec les anciennes puissances impérialistes. Dans le domaine de la radiodiffusion, le Cameroun avait noué des rapports avec la France et l'Allemagne.

La coopération de la France avec le Cameroun s'inscrivait dans la continuité des rapports dominant/dominés, qu'elle entretenait avec celui-ci, lors de la période coloniale, ainsi que l'exprime P. Cadenat : « La coopération de la France avec [le Cameroun] se définit par son caractère postcolonial, car elle repose sur les liens de colonisation antérieurs, et par son caractère inégal »108(*). Par la mise en oeuvre des accords signés avec le Cameroun nouvellement indépendant, la France s'était donnée pour devoir d'améliorer qualitativement et quantitativement la diffusion d'émissions de la radio nationale. Ainsi, le gouvernement français avait décidé, par l'intermédiaire des services spécialisés, de :

Fournir tous programmes, documents sonores et visuels, ouvrage, disques, à la République fédérale du Cameroun, qui [feraient] en sorte d'assurer sur l'ensemble de son réseau la meilleure diffusion possible dans le cadre des programmes de sa radiodiffusion nationale109(*).

Par ailleurs, la fourniture de programmes devait s'accompagner de l'utilisation des méthodes appropriées en vue de leur diffusion sans anicroches. Voilà pourquoi la France avait convenu de poursuivre la coopération en matière de formation, entamée durant la période coloniale. Un nombre important de journalistes était alors formé en France. Revenus au pays, ils étaient affectés à des postes de direction, le besoin en spécialistes locaux, maîtrisant les préoccupations des auditeurs, se faisant ressentir. C'est l'exemple d'André Nganguè, considéré comme l'un des journalistes de la première heure du Cameroun. En 1950, André Nganguè obtient une bourse pour étudier à l'École de journalisme de Paris. Rentré de France, il est recruté à la SO.RA.FOM., puis à l'O.CO.RA. Avec l'indépendance, il intègre la radiodiffusion nationale du Cameroun. D'abord Chef de station de Radio-Douala, il est nommé Délégué provincial de l'information et de la culture du Littoral et de l'Ouest. C'est également l'exemple de Léonard Sah qui, formé en France, avait officié comme Directeur de Radio-Cameroun entre 1977 et 1978.

La coopération radiophonique entre la France et le Cameroun avait un volet culturel, qui se traduisait par l'ambition de la métropole d'asseoir sa domination par l'expansion de sa langue, au moyen de l'aide bilatérale au développement. Georges Pompidou, ancien Premier ministre français, en donna une idée claire, lorsqu'il déclara à l'Assemblée Nationale : « Pour nous, Français, c'est une sorte de besoin que de maintenir la langue française; il y a là une raison fondamentale pour maintenir l'aide bilatérale »110(*). Pour le gouvernement français, la coopération radiophonique se voulait bénéfique aux deux parties, et devait s'orienter vers la promotion de la langue et la culture métropolitaine, pense Yvon Bourges, Secrétaire d'État aux affaires étrangères, chargé de la coopération devant l'Assemblée:

Le premier objectif de notre département est de favoriser la pénétration de la langue et de la culture françaises. La coopération n'est pas une entreprise intéressée au sens égoïste du terme, mais il ne peut s'agir ni de gaspillage, ni de prodigalité111(*).

La coopération radiophonique allemande se voulait pratique. Elle était orientée vers le secteur agricole. Cela tenait au fait que le Cameroun post-colonial était essentiellement agricole. L'agriculture avait trouvé un terrain d'expression au Cameroun, car le pays présentait un climat tropical au Nord, et un climat de type équatorial au sud. Ces deux grands ensembles climatiques chauds étaient propices au développement de l'agriculture. En plus, les populations vivaient des produits agricoles. Ceux-ci étaient utiles pour leur alimentation. Bien plus, l'Allemagne entendait promouvoir la pratique d'une agriculture intensive, dont la production devait être destinée à l'exportation en direction du pays d'Hitler. C'est la raison pour laquelle le gouvernement allemand avait axé sa coopération radiophonique sur la satisfaction des besoins des populations du milieu rural. Pour ce faire, le gouvernement allemand avait opté pour la diffusion d'émissions en langues locales. C'est l'idée qu'exprime André Jean Tudesq, lorsqu'il affirme:

La coopération radiophonique allemande [portait] surtout sur les masses paysannes par le biais de la radio rurale favorisant l'utilisation des langues locales et attachant peu d'importance à la diffusion de sa culture112(*).

I.2. La radio nationale et le système mondial

La radio nationale du Cameroun subissait l'influence des sources d'informations externes. Elle était une voie d'exportation culturelle, et recevait l'aide des radios occidentales.

I.2.1. Le rôle des sources d'informations internes

Le système de diffusion d'informations de la radio nationale du Cameroun était constitué des sources, qui l'alimentaient. La radiodiffusion du Cameroun tirait ses informations des agences d'informations mondiales et internationales.

Radio-Cameroun tirait l'essentiel de ses informations africaines et internationales des agences mondiales113(*). Au Cameroun, la réception et la distribution d'informations incombaient à l'État. Ainsi, les informations étaient gérées par la SO.PE.CAM. En effet, aux termes de la loi n°77/17 du 6 décembre 1977, la SO.PE.CAM. était compétente pour assurer au Cameroun l'exclusivité d'un service constant d'informations mondiales par convention ou alliance avec les agences étrangères. Le même article disposait dans son alinéa 2 : « Sauf autorisation donnée par décret, nul n'a le droit de détenir des installations radioélectriques ou autres ayant pour but la captation, notamment au moyen de baies de réception, d'émissions de nouvelles d'agences étrangères en vue de leur utilisation large ou restreinte ». La SO.PE.CAM. avait souscrit des abonnements auprès de trois des cinq grandes agences internationales: l'A.F.P., pour des services en français et en anglais; Reuter, pour des services économiques; T.A.S.S. Fondée par le gouvernement soviétique en 1925, l'agence T.A.S.S. était publique. Elle était le porte-parole de l'Union soviétique, et assurait la construction du communisme à l'intérieur du pays, et son rayonnement à l'extérieur114(*). En revanche, les quatre grandes agences de l'Occident prétendaient être impartiales, dans le cadre de la concurrence contre la T.A.S.S. La concurrence s'appliquait à l'information et aux autres domaines de la vie économique et sociale. Henri Pigeat, directeur général de l'A.F.P., avait proclamé la neutralité de celle-ci, en ces termes : « Les obligations qui lui incombent sont l'exactitude et l'objectivité de l'information, l'indépendance à l'égard de toute influence »115(*). Mais l'impartialité et l'objectivité des informations fournies par des agences de presse occidentales avaient été mises en cause, en raison des conquêtes politiques et territoriales qui avaient présidé à leur expansion et à leur essor. En effet, l'expansion et l'émergence du télégraphe sans fil s'étaient produites dans les pays développés au XIXe siècle. De ce fait, les puissances occidentales étaient entrées dans leur deuxième ère impériale.

La dépendance de la radiodiffusion du Cameroun vis-à-vis des agences occidentales d'information expliquait les insuffisances quantitatives et qualitatives de la page étrangère de son journal. Sur le plan quantitatif, les agences d'information occidentales s'intéressaient très peu à l'actualité du Tiers-Monde. Sur le plan qualitatif, il se posait le problème de l'image des pays du Tiers-Monde en général, caractérisée par des turbulences socio-politiques (guerres civiles, coups-d'États, etc.). En plus, les dépêches de ces agences avaient quelques fois un caractère ethnocentrique et idéologique. En effet, ces dépêches passaient directement des téléscripteurs à l'antenne. Ce qui contraignait les Camerounais à se plier à une vision du monde autre que la leur. Par conséquent, la radio accentuait l'extraversion de la nation, d'autant plus qu'elle perpétuait la domination de la France, par le biais de la coopération, qui entretenait l'exportation de sa culture en direction du pays.

La coopération culturelle était le deuxième type d'alliance signée entre la radio nationale et les sources d'informations étrangères. Établie à Paris le 5 mai 1963, la convention radiophonique entre la France et le Cameroun découlait de l'accord de coopération culturelle de 1960, actualisé le 21 février 1974116(*). L'élaboration des programmes était de la compétence du gouvernement. L'accord de coopération de 1974 avait confié à l'O.CO.RA. les prestations sur la formation du personnel, l'envoi des programmes, l'approvisionnement en matériel. Cette coopération entre l'ancienne puissance tutrice et le Cameroun découlait des liens historiques établis par le pacte colonial.

La coopération culturelle, comme la colonisation, donnait à la France l'occasion d'accomplir sa « mission civilisatrice » envers le Cameroun. Son besoin de rayonnement pouvait être assouvi à travers ses liens avec le pays. Convaincue d'être investie d'une mission à leur égard, elle s'estimait susceptible de leur apporter un mode d'expression et une méthode de pensée117(*). Le désir de rayonnement de la France avait été affirmé par les théoriciens de la coopération et le gouvernement de la métropole. C'est l'idée qui se dégage du rapport de Jeanneney, en ces termes : « La France désire, plus que toute autre nation, diffuser au loin sa langue et sa culture »118(*). Les accords de coopération culturelle entre la France et le Cameroun nouvellement indépendant avaient été influencés par cette volonté de l'ancienne métropole d'assurer à sa culture et à sa langue une diffusion large, face au rayonnement international de l'anglais. Les médias français, et plus singulièrement la radio nationale, étaient des instruments de cette politique d'expansion culturelle. Selon la loi française du 7 août 1974, la radio participait à la diffusion de la culture métropolitaine dans le monde. Elle veillait à la qualité et à l'illustration de la langue française119(*). R.F.I. était l'un des organismes d'exécution de la coopération franco-africaine dans le domaine de la radiodiffusion120(*). Elle avait pour domaine d'action la fourniture des programmes. Au sein de ses services, il avait été prévu une section chargée de la production d'émissions de coopération, et une autre compétente pour assurer la formation des cadres.

Les actions de coopération de R.F.I. en matière de programmes se traduisaient par des prestations gratuites, réalisées à Paris, et envoyées à la radio nationale. La coopération radiophonique était fondée sur l'aide à la production, à la création, et à la mise en valeur du patrimoine culturel du pays. L'aide à la production consistait en la mise à la disposition de la radiodiffusion du Cameroun des éléments écrits et sonores ne pouvant être obtenus localement. C'est ainsi que le monitoring servait de véritable agence de son, proposant des synthèses d'actualité, établies sur la base des dépêches d'agences, ou de correspondances réalisées à partir du Cameroun. Au Cameroun, sept stations et une école de journalisme bénéficiaient des prestations de R.F.I. : le P.N.; Radio-Centre-Sud; Radio-Bafoussam; Radio-Bertoua; Radio-Douala; Radio-Buea; Radio-Garoua; l'E.S.S.T.I. Par la suite, R .F.I. avait entrepris la réduction de la fourniture gratuite des programmes, au bénéfice des coproducteurs. C'est ainsi que l'émission « Mémoire d'un continent » était coproduite avec la radio nationale ; R.F .I. servant alors de lien technique.

Les programmes de coopération avaient pour support exclusif la langue française. Il n'a été envisagé la production en langues camerounaises. Mais dans son article 3, la convention de coopération entre la France et le Cameroun disposait : « Les parties contractantes s'engagent à mettre leurs radiodiffusions au service d'une meilleure connaissance mutuelle des deux pays et du rayonnement de leur culture commune ».

Afin que la radio nationale puisse jouer son rôle, et que son fonctionnement harmonieux soit garanti, les pouvoirs publics camerounais s'étaient pliés à l'influence des radios occidentales.

I.2.2. Le rôle des radios étrangères

Parmi les médias parallèles qui avaient des liens étroits avec la radio nationale du Cameroun, il y avait les radios étrangères. Ces radios avaient un service international s'occupant des programmes conçus à l'intention des publics étrangers. Leurs activités relevaient d'une double mission : faire entendre au sein des pays étrangers desservis la voix des puissances dont elles véhiculaient l'idéologie et la culture; maintenir pour les ressortissants expatriés de ces puissances « le nécessaire lien radiophonique».

R.F.I. était une entreprise autonome. Dès le 1er janvier 1983, elle était une filiale de la radio nationale française. Mais elle était une création ancienne : elle avait hérité du poste colonial du maréchal Lyautey. Elle se voulait promotrice de la politique étrangère de la France. En effet, elle était destinée à « porter haut et fort la voix de la France dans le monde », et à informer ses expatriés du fonctionnement de la nation. Ses programmes étaient diffusés par la télévision française, à partir d'émetteurs situés en Hexagone. Depuis 1975, R.F.I. disposait d'une antenne appelée « Chaîne Sud » financée par le ministère français des relations extérieures, et tourné vers l'Afrique. Pour atteindre ses cibles africaines, elle utilisait des émetteurs installés en France à Issoudun et à Allouis. R.F.I. n'émettait qu'en Français vers l'Afrique.

Dans le centre de la France, R.F.I. disposait de 20 émetteurs, dont 8 de 500 kW. 19 émetteurs assuraient 261 heures de diffusion quotidienne, dont 180 heures vers l'Afrique et vers l'Océan Indien. Certaines émissions de coopération étaient intégrées dans les programmes de Radio-Cameroun: « Anthologie du mystère »; « Mémoire d'un continent »; le « Concours théâtral interafricain ». Le but de cette coopération était de contribuer à la collecte des ressources culturelles camerounaises, et à la valorisation de l'usage de la langue et de la culture française au Cameroun121(*). L'influence de R.F.I. était le résultat d'une écoute directe, rendue possible par la puissance de ses ondes. Il était ainsi plus facile pour les auditeurs camerounais de capter directement la R.F.I., et de recevoir un autre type de message. Car la radio nationale diffusait sur un périmètre réduit, et présentait une qualité sonore médiocre. R.F.I. diffusait en effet toutes les nouvelles importantes sur le pays. Ces nouvelles parvenaient à la rédaction de R.F.I., par le biais des agences mondiales d'informations, dont elle recevait les dépêches, ou par l'intermédiaire de quelques correspondants occasionnels, ou des journalistes de la rédaction de la radio nationale122(*). Ces informations glanées dans des conditions aussi incertaines, à partir du Cameroun, étaient diffusées sur l'ensemble du réseau international. R.F.I., qui jouissait d'une autonomie certaine, avait alors la possibilité d'informer l'auditoire camerounais des événements divers, sur lesquels la radio nationale faisait parfois le silence.

La B.B.C. diffusait des programmes en langue anglo-saxonne. La qualité d'écoute de la B.B.C. lui permettait de ravir la vedette à la radio nationale du Cameroun. L'écoute de la B.B.C. constituait un moyen de différenciation et d'appartenance culturelle chez les citadins camerounais, déterminés à affirmer leur position au sein de l'élite intellectuelle. L'enjeu de cette attitude était de se démarquer des personnes incarnant la médiocrité, dont la radio nationale serait l'un des vecteurs.

La préférence de certains auditeurs camerounais pour des radios occidentales était liée à leur envie d'évasion permanente, et à l'exotisme qui tendait à tenir pour idéal ce qui était étranger, réprouvant ce qui était local.

I.3. La bataille médiatique autour du putsch du 06 avril 1984

Le mardi, 17 avril 1984, La Gazette, journal de presse écrite, hebdomadaire national, paraissant à Douala, annonce, dans un numéro spécial : « Yaoundé a vécu les 6, 7 et 8 avril 1984, le week-end le plus long de son histoire. Heureusement, l'armée, sous le commandement du Général Pierre Semengue, était là pour barrer la voie aux factieux de la Garde Républicaine ». La Garde Républicaine est mise en cause. Elle est accusée de vouloir renverser le gouvernement dit légal du Président Paul Biya. En effet, depuis 1983, le climat politique est teinté de violence verbale entre le nouveau Président de la République, Paul Biya, et son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo. Le journal La Gazette parle des « solides complicités à tous les niveaux »123(*). Les télécommunications (radio, téléphone, fax), l'énergie électrique et les aéroports sont les premières cibles des insurgés. Les 06 et 07 avril 1984, les stations de radio nationales interrompent leurs programmes. Elles diffusent exclusivement de la musique. Les stations étrangères quant à elles y vont chacune de son interprétation.

I.3.1. Le déploiement des stations de radio nationales

Entre 7 h et 8 h, il règne un silence total à R.C. La situation reste inchangée jusqu'à 13 h.

Elle inquiète plus d'un Camerounais. Le P.N. de radio du pays ne diffuse alors que de la musique

militaire. À Radio-Douala, il est diffusé de la musique camerounaise variée. Radio Bafoussam en

fait de même. L'émission est animée par un speaker, en langue anglaise. À 15 h, il entend prendre

en relais le journal parlé du P.N., mais en vain ; la station ayant été prise en otage par les putschistes. La station de Douala ferme à 16 h, avec l'hymne national. La rumeur gagne le pays. Le discours des mutins présenté plus haut est diffusé à la chaîne nationale. Par après, les programmes reprennent à Radio-Douala. Y sont diffusés : des émissions en langues nationales, de la musique africaine variée, un documentaire sur l'histoire africaine. Plusieurs fois, le speaker lit ce communiqué : « Le Préfet du Wouri convoque pour 10 h 30 min précises, à son bureau, les personnalités suivantes : les Sous-préfets de Douala I, II, III, et IV ; Le Délégué du gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala ; les Députés ; les présidents des sections de l'U.N.C., de l'O.F.U.N.C., de la J.U.N.C., leurs vice-présidents, leurs secrétaires départementaux et le président de l'U.N.T.C. » À la suite de cette diffusion, le Gouverneur de la province du Littoral fait parvenir un démenti à la radio, démenti réitéré plusieurs fois en français et en anglais. « Le Gouverneur indique aux populations que la situation est calme, leur demande de vaquer à leurs occupations habituelles et de redoubler de vigilance. » Le samedi, 7 avril à 20 h 00, le Président de la République, Paul Biya, confirme, à la radio nationale, que le calme règne sur l'étendue du territoire, en ces termes :

...Le Cameroun vient une fois de plus de traverser une période délicate de son histoire. Hier en effet, le 06 avril, vers 3 h du matin, des éléments de la Garde Républicaine ont entrepris la réalisation d'un coup d'État, concrétisé par la coupure des liaisons téléphoniques et l'occupation des points stratégiques ou sensibles de Yaoundé, Palais de l'Unité, Immeuble de la Radio, Aéroport, etc., avec pour finalité la mainmise par la violence sur le pouvoir politique. Des unités régulières de notre armée nationale demeurées fidèles aux institutions et qui avaient reçu des ordres pour enrayer le coup de force, conduisirent le combat avec méthode et détermination et aboutirent en fin de matinée de ce jour (07 avril), à une victoire complète...C'est le lieu pour moi de rendre un vibrant hommage à ces unités de notre armée pour leur engagement et leur attachement à la légalité républicaine. Enfin, je demande à toutes les Camerounaises, à tous les Camerounais, et à tous ceux qui résident dans notre pays, de garder leur calme et de poursuivre leurs activités de développement économique et social de la nation...124(*)

Le mardi, 10 avril 1984, le Président Biya adresse par la radio d'État un message d'assurance au peuple camerounais, question de l'inviter à la reprise effective des activités, sans crainte d'attaque, ni peur d'être mis en mal :

...Samedi dernier, 07 avril, j'annonçais à la Nation qu'un coup d'État militaire, perpétré par des éléments de la Garde Républicaine et tendant à renverser les institutions légales et démocratiques établies, avait été conjuré par les unités des Forces armées nationales demeurées loyales. La situation, caractérisée par le calme sur l'ensemble du territoire national et la reprise des activités, est redevenue normale. L'opinion publique a été informée de la nature, du déroulement et des conséquences de ces événements par la presse nationale. Maintenant que la victoire est définitivement acquise et devenue irréversible, j'entends rendre à nouveau un hommage mérité aux éléments des Forces armées nationales, qui, exécutant avec méthode et détermination les ordres reçus, ont préservé les institutions et la légalité républicaines...Face à la gravité et à l'ampleur de cette tentative, j'ai décidé, avec plus de détermination et de fermeté que jamais, de prendre un certain nombre de mesures tendant à préserver, mieux que par le passé, la sécurité, la paix et l'unité nationales. Ainsi, en dehors des mesures d'ordre militaire, administratifs et politique, et au terme d'une enquête dont les conclusions sont attendues, les responsables du coup d'État seront sans délais traduits devant le Tribunal Militaire, afin d'être jugés et punis conformément à nos lois et à l'extrême gravité de leur forfait...125(*)

I.3.2. Le déploiement des radios étrangères : l'exemple de quelques radios de référence françaises

Dans son flash d'informations du 06 avril 1984, la R.F.I., la station de radio française, annonce :

Il règne au Cameroun la grande incertitude. Des combats très violents auraient eu lieu autour du Palais présidentiel et aux abords de l'aéroport de Yaoundé. Les putschistes, dirigés par un colonel de la Garde Républicaine, ont proclamé la destitution du Président Biya dans un canal différent de celui de la radio nationale. Dans l'après-midi, les forces loyales au Président Biya ont repris la radio. Les combats ont déjà fait de nombreuses victimes civiles et militaires.

À 20 h 15, la R.F.I. affirme :

La radio (P.N.) indique que la station nationale de Radio Cameroun à Yaoundé à repris ses émissions à 18 h 40. Elle diffuse exclusivement de la musique variée. Le présentateur reprend les circonstances dans lesquelles se déroule la mutinerie. Une déclaration du Ministre des Forces Armées est attendue. Personne ne l'entendra. Dans son commentaire, Bernard Nageotte assimile les troubles à un « affrontement entre le Sud et le Nord », deux communautés qui se sont toujours méfiées sur l'échiquier camerounais.

Le samedi, 07 avril 1984, entre 6 h et 6 h 30, la R.F.I affirme être sans nouvelles précises sur le Cameroun, les communications étant coupées. Le présentateur affirme :

D'une part, hier soir, Radio Cameroun a diffusé des variétés africaines entrecoupées de messages. L'un de ceux-ci, probablement diffusé par les forces loyalistes, fidèles au Président Biya, demandait aux populations de Yaoundé de rester chez elles afin de permettre le nettoyage des poches de résistance des forces rebelles...Ceux-ci ont cru que le soulèvement se produirait comme ils l'ont prévu : facilement. Mais mal leur en a pris. Il semble que les combats se sont déroulés jusque plus tard dans la nuit.

R.F.I. constate que la situation reste confuse au Cameroun et que les forces loyalistes semblent avoir maté l'insurrection. Tout au long de ses bulletins de 07h à 15 h, la chaîne confirmera toujours que les combats continuent. Le dimanche, 08 avril 1984, R.F.I. annonce : « La tentative de coup d'État a été matée ». Entre-temps, l'ancien Président de la République, Ahmadou Ahidjo, parti en exil en France, avant la tentative de putsch, est interrogé par les journalistes de Radio Monte Carlo. Il répond : « J'ai été insulté et calomnié par les Camerounais ; ils n'ont qu'à se débrouiller tous seuls. Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus... » Le dimanche, 08 avril 1984, à 13 h 30, Africa n°1 indique : « Les hommes du Général Semengue ont pris le dessus. » La radio diffuse aussi une grande partie du message du Président Biya. À 13 h 45, R.F.I. confirme qu'au Cameroun, tout est rentré dans l'ordre, que la mutinerie de la Garde Républicaine est bannie.

* 62 Roger Owona, « La Radio au Cameroun : 40 ans d'Histoire », Cameroon Tribune, n°4064, Yaoundé, SO.PE.CAM., 28 janvier 1988, p. 8.

* 63 Entretien avec Léonard Israël Sah, 63 ans Conseiller technique au Ministère de la communication, Maître des Conférences au Département d'Histoire de l'Université de Yaoundé I, et Historien des médias, Yaoundé, le 16 avril 2008.

* 64 Roger Owona, Ibid.

* 65 Les populations de la région anglophone se sentaient lésées par le Gouvernement. Certes, le Cameroun après la réunification, avait adopté un système fédéral, avec deux États fédérés, à savoir l'État fédéré du Cameroun francophone, et l'`Etat fédéré du Cameroun anglophone, et un État fédéral, il reste réel que les institutions de l'État fédéral étaient gérées, pour la plupart, par les Camerounais francophones, et l'essentiel des ressources allaient à ceux-ci.

* 66 R. Clausse, in J. Cazeneuve,  Émissions, 1972, pp. 190-192.

* 67 Un exemple de mot d'ordre du Parti : « Les plus égoïstes parmi nous doivent au moins avoir la conscience aigüe que personne dans ce pays ne peut se baser sur une seule tribu ou un groupe ethnique pour réaliser quoi que ce soit de durable, d'efficace et de stable ». Le mot d'ordre est de P. Biya, Président de la République et Président national du Parti, lors de ses visites officielles dans les anciennes provinces du Nord et du Centre-Sud, Garoua et Yaoundé, le 04 mai et 11 juin 1983.

* 68 Albert Mbida, « Radio-Cameroun et son auditoire, La rupture », Mémoire de D.S.J., E.S.I.J., Yaoundé, octobre 1973, p.7.

* 69 Amadou Ahidjo, Anthologie des, p.922.

* 70 Zachary Nkwo Tokolo, «Broadcasting in English Speaking Cameroon, A General Survey», Mémoire de License en Journalisme, E.S.I.J.Y., Yaoundé, 1975, p. 26.

* 71 Zachary Nkwo Tokolo, ibid.

* 72 Zachary Nkwo Tokolo,» Broadcasting in...», p. 27.

* 73 M. Tjadé Eonè, Radio, publics et pouvoirs au, p. 132.

* 74 J. Stoetzel, Les fonctions de la presse à coté de l'information, in F. Balle, Médias et société, Paris, Montchrestien, 1984, p.561.

* 75 E. Morin, L'esprit du temps, Paris, vol. 1, 1976, p. 248.

* 76 Ibid.

* 77 L. Barbedette et al. , in « La radio et les jeunes », R.F.I., Les dossiers de multiplex, 1979, p. 112.

* 78 G. Robert, La production radiophonique, Paris, R.F.I., 1980, p.204.

* 79 M. Tjadé Eonè, Radios, publics et, p. 141.

* 80 Entretien avec Longin Franc Onana Belibi, Animateur social, la trentaine révolue, Yaoundé, 26 août 2010.

* 81 Le disque des auditeurs était diffusé avec succès aussi bien dans les tranches d'antenne en langue anglaise que dans celles en langues nationales.

* 82 Voir vocabulaire.

* 83 Il s'agissait du tam-tam, néologisme utilisé par les colons européens, et représentant une simple reproduction du bruit d'un instrument de musique africain, appelé « Mbè » en langue basaa, façonné à l'aide d'un tronc d'arbre au coeur évidé, dont l'une des extrémités est recouverte d'une peau tannée.

* 84 C.D. Ilunga, in « Tambour-téléphone en Afrique centrale », La voix du Congolais, n°134, mai 1957, pp. 339-340.

* 85 P.M.A. Omarhi, in « T.S.F. indigène au Maniema », La voix du Congolais, n°123, juin 1956, pp.408-409.

* 86 B. Voyenne, in La Presse dans la société contemporaine, Paris, A. Colin, 1962, p.40.

* 87 J.P. Nana Mvogo, « Le tam-tam, quatrième médium de la forêt africaine », Mémoire de Diplôme de l'É.S.J. de Lille, 1979, p.27.

* 88 La portée du message tambouriné était estimée à une vingtaine de kilomètres par les griots. Cependant, elle pouvait atteindre 50 kilomètres, lorsque l'instrument était de bonne qualité, c'est-à-dire taillé dans du bois de référence, installé sur un tertre, et lorsque la transmission avait lieu le soir, après l'orage de l'après-midi. La transmission pouvait avoir une potée encore plus grande, lorsqu'elle servait de relais de village à village.

* 89 Le terme « ndan » était utilisé dans certaines langues bantoues du Sud-Cameroun, notamment le Bassa et le Beti. Il signifiait « devise ». Le terme « nku » quant à lui désignait le support de la communication, c'est-à-dire le tambour d'appel.

* 90 Lire l'échantillon de l'enquête réalisée en avril 1983 par Tjadé Eonè.

* 91 Ibid.

* 92 Article 34 du décret n°72/425 du 28 août 1972, portant organisation du MIN.I.C.

* 93 Michel Tjadé Eonè, Radio, publics et pouvoirs au, p.88.

* 94 Enquête menée en 1983 par M.Tjade Éonè.

* 95 Ibid.

* 96 Entretien avec Raphaël Tah, Cadre au Comité Central du R.D.P.C., 62ans, Yaoundé, 15 janvier 2010.

* 97 Le Cameroun avait un régime de parti unique et il n'existait pas de radio d'opposition. Très peu de Camerounais s'intéressaient à la presse écrite, en raison de son coût élevé, et du fait de la non-accoutumance à la lecture. Cependant, il existait une catégorie de personnes qui lisaient la presse. Il s'agissait principalement des intellectuels et fonctionnaires disposant de moyens financiers et conscients de la place de la lecture dans l'édification mentale et intellectuelle de l'individu, ainsi que dans le succès de leurs activités professionnelles.

* 98 I. A. Ngounou, « Cameroun : Coup d'État manqué du 06 avril 1984, rappel des faits », consulté sur www.journal.com/article.plip?aid=8555, le 27 juillet 2011.

* 99 C. Ateba Eyene, Lettre au Président de la République, consultée sur http// www.Camer.be/index1.Php?art=18977&rub=6:1, le 17 juillet 2011.

* 100 Georges Friedman, « Vingt ans d'indépendance, le succès du paysan », Le Monde, 03 avril 1980, pp. 11-15.

* 101Célestin Freinet est né en 1896 et décédé en 1966. Il fut l'un des promoteurs d'une pédagogie active qui faisait appel à la motivation, l'expression, la socialisation, le tâtonnement expérimental. Après avoir rencontré des résistances, cette méthode était appliquée dans des milliers d'écoles de France et d'autres pays.

* 102 Dieudonné Tauzzis Atangana, « Contribution à l'étude des effets éducatifs et sociaux de la radiodiffusion au Cameroun », Thèse de doctorat de 3ème cycle, 1988, p.198.

* 103 René Leduc, in D. Tauzzis Atangana, « Contribution à l'étude des effets éducatifs et sociaux de la radiodiffusion au Cameroun », Thèse de doctorat de 3è cycle en Sciences de l'information et de la communication, Paris, 1988, p. 203.

* 2En tant que moyen d'information populaire, la radio avait une lourde responsabilité. Elle pouvait démontrer que certaines structures anciennes étaient à préserver.

* 104 Dieudonné Tazzin Atangana, « Contribution à l'étude des effets éducatifs et... », p.209.

* 105 Henri Konnang, « La liberté de presse au Cameroun », Mémoire de licence en Droit, université fédérale du Cameroun, Yaoundé, année universitaire 1971 /1972, p. 36.

* 106 Cette loi abroge l'ordonnance n°60/5 du 20 janvier 1960 portant création d'une agence camerounaise de presse.

* 107 Ibid.

* 108 P. Cadenat, La France et les Tiers-Monde, Vingt ans de coopération bilatérale, Paris, La documentation française, Notes et études documentaires, 1983, p. 57.

* 109 Article 3 al.2 de la Convention de coopération radiophonique entre le Cameroun et la France, pp. 648-649.

* 110 Georges Pompidou, Premier ministre français, Discours à l'Assemblée Nationale Française, Journal Officiel du 10 juin 1964, p. 1785.

* 111 Yvon Bourges, Secrétaire d'État aux affaires étrangères, chargé de la coopération devant l'Assemblée, Discours prononcé le 25 octobre 1967, in Edmond Jouve, Relations Internationales du Tiers-Monde, Paris, Berger-Levrault, 1976, p.318.

* 112 A. J. Tudesq, La radio en Afrique noire, Paris, Pédone, 1983, pp. 131-132.

* 113 Cinq grandes agences dominaient le marché mondial de la collecte et de la vente des informations à l'échelle internationale. L'une était soviétique, et était appelée « Agence T.A.S.S. » Les quatre autres appartenaient à l'Occident : deux américaines, respectivement « Associated Press » et « United Press International » ; une britannique, à savoir « Reuter », et l'autre française, appelée « Agence France Presse », la plus ancienne.

* 114 H. Pigeat, « La situation juridique internationale des agences de presse », in Colloque de Strasbourg, La circulation des informations et le droit international, Paris, Armand Pedore, 1978, pp. 295-319.

* 115Henri Pigeat, « La situation ... », pp. 295-319.

* 116En ce qui concerne les clauses de cet accord définissant le cadre théorique d'échanges de programmes entre les deux pays, voir le volume 1 de la thèse de Michel Tjadé Eonè, p.396. Lire aussi le texte intégral de la Convention de coopération radiophonique figurant dans les annexes du volume 2 de thèse du même auteur, p. 647.

* 117 Patrick Cadenat, «La France et le Tiers-Monde, Vingt ans de coopération bilatérale », La documentation française, n°4701-4702, 14 janvier 1983.

* 118 Rapport Jeanneney, « La politique de coopération avec les pays en voie de développement », Paris, la documentation française, 1964, p. 62.

* 119 Loi française du 7 août 1974, « Le régime de la Radio-Télévision Française », in F. Balle, « Étude de radio-télévision, R. T. B. F. », n° 27, Statut, mai 1980, p. 164.

* 120 Les autres organes spécialisés dans la gestion de la coopération franco-africaine étaient : le F.A.C., compétent pour gérer les financements des équipements et la fourniture de bourses de formation; T.D.F., en charge des installations des émetteurs et de la fourniture des pièces détachées; l'I.N.C.A., chargée de la formation des personnels.

* 121 Cf. Archives de Radio-France Internationale.

* 122 R.F.I. n'ayant aucun correspondant permanent au Cameroun, elle pouvait s'approvisionner en informations locales, seulement par la collaboration volontaire et sporadique des journalistes de la radio nationale. L'envoie d'éléments de reportage par ces correspondants occasionnels se faisait à la demande de R.F.I. qui prenait en charge tous les frais techniques (circuit P.T.T., location des cabines), ainsi qu'une pige symbolique pour le correspondant.

* 123 La Gazette n°500 du 17 avril 1984, p.2.

* 124Paul Biya, in Charles Ateba Eyene, Le Général Pierre Semengue, Toute une vie dans les armées, Yaoundé, CLE, 2002, pp.124-125.

* 125 Paul Biya, in Charles Ateba Eyene, Le Général Pierre Semengue..., pp.127-129.

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