WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Assia Djebar ou l'ancrage dans l'entre-deux: l'ici et tout l'ailleurs ou l'impossible retour dans "la disparition de la langue française " (2003 )

( Télécharger le fichier original )
par Arézki Bellalem
Université A Mira de Béjaia Algérie - Magister 0000
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

La Disparition de la langue française

Fatma-Zohra Imalayène, qu'on connaissait en écrivaine des femmes, bondit de ce titre-rupture pour s'écarter de tous les précédents. La Disparition de la langue française est un roman édité en 2003 chez Albin Michel dans la collection Livre de Poche. Avec ce titre, c'est sur les méandres et les traces du destin d'un homme qu'elle nous traîne. Un homme déchiré par les réminiscences d'une enfance, d'un retour en arrière, d'un «arrêt sur image», et la nostalgie d'un temps perdu dans un exil intérieur à la proustienne. Ce texte est le récit d'un homme qui disparaît sur le chemin douloureux du retour au pays natal. A vrai dire, c'en est aussi le récit d'un non retour, d'un retour impossible, qui s'étale sur 216 pages subdivisées en trois parties, avec pour chacune, une précision chronologique : la première s'intitule « Le retour » en automne 1991. La seconde « L'amour l'écriture » un mois plus tard. La troisième « La disparition » septembre 1993.

Rompre l'exil, retrouver son pays et sa langue : un territoire, une langue, un amour. C'est sur ces axes d'ancrage que l'identité d'un homme se construit et se reconstruit tout au long du récit : « [ ...] j 'ai la sensation d'être venu jusqu-là pour déposer ces deux décennies d'exil»6. Le roman en forme de journal traversé par quelques correspondances au style poétique raconte l'histoire d'un homme de retour au bercail après vingt ans d'exil en France. Un homme dont la jeunesse est placée sous le signe de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Toutefois, les méandres de la narration s'ouvrent sur un présent relatif aux turbulences intégristes et sanguinaires de l'Algérie des années 1990. Il raconte le retour de Berkane au pays à l'automne 1991, suite à une rupture amoureuse avec Marise, une jeune comédienne française avec laquelle il vivait en France.

Accablé par les retrouvailles irrémédiablement fissurées d'une Algérie en proie à l'agitation et à une tragédie de sang, Berkane écrit par désarroi et nostalgie des lettres à Marise qu'il n'envoie pas, comme d'une volonté de s'empêcher de retourner en arrière. Cependant, il est rendu grâce par Nadjia, l'autre femme, à ses souvenirs d'une enfance folle dans la Casbah bruyante et gaie des années 50. Berkane retrouve l'apaisement contre le flanc de celle-ci, une jeune femme se balançant entre les deux cultures, exilée de passage comme lui. Pris dans l'entre-deux des territoires, et déchiré par un seul l'amour, mais celui de deux femmes, de deux langues, Berkane s'interroge : quelle langue parler, l'arabe ou le français ? Une entreprise de réconciliation s'amorce tout au long du récit. Toutefois, la « con-fusion », le drame linguistique et le silence banni s'écrivent dans une « bilangue » transportée par les phrases chaudes dont ont accouché, d'une part ce devoir de mémoire, et d'autre part cette réalité nécessaire : « serais-je rentré pour rester, comme autrefois, à regarder : regarder et me déchirer »7. Enfin, le récit dépeint aussi une jeunesse algérienne hantée par la tragédie et les images de sang lorsque Berkane disparaît laissant derrière lui un journal écrit en français, récit de son adolescence.

La Disparition de la langue française titre du roman, se présente en une phrase déclarative à composante nominale. La majuscule pour «Disparition» nous indique qu'il s'agit là d'un élément central du titre. A cette mise en valeur s'ajoute celle de la préposition «La» qui la précède. Nous pouvons dès lors, dire que le mot «Disparition» fonctionne en prédicat nominal, choisi par l'auteur comme noyau de la signification du titre. En second lieu, suite à la lecture du texte, le titre présente deux fonctions principales : une fonction référentielle et une fonction poétique. La première consiste en ce que le titre nous offre une information, (La disparition de la langue française).Un fait fâcheux d'autant plus que la langue française est plus qu'une langue «autre» en Algérie. Une partie irréductible de la culture et de l'histoire algériennes. Il s'agit là d'un cri de détresse, un «SOS» pour empêcher un désastre et témoigner d'une déchéance. Une véritable expression de désarroi pour un Berkane qui quitte la France/Marise/ et la langue française, pour retrouver une Algérie dans le sang, une casbah sous les décombres, et enfin, une langue arabe en effervescence. Du coup, nous assistons avec le retour de Berkane au bercail à la disparition d'un espace d'expression, d'une liberté et d'une harmonie.

La fonction poétique, quant à elle, s'incarne en cette soif et cette curiosité que déclanche la lecture de ce titre, en l'occurrence chez un public (assoiffé) et impatient d'attendre, tout ce qui dans cette langue s'écrit, et dont le titre annonce même la disparition. Encore, cette disparition serait atteinte à une identité, à une mémoire.

Par ailleurs, entre les deux fonctions précédentes, le titre nous présente une troisième fonction. Fonction-rupture «d'écart» par rapport aux titres précédents de l'auteure, car le drame linguistique comme thème dominant dans son oeuvre, semble déboucher sur une disparition dans ce dernier roman. Par-delà ces fonctions de surface, le titre peut également se lire comme un élément du texte qui l'anticipe, ou encore, comme une métaphore ou un équivalent symbolique de celui-ci. Tel que nous informe la quatrième de couverture, le texte de «La Disparition» charrie une interrogation qui nous accompagne jusqu'à sa fin : Comment Berkane retrouve-t-il un

6 - DJEBAR Assia, La Disparition de la langue française. Paris, Albin Michel, 2003, p.20.

7 - Ibid, P. 180.

pays, une langue, un amour ? Sur ces trois points d'ancrage, traversés par une mémoire en fragments d'un être en quête de soi, la construction ou la reconstruction de l'identité d'un homme est possible. Cette disparition laisse transparaître une quête d'un espace dans cette langue, mais aussi celle d'une langue dans cet espace.

Enfin, entre les décombres et la terreur d'une Algérie au bord de la guerre civile, Berkane assiste et témoigne de cette disparition tout au long du récit. D'abord celle de Marise, ensuite celle de Nadjia, enfin l'illusion de retrouver ce paradis perdu d'une enfance vécue au rythme d'un temps non retrouvé. En somme, le tout disparaît quand sur le chemin de la mémoire la douleur renaît de plus bel.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon