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Assia Djebar ou l'ancrage dans l'entre-deux: l'ici et tout l'ailleurs ou l'impossible retour dans "la disparition de la langue française " (2003 )

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par Arézki Bellalem
Université A Mira de Béjaia Algérie - Magister 0000
  

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La langue comme lieu érotique

Dans La Disparition..., la langue devient un lieu érotique : dans sa première lettre à Marise, Berkane, en plus de la nostalgie qu'il exprime en l'absence de celle-ci, nous parle de leur passion qui, jusque dans les conversations créait l'érotique linguistique. Encore, au-delà de son désir d'elle, c'est son dialecte à lui qui désirait le sien. Dans cette première partie du roman, c'est l'arabe de Berkane qui désirait la langue française de Marise, ce qui fait que cet érotisme des langues, exprime l'attachement de Soi à l'Autre. D'abord, le nom de Marise, se voit altéré dans sa prononciation par l'accent tendre de Berkane ce qui lui donnait une certaine résonance du dialecte maternel de celui-ci (Marlyse).

Ton pseudonyme pour le public (mar-ly-se !), qui devenait sur mes lèvres, le (chérie) que je ne sais pas

prononcer spontanément, à la place, fusaient, deux, trois vocables arabes de mon enfance, étrangement ceux de
l'amitié, presque de la consanguinité, qui, s'accouplant à ton nom de théâtre, exprimait mon attendrissement [...] 14.

Cependant, cette tentative de fusion échoue du fait de l'impossibilité de communiquer l'amour dans l'altérité des deux dialectes : « Les mots de notre intimité, et leurs sons dispersés, tu les entendait comme une musique seulement »15. Ici encore, l'adverbe « seulement » exprime la non totalité de la communication et son interruption. D'où cet attristement que Berkane évoque plus loin : « Te souviens-tu qu'il m'arrivait de m'attrister que tu ne puisses, à l'instant où nos sens s'embrassaient, me parler en ma première langue [...] »16. Ainsi, plus loin que l'érotique des deux langues, celui de Berkane prend un élan sauvage avec une rage vorace « aspirant à avaler celui de Marise ». L'amour et le désir deviennent dans l'incommunicable, agression de l'Autre, de sa langue. De ce fait, l'incommunicabilité de l'amour à l'Autre devient visible, d'abord dans le dialogue verbal, ensuite dans l'écriture, puisque Berkane n'envoie pas les lettres à Marise.

Dans toute la première partie du roman, l'érotique langagier investit le texte dans les deux lettres de Berkane, sous couvert de la nostalgie et du regret de l'Autre. Il crée au-delà de cette nostalgie ce que Marc Gontard appelle : « espace fusionnel de la passion »17. Mais cette fusion, s'est-elle opérée ? En effet, l'échec de la fusion explique en partie le retour de Berkane, néanmoins, ce rapport entre Soi et l'Autre devient « con-fusion ». A la fois amour, bonheur mais aussi, affrontement des deux corps, (amour et désamour) des deux dialectes. Ces derniers deviennent, dans les souvenirs et l'écriture au présent de Berkane, les « ennemis intimes ».

Par ailleurs, dans la seconde partie du roman, nous assistons à une autre scène érotique, où les deux dialectes légèrement différents, celui de Berkane et de Nadjia, investissent le dialogue dans l'amour. Dans cette partie, après avoir rencontré Nadjia et après une nuit d'amour, Berkane écarte le souvenir de Marise (la Française), jusque dans l'écriture, car cette fois, il décide d'écrire pour lui : « Ecrire enfin, mais pour moi seul ! »18. Ainsi, avoir retrouvé Nadjia symbolise les retrouvailles du dialecte maternel pour Berkane : « les mots arabes et les soupirs de Nadjia la veille effacèrent le reste »19. A cette rencontre et dans l'amour, la langue française semble céder au dialecte maternel l'arabe. Désormais, les mots arabes et les râles de Nadjia, sont comme des caresses chargées d'amour et de douceur pour Berkane.

[...] je reviens aussitôt ! Avait-elle promis, en français cette fois- elle m'a tendu ses lèvres dans le vestibule, elle s'est collée contre moi, debout à moitié habillée ou avant de se rhabiller tout à fait, elle a promis, doucement, en mots arabes presque de caresses (ya habibi) ! [...]

Ainsi, Berkane écarte le souvenir et les lettres non envoyées pour Marise afin de reprendre l'écriture. La langue française dont il écrit, cette fois-ci, est altérée par la voix et les râles de Nadjia, d'où l'interpénétration des deux langues, à savoir l'arabe et le français. Dès lors, l'écriture devient l'espace même où se déploie l'érotique et la fusion/confusion des deux langues. Plus loin, dans les scènes d'amour charnel presque sauvage, la tentative de fusion des corps/langues, se fait dans la torture, le mal, l'extase, la volupté ainsi que la volonté de s'entre pénétrer, de se tatouer, de se labourer, en somme, de fusionner avec l'Autre. Tant de mots et d'expressions qui, au-delà de l'érotique, traduisent une volonté de s'unir avec l'Autre pour réaliser enfin l'unité du « Je », comme

14- Ibid, p. 20-21.

15- Ibid, p. 21.

16- Ibid, p. 21.

17- GONTARD Marc, cité in, VON Erstellt, A la rencontre de l'Autre : L'écriture de l'altérité dans Les nuits de Strasbourg d'Assia Djebar, mémoire de master 2, réalisé en collaboration (Université Lumière - Lyon 2) et (Université Leipzig), dirigé par : Prof. Charles Bonn, Prof : Alfonso de Toro et Wolfgang Fink, 2005/2006.

18- DJEBAR Assia, op. cit, p. 103.

19- Ibid, p. 102.

en témoigne la narratrice : « de tels mots arabes ne sont pas de dureté, mais d'amour fléchissant, mais violent, appelant la complicité déchirante, brûlante »20

.

Enfin, dans le texte de La Disparition..., principalement dans la première partie, Djebar évoque la guerre fratricide entre l'Algérie et la France, mais celle-ci n'est que prétexte pour effectuer un ancrage dans la réalité de la guerre civile en Algérie durant les années noires. Ainsi, la disparition est doublement symbolique et significative, d'une part la disparition d'une époque prétexte pour écrire cet impossible retour à la terre natale, d'une enfance écoulée dans le vielle Alger (la Casbah), et d'autre part cette perte et meurtrissure de toute une liste d'écrivains et de journalistes francophones, auxquelles elle assiste amère, à l'image de Berkane qui disparaît.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry