WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Assia Djebar ou l'ancrage dans l'entre-deux: l'ici et tout l'ailleurs ou l'impossible retour dans "la disparition de la langue française " (2003 )

( Télécharger le fichier original )
par Arézki Bellalem
Université A Mira de Béjaia Algérie - Magister 0000
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

L'amour et l'écriture, entre Soi et l'Autre

Dans l'article précédent, nous avons parlé de l'espace dans le texte comme lieu d'interactions verbales, où les mots tendent à se caresser, à s'affronter, à prendre corps, et où des séries verbales s'opposent dans une mise en scène érotique, entre le dialecte maternel et la langue de l'Autre. Ecrivant en langue française, Berkane nous confie dans sa première lettre à Marise comme dans un journal intime, son attachement à celle-ci ainsi que la nostalgie de l'avoir perdue. Ecrire la perte pour retrouver son absence. Son attachement à Marise est aussi son attachement à la langue française dont il n'a pas perdu le ton, lui, de retour au pays. Cependant, dans la seconde partie du roman, Berkane entretient un journal dans l'illusion de saisir les moments passionnés et charnels avec Nadjia : « Je n'écris que pour entendre ta voix : ton accent, ta respiration, tes râles »21. Le temps d'un soliloque en écriture de l'amour, Berkane nous offre à lire un récit mettant en scène une tentative, dans l'amour, d'une fusion qui se faisait dans la confusion de leurs deux dialectes mais aussi de l'arabe et du français. Ce tumulte et confusion linguistiques, deviennent dans l'espace du texte, de véritables agents d'une scène érotique.

De fait, il s'agira dans ce titre d'aborder l'amour et l'écriture comme « espaces du texte », pour revenir à Henri Mitterrand qui, dans son ouvrage Le discours du roman, opère une distinction entre : « l'espace du texte » et « l'espace dans le texte ». D'abord l'espace de l'amour. Nous le retrouvons dans l'expression de l'attachement à Marise, dans les souvenirs de la Casbah et de la camaraderie à l'école française, ainsi que dans la nostalgie. L'amour devient un espace central entre Soi et l'Autre, l'espace qui les unit, qui les sépare, et parfois paradoxalement, espace de confusion mais qui demeure, malgré la séparation et ce retour douloureux au pays.

Par ailleurs, c'est grâce à l'amour et la chaleur de Nadjia que Berkane retrouve son enracinement, son dialecte, l'intimité du souvenir et les chemins tortueux d'autrefois. En somme, Soi.

Plus loin, des lettres pour Marise, des écrits sur Nadjia (stances pour Nadjia), l'espace de l'amour s'étend d'avantage pour constituer le lieu propice, choisi par Djebar, où la rencontre de Soi et de l'Autre, est possible. Nous remarquons ainsi que cet espace est créé par l'écriture, la seule activité qui permet à Berkane de fuir la solitude et de retrouver l'absence et caresser cette perte de Nadjia. Par conséquent, écrire l'amour de l'Autre, c'est aussi tenter de retrouver le bonheur à la Casbah des années 50, de retrouver l'harmonie des deux langues, en somme la place de l'Autre en Soi. Berkane se sert de l'écriture pour tenter, dans une certaine réminiscence et plongée rétrospectives, de retrouver cette complicité perdue et de compenser par là, un vide laissé par Marise et tout l'Ailleurs. Ici, l'illusion dans l'écriture est également création d'un tiers espace. A ce propos, Lucien Goldmann écrit : « on écrit des romans par compensation et pour assouvir au plan de l'imaginaire des frustrations de la vie réelle »22.

Dans la première partie divisée en trois sous parties titrées et datées, Berkane écrit deux lettres à Marise dans lesquelles il explique son retour de l'exil. Plus loin, il évoque les souvenirs de celle-ci, dans un attachement terrible mais également un regret et une nostalgie de l'avoir perdue. Une façon pour lui, dès son arrivé, de partir comme à la recherche d'un temps perdu, à la recherche de l'absence, de l'absente. Dans la seconde partie, Berkane reprend l'écriture d'un journal sur Nadjia comme pour l'empêcher de partir, et par là, se purger de la solitude et da la mélancolie. L'écriture devient ainsi une lutte contre la solitude. Dans ce sens, Maurice Blanchot écrit : « le recours au journal indique que celui qui écrit ne veut pas rompre avec le bonheur, la convenance [...] »23.

20- Ibid, p. 108-109.

21- Ibid, p. 127.

22- GOLDMANN Lucien, cité in, SIBLOT Paul, op. cit, p. 74.

23- BLANCHOT Maurice, L'espace littéraire. Paris : Gallimard, 1955, p. 25.

Force est de constater qu'Assia Djebar tente, dans La Disparition..., de donner corps au sentiment de la double appartenance et au flottement dans l'entre-deux des cultures, auteure algérienne de langue française qu'elle est. Elle transcrit donc, ce double amour paradoxal, dans la fiction pour échapper à la solitude et l'angoisse de vivre dans cet Ailleurs qu'elle situe nulle part, où plutôt, dans le tiers exclu de la fiction. Pour ce, M. Blanchot écrit : « Le journal - ce livre appartenant tout à fait au solitaire - est souvent écrit par peur et angoisse de la solitude qui arrive à l'écrivain [...] »24. Pour situer ce nulle part, Djebar cite en intertexte, des propos de Mathilde dans Le Retour au désert de Bernard Marie Koltès : « En Algérie, je suis une étrangère et je rêve de la France ; en France, je suis encore plus étrangère et je rêve d'Alger. Est-ce que la patrie, c'est l'endroit où l'on n'est pas ? [...] »25. Nous assistons sous la plume de Djebar, à la naissance de l'espace de l'écriture, un espace où les rencontres : de Soi et de l'Autre, de la langue maternelle et de la langue française, du Je avec le Nous, de l'histoire et de la réalité, sont possibles. Dans l'illusion qui génère cette prolifération des fictions chez Djebar, l'utopie d'une réconciliation avec l'Autre, est à l'horizon du texte comme projet idéologique, pour une ouverture, qui demeure possible dans l'écriture, malgré le divorce, l'échec de l'amour et la disparition de Berkane. Ainsi, ce retour n'est-il pas l'illusion, pour Djebar, d'un retour douloureux, voire impossible au pays natal ? L'illusion de Djebar est, ici, vouloir dépasser son être pour accoucher d'un personnage qui serait dans l'écriture, ce qu'elle ne peut être dans la réalité. A ce propos, Jean-Paul Sartre écrit : l'homme n'est pas ce qu'il est, il est ce qu'il n'est pas26 . De fait, Djebar tente une transcendance, dans l'entreprise romanesque, par l'illusion d'un retour tragique qui finit par la disparition de Berkane. Dans cette suite, Blanchot écrit :

Nous n'écrivons pas selon ce que nous sommes ; nous sommes selon ce que nous écrivons. Mais d'où vient ce qui est écrit ? De nous encore ? D'une possibilité de nous-mêmes qui se découvrirait et s'affirmerait par le seul travail littéraire ? Tout travail nous transforme, toute action, accomplie par nous, est action sur nous : l'acte qui consiste à faire un livre nous modifierait-il plus profondément ? 27

Enfin, dans cette fiction, Djebar exprime à l'instar de toute son oeuvre, son déchirement entre les deux langues, les deux cultures, qui ne sont en dernier ressort, que composantes irréductibles de Soi. Ainsi, l'Autre n'est-il qu'une partie, encore une fois, irréductible de Soi ?

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus