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John rawls et la question de la justice: une lecture de theorie de la justice

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par Israel Jacob Barouk MEKOUL
Université de Yaoundé I Ecole normale superieure de Yaoundé - DIPES II 2014
  

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CHAPITRE IV : LA LIMITATION DE CERTAINS DROITS ET LIBERTES

Limiter des droits et des libertés, c'est pondérer leur revendication et leur exercice. De nombreuses libertés sont limitées du fait de leur caractère critique. Et, c'est à l'Etat qu'il revient d'organiser l'exercice des droits et libertés. Thomas More le relevait déjà: « la solution ou la perte d'un empire dépend des moeurs de ceux qui en ont l'administration. »139. L'avocat et homme politique anglais voudrait montrer à quel point le destin d'un pays appartient à ceux qui le gouvernent. Les gouvernants doivent veiller à ce que, les lois qu'ils prennent puissent construire un Etat honorable.

C'est donc l'Etat qui est au centre de l'octroi et de la garantie des droits et libertés.

Face à leur souveraineté et à l'exigence de garantie des droits et libertés, un Etat peut-il octroyer des libertés contraires à son histoire et aux aspirations de son peuple ? Un Etat peut-il octroyer tout droit ou toute liberté, pour satisfaire la communauté internationale et entrer en contradiction avec ses propres aspirations internes ?

Rawls, en légitimant toute forme de liberté ne risque-t-il pas de nous plonger dans une société liberticide ?

Pour répondre à ces questions, nous porterons notre réflexion sur l'application de certains droits humains et la difficile adéquation entre liberté et équité dans le champ social.

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139 Thomas More, L'Utopie, traduction française 1842 par Victor Stouvenel, p. 65

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1. : LES PREROGATIVES DE L'ETAT DANS L'OCTROI ET LA
GARANTIE DES DROITS ET LIBERTES

Les Etats sont tenus juridiquement. Cette phrase voudrait dire que, lorsqu'un Etat a signé des conventions, il est tenu, à ce titre, de respecter ses engagements internationaux. Seulement, ces engagements, qui recouvrent ici le domaine des droits humains butent parfois sur les aspirations même de l'Etat souverain. La conséquence en est que, l'Etat se trouve dans l'embarras : soit, il respecte ses engagements internationaux et s'attend aux soulèvements populaires, soit alors, il écoute le peuple, sachant qu'il sera critiqué par les institutions internationales.

Le domaine des droits et libertés est particulièrement exposé à ce genre de dilemme.

C'est pourquoi, nous allons d'une part examiner la place de l'Etat dans l'octroi et la garantie des droits et libertés, et analyser une liberté comme celle du libre choix du conjoint et de l'orientation sexuelle, d'autre part.

1.1. : L'ETAT ET LE MONOPOLE DE L'OCTROI ET DE LA GARANTIE DES
DROITS ET LIBERTES

Il y a un lien utile entre les individus et les droits et « Les Etats ne seraient rien d'autres que des ministres de la cause des droits de l'homme recherchant dans l'exécution de leurs missions, que leurs populations puissent effectivement jouir de leurs droits. »140

En ce sens, l'Etat garantit les droits et libertés. Cette garantie des droits et libertés par l'appareil étatique est redevable au caractère originaire et supérieur de l'Etat vis-à-vis de l'individu. En effet, selon Hegel, l'Etat « en tant que réalité de la volonté substantielle, réalité qu'il possède dans la conscience particulière élevée à son universalité, est le raisonnable en soi et pour-soi. »141

140 Crescence Nga Beyeme, Droit et éthique des droits de l'homme, Revue Africaine des Sciences Juridiques, vol.8, N 2, 2011, (p. 100).

141 Hegel, Principes de la philosophie du droit, Idées Gallimard, 1940, p. 270, § 258.

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Bien plus,

« L'Etat est la réalité de l'Idée morale (Sittliche Idee), l'esprit moral en tant que volonté révélée, claire à elle-même, substantielle, qui se pense et sait qui exécute ce qu'elle sait en tant qu'elle le sait(...) il a son existence médiatisée dans la conscience-de-soi de l'individu, dans le savoir et dans l'activité de celui-ci, et l'individu, par la conviction (Gesinnung), possède sa liberté substantielle en lui, qui est son essence, but et produit de son activité. »142

Ces deux assertions montrent que l'idée morale et la liberté ne se révèlent dans leur rationalité qu'à l'intérieur de l'Etat. L'Etat apparait à la fin comme la seule entité apte à poursuivre des objectifs à la fois universels et conscients. C'est ce qui justifie la dissolution de l'individu/particulier dans l'Etat/général. Eric Weil confirme : « L'Etat est la raison réalisée ; en tant que raison réalisée, il est la liberté au-dessus de laquelle aucune liberté concrète n'est pensable ; il n'y a que l'opinion, le désir individuel, les platitudes de l'entendement... »143

Chez Hegel, la liberté individuelle relève de l'arbitraire si elle ne pose pas au-dessus d'elle l'objectivité et la validité de la loi, étant entendue que la véritable liberté relève de l'Etat. Car, même si l'Etat se présente sous la forme d'une création extérieure à l'homme, comme une nécessité et une force supérieures, sa valeur et sa pertinence résident singulièrement dans sa finalité universaliste. C'est donc dans l'Etat que les individus se réalisent ; et, ces individus, loin d'être des simples objets face à une volonté extérieure et immaîtrisable, y voient plutôt la Raison objectivée, c'est-à-dire le couronnement de leur organisation et de leur épanouissement. C'est en ce sens qu'Eric Weil souligne : « L'Etat moderne n'est pas une organisation qui enferme les citoyens, il est leur organisation. »144

Dans un Etat, les individus se posent souvent des questions « Que suis-je libre de faire ou d'être ?», et : « Par qui suis-je gouverné ? », ou encore : « Qui est habilité à dire ce que je dois À ou ne dois pas À être ou faire ? »

Ces questions mettent en jeu deux conceptions de la liberté et leur rapport avec la démocratie. C'est à Isaiah Berlin145 que nous devons les conceptions de liberté négative et

142 Hegel, op. cit. p. 270, § 257.

143 Eric Weil, Hegel et l'Etat, Vrin, 1985, p. 46.

144 Eric Weil, op. cit. p, 59.

145 Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, Calmann-Lévy, 1988, in http://www.contrepoints.org/2013/12/11/149440-deux-conceptions-de-la-liberte-par-isaiah-berlin.

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positive. Par liberté négative, il entend, la jouissance totale de ses libertés à la limite des règles générales. Et par liberté positive, la restriction des libertés jusqu'à ce qui est permis. La convocation de ces deux formes de libertés permet de comprendre le rapport que cette notion de liberté entretient avec l'Etat. Au fait que, si d'une part, l'Etat garantit la liberté, elle peut en constituer un frein par ses restrictions.

Rawls, nous l'avons relevé lors de l'examen du principe d'égale liberté, est contre la privation des libertés par les institutions de base. Lorsqu'une liberté est en cause, soit parce que sa revendication n'est pas suivie par les gouvernants, soit alors parce qu'elle est restreinte, Rawls ne remet pas en cause cette liberté à problème. Ce sont les délibérations des partenaires qu'il faut réexaminer. L'exigence de liberté est si forte qu'il préfère remettre en question, les conclusions contractuelles de la position originelle, au lieu d'amender la liberté querelleuse. Il note à la page 252 de Théorie de la justice : « En effet, quand l'atteinte à la liberté est justifiée par l'appel à l'ordre public tel que le sens commun le reconnaît, il est toujours possible d'insister sur le fait que les limites n'ont pas été tracées correctement, que l'expérience en fait ne justifie pas cette restriction. »

Pour Rawls, quand bien même une liberté serait contraire à l'ordre public, celle-ci ne saurait être interdite. En effet, refuser un droit à un individu, parce que ce droit n'est pas consacré par un texte, risquerait de nous plonger dans des formes de « totalitarisme » et surtout dans l'utilitarisme, qui, au nom du bien-être du groupe, sacrifie les valeurs morales. Ainsi compris, les droits sont égaux ; parce qu'ils sont « premiers », ils ne doivent pas être limités au nom d'une quelconque prise en compte de l'Etat.

Un tel argument qui invalide la prépondérance de l'Etat a des conséquences au niveau même du pouvoir représentatif. Car, lorsque le législateur, représentant du peuple, refuse de consacrer un droit, c'est toujours au nom de ce peuple qu'il le fait, en vertu du pouvoir qu'il a reçu du peuple souverain. Ce qu'on ne comprend pas chez Rawls, c'est le refus qu'il oppose à la compétence législative ? Peut-on reconnaitre la compétence législative en certaines matières et non pas en d'autres ? Dans le cas du Cameroun, l'article 26 de la Constitution, énumère les domaines de compétences du législateur. Les droits et libertés appartiennent justement à la compétence législative, qui les consacrent ou non au nom de l'intérêt de la Nation.

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Ce qu'il faut finalement comprendre, c'est le contexte de Rawls, contexte américain. Le constituant américain a consacré toutes les libertés : civiles ou politiques. D'ailleurs, le Premier Amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique fait partie des dix amendements ratifiés en 1791 et connus collectivement comme la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Il interdit au Congrès des États-Unis d'adopter des lois limitant la liberté de religion et d'expression, la liberté de la presse ou le droit à s'« assembler pacifiquement ». Le texte du premier amendement est le suivant:

«Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances.»

« Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion, (aucune loi) qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis (sans risque de punition ou de représailles) »

Même si Rawls traite des droits et libertés dans l'esprit américain, ceux-ci ne sont revendiqués que parce qu'ils sont octroyés par le constituant américain. C'est l'Etat américain qui octroie les droits. C'est le pouvoir politique qui octroie et garantit les libertés. Une liberté n'a de sens que parce qu'elle est autorisée par les gouvernants. Ainsi, si un constituant invalide certaines libertés, au nom de sa souveraineté, cette invalidation ne saurait être considérée comme arbitraire. Elle n'est qu'en phase avec la loi ou le droit en vigueur.

D'ailleurs, puisque l'individu dans un Etat est considéré comme un citoyen, cela ne voudrait pas dire que cet individu est soumis de façon béate et aveugle à l'Etat ; il faut plutôt que, le droit, la loi et la justice, s'ils représentent véritablement les aspirations du groupe, et s'ils sont conformes à la raison, soient identiques aux volontés particulières. De ce fait, les intérêts des citoyens sont également les voeux de l'Etat. L'Etat incarne dans cette optique la « puissance de la réconciliation » de l'individu avec la raison. C'est pourquoi chez Hegel, être membre de l'Etat n'est pas facultatif. Car, c'est dans l'Etat que l'individu réalise son unique possibilité de se réaliser librement, objectivement et authentiquement.

Un individu qui réclame des droits qui ne cadrent pas avec ceux de l'Etat est en marge de celui-ci. De même, réclamer des libertés qui ne sont pas consacrés par l'Etat risquerait

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d'être liberticide. Ainsi, tuer la liberté, c'est vouloir à tout prix qu'une liberté qui n'est pas consacrée, qui est contraire aux aspirations d'un groupe puisse être reconnu dans ce groupe, sans se soucier des implications que cela pourrait avoir. Il s'en suit que si l'Etat est la réalisation, voire l'incarnation de l'Esprit absolu, il faut se référer aux lois qui le régissent pour réaliser sa propre liberté. Si l'Etat tire son essence de la loi, et si cette dernière est raisonnable par nature, tout être de raison devrait y déceler sa propre volonté raisonnable.

Cette primauté de l'Etat dans l'octroi et la garantie des droits et libertés intéresse la pratique de la liberté de choix du conjoint et la libre orientation sexuelle.

1.2. : CAS PRATIQUE DU DROIT AU LIBRE CHOIX DU CONJOINT ET DE
L'ORIENTATION SEXUELLE

La Constitution, en tant que norme suprême dans la hiérarchie des normes internes d'un Etat est le fruit de l'histoire d'un peuple et de son adhésion à des conventions internationales. En tant que fruit de l'histoire d'un peuple, elle est toujours l'émanation de ce peuple et tient compte de la diversité de ce peuple. Même si cet Etat est lié par les conventions internationales, il peut les apprécier selon le contexte pour voir comment les droits et libertés peuvent s'accommoder avec sa réalité. C'est l'obligation de prendre en compte les réalités sociologiques qui est suggéré à ce niveau. Prendre en compte les réalités sociologiques dans la détermination des droits et libertés est un impératif catégorique pour un Etat. Les droits et les libertés s'exercent dans un contexte. Ledit contexte, c'est la prise en compte de l'ordre public, qui peut être interne ou international.

Le domaine de l'ordre public interne, est protéiforme146. Il a été impossible jusqu'ici de donner aux mots d'ordre public une définition uniforme147 puisque cette définition de l'ordre public est un faux problème148. Néanmoins, une certitude semble précéder les incertitudes : l'ordre public est d'essence étatique, aussi bien dans l'idée d'ordre que dans l'idée de publicité149.

146 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°12. p. 3., cité in Ordre Public et Arbitrage International en Droit du Commerce International par Rathvisal THARA, Université Lumière Lyon 2 - Master 1, Droit des activités de l'entreprise 2005

147 Henri MOTULSKY, Etudes et notes sur l'arbitrage, Dalloz, 1974. p. 64.

148 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l'épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 263.

149 Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 8.

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La prohibition d'une pratique peut devenir une atteinte à l'ordre public au regard des émotions et des soulèvements de foule qui suivraient si cette pratique était dépénalisée. Ronald Dworkin, réfléchissant sur une pratique comme celle de l'homosexualité aux Etats-Unis avait souligné que, lorsqu'une pratique ne nuit pas à l'ordre public, il ne faut pas la prohiber.

Et, parmi les libertés qui intéressent le domaine de l'ordre public, il y a la liberté du choix de l'orientation sexuelle : le cas de l'homosexualité.

L'homosexualité150, c'est une relation amoureuse entre deux personnes du même sexe. C'est le psychiatre hongrois Kertbeny qui le premier fait usage de ce mot à côté du mot hétérosexualité. Pour Freud, l'attirance entre personnes du même sexe devient une maladie ; elle est la conséquence d'un échec dans le développement de sa sexualité ; c'est pourquoi, elle est assimilée à une pathologie, une perversion qui s'oppose à l'état normal.

La pratique de l'homosexualité, réclamée par certains en signe de liberté, est condamnée par les dispositions légales ou socioculturelles au Cameroun.

La disposition la plus importante est d'ordre pénal : dans le Code Pénal camerounais, l'homosexualité est régie par les dispositions de l'article 347 bis qui dispose que : « est puni d'un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d'une amende de vingt (20) mille à deux cents (200 000) mille Francs CFA, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ».

Si on revient sur la disposition pénale 347 bis, ne fait-elle pas l'objet d'une application particulière ? La loi réprime, mais la pratique tolère ! Cette tolérance a pour principale conséquence, la souplesse au niveau de l'application des textes, devant les tribunaux, où les homosexuels sont de moins en moins condamnés « On peut même noter une relative souplesse dans la gestion judiciaire de cette infraction. De mémoire en effet, nous n'avons retrouvé aucune trace jurisprudentielle, faisant état d'une condamnation pour un délit d'homosexualité à la peine maximale prévue dans le code pénal, ou le cas échéant, celle

150 Le drapeau arc-en-ciel. Le drapeau arc-en-ciel, "rainbow flag", symbole de la communauté homosexuelle, a été créé en 1978 par l'artiste G. Baker qui s'est inspiré du mouvement hippie et du drapeau utilisé pour la cause des Noirs aux Etats-Unis.

Ce symbole de fierté gaie et lesbienne représente la diversité et le multiculturalisme de la communauté. S'il contenait au départ 8 bandes de couleurs, deux ont été supprimées pour des questions d'imprimerie. Les 6 restantes symbolisent chacune un élément: rouge: la vie ; orange: le réconfort, la santé ; jaune: le soleil ; vert: la nature ; bleu: l'art, l'harmonie ; violet: la spiritualité, l'esprit de communauté.

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d'une personne condamnée à cette peine maximale et ayant purgé l'intégralité de sa peine

»151

Par contre, le droit civil camerounais dans l'Ordonnance N° 81/02 du 29 juin 1981, dispose en son article 52, alinéa 2, 3 et 4 que le mariage ne peut être célébré :

« S'il n'a été procédé de la publication d'intention des époux de se marier Si les futurs époux sont du même sexe

Si les futurs époux n'y consentent pas. »

Dans la religion chrétienne et musulmane, cette pratique est décriée au profit d'une relation homme-femme. Dans la Bible, on peut lire : « Trois choses sont trop merveilleuses pour moi, et il en est quatre que je ne puis connaître : le chemin de l'aigle dans les cieux, le chemin du serpent sur le rocher, le chemin d'un navire au coeur de la mer, et le chemin de l'homme vers la jeune fille »152

« C'est pour cela que l'homme laissera son père et sa mère et sera joint à sa femme ; et les deux seront une seule chair »153

Ces orientations socioculturelle et légale justifient la prohibition de la liberté de choix du conjoint, qui voudrait que, au nom de cette liberté et du respect des droits humains, des personnes physiques fassent des choix de conjoint de même sexe alors que les lois donnent des orientations précises quant au choix du genre à faire. En effet, en vertu de la liberté de choix, qui rejoint les autres principes des droits de l'homme, aucune barrière ni religieuse, ni ethnique, ni raciale ne devrait contraindre telle ou telle personne à prendre pour époux ou épouse tel conjoint.

L'opposition de la législation camerounaise à la pratique de l'homosexualité ne vise pas seulement à satisfaire une grande portion de la population camerounaise qui est contraire à cette pratique, c'est parce que fondamentalement, elle n'intègre pas ses aspirations et son histoire. Cette liberté de choix du conjoint s'oppose d'ailleurs à un excès de liberté, de volonté

151 Issa Tchiroma Bakary, Ministre Camerounais de la Communication du gouvernement Yang Philémon II, devant la presse nationale et internationale, le jeudi 23 janvier 2014 à Yaoundé.

152 Proverbes 30:18-19.

153 Éphésiens 5:31

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de l'individu154 et au droit de la famille. La famille étant considérée comme l'union d'un homme et d'une femme avec des enfants. C'est dire que, s'il faut valider la limitation d'une liberté uniquement « au nom d'une autre liberté, c'est-à-dire seulement pour garantir la même liberté de base » comme le note John Rawls à la page 239 de Théorie de la justice, il y a risque que les Etats n'aient plus de repères sur lesquels ils fondent leur souveraineté. Et c'est là le danger d'une assimilation qui risquerait de faire perdre à un Etat son identité et sa fierté. De plus, il faut tenir compte de certaines spécificités dues à l'histoire, à la culture et aux choix politiques d'un peuple dans la mesure où ceux-ci sont son fait libre: « Cette position de notre droit positif reprend son compte les prédispositions socio-culturelles de nos populations au rejet de ces pratiques. Il est en effet avéré que nulle part au monde, l'édiction du droit ne saurait être désincarnée. Pour demeurer légitime, le droit doit nécessairement s'insérer dans un contexte, où parce qu'il est accepté, se donne lui-même la garantie de son application. Par ailleurs, au même titre que la loi, la doctrine et la jurisprudence, la coutume constitue l'une des sources indéniables du droit. Au nombre des prédispositions socio-culturelles qui sous-tendent les processus de socialisation des individus et leur raison d'être au sein des communautés, il y a la spiritualité, dont la religion constitue le cadre d'inspiration et d'expression.

Dans notre pays, où l'on estime à plus de 90% la proportion des populations appartenant à l'un ou l'autre des grands groupes religieux que sont le christianisme et l'islam, aucun de ces groupes religieux ne reconnaît l'homosexualité. Bien au contraire, leurs histoires respectives décrivent des moments de répulsion parfois violente de ces pratiques. De plus, il est établi que notre Constitution, c'est-à-dire, la norme fondamentale, protège et encourage la famille, qu'elle considère comme «la base naturelle de la société humaine». Or, en son sens le plus strict, aucune famille- cette famille qui elle-même représente la cellule fondatrice de l'État-, cette famille disais-je, ne saurait prétendre, ni à son existence ni à sa pérennité, donc à celle de l'État, en dehors de la complémentarité naturelle qu'incarne la dialectique affective et reproductrice du genre humain entre l'homme et la femme. Voilà donc pour le cadre juridique, son fondement socio-culturel et la perception sociale de la question de l'homosexualité au Cameroun. » 155

154 Le philosophe Thibaud Collin soulignait ceci, concernant le mariage pour tous : « L'Etat va-t-il se mettre au service de l'individu total ? Plus l'on fonde les liens sur la seule volonté, plus l'on crée des occasions de conflits irréductibles car manquant de critères autres que la volonté. »

155 Issa Tchiroma Bakary, Ministre Camerounais de la Communication du gouvernement Yang Philémon II, devant la presse nationale et internationale, le jeudi 23 janvier 2014 à Yaoundé.

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L'invocation que nous venons de faire au sujet de la pratique de l'homosexualité vise à montrer que, seul l'Etat est garant de la liberté à octroyer. Le problème des principes de la justice et leur application n'a pas toujours été facile du fait de la difficile harmonie entre les principes admis et les aspirations d'un peuple. Le risque étant toujours de vouloir appliquer les principes universels au mépris des coutumes locales. Cependant, en vertu de la souveraineté interne et extérieure des Etats, on aboutit à la recherche d'un « ordre accepté » qui satisfasse non seulement les conventions internationales, mais aussi les réalités sociologiques et singulières d'un peuple. En effet, l'ordre accepté n'est rien d'autre que la ligne médiane entre les principes et leur effectivité.

En fait, la démocratie ne pourrait pas germer sans prise en compte des réalités culturelles d'un peuple et son niveau de développement mental. Elle ne pourrait pas non plus germer tout en niant les fondements d'un peuple au risque de lui superposer des éléments extérieurs, sources de déstabilisation. Cette idée, était même déjà reprise par Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique I, Deuxième partie, Chapitre IX. Dans ce chapitre, la religion, les lois et les moeurs constituent des formes d'expression des hommes qui influent largement le sens de la démocratie chez les américains. Les moeurs étant plus utiles à la nation américaine que les lois, par ordre de priorité. Ainsi, comparant les Etats-Unis de l'époque à d'autres nations, Tocqueville a pu dire avec une franchise de fierté : « Mais ce fait n'est point particulier aux États-Unis; presque toutes les colonies d'Amérique ont été fondées par des hommes égaux entre eux ou qui le sont devenus en les habitant. Il n'y a pas une seule partie du Nouveau Monde où les Européens aient pu créer une aristocratie. Cependant les institutions démocratiques ne prospèrent qu'aux États-Unis. L'Union américaine n'a point d'ennemis à combattre. Elle est seule au milieu des déserts comme une île au sein de l'Océan.156 »

Pour ce qui est de l'importance des moeurs dans la stabilisation de la démocratie aux Etats-Unis, le penseur américain, poursuit : « Ce sont donc particulièrement les moeurs qui rendent les Américains des États-Unis, seuls entre tous les Américains, capables de supporter l'empire de la démocratie; et ce sont elles encore qui font que les diverses démocraties anglo-américaines sont plus ou moins réglées et prospères.157 »

On peut dès lors comprendre le rapport qui existe entre le degré d'organisation démocratique d'une société et son rapport avec la rationalité. Mais, il ne faut pas oublier

156 Alexis de Tocqueville, qui, dans De la démocratie en Amérique I, Deuxième partie, Chapitre IX, p. 150.

157 Idem, p. 153

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qu'une liberté qui nuirait à la stabilité d'une société ne saurait être permise au nom du respect des droits et libertés individuels. La grandeur des droits et libertés, c'est aussi leur capacité à s'adapter aux milieux où ils doivent s'appliquer. C'est aussi leur capacité à tenir compte de l'intérêt général, des rêves d'un peuple, des convictions d'un peuple et de ce qu'il a de plus cher. C'est pour cela que nous pensons qu'il faut atténuer ces affirmations de Daniel Mayer : « Tous les droits, sans exception, doivent être revendiqués par tous, les hommes sans exception, et tous les hommes, sans exception, doivent bénéficier de tous les droits sans exception. »158

Si la liberté est un principe sacré, sa sacralisation est le fait de l'Etat et sa revendication exige la prise en compte des exigences spirituelles, morales, culturelles et légales de l'environnement dans lequel, elle doit s'exercer.

158 Crescence Nga Beyeme, « Droit et éthique des droits de l'homme », Revue africaine des sciences juridiques, Université de Yaoundé II, Vol. 8, N° 2, 2011, p.100

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2. LA DIFFICILE ADEQUATION ENTRE LIBERTE ET EQUITE DANS LE

CHAMP SOCIAL

Par équité, a-t-on entendu, la procédure de délibération qui conduit au choix des principes de justice. La liberté, quant à elle, c'est le fait d'agir, sans contrainte interne et externe, tout en respectant la liberté des autres. Ces deux concepts qui déterminent la position des partenaires dans la philosophie politique rawlsienne sont antinomiques socialement. Pour mieux comprendre cette opposition, nous devons analyser en quoi il est difficile d'appliquer l'équité dans le champ social et la critique de la conception rawlsienne du sens de la justice.

2.1. : LA DIFICILE APPLICATION DE L'EQUITE DANS LE CHAMP SOCIAL

L'équité rawlsienne est intéressante dans une situation où l'action sociale n'est pas encore possible. C'est elle qui devrait fonder les rapports des partenaires, une fois, engagés dans la vie civile. En effet, elle prépare, l'avènement d'un monde à venir, dans lequel, on appliquera tout ce qu'on a préparé et choisi.

Or, le champ social est le lieu de l'action humaine. L'équité dans le sens de la délibération ne concerne pas le champ social, parce que, dans le champ social, il s'agit de passer à l'application. Ainsi, les enjeux ne sont plus les mêmes. Celui qui vous a accordé sa volonté dans le « voile d'ignorance » n'agira plus spontanément, comme s'il ignorait ce qu'il désirait ou la position qu'il occuperait dans la société.

C'est pourquoi, dans la position originelle, c'est de la virtualité, et dans le champ social, c'est de la réalité. Ce qui est virtuel est encore en puissance ; et, rien ne présage ce qu'il adviendra. Par contre, ce qui est réel est en acte. Et c'est le lieu de vérification des décisions prises dans la situation virtuelle.

L'existence ne se présente pas comme un lieu paisible. C'est un espace de conflit où les individus se battent pour assurer leur survie. Dès lors, les valeurs morales sont posées en fonction des actions que les partenaires ont à poser.

L'idée de liberté suppose, « arrachement », « conflit ». La situation conflictuelle qui la caractérise est le témoignage de l'absence d'harmonie entre les partenaires qui veulent s'affirmer. La liberté se pose toujours en face de l'autre ; et le rapport entre les deux formes

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de liberté est marqué du sceau du désir d'affirmation de soi, de dépassement de soi, et de reniement des autres.

Quand on lit Rawls, on comprend que le but de la théorie de la justice comme équité n'est ni métaphysique ni épistémologique, mais pratique. Mais le caractère pratique reste très attaché aux comportements acquis dans la position originelle. Ces comportements s'attachent à l'affirmation de soi en passant par la délibération du groupe. Ce qui constitue un frein à l'expression de soi.

La première difficulté propre à toute conception politique de la justice qui utilise l'idée du contrat, qu'il soit social ou autre, est de trouver un point de vue à partir duquel puisse être atteint un accord équitable entre des personnes libres et égales. Or, un tel accord n'est plus certain d'être respecté dans la vie civile. On ne saurait évaluer un pic de coopération entre les individus, puisque les individus coopérèrent en fonction de leurs intérêts ou de leurs rapports tribaux.

Le second problème auquel Rawls se trouve confronté est la suivante : il est clair que la position originelle doit être traitée comme un procédé de présentation et, que, tout accord atteint par les partenaires doit être considéré comme à la fois hypothétique et non historique. Mais alors étant donné que les accords hypothétiques ne créent pas d'obligation, quelle est la signification de la position originelle ?

De ce fait, fonder les principes de la justice à partir d'une position où les uns et les autres ignoreraient ce qu'ils sont, ce qu'ils ont et ce qu'ils représentent reste et demeure efficace justement à l' « état de nature ». A l'état de société, cette équité disparait pour céder la place au calcul et au choix.

L'équité de la position originelle aurait bien fonctionné si les individus restaient des choses ou des objets sans vie, sans choix. Or, tel n'est pas le cas. Les individus ne sont pas des choses. Ils n'arrivent pas en société et se laissent faire. Ils orientent leur vie, veulent ce qui est bien pour eux et font des choix qui leur plaisent.

Par idée de raisonnable dont fait cas Rawls, on pourrait comprendre que les hommes feraient leurs choix parce qu'il leur est bénéfique de se mettre ensemble. Mais cette liberté qui entre dans le concept d'équité lui est opposé.

Dès lors, la liberté qu'ils avaient sous le « voile d'ignorance » de choisir tous une société heureuse pour eux, va encore s'appliquer à l'état social, où ils ne seront liés que par

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leur volonté et d'ailleurs, manifesteront cette liberté en la renvoyant dans la catégorie de choix ou de recherche de leur bien-être. Certes, ils ont choisi pour eux, une société juste ; mais, ce fut pour eux et non pour leurs semblables. Juxtaposer les choix des individus comme des « pions de damier » qu'on poserait sur la société pour les faire mouvoir parait irréel. La liberté justement de l'homme, aidée par sa raison hobbesienne de choix rationnels se révoltera et se choisira des amis ou des équipes qui cadrent avec ses intérêts. La vie en société est donc faite d'antagonismes, de calculs et d'intérêts. Il n'y a pas de garantie offerte par les partenaires pour respecter leurs accords. Et s'il n'y a pas de garantie, il est difficile de croire que les partenaires respecteront leurs délibérations. Puisque, les nouvelles relations qui vont naitre seront fondées sur des relations privilégiées et où tout un chacun saura non seulement la position qu'il occupe mais aussi la position de son partenaire.

L'équité et la liberté s'opposent ainsi car, en société, loin de l'idéal de les voir assemblés, il n'est pas possible que les individus maintiennent au nom de leurs libertés de choix, les choix qu'ils ont formulés avant, ou alors, même s'ils les maintenaient, ces choix pourraient être renversés et recorrigés en fonction de nouveaux rapports sociaux qui s'établissent entre des individus, des affinités, des goûts et surtout des orientations politiques.

Puisqu'il n'y a aucune contrainte sociale, nul n'est tenu de respecter sa parole donnée. La contrainte morale sur laquelle s'appuie Rawls joue un rôle marginal, car, elle valide l'idée de liberté, c'est-à-dire, l'idée de choix, d'option et dont aucun partenaire ne peut opposer un refus ou une réformation.

Ainsi, la liberté et l'équité sont en conflit socialement. Elles ne le seraient pas, si dans l'acte du choix libre, l'individu ne pouvait pas être influencé par son milieu et ses désirs. Or, le propre de l'individu, c'est d'opérer des choix mesurés qui satisfassent d'abord ses intérêts. Si les intérêts sous le « voile d'ignorance » sont maintenus, la liberté et l'équité seraient en adéquation. Au cas contraire, il y a distanciation.

Dans une telle situation, la philosophie politique de Rawls risque de buter sur les difficultés de ces prédécesseurs. Chez un penseur de la politique comme Rousseau, les accords passés par les partenaires sont rarement respectés du fait des contingences sociales : le pouvoir, les honneurs, les richesses. Ces contingences constituent des obstacles au respect des principes fixés sans contrainte externe.

Rawls, voudrait éviter l'influence manifeste de ces contingences dans la vie de ces partenaires, sous le « voile d'ignorance ». Mais on constate que cet évitement n'est pas

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possible. Les contingences font partie même de la réalité des individus. Elles déterminent largement les orientations et les préférences des partenaires. C'est pourquoi, au lieu de « choix rationnels » au départ, on se retrouve avec des chois raisonnables. Ce que choisissent les partenaires, ce ne sont plus des grandes idées, mais des idées pratiques, qui cadrent avec leur milieu et leur réception de la vie.

Indépendamment de cette dichotomie, il demeure que ces deux concepts jouent un rôle déterminant dans la consolidation des liens entre sujets rationnels, qui sont mus par le sens de la justice que nous devons maintenant examiner.

2.2. : LA CRITIQUE DE LA CONCEPTION RAWLSIENNE DU SENS DE LA

JUSTICE

Le sens de la justice, nous l'avons relevé « est le désir efficace d'appliquer les principes de la justice et d'agir selon eux, donc, selon le point de vue de la justice. »159

C'est parce que les individus sont animés de ce sens de la justice que Rawls espère qu'une fois, rentrés dans la vie sociale, indépendamment des contingences, ils respecteront les accords qu'ils ont passés. Ce sens de la justice, repose en fait sur la foi en l'homme. Sur sa perfectibilité.

En effet, la critique que Rawls a opéré à l'endroit des contractualistes reposait sur la critique des fondements moraux devant conduire les partenaires dans la vie civile. Pour lui, si c'est dans la société que les individus découvrent ce qu'ils choisiront, leurs choix ne seront qu'intéressés. Et la conséquence en est que la justice aurait du mal être appliquée.

Or, si les individus opèrent leurs choix dans une situation où personne ne sait encore ce qu'il sera ou recevra dans l'avenir, il est probable que chacun fasse un choix qui lui apporte satisfaction. De ce fait, transposé, ce choix serait continu et garantirait l'harmonie sociale et l'application de la justice.

Cette idée connait des limites. En effet, si l'on s'en tient à la théorie des jeux, il est rationnel pour les individus de se soumettre aux réquisits de la coopération sans recourir à la coercition. Ceux qui coopèrent sont assurés que les « défecteurs » ne les exploiteront pas sans s'exposer à des représailles. Dans certaines conditions (que le resquilleur puisse être identifié

159 John Rawls, Théorie de la justice, p. 608.

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et que la réputation qui lui est faite puisse être connue de tous), le problème du « free rider » peut être résolu de manière non coercitive : à l'évidence, les non-coopérateurs n'auront plus intérêt à exploiter car les autres refuseront de coopérer avec eux dès qu'il deviendra notoire que ce sont des tricheurs. Selon les termes de David Gauthier, mieux vaut être « maximisateur moral » (sans rompre les accords lorsque notre intérêt immédiat pourrait nous y enjoindre) que « maximisateur direct » (en suivant toujours notre intérêt à court terme)160.

Pour Freeman, l'argument ne vaut que dans de petits groupes où la réputation de chacun est connue161. Or Rawls raisonne à l'échelle de grandes sociétés. Sans coercition, comment être sûr de ne pas être dupe ? L'auteur de la Théorie de la justice précise que « dans une communauté nombreuse, on ne doit pas s'attendre à ce que la confiance mutuelle dans l'intégrité des uns et des autres ait un degré tel qu'elle rende inutile la coercition162 ». Pour autant, la coercition ne semble pas suffire à assurer la stabilité de la société : il faut des forces endogènes pour assurer l'équilibre du système, et donc une forme d'adhésion aux normes de justice.

Critiquant la Théorie de la justice, Michael Sandel s'interroge sur les lacunes de l'anthropologie libérale et sur les carences de sa conception de la personne : si Rawls soutient que les partenaires sont avant tout des citoyens, capables de faire passer au second plan leurs fins privées immédiates et soucieux de trouver le meilleur système de coopération, rien ne garantit que les principes de justice fassent partie de leur conception privée du bien ni, s'ils en font partie, qu'ils y aient une place prioritaire. Ainsi la conception du bien de la personne qui adopte le principe de différence ne doit-elle pas seulement être privée, mais publique : elle inclut l'idée de coopération sociale ; « le sujet humain n'est plus simplement un consommateur cherchant à maximiser sa propre satisfaction163».

Cependant, la difficulté est d'autant plus grande qu'il ne s'agit pas seulement de former le sens de la justice de telle sorte qu'il existe « normalement » parmi nos motivations (régulant nos désirs altruistes aussi bien qu'égoïstes) ; il s'agit de faire en sorte que le sens de la justice soit le régulateur suprême, et qu'il subordonne tous les désirs (y compris les désirs de second ordre, qui portent déjà sur des désirs d'objets pour les réguler). Il n'est pas évident, en ce sens, de demeurer dans le strict cadre des théories du choix rationnel »164.

160 D. Gauthier, Morale et contrat, chap. 6.

161 S. Freeman, Rawls, p. 247.

162 John Rawls, Théorie de la Justice, § 42, p. 309.

163 Voir M. Sandel, Le Libéralisme et les limites de la justice sociale, trad. J.-F. Spitz, Paris, Seuil, 1999, chap. 1.

164 « La Théorie de la justice est une partie, peut-être même la plus importante, de la théorie du choix rationnel » (TJ, p. 43).

Comme le relève S. Freeman, on attend du sens de la justice qu'il soit supérieur, par exemple, au sens de l'élégance et de la politesse ; or tel n'est pas le cas chez un esthète165. Il faut donc envisager une formation adéquate de cette vertu coopérative.

Ce qu'on voudrait relever ici, c'est que, les hommes sont mus par de divers élans qui prennent parfois le dessus sur la conception du sens de la justice. C'est ce qui rend difficile l'expérience d'une telle faculté. Elle est toujours variable. Même si, naturellement, le fait d'être mu par ces élans ne leur ôte pourtant pas, leur qualité humaine d'êtres libres, égaux et raisonnables. C'est un fait naturel qui se double d'une obligation morale : « Car, tout citoyen, quelle que soit sa nature, est obligé de donner, par ses discours et par sa conduite, l'exemple de la justice et de la piété. »166

Nous venons de relever, tout au long de cette deuxième partie, les réserves non exhaustives, émises en rapport avec la pensée rawlsienne. Ces réserves ont porté sur deux principes : celui des libertés de base et de l'égalité équitable des chances. Au-delà de ces réserves, du fait de l'évolution de la pensée et des contextes de réception de ces principes, il nous apparait dès lors intéressant d'examiner l'actualité de cette pensée rawlsienne.

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165 S. Freeman, Rawls, p. 273.

166 Ottabah Cugoano, Réflexions sur la traite et l'esclavage des nègres, éd. La Découverte, Paris, 2009, p. 82

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TROISIEME PARTIE :

L'ACTUALITE DE LA CONCEPTION
RAWLSIENNE DE LA JUSTICE

Pour Robert Nozick, toute la philosophie politique travaillera soit dans le système rawlsien, soit s'en écartera.

Relever une telle idée dans cette étude tient au fait que, Rawls a placé la justice au coeur des systèmes politiques. Elle est le miroir par lequel, les Etats et les groupes de société s'examinent et s'évaluent. A travers les principes de la justice présentés par John Rawls, il est question de re-considérer les choix publics.

C'est pourquoi, il serait d'abord intéressant d'examiner la règle de l'équilibre régional au Cameroun (Chapitre V), puis de relever la pertinence des principes rawlsiens de la justice (chapitre VI).

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CHAPITRE V: LA QUESTION DE L'EQUILIBRE REGIONAL La règle de l'équilibre régional rend-elle possible la justice sociale ?

La justice sociale chez Rawls repose sur la solidarité :

« Nous sommes alors conduits à l'idée que l'espèce humaine forme une communauté dont chaque membre bénéficie des qualités et de la personnalité de tous les autres, telles qu'elles sont rendues possible par des institutions libres ; tous reconnaissent que le bien de chacun est un élément d'un système sur lequel ils sont d'accord et qui leur apporte des satisfactions à tous. »167

Il ressort de cette citation que, c'est à travers les institutions légales et libres que les citoyens coopèrent entre eux et doivent leur bien-être. Ces institutions mettent en place des instruments ou des politiques.

Parmi ces politiques, il y a celle de l'équilibre régional qui est pratiquée au Cameroun.

L'équilibre régional, faut-il le rappeler, s'entend comme la répartition harmonieuse et bien réglée des places disponibles au sein de la fonction publique camerounaise. Il s'agit en effet de rétablir une certaine justice compensatrice entre les différentes composantes sociologiques camerounaises.168

Bien plus, l'équilibre régional consiste à assurer une répartition plus ou moins équilibrée entre les différentes régions et les groupes humains du pays. De ces définitions, il ressort que l'équilibre régional est un critère de sélection dans l'accès à la fonction publique ; ceci afin de réduire les inégalités et les disparités entre les régions sur le plan économique, social et culturel. Cet équilibre renferme d'autres critères dont : l'équité, la proportionnalité169.

167 John Rawls, Théorie de la justice, p. 567.

168 MATIGI (A.M), Le problème de l'Equilibre Régional au Cameroun à l'épreuve de la démocratie pluraliste,

Mémoire de DEA.

169 Ibid.

D'après le texte du 14 Août 1984 modifié et complété par la décision n°15, les quotas de places régionales sont répartis ainsi qu'il suit170 :

Région

Pourcentage

 

Région

Pourcentage

Centre

15%

 

Est

4%

Sud

5%

 

Ouest

13%

Extrême-Nord

8%

 

Littoral

12%

Nord

7%

 

Sud- Ouest

8%

Nord- Ouest

12%

 

Adamaoua

5%

Pour mieux cerner, cette règle de l'équilibre régional, nous allons nous attarder sur les origines et les fondements de cette règle; puis, nous examinerons ses sources légales.

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170 NLEP (R.G), « L'Administration publique camerounaise - contribution à l'étude des systèmes africains d'administration publique», Edition GONIDEC, 1986, P.159

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1 : LES ORIGINES ET LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE DE

L'EQUILIBRE REGIONAL

Quels sont les fondements de la politique de l'équilibre régional au Cameroun? La réponse à cette question exige l'examen des origines de l'équilibre régional et l'analyse des arguments en faveur de celle-ci.

1.1. : LES ORIGINES DE L'ÉQUILIBRE REGIONAL

C'est sous le règne du tout premier Président de la République, Ahmadou Ahidjo qu'est née la politique de l'équilibre régional. Elle voit le jour, avec au préalable une distinction des conditions d'études pour le "Grand Nord" (moins scolarisé) eu égard au "Grand Sud1' (plus scolarisé). Par la suite, la politique de l'équilibre régional va s'intensifier avec l'exigence du Brevet d'Études du Premier Cycle (BEPC) pour les ressortissants du Nord tandis que les ressortissants du Sud devaient présenter le diplôme du Baccalauréat dans le cadre du concours d'entrée à l'École Nationale d'Administration et de Magistrature (ENAM) (Listes A et B). Cette politique va perdurer ainsi dans l'informel jusqu'à la fin du régime d'Ahidjo.

Mais, l'institutionnalisation juridique171 de cette politique va connaitre un développement conséquent après le départ d'Amadou Ahidjo. Il est formalisé conjointement par le Décret N°82/4Û7 du 07 Septembre 1982 et par l'Arrêté NT010467/Fv1FP/DC du 04 Octobre 1982. Cet arrêté signé par le Ministre de la Fonction Publique notamment dans ses articles 1 et 2 dispose que:

- Article 1er : Le présent arrêté fixe en application les dispositions du décret du 07 Septembre 1982 susvisé, les quotas de places réservées aux originaires de chaque province3172 ainsi qu'aux anciens militaires sans distinction d'origine, candidats aux concours administratifs d'entrée aux différentes catégories de la Fonction Publique et aux concours donnant accès aux établissements nationaux de formation.

171 En réalité, le Décret N° 82/407 du 07 Septembre 1982 modifie et complète certaines dispositions du Décret N°75/496 du 03 Juillet 1975 fixant le Régime Général des Concours Administratifs. Cf. Cameroon Tribune. Grand Quotidien National d'Information, N°2471- Mercredi 08 Septembre 1982, p. 4.

172 Depuis deux voire trois ans, on parle dorénavant de Régions et non plus de Provinces.

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- Article 2: Compte tenu de l'importance démographique et du taux de scolarisation de chaque province, les quotas de places réservés aux candidats originaires de chacune d'elles ainsi qu'aux anciens militaires, sont arrêtés comme suit: Province du Centre-Sud: 19%; Province de l'Est : 4 %; Province du Littoral: 12%; Province du Nord: 30%; Province du Nord-Ouest: 13%; Province du Sud-ouest: 8%; Anciens Militaires: 2%.

Pour les défenseurs de cette thèse, cette politique se tient essentiellement en instrument de consolidation de l'Unité Nationale. Le second argument avancé par ces derniers est celui de la justice sociale.

1.2. : LES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LA POLITIQUE DE L'EQUILIBRE

REGIONAL

Deux arguments peuvent être avancés pour mettre en avant et perpétuer la politique de l'équilibre régional. Un premier argument politique qui consiste à considérer que la consolidation de l'unité nationale était un enjeu qui inclinait à inclure dans le jeu politico-administratif de la nation en construction, les représentants de toutes les sensibilités ethniques afin de minorer toute tendance centrifuge ; cette politique se posant ainsi en instrument de consolidation de l'unité nationale.

Puis un second argument de justice sociale, consistant à favoriser l'émergence d'élites au-delà des populations dans lesquelles l'éducation s'était rapidement institutionnalisée. En effet, les Régions (avant, on parlait de provinces) du Nord et de l'Est apparaissaient comme marquées par un retard du point de vue éducatif. Il eut été difficile de faire émerger des élites politiques et administratives dans ces régions sans garantir la permanence d'un recrutement pour leurs ressortissants. La référence au « taux de scolarisation » s'éclaire par cet argument.

Deux arguments méritent un examen en faveur de la règle de l'équilibre régional: les fractures sociales et le pluralisme culturel.

1) Les fractures sociales au Cameroun

Dans une société où sévissent les inégalités sociales, il y a toujours un danger pour la stabilité sociale et politique de celle-ci. En effet, le tribalisme, la formation et l'enrichissement de certaines classes sociales, au détriment des autres, un marché de l'emploi constitué de chômeurs, des jeunes sans emplois, des opérateurs travaillant dans le secteur informel ne bénéficiant d'aucune forme de protection sociale, un secteur des assurances instituant

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avec peine des mécanismes de protection contre les maladies pour les travailleurs du secteur rural ou tout autre travailleur du secteur informel, creusent le fossé séparant les personnes bénéficiant de la protection sociale et les autres, au point où on peut craindre une fracture susceptible d'aboutir à une implosion sociale.

Un tel déséquilibre dans le traitement réservé aux citoyens traduit une véritable inégalité sociale entre les membres de la société. Par ailleurs, la liberté laissée aux diverses entreprises par rapport aux diverses formes de régime de protection sociale ou même d'assurance maladie traduisent elles aussi des disparités parmi les populations, créant ainsi des classes qui sont essentiellement vulnérables soit pour absence de couvertures ou pour couverture insuffisante (par le volume ou par les conditionnalités imposées par les compagnies d'assurance).

Face à une telle situation, l'urgence de l'action s'est avérée opportune.

2) La multiculturalité du Cameroun

Pour beaucoup, la pluralité ethno-culturelle du Cameroun pourrait constituer une menace pour la stabilité de ce pays, c'est-à-dire qu'au vu de cette grande diversité ethnique, le Cameroun se présenterait comme un pays favorable aux rivalités ethno-tribales. Un lieu de rendez-vous d'une variété insoupçonnable de forces centrifuges et antagonistes, campant face à face en une sorte de veillée d'armes permanente, où le sens des particularismes est frappant.

Le Cameroun n'est pas l'unique pays au monde qui présente un riche paysage socioculturel varié. L'histoire des États-Unis d'Amérique (USA) par exemple, montre bel et bien qu'elle est également l'histoire d'un mélange de Blacks, Indiens, Latinos, Asiatiques, Migrants européens et autres qui ont participé puissamment à son développement notamment avec un surcroît de main-d'oeuvre173. En fait, la vague d'immigration de masse a profondément modifié le paysage économique des USA avec effectivement le pluralisme des identités qui s'expriment au travers des groupes qui ont su négocier leur intégration et constituer à la fin l'identité américaine qui fait alors son essor légendaire174.

Ce qui fait dire que, loin d'être un danger, l'homogénéité culturelle reste un attribut désirable et atteignable pour l'unité nationale dans un monde où les États multiethniques à

173 Bernard Vincent (ed), Histoire des Etats-Unis, (2008), Paris, Flammarion, p. 229.

174 Laurent Bouvet, `'Le tournant identitaire Américain. Du « Pluralisme-Diversité » au « Pluralisme-Différence »» in Denis Lacorne (éd.), Les Etats-Unis (2007), Paris, Fayard/CERI, p. 235.

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l'instar du nôtre sont prépondérants175. En réalité, il s'agit tout simplement de promouvoir l'intégration nationale par une harmonisation de tous ces contrastes du puzzle ethnique qu'est le Cameroun176. Son pluralisme socioculturel se doit donc d'être bien plus ce vecteur d'unité et d'intégration nationale notamment lors des recrutements dans la Fonction Publique.

175 Dickson Eyoh, "Contesting Local Citizenship: Libéralisation and thé Poîitics of Différence in Carneroon" in B. Beiman, D. Ëyoh and YV. Kymiicka (eds), PAhnlcily and Democracy in Africa (2004), p. 116. Oxford: James Currey.

176 Thomas Fozein Kwanke, "Ferdinand Léopold Oyono et la Politique du Renouveau Culturel du Cameroun" in Gervais Mendo Ze, Ecce Homo. Ferdinand Léopold Oyono. Hommage à un Classique Africain (2007), Paris, Khartala, p. 119.

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2 : LES SOURCES LEGALES DE LA REGLE DE L'EQUILIBRE REGIONAL DANS LES MECANISMES D'ACCES A LA FONCTION PUBLIQUE CAMEROUNAISE

La règle de l'équilibre régional est consacrée par la Constitution du 18 janvier 1996. Cette consécration a permis de régler la question de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua.

2.1. : LA CONSECRATION TEXTUELLE DE LA REGLE DE L'EQUILIBRE REGIONAL DANS LES MECANISMES D'ACCES A LA FONCTION PUBLIQUE CAMEROUNAISE

Quand on lit les Constitutions des 4 octobre 1960, du 02 juin 1972 et du 18 janvier 1996, il y est souligné un intérêt pour le législateur de veiller à un équilibre national lors de l'organisation et de la proclamation des concours administratifs177 dans la République du Cameroun. Cet intérêt législatif est redevable au Préambule de la Constitution du 18 janvier 1996 qui proclame l'unité nationale par le truchement de la fraternité, de la justice et de l'attachement aux dispositions de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 Décembre 1948. Nous analyserons la consécration qui est régie dans le texte constitutionnel et dans les autres textes réglementaires et internationaux.

1) LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DE LA REGLE DE

L'EQUILIBRE

La lecture de la Loi Fondamentale du 18 janvier 1996178 dégage des dispositions relatives à la planification régionale quant aux mécanismes d'accès à la fonction publique. Le Préambule et le dispositif de la constitution nous permettront de mieux cerner ces règles.

Le Préambule explicite l'intérêt qu'il y a à relever « le niveau de vie des populations sans aucune discrimination. » Les tirets 1, 2, 3, 13, 14, 15, 16, 18179 traite de la place des individus

177 Décret N°66/DF/339 du 23 Juillet 1966 crée une liste « A » réservée aux ressortissants des régions insuffisamment scolarisées

178 Constitution de la République du Cameroun (loi N°96/06 du Janvier 1996 portant révision constitutionnelle du 02 Juin 1972), Yaoundé, imprimerie nationale, 2004.

179 Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

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et des groupes minoritaires dans le processus de développement intégral. Ainsi, le tiret 2 du Préambule dispose : « L'Etat assure la protection des minorités et préserve le droit des populations autochtones conformément à la loi. »

Cette disposition nous oblige au Préambule de comprendre le concept de minorités et d'autochtones.

Par minorité, on entend un ensemble de ceux qui se différencient de la majorité au sein d'une assemblée, d'un parti, d'un groupe quelconque. C'est donc un petit nombre par rapport à la majorité. Ainsi en droit international, une minorité nationale est un groupe non dominant se distinguant de la majorité de la population par ses particularités ethniques, sa langue, sa religion, ses traditions. Ainsi, les minorités sont des groupes sous représentés ou constituant un petit nombre au sein d'une population ou d'une société donnée. « Ainsi donc, il apparaît que la minorité ne découle pas uniquement d'une position quelconque numérique, mais aussi d'une position de force ou de domination. Un groupe de population peut être majoritaire numériquement et être minoritaire parce que dominé ou n'ayant pas suffisamment de représentants ou de ressortissants sur un certain plan. Tel fut le cas des populations du Grand Nord après l'indépendance. De plus, peut être considéré comme un groupe constituant un groupe minoritaire, celui qui est petit ou non numériquement par rapport aux autres groupes de la même société et qui est menacé dans certain cas de marginalisation. »180

C'est le cas d'un groupe dont les « ressortissants sur le plan intellectuel ne disposent pas assez de compétences pour pouvoir accéder par voie de concours aux écoles de formation d'Etat où l'on exigence des diplômes et autres qualifications élevées, et de ce fait peuvent se voir marginaliser ou sous représenter dans la fonction publique si des pondérations ne sont effectuées »181.

Dans ce cas, les régions dites sous scolarisées constituent sans contexte des régions minoritaires, même si numériquement elles sont majoritaires.

Au Cameroun, la technique des quotas et des places réservées parait donc être une « des formes d'accommodement d'un ordre social composé des minorités structurées et organisées »182 afin d'établir un certain équilibre. Pour protéger les minorités entendues ici

180 Minso Cymphorienne Diane, L'intégration de l'Equilibre Régional dans les mécanismes d'accès à la fonction publique, mémoire de DEA Université de Yaoundé II, 2010.

181 MATIGI (A.M) , Le problème de l'Equilibre Régional au Cameroun à l'épreuve de la démocratie pluraliste, Mémoire de DEA .

182 MATIGI(A.M), Le problème de l'Equilibre Régional au Cameroun à l'épreuve de la démocratie pluraliste, Mémoire de DEA .

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comme « régions insuffisamment scolarisées », les autorités se sentent obligées de favoriser leur entrée dans des écoles de formation d'Etat qui donnent accès à la fonction publique et qui ne saurait être l'apanage de certaines régions uniquement, soient-elles insuffisamment scolarisées.

A côté du concept de minorités, il y a celui d'autochtone. Un autochtone est une personne qui est née dans le pays dans lequel elle habite. Le Grand Larousse universel le définit comme un originaire du pays qu'il habite et dans lequel les ancêtres ont vécu183. C'est donc un enfant du terroir qui ne devrait pas être victime des actes de discrimination réservés à des habitants de ce terroir considérés comme des étrangers ou des allogènes.

Au Cameroun, la définition de cette notion est beaucoup plus extensive car, est considéré comme autochtone, celui qui est originaire de la région qu'il habite. Région ici peut correspondre à un département, un arrondissement ou même un district au sein desquels un autochtone peut bénéficier de certains droits dont celui d'être éligible aux différents organes délibérants tels le Conseil Régional184. Il faut noter que suite à la mobilité constante des populations et aux mariages inter-ethniques, il est difficile de déterminer avec précision la région d'origine d'un citoyen. D'autant plus que cela n'est pas explicite dans la constitution et que le Décret n°90/1087 du 25 juin 1990 définit la province d'origine du candidat au concours administratif comme étant celle dont sont originaires ses parents légitimes.

Le préambule de la Constitution leur garantit donc dans leur région respective d'origine ou adoptive des privilèges de toutes sortes par le biais de la pondération ou équilibre intra-régional afin qu'ils ne soient pas marginalisés au sein de leur propre région185 ; Ou par le truchement de l'équilibre inter-régional accordée aux ressortissants des populations autochtones de chaque région, les possibilités d'entrer dans les établissements de formation publique de l'Etat, afin qu'ils représentent leurs différentes localités.

Sous cet angle, il sera question que chaque région soit représentée non pas par des allogènes y résidant temporairement, mais par des autochtones, c'est-à-dire les originaires de ces régions ou des résidants permanents. Car, par ce biais, ces régions comptent développer leurs différentes localités et participer à la jouissance des fruits de la croissance. Les quotas à chaque région seraient déterminés pour assurer cette fonction.

183Le Grand Larousse Universel, 1993, p.849.

184 SONKENG DONFACK (L), « Le droit des minorités et des peuples autochtones au Cameroun », thèse de doctorat de droit de l'Université de Nantes Année académique 2000 À 2001, P.4

185 Le préambule de la Constitution de la République du Cameroun du 18 janvier 1996.

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Toujours dans ce Préambule, le législateur consacre les droits à l'instruction et au

travail.

L'instruction, c'est l'action de former l'esprit des citoyens par des leçons, des connaissances ; ce qui renvoi à l'éducation et à l'enseignement qui selon la Constitution sont des droits et devoirs impérieux de l'Etat. Il faut en effet avoir un certain niveau d'instruction et de diplômes requis pour pouvoir prétendre se présenter à un concours administratif. L'instruction fait donc appel à l'école sous entendue comme un établissement où se diffuse l'enseignement. Le Professeur Joseph OWONA donne trois missions fondamentales de l'école républicaine : dispenser un savoir utile au développement, préparer nos enfants à l'intégration nationale, créer leurs conditions d'épanouissement186.

Pour ce qui est du droit et du devoir de travailler, le Cameroun est resté fidèle à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme187 qui énonce le droit au travail de tous et la protection contre le chômage, justifiant par-là, la philosophie de l'équilibre régional appliquée en matière de concours administratif dans notre pays.

On comprend que, pour travailler et pour s'instruire dans les couches défavorisées, l'Etat doit prendre des dispositions relatives aux quotas et aux places réservées aux candidats de différentes régions et de rester conforme ainsi aux dispositions du préambule de la constitution. Quelle place la constitution proprement dite accorde à la politique de la règle de l'équilibre régional ?

Dans la constitution elle-même, l'article 1er (2) de la constitution du 18 janvier 1996 dispose que : « la République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé. Elle est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale »188

Le caractère démocratique et social pousse les gouvernants à faire usage de la planification et des pondérations pour préserver l'unité, l'indivisibilité et la laïcité de la

186 Joseph OWONA cité par Linus ONANA MVONDO dans un article intitulé « L'école républicaine et le défi de la mondialisation » in Minso Diane Cymphorienne, L'intégration de l'Equilibre Régional dans les mécanismes d'accès à la fonction publique, Université de Yaoundé II, 2010, mémoire de DEA.

187 Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 Décembre 1948, article 23, alinéas 1 à 3 :

1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de

travail et à la protection contre le chômage.

2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.

3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale

188 Article 57 (3) de la constitution de 1996

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République du Cameroun189. En tant que nation, les citoyens forment une coopération sociale basée sur la solidarité et le partage en commun d'un certain passé.

Ainsi, la justification de la politique de l'équilibre régional appliqué en matière de concours administratif au Cameroun est visible tant dans les attributs réservés au Chef de l'Etat d'une part, que dans les compétences attribuées au Parlement, et surtout à l'Assemblée Nationale, d'autre part.

Le Président de la République, au même titre que dans les précédentes Constitutions, joue un rôle très important en matière de conduite de la politique de l'Etat190.

L'article5 (2), lui confère d'importants pouvoirs car, il incarne l'unité et définit la politique de la nation191.

« C'est pourquoi il est évident que dans la définition de la politique de la nation et dans le souci de préservation de l'unité nationale qu'il incarne, le Chef de l'Etat veuille prendre toutes les mesures et autres décisions à caractère intégrationnistes et conciliantes afin de contenter tout le monde et éviter la marginalisation d'une région quelconque. Dans cette même perspective, il serait compréhensible que des pondérations soient effectuées en matière de concours administratif pour l'accès aux établissements publics de formation, pour assurer le travail et la protection contre le chômage aux ressortissants de toutes les régions par le biais de l'accès à la fonction publique. En outre, le Président de la République veille à la sécurité intérieure et extérieure de la République192. Il peut donc dans ce cadre compte tenu de son pouvoir règlementaire193, prendre des actes en faveur des régions défavorisées en matière de scolarisation afin de faciliter l'accès des ressortissants des ces régions à des écoles de formation, donnant accès à la fonction publique pour que la paix et la sécurité intérieure ne soient pas troublées par le mécontentement des uns et des autres qui se sentiraient marginalisés. »194

L'article 62 alinéa 2195 évoque l'idée de spécialité de certaines régions. Cette reconnaissance des intérêts propres traduit plus que l'idée de personnalité morale ; elle

189 Minso Cymphorienne Diane, L'intégration de l'Equilibre Régional dans les mécanismes d'accès à la fonction publique, Université de Yaoundé II, 2010, mémoire de DEA.

190 Constitution de la République du Cameroun

191 Article 8 alinéa 3 de la constitution de 1996

192 Article 8 alinéas 3 de la constitution de 1996

193 Section II paragraphe 1

194 Minso Cymphorienne Diane, L'intégration de l'Equilibre Régional dans les mécanismes d'accès à la fonction publique, Université de Yaoundé II, 2010, mémoire de DEA.

195 « Sans préjudice des dispositions prévues au présent titre, la loi peut tenir compte des spécificités de certaines régions dans leur organisation et leur fonctionnement. »

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évoque une réalité identitaire autonome, une projection de personnalité sociologique à distinguer du projet national dans le cadre étatique196. Cette spécialité concerne le développement économique, le niveau de fonctionnaires, le nombre d'infrastructures sanitaires ou scolaires197.

La constitution ainsi nous permet de comprendre la réception de la règle de l'équilibre régional. Certains textes méritent d'être examinés, devant nous permettre de mieux cerner, la question de l'équilibre régional du Cameroun, comme les textes internationaux.

2. LES TEXTES INTERNATIONAUX

Dans les textes internationaux, c'est depuis les années 1979 avec la convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale. Il s'agit en effet des discriminations positives meublées d'une jurisprudence abondante198.

Cette consécration juridique de l'équilibre est également assise sur les textes internationaux. Il s'agit en effet de :

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui affirmait que : « Tous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre distinction que celle de leur capacité et de leur talent ». Pour cette déclaration, les constituants exposaient dans un texte solennel les droits naturels, indéniables et sacrés de l'homme. Les auteurs lui conféraient une valeur universelle.

La déclaration de 1789 concerne tous les hommes. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer l'article premier de cette déclaration qui stipule que : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit et en devoir. Aussi affirme-t-elle que ces droits sont valables en tout lieu et en tout temps.

196 OLINGA (A-D) « la régionalisation camerounaise en chantier : acquis constitutionnels et perspectives législatives »juris périodique IV° 55 Septembre 2003 p.91

197 Discours du Chef de l'Etat lors du Cinquantenaire à Buéa de la Réunification, le 20 février 2014.

198 Voir convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale de 1979, notamment l'article 1er (4), voir également la très intéressante jurisprudence de la Cour Suprême des USA inaugurée par les arrêts Regents of University of California V.Bakke, 438 U.S 265 (1978), United Steelworkers V Weber, 443 Us 193 (1979), et sur l'évolution récente des tendances américaines en la matière, Note, Affirmative Action, Anonymous (1991) 104 HAVARD LAW REVIEW, 967. Lire également RUSEN ERGEC, « Les inégalités compensatrices », In L'effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la Communauté francophone, AUPELF À UREF, Montréal, 1994, PP.87 - 94

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Les libertés publiques et les droits trouveront leur dimension internationale avec la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen du 10 Décembre 1948. Toutes les Constitutions du monde entier y compris au Cameroun vont reprendre les dispositions contenues dans cette Déclaration, née au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Au Cameroun, la réception desdits droits et libertés est faite à son préambule en ses tirets 1, 2, 3, 13, 14, 15, 16 et 18. On peut donc lui reconnaitre un caractère constitutionnel. Aussi les textes internationaux ayant affirmé toutes ces libertés reçues par le Préambule de la Constitution garantissent au mieux la politique de l'équilibre pratiquée au Cameroun en vue de rétablir le principe de la légalité et par ricochet de l'égal accès aux emplois publics.199

Le droit à l'éducation est consacré par le 18e tiret du Préambule de la Constitution camerounaise du 18 janvier au terme duquel : « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'instruction [...] l'organisation et le contrôle de l'enseignement à tous les degrés est un devoir impérieux de l'enfant ». C'est un droit qui se trouve également consacré par divers instruments internationaux des droits de l'homme incorporé au préambule de la constitution à savoir : la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples ; l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme200. L'article 6 du pacte relatif aux droits civiques et politiques. Ensuite, l'Assemblée générale dès 1992 a adopté la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.201

L'article 4 de l'alinéa 6 de cette institution fondatrice engage les Etats à envisager les mesures appropriées pour que les personnes appartenant à des minorités puissent participer pleinement au progrès et au développement économique de leur pays.

199 Le préambule de la constitution op cit

200 Article 26 :

1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à

tous en fonction de leur mérite.

2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des

Nations Unies pour le maintien de la paix.

3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

201 Déclaration universelle des droits de l'homme op cit

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Dans le même sillage, la convention de l'UNESCO de 1961 en matière d'enseignement précise en son article 2 que des mesures de discrimination positives « ne sont pas considérés comme constituant des discriminations ».202

La Cour permanente de justice internationale a précisé que l'égalité en droit exclue toute discrimination : l'égalité en fait peut en revanche rendre nécessaire des traitements différents.

Ces textes nationaux et internationaux montrent que, la prise en compte des couches défavorisées pour assurer leur relèvement est un impératif catégorique. Dès, il nous revient d'illustrer nos arguments par un exemple. Pour cela, nous nous appuierons sur l'Ecole Normale Supérieure de Maroua.

2.2. : L'AFFAIRE DE L'ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE MAROUA

« Nous avons besoin les uns des autres comme des partenaires qui s'engagent ensemble dans des modes de vie ayant leur valeur en eux-mêmes ,
· que les autres réussissent et soient heureux est nécessaire à notre propre bien ,
· leur bien et le nôtre sont complémentaires
.203 »

Cette solidarité évoquée par John Rawls nous permet d'analyser l'affaire de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua; ayant spécialement trait à l'égal accès à la fonction publique qui, dans une conception camerounaise renvoi à l'équilibre des régions camerounaises

Le Ministre de l'Enseignement Supérieur publiait, le 18 décembre 2008, une liste additive d'admis au concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure de Maroua. L'on devrait parler de « la » liste additive, car cette liste additive du 18 décembre 2008 n'était plus une liste additive banale. Elle répondait à une demande sociale insistante et assortie de manifestations et de projets de manifestations de plus en plus inquiétantes des élites et élus des trois régions septentrionales du Cameroun, souvent désignées comme le « Grand Nord ». La publication de cette liste était aussi la condition posée par les élites et élus du septentrion pour mettre fin à leurs manifestations.

Cette publication avait donné satisfaction aux élites des régions concernées qui exigeaient 1420 places supplémentaires représentant un quota de 60% des places pour les

202 Convention de l'UNESCO en matière d'enseignement 1961 article 2

203 John Rawls, Théorie de la justice, p. 566.

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candidats originaires de cette partie du pays, alors que 760 places leur avaient été accordées sur les 2254 initialement attribuées. Avec 855 candidats de plus, dont la quasi-totalité des candidats du Grand Nord.

La publication de la liste additive apparaissait comme une réponse aux demandes des élites du Grand Nord visant à corriger les injustices historiques dont ces régions sont victimes sur le terrain de la mise en oeuvre du droit à l'éducation. Mieux qu'une réponse à un « chantage » (a-t-on jamais vu la victime d'un chantage offrir plus qu'il n'a été demandé?), il s'agissait assurément d'une réponse politique à la demande sociale légitimement exprimée par les élites et élus du Grand Nord, à la suite de la publication des résultats du concours d'entrée à l'Ecole Normale Supérieure de Maroua.

C'est dire qu'en plus du problème de l'abandon de poste par des enseignants originaires des régions méridionales, les candidats du Grand Nord à la fonction d'enseignant ont souffert de l'éloignement du lieu de formation des formateurs. De sorte que le droit à l'éducation que l'Etat garantit à tous les citoyens de l'un et l'autre sexe au même titre que les autres droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution était largement nominal ou formel pour les filles et fils de ces régions. Les élites des régions concernées étaient par conséquent fondées à demander, voire à exiger que le droit à l'éducation qui est peu ou prou réel pour les habitants des sept autres régions du pays, devienne aussi une réalité tangible pour les trois régions dites du «Grand Nord ».

Mais, une question demeure : en quoi le «Grand Nord» serait-il une minorité alors qu'il compte parmi les trois grand complexes ethniques du Cameroun ? La réponse est pourtant affirmative. Des grands groupes ou des groupes majoritaires peuvent en effet être socialement et économiquement ou politiquement désavantagés, ce qui en fait des groupes « minorisés »204. Dès lors, sous l'angle de la sociologie de la représentation, et en dépit du fait qu'elles constituent des composantes des grands «complexes ethniques» du Cameroun du point de vue numérique, les communautés composant les trois Régions septentrionales du Cameroun peuvent être considérées comme « minorisées » c'est-à-dire vulnérables. Elles sont de ce fait éligibles aux protections comparables à celles des minorités, en raison de leur fragilité, résultat des retards enregistrés dans la scolarisation de ces parties du pays.

204 Woehrling, (J), « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnelle comparé », Les journées mexicaines de l'association Henri Capitant (2002) ; Les minorités, revue de droit, Université Sherbrooke (R.D.U.S), 2003, p. 96.

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De ce fait, elles sont naturellement éligibles à la protection des minorités prévue dans le deuxième tiret du préambule de la Constitution du 18 janvier 1996. Il ne s'agit pas d'une option arbitrairement choisie par le Cameroun, car la protection des minorités ainsi consacrée n'est que la mise en oeuvre « de nouveaux droits que notre époque appelle », selon la formule de Nicolas Sarkozy. Dès 1992, l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies a adopté la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, L'alinéa 5 de l'article 4 de cet instrument fondateur engage les Etats à « envisager des mesures appropriées pour que les personnes appartenant à des minorités puissent participer pleinement au progrès et au développement économiques de leur pays ». Plus récemment, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance adoptée le 31 janvier 2007 oblige les Etats membres de l'Union africaine à adopter « des mesures législatives et administratives pour garantir les droits des femmes, des minorités ethniques, des migrants et des personnes vivant avec un handicap, des réfugiés et des personnes déplacée et de tout autre groupe social, marginalité et vulnérable ». Du point de vue de la scolarisation, les trois régions septentrionales sont indubitablement des communautés minorisées, marginalisées et vulnérables. A ce titre, elles sont éligibles à toutes les mesures prescrites en vue de la protection des minorités.

En réponse à ceux qui parlent de discrimination ou de violation du principe d'égalité ou à l'institutionnalisation des discriminations, l'alinéa 3 de l'article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités pose clairement que « les mesures prises par les Etats afin de garantir la jouissance effective, des droits énoncés par la présente déclaration ne doivent pas à priori être considérées comme contraires au principe de l'égalité contenu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. » Dans le domaine spécifique de l'éducation, la Convention de l'UNESCO en matière d'enseignement de 1961 précise en son article 2 que des mesures, de discrimination positive « ne sont pas considérées comme constituant des discriminations ». A plusieurs reprises, la jurisprudence du Comité des droits de l'homme des Nations Unies a aussi indiqué que la jouissance des droits et des libertés dans des conditions d'égalité n'implique pas, dans tous les cas, un traitement identique.

En réalité, les mesures dérogatoires qu'un Etat peut être amené à prendre afin de protéger les droits des minorités sont analysées comme un moyen de concrétiser le principe d'égalité, c'est-à-dire une manière d'approfondir l'égalité, en passant de l'égalité abstraite à l'égalité réelle. C'est en ce sens que, dès 1935, la Cour permanente

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de justice internationale a précisé que « l'égalité en droit exclut toute discrimination : l'égalité en fait peut en revanche, rendre nécessaire des traitements différents en vue d'arriver à un résultat qui établisse l'équilibre entre des situations différentes. On peut facilement imaginer des cas dans lequel un traitement égal de la majorité et de la minorité, dont la condition et les besoins sont différents, aboutirait à une égalité de fait. L'égalité entre majoritaires et minoritaires doit être une égalité effective, réelle »205.

Ces mesures peuvent à première vue paraître choquantes, il faut en convenir. Mais comme l'observe pertinemment Ronald Dworkin, si «des critères explicitement liés à la race sont déplaisants [...] c'est certainement parce que les réalités sociales que combattent ces programmes sont plus déplaisants encore206 ».

L'augmentation du nombre de places des candidats des régions septentrionales du pays améliorera la formation secondaire des filles et fils de ces régions et réduira à long terme le sentiment de frustration et d'injustice dans ces communautés. En permettant à une plus grande proportion des fils de ces régions de s'épanouir et de participer plus efficacement à la vie nationale par la mise en oeuvre effective du droit à l'éducation, le développement du pays tout entier s'en trouvera accéléré. Il y va donc du développement équitable de l'ensemble du pays, mais aussi de la paix sociale et de la préservation de l'intégrité du territoire nationale.

L'alinéa 3 de l'article 8 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance souligne en effet que, loin de contrarier la démocratie, le respect de la diversité ethnique, culturelle et religieuse contribue au renforcement de la démocratie207. Pour ce qui est de la préservation de la République, en pastichant Luc Sindjoun, l'on retiendra que dans une société multiculturelle, c'est seulement si des droits fondamentaux comme l'accès à l'éducation sont constamment déniés aux minorités que celle-ci se sentiront exclues, victimes de discrimination et cesseront de manifester leur allégeance à l'Etat208.

La situation relative aux quotas dans les grandes écoles et dans les postes administratifs, à défaut d'être un débat en coulisse, des cas comme celui de l'Ecole Normale

205 Voir cours permanent de justice internationale, affaire des écoles militaires albanaises, arrêt de 6 avril 1935, REC, série A/B, N° 64, p. 19.

206 Dworkin, (R), Une question de principe, Pouf, COL. « Recherche politique », 1996, Edition originale 1985, p. 370

207 Mouangue Kobila (J), « Une réponse juridiquement fondée », bonabéri.com. 21 juin 2012. 16 h30mn.

208 Sindjoun (L), « La démocratie plurale est-elle soluble dans le pluralisme culturel ? Elément pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales », in : Organisation internationale de la francophonie/The Commonwealth, Démocraties et Sociétés plurielles, Séminaire conjoint Francophonie À Commonwealth, Yaoundé 24-26 janvier 2000, p. 25.

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Supérieure de Maroua sont là pour montrer que la politique de l'équilibre régional épouse bien les contours de la juste égalité des chances, tout en justifiant l'efficacité de la philosophie politique.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote