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Pérégrinations dans l'empire ottoman : récits & voyageurs français de la seconde moitié du XVI e siècle .

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par Paul Belton
Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, Université François-Rabelais Tours - Master  2011
  

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A. Entre reconnaissance et correction de la tradition savante : des

rapports complexes aux anciens et aux contemporains.

1. L'exemple de Pierre Belon : de l'intertextualité ....

Au XVIe siècle, nul voyageur, s'il veut être reconnu et publié, ne peut prétendre à écrire sans être lui-même un bon lecteur des livres de références, des textes qui font autorité dans le cercle

167 De part la diversité et la variété de signes, que sont les créatures et cultures rencontrées en terres ottomanes.

168 Dans le même ordre d'idée, mais plus du côté du lecteur face au livre, que du voyageur face au monde, F. Tinguely écrit, à propos du récit de voyage levantin :« Tout se passe comme si le texte en restituant la séquence des étapes du trajet se donnait à parcourir comme un véritable espace géographique. Par delà toute métaphore de la lecture comme un voyage... » op.cit.

169 Ainsi, nous axerons le second temps de ce mémoire en très grande partie sur l'oeuvre de Pierre Belon, c'est un choix, qui peut être justifié par la richesse de son texte dans les perspectives d'étude, que nous venons de décrire, ou à l'inverse par le fait que les projets d'écriture de Nicolay et de Palerne sont orientés dans des directions différentes. En effet, si ceux-ci, comme nous le montrerons, accordent une certaine importance à la fidélité de ce qui est rapporté, ou du moins font preuve d'un certain sens critique, ils n'ont pas autant de rigueur dans leur démarche. Nicolay de par le caractère largement compilatoire des deux derniers livres de son récit, et Palerne par l'exagération de certains points, mais surtout par son projet d'écriture aux prétentions bien plus modestes et limitées, que Belon ou Nicolay : il ne destine pas son ouvrage à la publication, seulement à ses amis, ainsi ce ne sont pas les mêmes contraintes qui pèsent sur son écriture. Bien sûr nous invoquerons quelques fois ceux-ci, car le récit de Palerne garde un côté très sérieux et se veut authentique, de même l'oeuvre de Nicolay est intéressante, notamment pour ce qui est de l'étude de sa dimension iconographique.

170 Comme le souligne Pierre Belon, dans son Épitre, de manière très poétique et d'autant plus significative que ces lignes sont le fruit d'un botaniste : «... les esprits des hommes qui auparavant étaient comme endormis et détenus assoupis en un profond sommeil d'ancienne ignorance, ont commencé à s'éveiller et à sortir des ténèbres où si longtemps étaient demeurés ensevelis, et en sortant, ont jeté hors et tiré en évidence toutes espèces de bonnes disciplines. Lesquelles, en leur tant heureuse et désirable renaissance, tout ainsi que les nouvelles plantes après l'âpre saison de l'hiver reprennent leur vigueur à la chaleur du soleil et sont consolées de la douceur du printemps... » (pp.51-52) Il compare ensuite la figure du mécène au soleil qui fait croitre la plante.

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restreint des savants. D'autant plus, que les territoires traversés par le voyageur ont déjà évoqué de nombreuses fois dans le passé, ils sont donc déjà couvert de signes, que ce dernier cherchera à retrouver ou à nuancer, parmi ces multiples auteurs antiques qui écrivirent sur l'Orient, nous pouvons citer par exemple : Pomponius, Strabon, Pline, Mela, Solin... Les savants du XVIe se définissent surtout par leur capacité à lire le latin, et parfois le grec, ils ont donc accès à ces textes, et plus encore, à un savoir très vaste, par l'intermédiaire de livres, dont les paroles peuvent être très anciennes et avoir été conservées par delà les changements et ravages des temps. En outre, cette maitrise de la langue latine leur permet de communiquer entre eux passant cette fois-ci cette limite spatiale, qu'est la diversité des langues171. Par ailleurs, nous avons déjà vu de manière rapide dans la première partie, l'importance des mécènes et des protecteurs, qui permettent, sur-place, aux écrivains-voyageurs de parcourir l'Empire ottoman dans des conditions favorables, mais revenons sur ce phénomène dans les perspectives précédentes des belles lettres et du savoir en ce milieu du XVIe siècle. Prenons l'exemple de Pierre Belon, qui, de son vivant, fut reconnu comme un éminent savant et protégé par certains « grands » de son temps, comme le Duc de Mont-Morency et son neveu qui entretiennent ses études, J. Brinon qui l'accueille dans sa propriété de Médan, où il pourra rencontrer Dorat, de Denissot et d'autres membres de la Pléiade, ou encore de riches collectionneurs, qui lui présentent leurs monnaies anciennes ou lui ouvrent leurs cabinets de curiosités172. Nous entrevoyons ici l'importance que pouvait avoir le mécénat dans la carrière de savants comme Belon, d'ailleurs l'épitre dédicatoire à son protecteur le Cardinal de Tournon se transforme rapidement en éloge du mécénat et de ses bienfaits : « Les sciences et disciplines qui sont maintenant familières et communes à notre nation ont raison de vous avouer pour leur patron, d'autant qu'en soulevant le pesant faix de notre république vous avez pris plaisir à leur donner commencement, à les avancer selon leurs qualités, et aussi à les employer à ce à quoi ils ont été trouvé enclins et suffisants pour servir à l'utilité commune »173. Pierre Belon rappelle dans cet épitre, que c'est son mécène le cardinal de Tournon, qui finança et qui « commanda » ses pérégrinations orientales 174. Outre rappeler la dette que contracte le savant et ses oeuvres vis à vis du mécène, ces passages des Observations proposent également une certaine figure du mécène, qui, si elle est un peu idéalisée, ne reste pas moins intéressante pour autant, puisqu'elle sert de modèle à des pratiques bien réelles. D'ailleurs, le modèle par excellence du mécène reste François Ier, que Pierre Belon

171 Ainsi, l'écrit, et plus encore l'imprimé, se présentent de prime abord, comme ce qui transcende, dans une certaine mesure, les limites spatiotemporelles, cette idée est intéressante pour ce travail, en cela que l'Histoire du récit de voyage participe de cette réflexion sur les représentations des espaces et des temps.

172 Pour plus d'informations à ce sujet nous renvoyons au travail de Céline Augier, op.cit.

173 P. B, première page des Observations (p.51 de notre édition).

174 P. B, op.cit, Épitre dédicatoire (p.53) : « il vous plut me commander les [plantes & médicaments] aller voir ès régions lointaines, et les chercher jusqu'au lieu de leur naissance, chose que n'eusse pu ni osé entreprendre sans votre aide, sachant que la difficulté eut été ès frais et dépenses qu'il m'y a convenu faire.».

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compare au Soleil, qui permet aux arts et aux sciences de s'épanouir et de porter leurs fruits. Cet éloge du Roi-mécène par excellence est certes, très commun et n'a rien d'original pour l'époque, mais il a dans ce cas particulier une fonction bien précise, en lien avec le contexte : celle de rappeler les grandes oeuvres de mécénat du souverain, qui vient juste de mourir. Perpétrer sa mémoire, c'est espérer que son oeuvre et l'état d'esprit de son règne ne soient pas enterrés avec lui, en effet, au moment de la publication des Observations nous sommes à peine six années après sa mort, jamais, peut être n'a t-il été aussi nécessaire de louer François Ier, archétype du mécène, modèle qui doit, comme l'espère Belon et d'autres savants, inspirer le nouveau souverain et de manière générale les puissants du Royaume. Ainsi, Belon n'est pas non plus avare d'éloges pour un autre François, son protecteur le cardinal de Tournon, son Épitre permet de compléter notre image du mécène protecteur des savants, en ce milieu de XVIe siècle. En effet, le mécène n'est pas seulement l'homme qui finance les travaux et les oeuvres d'artistes ou de savants, bien plus qu'un amateur d'art ou de science, il est lui même un connaisseur, c'est quelqu'un d'éduqué et de cultivé qui, lorsque ses lourdes responsabilités le laissent quelque temps tranquille, sait user de son temps libre pour se cultiver, fidèle en cela au modèle antique de l'otium, ce que souligne Belon :

« Sachant aussi que les lettres grecques et latines vous sont si familières, que tout ce que lisez des bons auteurs, en théologie, philosophie, astrologie, cosmographie ou histoire, vous le lisez dans le langage même de leurs auteurs. Esquelles sciences et lettres grecques vous êtes d'autant plus excellent que dès votre jeune âge vous avez grandement travaillé à les apprendre, et y avez fort bien été instruit ; et pour l'heure présente, le plus grand plaisir que vous puissiez prendre, est d'employer le temps convenable à lire les plus excellents auteurs anciens. »175.

Le mécène est donc un lettré qui s'adonne, lui aussi, aux disciplines, qu'il finance et encourage, il saura donc juger à leur juste valeur les oeuvres et les qualités de ses protégés.

Les textes des voyageurs s'inscrivent dans ce contexte général du monde savant de la seconde moitié du XVIe siècle, qu'on ne peut ignorer pour les comprendre. Le XVIe siècle est également le moment où l'imprimerie se développe à grande vitesse et ouvre le monde du livre à un plus vaste public, de même, à cette époque, les langues vernaculaires passent de plus en plus à l'écrit. Quant à l'inscription de nos auteurs dans ce contexte de fin de Renaissance176, un fait apparait très significatif : les trois récits de voyage sont écrits et publiés en langue vernaculaire. Cet aspect formel implique déjà de nombreux présupposés : d'abord, le public visé est probablement plus large que si le texte avait été en latin, et peut être un peu moins érudit. Par ailleurs, ce choix d'adopter le français peut manifester l'idée de la dignité -à construire et à conquérir177- d'un français écrit. Ainsi,

175 P. B, op.cit, Épitre, (p.52)

176 Nous entendons par là « seconde moitié du XVIe siècle ».

177 Projet dans l'air du temps, clairement exposé dans la Défense et illustration de la langue française (1549) de J.

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les récits de voyage participent, à leur manière, à cet ennoblissement de la langue française à l'oeuvre au cours du XVIe siècle. Mais ne croyons pas pour autant que nos auteurs ignorent les belles lettres, chacun d'entre eux les connait, à des degrés divers, qu'il nous est difficile de déterminer. À cet égard, nous devons rappeler, que Pierre Belon fut accusé par quelques détracteurs contemporains de méconnaitre les belles lettres, par exemple, D. Lambin lui reproche sont ignorance des lettres latines et grecques178, de même, Pietro Andrea Matthioli (1505-1577) traducteur et commentateur de Dioscoride accuse Belon de mésinterprétations grossières, qui prouveraient sa piètre maitrise des langues anciennes : on le soupçonne donc de ne pas être un « vrai lettré humaniste ». Certes, il est possible que quelquefois Pierre Belon ait été aidé par ceux qu'il remercie dans ses livres en tant que ses « collaborateurs », mais ces accusations sont plutôt le fruit de querelles personnelles ou de jalousies179. La virulente Défense de la curiosité, qu'il livre dès le second chapitre de son ouvrage, est à rapprocher de ces tensions, qui existent entre le voyageur et certains savants de son temps, Belon y affirme avoir pour projet de réfuter « les calomnies de certains hommes de mauvaise grâce, afin que celui qui a le plus essayé de me nuire se trouve grosse bête d'avoir si fort blâmé ma curiosité »180. On peut tout de même accorder aux contradicteurs, que Pierre Belon commet quelques erreurs lorsqu'il cite les anciens, mais au fond il n'est pas question ici de juger son niveau de latin ou de grec, c'est sa démarche qui nous apparait digne d'intérêt, et c'est peut-être justement parce qu'il propose une conception du savoir et un modèle du savant peu commun et assez novateur, qu'il est critiqué et qu'il apparait dangereux aux yeux de certains. D'ailleurs, Belon prouve, qu'il a lui même conscience des réactions que pourront suciter son travail, en effet, après avoir présenté son projet d'écriture, il écrit : « ce que par aventure ne ferait sans déplaire à quelques-uns », mais en courageux savant il ajoute : « Toutefois si quelqu'un s'en trouve offensé, qu'il nous le fasse entendre, si bon lui semble, et nous lui répondrons comme il appartiendra »181. D'un côté, il ne sacrifiera pas la vérité pour plaire à tous, de l'autre, il reste ouvert à la critique, ce qui pourrait nous amener à penser qu'il est à la fois très sûr de lui, mais aussi conscient de ses limites et de l'imperfection de son travail. Déjà s'esquisse ici la figure d'un écrivain,

Du Bellay.

178 C'est ce que rapporte, dans sa première partie consacrée à la vie de l'auteur, le Mémoire réalisé pour la préparation d'une édition critique des Observations de Pierre Belon (1553), par Céline Augier, 1988 (conservé au C.E.S.R.).

179 Dans son édition facsimilé de l 'Histoire de la nature des oyseaux (1555), Philippe Glardon rappelle d'autres accusations, dont Pierre Belon fut la cible : II. 1 « L'accusation de plagiat : l'affaire Pierre Gilles », (pages XIX-XXII).

180 Nous sommes ici au centre d'un débat qui occupe les esprits du milieu du XVIe siècle : celui de la « curiosité », Pierre Belon la défend avec virulence, non seulement pour « le loisir », mais pour « l'utilité publique », concept qu'il utilise à deux reprises dans son Épitre dédicatoire, en tête des Observations, pour justifier son projet et son oeuvre.

181 P. Belon, op.cit., ch.2 du premier livre, p.61.

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qui se veut en dialogue avec les savants de son époque, mais aussi avec ceux des autres temps (par l'intermédiaire des livres). En effet, nous avons déjà dit et nous reverrons très prochainement, que Pierre Belon ne cesse dans ses Observations de faire référence aux auteurs anciens, outre les noms d'autorités cités à propos pour appuyer sa démarche ou des points précis de son discours, il reproduit quelque fois dans son récit des passages en latin182 -non traduit183- auxquels il fait directement allusion. Ce procédé nous amène, dès à présent, à considérer à quel point Pierre Belon inscrit son oeuvre dans un dialogue intertextuel par delà le temps, à propos des espaces (et bien sûr, à propos des choses & des êtres qui s'y trouvent) : cette intertextualité ressort tout particulièrement lorsqu'il prend position sur des sujets polémiques184. Par la notion de « dialogue », nous soulignons que sa relation aux anciens ne relève pas de la compilation, qui ne présenterait pas grand intérêt185, si ce n'est peut-être de faire la synthèse, en langue française, de ce qui a été écrit, par le passé et dans le présent récent, à propos du Proche-Orient, c'est dans une large mesure ce que fait Nicolas de Nicolay.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery