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Pérégrinations dans l'empire ottoman : récits & voyageurs français de la seconde moitié du XVI e siècle .

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par Paul Belton
Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, Université François-Rabelais Tours - Master  2011
  

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2. « Nommer correctement » : au coeur du projet scientifique et de l'oeuvre de Pierre Belon.

Ainsi, Pierre Belon ne cesse de rattacher les animaux & les plantes qu'il voit à une tradition livresque, qui est alors considérée comme la source des noms authentiques. Ce souci de nommer correctement est en rapport direct avec le projet épistémologique233 de P. Belon, avec sa conception du savoir et l'idée qu'il se fait de sa propre oeuvre. En effet, ce n'est qu'à condition qu'il adopte les mêmes noms que les anciens, que ses écrits peuvent faire progresser la connaissance générale, car sans une certaine stabilité du nom, il n'y aurait qu'un perpétuel recommencement dans la description des créatures. Il ajoute sa pierre à l'édifice millénaire de la connaissance des « choses naturelles », cette possibilité de compléter et de perfectionner cette construction lui est offerte par sa méthode et sa démarche innovantes. Pour mieux comprendre ces dernières, disons quelques mots sur son oeuvre, qui ne se réduit pas à son récit de voyage, mais se compose de nombreux autres ouvrages, qui, contrairement à ses Observations, traitent de manière systématique d' « objets » particuliers, les titres sont significatifs à cet égard : le Livre de l'Histoire de la Nature des Oyseaux (1555), L'Histoire naturelle des estranges poissons marins (1551) et La Nature et diversité des poissons (1555), De arboribus coniferis resiniferis...(1553), pour ce qui est de l'oeuvre « naturaliste », mais également le De Admirabile operum antiquorum (1553) consacré aux monuments antiques et aux vestiges archéologiques. Il est justifié d'évoquer ses autres ouvrages, car à l'intérieur des Observations, Pierre Belon y fait de nombreuses références, ou pour être plus précis, de nombreux renvoies. Par exemple, à la fin du chapitre 65, il renvoie son lecteur, au livre, publié en 1553, dont

233 Nous préférons employer ce mot plutôt que celui de « scientifique », car ce dernier terme nous est trop familier et son sens contemporain diverge radicalement des intentions et des présupposés d'un homme du XVIe siècle comme Belon. Par ailleurs la notion d' « épistémologie » met en avant la dimension réflexive de sa démarche, une oeuvre comme celle de Belon rappelle, que la connaissance se doit de réfléchir sur elle même et sur ses propres fondements.

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le titre original est De Arboribus coniferis resiniferis, aliis quoque nonnullis sempiterna fronde virentibus... : « pource que j'en ai fait plus long discours au livre des arbres toujours verts, je n'en dirai autre chose en ce lieu. »234. Ce procédé est d'abord littéraire, il permet de ne pas trop s'étendre sur certaines descriptions, de renvoyer le lecteur curieux de plus grandes précisions à un ouvrage plus spécialisé. Ensuite, ce procédé « d'auto-intertextualité » révèle à quel point l'oeuvre de Belon tend à l'unité, elle a une cohérence interne indissociable du projet de l'auteur, auquel il a consacré sa vie : rendre compte de la Création toute entière.

Par ailleurs, ce souci de Pierre Belon (faire correspondre les plantes avec leurs noms corrects) est primordial dans son activité médicale. En effet, la pharmacopée naturelle ne peut être utilisée à bon escient, que si on sait reconnaitre de manière sûr les végétaux et leurs propriétés. Sans quoi, il peut même y avoir quelque danger pour le patient, sans dénomination exacte et rigoureuse, il ne peut y avoir de bons médecins, d'après Belon, qui, contrairement aux usages de l'époque en Europe, affirme l'unité du pharmacien-botaniste et du médecin235. C'est pourquoi, il essaye sans cesse, partout où il passe, de reconnaitre les plantes et les « drogues »236 qu'il rencontre ou qu'il cherche. En effet, si parfois, au détour d'un chemin, Belon tombe par hasard sur quelque plante, de nombreuses autres fois, c'est de lui même, qu'il se rend sur les marchés orientaux ou dans « les boutiques de drogueurs » pour observer leurs produits et se renseigner sur ceux-ci. Ainsi, au problème de l'identification des choses naturelles se superpose celui de l'authentification des produits commerciaux et des remèdes médicaux. Pour faciliter sa tâche, il eut l'excellente idée de faire dresser par un traducteur une table de transcription des noms de plantes de l'arabe en turc, pour ensuite compléter par lui même l'équivalent en français, il consacre un chapitre entier à nous décrire cette opération et ses conséquences237, dont la principale est un travail plus rigoureux et plus aisé grâce à ce tableau, que Belon gardait toujours avec lui et qu'il montrait, au besoin, aux vendeurs de plantes. Le voyageur remédie à son défaut de polyglottisme par cet expédient efficace, selon lui : « ce fut l'une des choses qui m'a le mieux instruit et aidé à savoir ce que je voulais apprendre. »238.

234 op.cit. p.348.

235 Il l'affirme à la fois par son propre exemple, mais aussi en représentant un Orient, où le médecin est également celui qui connait bien les plantes (« il n'y aucun apothicaire »p.108). Contrairement à ce qui prévaut en Europe, la figure orientale du médecin n'est pas divisée en de multiples fonctions (apothicaire, chirurgiens,...), qui lui font perdre son efficacité plus qu'autre chose.

236 On peut distinguer les deux, au sens où la « plante » reste dans son milieu naturel, alors que transformée en « drogue », elle devient une marchandise (ou un médicament), qui circule sur de plus ou moins grandes distances.

237 Chapitre 21 du premier livre, p.107 : « ...après que j'eus trouvé un savant turc, docte en arabe, je convins de prix avec lui pour m'écrire une table de toutes les espèces de marchandise, drogueries et autres matières qu'on vend par les boutiques de Turquie... ».

238 Idem.

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Nous comprenons donc, que l'oeuvre de Belon n'a pas seulement une portée théorique, il insiste sur les intérêts pratiques, qui guident sa démarche. En effet, à plusieurs reprises, il affirme sa volonté de faire redécouvrir à l'Occident des plantes qui ont été oubliés ou qui lui sont restées inconnues. À cet oubli ou à la perte d'usage, il trouve deux causes, d'abord le manque de connaissance des propriétés, ou même de l'existence, de certaines plantes, ensuite l'arrêt de leur commerce : « Qui est cause que plusieurs drogues singulières et choses excellentes qui étaient anciennement tant connues, soient maintenant inconnues, sinon qu'elles ont cessé d'être en cours de marchandise ? »239. Alors, Belon fait l'éloge du commerce240 et devient le promoteur de marchandises nouvelles, il affirme même, que ses démarches ont déjà commencé à produire leurs effets : « Étant au Levant j'en ai fait reconnaitre grand nombre aux marchands, qui pour être à eux inconnues restaient là, et maintenant commencent à être communes en vente, à Venise et plusieurs autres lieux ... »241.

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