WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Associations paysannes et développement durable: entre discours et réalités. Etude de cas: projet de l'ONG Propetén en partenariat avec 3 associations maya Q'eqchi' du nord du Guatemala.

( Télécharger le fichier original )
par Sandra Benotti
Université Aix Marseille  - Anthropologie et Métiers du Développement durable 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3-3 Les difficultés liées aux acteurs

3-3-1 Les phénomènes de contre-pouvoir

- La concurrence entre les associations paysannes et les autres groupes locaux:

Il existe des contre-pouvoirs entre les groupements de même niveau. En effet, les associations de producteurs modifient souvent les relations de pouvoir déjà existantes, faisant naître un contre-pouvoir dans les villages et dans la région. Quelques temps après leur création, les associations acquièrent une reconnaissance municipale et institutionnelle comme c'est le cas pour les trois associations du projet. De plus, elles ont accès petit à petit à des avantages qui accroissent leur pouvoir. Cette évolution est rapidement repérée par les nombreux groupements voisins qui sont attirés par les mêmes avantages. La concurrence entre les groupes se met alors en place. Bien que la solidarité existe entre certains groupes comme nous l'avons mentionnée avec la « coopétition » dans le premier chapitre, la tendance s'inverse depuis quelques années du fait de la multiplication des associations. Lorsque les enjeux sont importants et que les ressources sont limitées, c'est la concurrence qui l'emporte bien évidemment.

92

Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

Le marché est un des enjeux capitaux de concurrence entre les groupes locaux, car il est la principale source économique des communautés rurales de la région. Son accès limité ne permet qu'à ceux qui sont les plus organisés et qui ont le plus de contacts avec les personnes de pouvoir, d'avoir une place. Chacun essaye de maintenir ses acquis et ses relations.

Dans les pays comme le Guatemala où la présence de l'aide humanitaire et de l'aide au développement est connue de tous, l'accès à cette aide constitue un autre enjeu important pour les groupements locaux. En effet, les projets sont visibles par la majorité des communautés rurales, mais ils sont tout de même limités. Les associations paysannes et autres types de groupements (artisans, femmes, éleveurs...) sont en compétition pour obtenir les projets, ce qui crée de nouvelles rivalités.

Dans le cadre du projet cacao, la communauté de la Compuerta a été la première sélectionnée pour le projet, et a commencé la collaboration deux ans avant les deux autres communautés. Lorsqu'elle a appris la venue des communautés voisines dans ce projet, elle s'est sentie menacée par une éventuelle concurrence. Pour les membres de l'association de la Compuerta, l'arrivée des autres associations signifiait que les ressources de l'ONG allaient être partagées en trois et qu'ils allaient donc recevoir moins d'aide.

- Les conflits fonciers :

Il y a aussi un contre-pouvoir de plus en plus marqué depuis une dizaine d'années entre deux groupes n'ayant pas les mêmes capacités d'action : les agriculteurs communautaires (souvent q'eqchi') et les finqueros-vaqueros ou ganaderos (fermiers-éleveurs essentiellement ladinos).

En effet, après la « colonisation q'eqchi' des années 1970, des éleveurs entrepreneurs venant de la région côtière occidentale du Guatemala sont peu à peu arrivés. Comme les q'eqchi', ils se sont aperçus que cette région, la moins peuplée, offrait des possibilités de production. Néanmoins, les agriculteurs q'eqchi' et les agriculteurs et éleveurs ladinos venus de l'ouest n'avaient pas du tout les mêmes moyens ni la même façon de fonctionner : Les finqueros installent des grandes fermes et tiennent des exploitations agricoles et animales à grande échelle (plusieurs hectares), de manière intensive, en utilisant des machines ; Ils emploient beaucoup de main-d'oeuvre qu'ils peuvent payer. Petit à petit, ces finqueros se sont multipliés dans la région, car la monoculture d'huile de palme et l'élevage bovin leur procurent de très bons rendements économiques. Ils ont pris une grande partie du territoire et ont commencé à encercler les régions agricoles occupées par les q'eqchi'. C'est à partir de là que la pression agraire et les conflits se sont accentués entre les finqueros et les agriculteurs q'eqchi'. Au

Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

moment de leur arrivée dans la région, certains finqueros se sont accaparés par la force de certaines terres. Après les accords de paix de 1996 et surtout à partir des années 2000, plusieurs mouvements de droit indigènes et droit des paysans ont permis plus de sécurisation foncière pour les agriculteurs q'eqchi' qui ont reçu des titres de propriété foncière. L'ONG Fondo de Tierras a permis de réguler les titres de propriété et a donné une aide juridique pour éviter les accaparements des terres.

Cependant, le problème n'a pas cessé pour autant. En effet, certains agriculteurs très pauvres ayant obtenu ce titre ont alors pu vendre leurs terres aux finqueros en échange d'une somme d'argent la plupart du temps médiocre. Cette tendance à la vente ne s'est toujours pas arrêtée aujourd'hui. En effet, les ventes de terre continuent non seulement à cause du désir grandissant d'exode rural de certaines familles, mais aussi du fait de la pression des finqueros envers les agriculteurs. Ils utilisent des stratégies de menace, d'intimidation, ainsi que d'autres menaces stratégiques. Par exemple, de plus en plus couramment autour des communautés de mon stage, les fermiers s'arrangent pour acheter des parcelles voisines afin d'agrandir leur territoire. Ils ferment ensuite le passage qu'il y avait entre ces parcelles, ce qui bloque l'accès aux autres parcelles.

 

Photo : fermeture et surveillance du passage par les finqueros

93

Les agriculteurs qui pouvaient accéder à leur parcelle en 30 minutes de marche à pied doivent alors faire tout le tour de la zone fermée, et mettent parfois plus de 2 heures pour y arriver.

94

Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

En voici une illustration :

Figure 2 : La pression de vente des finqueros par la fermeture des passages vers les parcelles : Dessin élaboré avec le président de l'association de San Lucas Aguacate (Septembre 2012).

L'expression «Te quitas o te quito» utilisée pour décrire cette stratégie, signifie littéralement « tu t'en vas ou je t'enlève ». Ceci décrit tout à fait la loi du plus fort qui réside.

En plus de la menace et des pressions de vente des finqueros, d'autres acteurs encore plus puissants et menaçants sont présents dans la région : les groupes organisés de narcotrafiquants.

Cette région située entre l'Amérique du Sud, et la frontière du Belize et du Mexique, est un point géostratégique irremplaçable pour ces groupes52. C'est un des seuls passages possibles pour faire passer la drogue en Amérique du Nord. Bien que dans les communautés du projet cacao, des pressions de ce genre n'ont pas été identifiées, un grand nombre de communautés de la région ont déjà été touchées depuis plus d'une dizaine d'années. Par exemple, dans la municipalité de Melchor de Mencos, un peu plus au nord à la frontière du Belize, certaines communautés sont aujourd'hui dépeuplées suite à des affrontements, des menaces et des meurtres. Ces espaces sont maintenant occupés par quelques finqueros et sont en grande partie des territoires vides, contrôlés par les narcos qui se font passer pour des finqueros pour assurer leur passage (Oswaldo J. Hernández, 201253 ; Prensa Libre, 201254).

52 OMAL, 2011, Grupos de Poder en Petén: Territorio, Política y Negocios. Observatorio de Multinacionales en América Latina, Guatemala: 261 p.

53 OSWALDO J. Hernández, 2012, «Desplazar para no ser desplazados: Palma, narcos y campesinos», Plaza Pùblica periodismo de profundidad, n°21, Reportajes de investigación Publicado: 12 p.

54 Site du journal quotidien du Guatemala Prensa Libre: http://www.prensalibre.com/

95

Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

Les agriculteurs q'eqchi' qui ne sont pas confrontés aux narcotrafiquants sont quand même au courant de leur présence dans la région. Certains d'entre eux m'en ont parlé sous le ton de la plaisanterie, mais ils connaissent parfaitement les dangers que leur présence représente.

Dans la région du Petén, entre finqueros-ganaderos, narcotrafiquants et cartels violents, entrepreneurs d'huile de palme, les organisations paysannes ne font pas le poids. L'Etat, les institutions internationales et les ONG ne sont pas encore dans la possibilité de gérer ces processus, qui ne touchent pas uniquement la région, mais qui font partie d'une configuration internationale incontrôlée.

Dans les années à venir, les agriculteurs savent qu'avec la croissance démographique des communautés, il leur faudra trouver de nouvelles terres pour leur subsistance, car l'excédent démographique ne peut en aucun cas être absorbé par une augmentation de la productivité. Les « lopins de terre » éparpillés qui leur reste vont en s'amenuisant, se dispersant encore au rythme des successions et sont la plupart du temps situés dans les zones où les conditions géographiques/géologiques et pédologiques sont les moins propices à l'activité agricole.

Pour éviter la vente ou la migration, certains agriculteurs commencent à cultiver des parcelles sur la frontière du Belize, qui est très proche et accessible en quelques heures à pied. Le Belize fait partie du territoire Q'eqchi' et les chemins pour y accéder sont connus depuis des générations55. Cependant, cette solution pose problème pour deux raisons : Premièrement, la région frontalière entre le Guatemala et le Belize est une forêt tropicale reconnue pour son importante biodiversité. Elle fait partie des rares aires protégées d'Amérique Centrale, car elle est reconnue dans la zone du « Corridor Biologique Mésoaméricain » par la Société Mésoaméricaine de Biologie de la Conservation (SMBC) (FAO, 2002). Si les agriculteurs qui manquent des terres commencent petit à petit à cultiver des parcelles dans cette zone, ils risquent de détruire cet environnement encore vierge d'activités humaines et encourent surtout de lourdes amandes.

Par ailleurs, le conflit frontalier entre le Guatemala et le Belize n'est toujours pas résolu depuis l'époque de la décolonisation. Le Guatemala réclame encore une partie du territoire bélizien. En 1859 un traité avait été destiné à établir les limites entre les deux pays qui n'en formait qu'un auparavant, nommé le Honduras britannique (Fontana Josep. et Ponton Gonzalo, 2001: 70)56. Le Guatemala soutient que le traité est nul parce que les britanniques

55 Annexe 5: Carte du territoire Q'eqchi'

56 FONTANA JOSEP. y PONTON GONZALO, 2001, Historia de América Latina. América Central desde 1930, Leslie Bethell ed., Barcelona: 349 p.

96

Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7: Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et réalités. (2013)

ont manqué à toutes les clauses d'assistance économique. Dans les années 1960, le gouvernement états-unien a tenté une médiation en vain, car les négociations sont toujours d'actualité depuis de nombreuses années. Le Belize est devenue indépendant le 21 septembre 1981 avec ce différend territorial non résolu. Le 8 novembre 2000, les deux pays ont convenu d'un accord pour respecter la zone de « contiguïté » en étendant un kilomètre de chaque côté de la frontière. La revendication territoriale n'ayant pas été soumise à la CIJ (Cours Internationale de Justice) comme le voulait le gouvernement du Guatemala en 2007, le mouvement a été limité à des mesures de confiance entre les parties.

Cette situation très tendue de revendication territoriale au niveau étatique est importante à comprendre, car elle expose les agriculteurs au niveau local à des risques conflictuels prenant des proportions très importantes. Le Belize encore sur le qui-vive, a placé une surveillance militaire dans cette zone indéfinie et revendiquée. Ces militaires ont des méthodes radicales lors des intrusions clandestines sur leur territoire. Des agriculteurs sont arrêtés et poursuivis en justice, mais certains sont tués dès qu'ils passent la frontière. Ainsi, dans le journal national guatémaltèque Prensa Libre, il n'est pas rare de voir dans les faits divers que des agriculteurs se sont fait tuer à la frontière. Pour cette raison, les agriculteurs à la recherche de terres cultivables vers cette frontière risquent leur vie s'ils dépassent la limite non définie.

Des associations d'agriculteurs q'eqchi' guatémaltèques sont en lien avec certaines associations d'agriculteurs q'eqchi' béliziens, mais l'impact de leur alliance est trop faible par rapport au conflit frontalier des pays dont ils font partie. De plus, la différence de langue nationale, ainsi que de fonctionnement institutionnel des deux pays est un frein supplémentaire pour la reconnaissance et la visibilité de ces alliances.

Nous voyons bien que la situation pour les associations d'agriculteurs est très difficile à gérer car des enjeux et conflits d'acteur entrent en jeu. Bien que leurs efforts de collaboration avec les institutions puissent contribuer à des améliorations juridiques concernant la sécurité foncière, la situation régionale et la puissance des contre-pouvoirs sont telles, que cette contribution ne peut pas à elle-seule améliorer la situation.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery