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Associations paysannes et développement durable: entre discours et réalités. Etude de cas: projet de l'ONG Propetén en partenariat avec 3 associations maya Q'eqchi' du nord du Guatemala.

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par Sandra Benotti
Université Aix Marseille  - Anthropologie et Métiers du Développement durable 2013
  

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1-4-2 Différents niveaux d'étude de la situation

En me basant sur l'analyse des organisations de l'anthropologue J-F. Chanlat (1995)13, j'ai effectué les diagnostics en pensant aux différents niveaux d'acteurs qui ont chacun une influence sur la situation et les problèmes ressentis. Les quatre niveaux principaux sont : le niveau de l'individu, le niveau de l'interaction, le niveau de l'organisation, et le niveau de la société.

- Le niveau de l'individu :

Sur le plan individuel, certains acteurs ont plus ou moins d'importance sur les groupes au niveau de l'association, du village et à l'extérieur du village. Dans l'élaboration des diagnostics et des plans de développement, il était intéressant de repérer les acteurs qui pouvaient freiner ou faciliter les solutions proposées. Dans les trois associations, chaque président et leader associatif avaient leur propre caractère et donc une manière différente de rassembler les associés. C'est en cela que deux d'entre elles, ayant des présidents très actifs et très engagés dans leur association, avaient plus de facilités pour gérer les projets en cours et pour en initier des nouveaux (contrairement à la dernière où le président donnait plutôt une impression de passivité et d'attente vis-à-vis des acteurs extérieurs).

Par ailleurs, selon les activités possibles pour remédier aux difficultés locales, certaines personnes ont des compétences utiles à tous, et il est important de les repérer. Par exemple, j'ai rencontré une femme qui était habituée à donner des formations d'alphabétisation pour des petits groupes de femmes du village de Poité Centro. Les membres de l'association ont

13 CHANLAT J-F, 1995, « Vers une anthropologie des organisations. », Sciences Humaines, n°9 : p. 40-43

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exprimé le besoin d'apprendre à lire et à écrire pour avoir plus de possibilités d'échange avec le monde institutionnel. Nous avons donc pu mettre en relation cette femme avec un centre d'alphabétisation, que l'ONG allait payer à travers le projet. Les compétences individuelles locales permettent donc un développement local par les membres de la communauté ainsi qu'une création d'emploi.

- Le niveau de l'interaction :

Deux types d'interactions m'ont aidé à comprendre la situation : les interactions que nous pourrions définir d' « habituelles », et les interactions « exceptionnelles » :

Les interactions « habituelles » mettent différents acteurs en relation directe à travers des activités, des rituels, ou encore des réunions. Avec les associations, il y a un grand nombre d'interactions de ce genre, déclenchées par les réunions fréquentes entre les membres et avec des acteurs extérieurs. Comme je l'ai dit dans l'exemple précédent du MAGA, au vu des différentes manières qu'ont les acteurs de s'imposer et de provoquer une réunion : l'interaction reflète donc le type de relation entre les acteurs.

Le second type d'interaction « exceptionnelle » s'opère lors des évènements inattendus ou particuliers qui rassemblent des acteurs n'ayant pas forcément l'habitude d'être en relation. J'ai eu la chance lors de mon séjour dans la communauté de la Compuerta d'être présente pendant la célébration nationale du 15 septembre, qui est la date de la proclamation de l'indépendance du Guatemala. Partout, que ce soit en ville ou dans les villages les plus reculés, cette célébration est très importante. Tous les habitants se rassemblent dans les centres villes ou places de village. Les enfants défilent dans les rues et tous les villageois se mêlent à des actes civiques, des jeux populaires (course de chat, escalade de pilonne enduis, cochon glissant, canard enterré...), des danses, des compétitions sportives (foot, course de chevaux) et des repas communautaires. Dans cette célébration, deux types de populations qui d'ordinaire communiquent peu dans ce village, ont été en contact lors de la fête : les familles de ladinos et les familles q'eqchi'. Dans la foule, ils étaient rassemblés, ce qui m'a permis d'observer leurs comportements les uns vis-à-vis des autres dans ce contexte de proximité. Malgré la très petite proportion de ces familles ladinas dans la communauté, j'ai observé que les organisateurs de l'évènement étaient presque exclusivement ladinos et la majorité des participants aux jeux aussi. Les q'eqchi' se retrouvaient donc spectateurs et en position inconfortable, sachant que les discours et commentaires prononcés au micro se faisaient en langue espagnole non traduite, ce qui empêchait la majeure partie du public de les comprendre. De plus, dans la foule, les ladinos qui restaient groupés se comportaient de

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manière plus extravertie. Ils reflétaient par leur attitude une impression de sûreté et imposaient leur présence. Leur comportement face à ma présence lors de cet évènement était aussi radicalement différent des personnes q'eqchi'. Alors que les q'eqchi' me regardaient discrètement de loin sans me parler, beaucoup de ladinos sont venus immédiatement me demander qui j'étais et ce que je faisais ici. Ils s'empressaient aussi de me tenir au courant fièrement de leur origine espagnole, ou des membres de leur famille qui vivaient en Espagne ou aux Etats-Unis.

Ce niveau de l'interaction permet donc de découvrir des formes d'identités collectives, basées sur des relations et clivages nous-eux qui recoupent des univers sociaux distincts : dans ce cas par l'appartenance ethnique, mais les différences genrées, générationnelles, religieuses etc. peuvent aussi se repérer à travers ce niveau.

- Le niveau de l'organisation :

En me focalisant sur le niveau de l'organisation, dans le cas des associations locales paysannes, j'ai remarqué qu'il y avait deux types d'ordre organisationnel : l'ordre officiel et l'ordre officieux. En effet, chacune des associations possède un règlement écrit et des membres du conseil administratif élus qui ont des rôles précis dans chaque groupe. Cependant, en observant de plus près, les rapports de pouvoir réels ne sont pas exactement les mêmes. Ainsi, certains membres de l'association ont le statut reconnu culturellement de guías espirituales (guides spirituels) ce qui leur confère une influence très importante au niveau décisionnel, alors qu'ils ne font pas forcément partie du conseil administratif. Dans l'association de la communauté de San Lucas Aguacate, trois femmes membres font par ailleurs partie de groupes de défense des droits des femmes reconnus au niveau municipal. Elles ont de ce fait une influence sur le discours et les activités de l'association. L'ordre officiel ne peut donc pas être considéré comme le seul référent et comme stable. Il subit des pressions par un ordre officieux, et cette dynamique de confrontation permanente entre les deux ordres révèle le fonctionnement réel des organisations.

- Le niveau de la société :

Ce niveau a une influence sur les autres niveaux par les logiques sociales et culturelles qu'il propage. Il rassemble les différents groupes par des caractéristiques socioculturelles communes (moeurs, langue, tradition, lois, etc.), des spécificités sociopolitiques (type de structure sociale, mode de reproduction des élites, mode d'organisation politique), et des symboles collectifs (drapeau, hymne, institutions, études, etc.). Ce niveau permet de

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comprendre le contexte général des communautés et ce qui est commun aux autres niveaux micros.

En gardant à l'esprit ces quatre niveaux d'influence, qui sont eux-mêmes en interaction, j'ai pu plus facilement comprendre les désaccords qui existent entre les actes et les discours. Cela permet d'éviter les oppositions ou rassemblements hâtifs comme individu/société, ordre/désordre, coopération/compétition...

1-4-3 Quelques stratégies appliquées pour réduire les contraintes du diagnostic Après l'annonce des contraintes et résultats attendus liées au diagnostic et plan de développement, je me suis rendue compte que certaines s'auto contredisaient ou étaient contradictoires entre elles. J'ai donc essayé, dans la mesure du possible, de réduire ces contraintes en jouant sur une marge de manoeuvre plus ou moins importante.

Premièrement, le résultat attendu d' « effectuer un diagnostic communautaire participatif avec les membres des associations locales » comprend deux failles, qui sont :

1) Le fait d'effectuer un seul diagnostic pour les trois communautés n'est objectivement pas satisfaisant. En effet, lors de mes premières visites dans les communautés, j'ai remarqué qu'elles avaient des aspects en commun, mais aussi des différences importantes : il y a des éléments qui changent de manière significative les conditions de vie des habitants, notamment des femmes. Parmi ces éléments, les services publics d'accès à l'eau potable, aux transports et à l'électricité sont les plus notables. Le document de diagnostic devait être écrit dans le but de décrire une situation propre à chacune des communautés. C'est pourquoi, grâce à l'accord de l'équipe de ProPetén, j'ai pu modifier cette contrainte des TDR, en effectuant un diagnostic par communauté. Il en a été de même concernant le plan de développement, qui, découlant des diagnostics, devient encore plus spécifique à chaque communauté.

2) La deuxième faille de la commande de diagnostic est le fait de devoir réaliser un diagnostic communautaire participatif uniquement avec les membres des trois associations. Les associations sont des sous-groupes communautaires qui ne peuvent pas représenter à ce titre la communauté dans son ensemble. L'association la plus importante est celle de la communauté de Poité Centro, elle compte 40 membres. Les trois communautés rassemblent en moyenne 120 familles chacune, ce qui correspond à environ 720 habitants par communauté. Il paraît donc difficile de prétendre faire un « diagnostic communautaire participatif » avec la participation d'un seul petit groupe. Pour pallier à cela, l'idée était de rencontrer des personnes hors des associations locales. Cependant, deux autres contraintes se

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sont ajoutées : la limite de temps que j'avais dans chaque communauté qui m'empêchait de faire une étude approfondie avec d'autres membres de la communauté ; La situation d' « enclicage »14 dans laquelle je me suis trouvée malgré moi, par rapport aux associations du projet cacao. Comme je me suis insérée dans les communautés à travers ces groupes, il a été plus difficile de m'entretenir avec la population n'appartenant pas à ceux-ci. J'ai néanmoins eu la chance de participer à la célébration du 15 de septiembre qui m'a permis de sortir momentanément de cet « enclicage », ayant l'occasion de parler avec des personnes totalement différentes. Avec les femmes, cela a été plus facile d'élargir l'étude au niveau communautaire, car je pouvais accéder à des points de vue différents en dehors de l'association : en allant au centre du village avec les amies des femmes chez qui je logeais, les voisines, ou bien à la rivière pour laver le linge et chercher de l'eau (dans les deux communautés sans accès à l'eau). Je suis donc parvenue à réduire cette faille du moins partiellement, mais nous pouvons dire de manière objective que les résultats des diagnostics correspondent majoritairement à la participation des membres des associations.

Ensuite, le résultat attendu du plan de développement à court terme de 5 ou 6 activités « simples » gérées et réalisées principalement par les bénéficiaires, paraît aussi contradictoire par rapport à la situation. En effet, après avoir commencé l'enquête de diagnostic, je me suis rendue compte que la priorité n°1 des trois associations communautaires était le renforcement de leur organisation pour pouvoir gérer en autonomie leurs projets. Prévoir des activités avant de remédier à cette faiblesse organisationnelle était donc compliquée et risquait de mener à des résultats partiels et non durables. Nous avons donc choisi pour éviter ce problème de planifier dans les plans de développement la moitié des activités sur le thème de formations de gestion et d'organisation (comptabilité, gestion de projet, leadership) dans les premiers mois du chronogramme des activités, puis les autres types d'activités (productives, économiques, culturelles) dans l'autre partie de l'année. Cela permettait de concilier le renforcement de la gestion locale à des résultats socioéconomiques concrets.

Enfin, le problème de ces contraintes réunies était l'investissement de temps et l'implication des populations pour des activités ayant peu d'ampleur sur les réels besoins des populations. Les diagnostics et plans de développement ne pouvaient pas dans ce cas précis avoir un impact réel direct sur les besoins et problèmes les plus importants des populations : le manque d'accès à l'eau potable et à l'électricité qui constituent un réel handicap dans deux des

14 Notion de J-P Olivier de Sardan, in OLIVIER DE SARDAN J-P, 1995, « La politique du terrain Sur la production des données en anthropologie », Enquête, numéro 1 Les terrains de l'enquête : pp.71-109

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communautés, et l'accaparement des terres qui concerne les trois groupes. Nous pouvons espérer que les diagnostics et les plans de développement auront un impact sur ces problèmes sur le long terme s'ils sont assez diffusés à plusieurs niveaux institutionnels. Pour le moment les documents sont connus seulement de l'ONG, des associations communautaires concernées et de la fédération COACAP. Les membres des associations sont bien conscients que ces documents écrits sont une des seules façons pour elles de communiquer avec les institutions capables de leur fournir un appui concernant les projets de ce type. C'est pourquoi dans les diagnostics, une partie a été consacrée aux possibilités de projets futurs, et dans les plans de développement, une partie a été consacrée aux acteurs potentiels collaborateurs en fonction des thèmes de développement, afin faciliter leur mise en relation. Nous approfondirons le sujet de la communication dans la partie suivante de ce mémoire.

Il a donc fallu adapter les besoins exprimés aux différentes contraintes, en exploitant cette possibilité d'étude.

Dans cette première partie du mémoire, nous avons pris connaissance du contexte du projet de production de cacao entre les trois associations communautaires et l'ONG ProPetén. En ayant une représentation plus claire des acteurs de ce projet, de leurs relations et de leurs objectifs, nous avons compris dans quel processus s'insérait mon stage et ma place d'anthopologue, ainsi que les contraintes de départ qui limitaient les possibilités pour le diagnostic.

Maintenant, nous allons dans la partie suivante nous intéresser aux résultats et aux rôles des documents de diagnostics et de plans de développement. Puis, nous discernerons les différentes capacités des associations par rapport au développement durable de leur communauté.

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Deuxième Partie : Les associations paysannes comme condition nécessaire au développement communautaire durable

Les associations paysannes paraissent avoir un rôle nécessaire pour le développement durable local. Tout d'abord, leur place au niveau communautaire et leur fonction de médiation avec l'extérieur sont essentielles. Nous nous intéresserons d'abord à mieux comprendre la nature de ces associations et leur récente multiplication dans la région. Puis, nous analyserons les possibilités que ces associations disposent pour contribuer à l'amélioration des conditions de vie des populations locales.

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