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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

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par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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3. Les réalités culturelles

L'ethnie, l'oralité et la démocratie sont des réalités culturelles qui méritent d'être comprises du point de vue de leur influence sur la littérature. Le Tchad est une juxtaposition d'une centaine de langues et d'ethnies distinctes les unes des autres. Chaque groupe ethnique a une base foncière et territoriale fixe, une culture et des institutions traditionnelles. Nous avons fait allusion aux royaumes baguirmiens, ouaddéens, aux regroupements sociopolitiques au Kanem, au Mayo-kebbi, etc. qui ont leurs manières de vivre et de faire différentes les unes des autres. Cette dissimilitude mérite d'être étudiée pour combattre l'extrémisme et prôner l'unité dans la diversité. Escarpit disant que « Le mode de diffusion le plus primitif est le bouche à oreille. C'est lui qui exige le moins d'initiative à la réception» (Escarpit, 1970 : 19) reconnait également qu'il est un élément culturel qui empêche la culture de l'imprimé dans les pays à tradition orale. Nous le démontrerons. La littérature étant, selon les termes de Madame de Staël, « l'expression de la société », celle du Tchad est marquée par l'ère de la démocratie, tant dans ses conditions de production que dans les thèmes développés.

3.1 La diversité ethnique

Le Dictionnaire de l'Ethnologie et de l'Anthropologie définit l'ethnie comme : « un ensemble linguistique, culturel et territorial d'une certaine taille. Entérite discrète dotée d'une culture, d'une langue et d'une psychologie spécifiques» (Bonté et al, 2008 :247). Dans notre travail, le mot « ethnie » est l'équivalent de clan, race ou tribu. Les tribus au Tchad se repoussent et s'acceptent par endroit. Il n'est pas facile de faire la différence entre les conflagrations linguistiques, ethniques, religieuses et tribales qui participent toutes à diviser les enfants du Tchad. La conséquence, cependant, sur le plan religion et social est visible : l'apparition des lieux de culte et d'associations ethniques. Cette séparation implique des problèmes qu'il faut analyser et auxquels il faut prévoir des solutions afin d'éviter des grandes crises sociétales. Heureusement, aucune culture, malgré le narcissisme culturel, n'a essayé d'imposer sa domination aux autres ethnies.

Le groupe sara constitue 28% de la population totale et les Arabes font 13%. Le premier groupe, majoritaire a eu la faveur politique et administrative des dix-huit premières années de l'indépendance et le dernier, tout le reste du temps, avec l'usage de sa langue dans le domaine religieux et commercial (les cultes et les débats religieux musulmans sont organisés en arabe tout comme l'achat et la vente des produits sur les marchés nationaux). Mais d'une manière officielle, aucune de ces entités n'a essayé de vouloir ériger sa culture en

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culture dominante. La richesse d'une littérature nationale réside dans la diversité des cultures et des langues d'écriture. Or au Tchad, l'exercice du pouvoir a favorisé quelques ethnies au détriment des autres. Dans ce cas, les horizons d'attentes de l'écrivain francophone tchadien se trouvent limités.

Le découpage arbitraire colonial a créé des minorités et des majorités dans les divisions administratives. Le tribalisme est renforcé par la division par chefferies traditionnelles conservée. Et, il y a une erreur dans la répartition de la mosaïque d'ethnies. Des 250 ethnies enregistrées au Recensement Général de 1993, le « sara » et l' « arabe » sont loin d'être des pôles ethniques majoritaires pour représenter respectivement le Sud et le Nord du pays. Malheureusement, on appelle d'une manière péjorative les populations du Sud des sudistes ou saras et celles du Nord des nordistes ou arabes. À côté de cette erreur qui ne favorise pas l'unité, il y a un problème d'insertion des tribus dites étrangères. Haoussa, Bornou, Peuls, etc., groupes ethniques qui existent au Tchad bien avant la proclamation de la République, en 1958 sont quelques fois accusés d'être étrangers, malgré leur long séjour au pays et leur participation à la construction de l'État-nation. Pour prôner l'unité et la solidarité, le juriste tchadien Mahamat-Seid Abazène martèle qu'il est bien vrai que « la terre appartient aux premiers occupants, mais faudrait-il qu'ils aient occupé toute la terre. La terre vacante qui est sans maître peut valablement être occupée par un autre» (Abazène, in Collectif, 2002 :37)

Ces erreurs conduisent inévitablement à la discrimination22et au tribalisme23 qui n'ont pas manqué d'être critiqués. Dans l'un de ses rapports sur la discrimination, Félix Eboué affirme : « Les habitants du Kanem, du Batha et du Ouaddaï se considèrent comme d'essence supérieure aux Sar[a]s, Bananas, Baguirmiens et Hadjaraï» (Éboué cité par Boudjedra, 1992 :10). Ce constat est repris par Buijtenhuijs qui préfère sonner la cloche d'alarme contre la discrimination en ces termes : « Au Tchad, il y a une partie qui paie l'impôt et il y a une partie qui ne paie pas, et c'est dans celle-ci qu'on construit des écoles, des écoles qui restent malheureusement vides ou abritent des animaux f...] Les Tchadiens doivent mener une lutte de libération intérieure pour ne pas être esclaves d'autres Tchadiens» (Buijtenhuijs, 1998: 150). Beyem Roné, dans la même logique constate que les orchestres composés des jeunes du Sud chantent en arabe dialectal, pour une large audience, mais leurs chansons ne passent

22 Tendance à distinguer et à favoriser un groupe ethnique au détriment d'autres

23 L'organisation de la vie publique avec pour base la tribu

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presque pas aux tranches d'heures destinées à la communauté arabo-musulmane. Il reconnaît aussi qu'« aucun musicien du Nord n'utilise les langues du Sud» (Beyem, 2000 : 204). C'est le melting pot national qui prend ainsi le coup. Les écrivains doivent, à cet effet, disposer de témoignages concordants pour exposer ce phénomène au grand jour.

Le tribalisme comporte des risques certains pour la stabilité sociopolitique. La majorité des tenants du pouvoir ont formé une solidarité ethnique. Rappelons que Tombalbaye (Sara madjingaye) « a sélectionné pour gérer l'État principalement des ressortissants de sa région natale» (Varsia, 1994 : 18), que sous Habré (Gorane), « les Goranes prennent le pouvoir et l'exercent sur des bases véritablement ethniques » (Benodjita, 1997 : 49) et que et sous Déby (Zaghawa) « les membres du MPS pratiquent le pillage ou encore sèment la panique en sillonnant spécialement les quartiers de Sara Moursal» (Varsia, 1994 : 69-70). Malloum (Mbaye) et Goukouni (Toubou) ont privilégié leurs proches. Le pouvoir était devenu selon Beyem « un instrument de promotion politique, économique et sociale des ressortissants de l'ethnie du chef de l'État. Et c'est cela le tribalisme» (Beyem, 2000 : 238). D'une manière instinctive, ces autorités ont cru que leur sécurité, leurs secrets et leurs biens ne peuvent être bien gardés que par les leurs. Ainsi, la notion de « nation » devient vaine. Le Tchad ne devient qu'une constellation d'ethnies qui cohabitent sans partage.

La diversité ethnique en soi n'est pas un mal. Mais, quand chaque groupe abuse des services de l'État au profit de ses membres, au su et au vu des autres groupes, il y a lieu de dénoncer, d'écrire pour arrêter. Les ethnies tchadiennes présentent des caractéristiques communes dans le domaine de langues, des us et coutumes et de la gestion du terroir. Leur harmonisation et leur « dissolution » dans la solidarité nationale peuvent faciliter la mise sur pied d'une nation unifiée au sens propre du terme. Pour Dubois (1978), un peuple doit digérer les apports culturels hétérogènes et forger un corpus homogène imprégné d'une vision nationale uniforme.

Le système éducatif, le commerce et la religion sont les issues exploitables par les écrivains qui ont le désir de véhiculer des messages de solidarité dans leurs oeuvres.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams