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Esthétique de la création théatrale camerounaise de 1990 a 2010

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par Paulin ESSAKO ELLOUMOU
Université de Yaoundé - Master II 2014
  

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CHAPITRE II :

L'ESTHETIQUE DE LA CREATION THEATRALE CAMEROUNAISE DE 1990 A 2010

Suite au chapitre précédent où il a été question de la brève présentation du concept d'esthétique théâtrale dans le monde et au Cameroun, le second chapitre intitulé : «  l'esthétique de la création théâtrale camerounaise de 1990 à 2010 », s'inscrit d'office dans une mouvance quasi identique à la précédente. Toutefois, le chapitre entend mettre en exergue, les éléments justificatifs du changement radical survenu au début des années 90, et ayant conduit à l'abandon du « réalisme farcesque54(*) » considéré dans ce travail comme l'esthétique de l'âge d'or du théâtre camerounais. Car semble t-il, et au regard du succès que connait ses adeptes55(*), il a permis de porter haut l'image de cet art non seulement à l'intérieur du territoire national, mais aussi à l'international si l'on s'en tient au prestige de l'art dramatique camerounais dont parle Polycarpe Oyié Ndzié (1985 :344) à Libreville, Abidjan et Cotonou. Cependant, en plus de faire une lumière sur ces changements, le présent chapitre a entre autres objectifs, de répondre à l'une des interrogations essentielles de tout ce travail, à savoir : existe-t-il une esthétique proprement dite camerounaise de 1990 à 2010? Autrement dit, peut-on systématiquement identifier l'esthétique dite camerounaise du théâtre à cette période? Pour ce faire, il s'impose d'examiner tour à tour, la rupture d'avec le réalisme farcesque, la typologie des esthétiques en présence, enfin, présenter la nouvelle esthétique dominante ainsi que ses caractéristiques.

A. La Rupture d'avec le réalisme farcesque (1965-1990)

I. Les prémices de la rupture

Le Cameroun fait le théâtre d'une vague successive d'événements au début des années 1990. Ces derniers ne vont pas sans conséquences dans les divers secteurs d'activité. Dans le cas échéant le secteur artistique et théâtral plus précisément n'a pu être épargné. Cette petite articulation s'engage de ce fait à présenter certains de ces événements, du moins les plus marquants et le lien qu'ils entretiennent avec la chute de la conception antérieur du théâtre camerounais.

1. La crise économique

Le fait que cette étude situe sur le plan temporel la crise économique au début des années 90, ne signifie aucunement l'affirmation de sa date de naissance à cette période. C'est-à-dire que le phénomène en lui-même fait ses premiers pas au Cameroun non en 1990 mais en 1985. Cependant, le phénomène n'est encore perceptible qu'à l'échelle du grand appareil, l'Etat. L'aggravation du phénomène se fait plus manifeste à bas échelle dès 1990. C'est dans cette mesure que cette date répond du début de la crise économique camerounaise. Par ailleurs tenter de cerner la part de responsabilité de la régression économique dans, ce qui pourrait être à juste titre « la crise dramatique » nationale exige, une fois de plus un bref rappel sur, la situation économique durant la période de succès du théâtre camerounais.

En fait, le Cameroun de cette période connait une croissance économique strictement positive selon les dires de certains chercheurs à l'instar de, Touna Mama et de Bouopda Pierre Kamé. Cependant, les quinze années qui ont suivies l'indépendance enregistraient un taux de croissance variant entre 1,2% et 6,5% pour une moyenne annuelle de 3,4%. La croissance positive est relative à l'exploitation pétrolière de 1977. Ainsi, le PIB passe de 3,4% à 7,6% en moyenne annuelle. Plus tard en 1980, le PIB atteint un taux de croissance à deux chiffres, respectivement, 10,2% et 17,1%, plaçant le Cameroun au rang de, pays à revenu intermédiaire56(*). Ainsi, théoriquement il faut le préciser, chaque camerounais pouvait utiliser en moyen 1210,5 dollars par an. De ce fait, il avait les moyens financiers d'inclure dans son budget l'achat du loisir, catégorie dans laquelle est placé le théâtre dans cette échéance. Le caractère séducteur du réalisme farcesque combiné à l'aisance matérielle du consommateur, témoignent de l'essor de l'art dramatique camerounais de cette période.

De ce qui précède, émerge le lien entre la crise économique et le détournement de « esthétique » dominante. En effet, dans la deuxième moitié des années 80, le Cameroun fait face à la chute brutale du cours mondial de ses principaux produits d'exportation notamment, les produits agricoles et le pétrole. Dans ce cas, le pays s'installe dans une crise économique profonde, ainsi que le relève Touna Mama (2008 : 16)

De 1987 à 1994, le PIB chute continuellement avec un taux de croissance moyen de -4,1% l'an. Le PIB par tête qui avait atteint en 1986le sommet historique de 1020,278 dollars américains constant de 2000 se retrouve à seulement 596 des mêmes dollars en 1994 (World Bank 2007, WDI), ramenant le niveau de vie des camerounais à 20 ans en arrière. Cette chute du PIB par tête, estimée à 6,5% l'an, fait passer le Cameroun en 1994 du statut de ``pays à revenu intermédiaire'' qu'il occupait depuis la deuxième moitié des années 1980 à celui de ``pays à revenu bas57(*)''

Les données que présente l'auteur témoignent clairement de la chute du pouvoir d'achat des ménages d'une part, et de l'impasse des pouvoirs publiques à soutenir éventuellement ce secteur d'activité d'autre part. Il est certes vrai que ces subventions par le passé sont quasi inexistantes, et que l'art théâtral vit de l'adhésion du publique qui a un statut financier acceptable, mais il n'est pas moins vrai que cette régression économique vient évanouir d'éventuelles possibilités de subvention. Dans cette mesure, le théâtre camerounais peu à peu fait place aux exigences extérieurs en échange de subvention. Lesdites exigences entrent en contradiction direct avec l'idéologie de l'esthétique farcesque, ce qui fait de la crise économique un indicateur de la chute de cette esthétique. A la cause de cette chute, sont rattachés plusieurs autres indicateurs dont les bouleversements politiques.

2. Les bouleversements politiques.

Au même titre que la crise économique, les mutations politiques se font plus manifestes au seuil de la décennie 90. Et à leur tour ne manquent pas d'impacter sur la sphère théâtrale nationale. Par ailleurs un regard rétrospectif sur la situation politique aux années concomitantes à la période de gloire de l'art théâtral au Cameroun, permettra par la suite de cerner, le rôle quoique latent, qu'a joué la situation politique relativement au rayonnement du réalisme farcesque.

Le système du parti unique dont dispose le Cameroun depuis la première république, révèle à la fois atouts et inconvénients. Pour la circonstance uniquement les atouts feront l'objet d'intérêt. A cet effet, la stabilité que recherche le système constitue en trame de fond un atout pour ce théâtre. Ceci du fait que sa ramification ne concerne pas uniquement le domaine politique, mais également les autres secteurs dont économique et socioculturel.

L'unité nationale et le patriotisme jouent un rôle quasi identique, en ceci que ces deux dispositions semblent orienter le créateur camerounais, d'abord vers la satisfaction du public local avant toute prétention d'exportation. A preuve, ces hommes à succès du théâtre camerounais, Dave K Moktoï, Jean Miché Kankan, Daniel Ndo, Essindi Mindja connaissent d'abord du succès auprès de leurs compatriotes, avant que celui-ci ne s'étende dans la sous région et traverser les mers par la suite. Guillaume Oyono Mbia en est tout aussi bien une preuve. Car la notoriété qu'acquiert, Trois prétendants...un mari dans le monde, il la doit en partie à l'amour que porte le public national sur cette oeuvre. Voila en quelques sortes, les niveaux de contribution de la situation politique dans le succès du réalisme farcesque.

Mais à l'aube de l'année 1990, des disputes politiques ébranlent le pays. En fait, les revendications des groupes politiques gisant depuis le 6 avril 1984, aboutissent à la démolition systématique du parti unique. C'est ce que semble expliquer Bouopda Pierre Kamé (2007 : 125)58(*) lors qu'il présente les forces antagonistes en présence :

Deux groupes distincts de militants politiques envisagent en effet, depuis la fin des années 1989, d'exploiter les dispositions de l'article 3 de la constitution du 2 juin 1972 pour lancer des partis politiques, et rompre ainsi le régime du parti unique [...] il faut contraindre le pouvoir publique à sortir du discours rhétorique officiel sur la démocratisation pour rétablir concrètement le multipartisme [...]

Par ailleurs, rompre cette stabilité dans le milieu politique, entraine forcement dans le domaine dramaturgique, l'évanouissement d'un état d'esprit propice à l'émergence de l'art théâtral au Cameroun. Le temps de divertissement qu'occupe l'art dramatique dans la vie populaire cède immédiatement au profit des préoccupations d'ordre politique.

La pression relative à l'application du multipartisme, met en péril d'un coté, l'unité nationale et de l'autre la notion du patriotisme. Car les deux semblent gouverner d'une manière ou d'une autre la disposition qu'a l'auteur à satisfaire en premier le public local au dépend de l'extérieur. En revanche, dramaturges et metteurs en scène dans ces circonstances, relèguent à l'arrière plan cette primauté du public local sur le public extérieur. En conséquence le théâtre camerounais depuis le début de la décennie 90 s'est davantage extraverti.

3. Le challenge des autres loisirs

Avant toute chose, définissons le mot loisir ainsi que ses constituants au Cameroun. De cette façon, il ressortira sans doute en substance les orientations de traitement envisagées afin d'en déduire du rang véritable du théâtre dans le domaine des loisirs.

Le loisir s'entend comme : une distraction, amusement auquel on se livre pendant ses moments libre selon, Grand usuel Larousse (1997). Ainsi défini, le loisir par extension semble désigner l'ensemble des activités dont la visée principale intègre une distraction sans contrainte.

En 1999, soit neuf ans après la borne de départ de cette étude, L'annuaire statistique du Cameroun, mentionne dans son chapitre 9 : « sport et loisirs ». Seulement, dans la rubrique loisirs, n'y figurent que des données uniquement relatives au cinéma. Cela s'entend lorsque l'on concède la clandestinité dans laquelle évolue l'écrasante majorité de ces activités. Ce qui rend à coup sûr difficile et imperceptible leurs études statistiques. Car à proprement parler, le loisir se situe dans un champ beaucoup plus vaste dans le contexte camerounais. De ce fait, la circonstance lui attribut les activités ci-après : le visionnage, la consommation d'alcool, les jeux de hasard, la dance, le sport, la lecture, la music, le cinéma. La question fondamentale est cependant de savoir, en quoi le développement de ces types de loisir a-t-il pu contribuer à la chute du réalisme farcesque ?

Les moyen financiers dont dispose « l'industrie » cinématographique au Cameroun combiné à la logistique fait d'elle un parfait challengeur, et ce malgré la crise qui la secoue au début des années 90. N'empêche qu'elle continue de drainer des foules dans les nombreuses salles dont elle dispose à travers le territoire national. Car en 1995, cinq des dix provinces disposent de 28 salles de cinéma, pour une capacité totale d'accueil de, 9350 places59(*), contre 0 pour le théâtre, et connaissant les exigences de cet l'art en matière de salles.

L'avènement de la télévision depuis 1985 au Cameroun et sa vulgarisation cinq ans plus tard représentent à leur tour, une entrave pas moindre au déploiement de l'art théâtral en terme de loisir. Car plus un loisir est attrayant, et dispose d'un cadre physique bien déterminé, plus il est compétitif relativement à d'autres. La Loi60(*) N° 90/52 du 19 décembre 1990 sur la liberté de la communication sociale, modifiée et complétée par la Loi N° 96/04 du 4 janvier 1996, a au début des années 2000 busqué ce secteur. En effet, le décret du Premier ministre du 3 avril 2000 (2000/158) a ouvert la voie à la création de dizaines de maisons privées de la presse audiovisuelle au Cameroun le nombre de chaine passe ainsi de 1 à 8, à en croire à l'enquête menée tout juste en 2012 par, Enoh Tanjong, Jeanette Minnie et Hendrik Bussiek (2012 : 27) : « Le Cameroun compte près de 80 stations radios et sept chaînes de télévision privées. ». Parallèlement se développe le visionnage, un loisir hautement concurrentiel à l'art dramatique, qui à l'opposé de ses concurrents n'a connu aucune réforme en sa faveur tout au contraire.

Tenter d'établir une équivalence entre le théâtre et l'alcool en terme de consommation, c'est volontairement fermer les yeux sur la vertigineuse ascendance du second sur le premier, au vue de ses innombrables points de distribution et stratégies marketing mises en oeuvre par les industries brassicoles, afin d'assurer leur visibilité et leur compétitivité.

La dance le sport ainsi que la music partent également sur des bases de comparaison inégales. Depuis 1990, le sport, a contribué à plus de visibilité du Cameroun sur l'échiquier international. Dès lors l'implication des pouvoirs publiques dans son développement en tan que loisir d'une part et source de revenu de l'autre s'explique. Toute fois, à la déduction annoncée en prélude, les arguments sus évoqués permettent de comprendre la place de l'art dramatique dans le domaine des loisirs camerounais. En effet, face à ses principaux rivaux, bénéficiant du public et celui des pouvoirs publics, le théâtre perd durant la décennie 90, le rang du leader dans le secteur des loisirs au Cameroun.

4. Une critique multiforme

Après la crise économique, les bouleversements politiques et le challenge des autres secteurs de loisir, l'examen de la chute du réalisme farcesque s'intéresse à la vague de critique s'étant abattue sur lui depuis le seuil de 1990.

4.1. Critique médiatique

Le théâtre camerounais de la décennie 90 a simultanément connu, du point de vue médiatique, l'adhérence et la contre-adhérence. Pour ce qui est de l'adhérence elle fut de courte durée. Vu qu'elle se retrouva aussitôt étranglée et réduite à une catégorie de créateurs en quête de « facilité financière » selon l'expression de Roger Owona. Par ailleurs la contre-adhérence est cet aspect de la critique médiatique ayant contribué à la décadence de l'esthétique dominante du théâtre camerounais. A titre illustratif, le quotidien national d'informations, Cameroon Tribune, intègre les mécanismes linguistiques de ce théâtre dans un premier temps notamment par l'introduction d'une rubrique consacrée à cet effet, intitulée « L'Humeur de l'homme de la rue61(*) ». Dans un second temps, le même journal par le biais de ses journalistes va décimer cette technique dont usent les pratiquants. De ces critiques journalistiques, Roger Owona est le plus en vue. Ce dernier reproche à ce théâtre, sa « facilité », l'absence de normalisation, et son caractère risible. Tout compte fait, Owona Roger donne déjà trois ans avant 1990, le ton de la pensée médiatique à l'égard de cette conception farcesque du théâtre camerounais. Il déclare que : « ... La facilité s'est installée. N'importe qui se lève un beau matin, crée on ne sait quoi et monte sur les planches ! Le drame c'est que ces rigolos se font chaudement applaudir. Et c'est bien dommage. Car le théâtre, ce n'est pas cela. Il est un art « qui a des règles »62(*). Il continu, remettant tour à tour en question « l'imagination créatrice » et la popularité du réalisme farcesque pour la postérité. L'interrogation qui le place en tête des guerriers médiatiques en lutte contre ce théâtre, reste sans doute celle de son article où il demande : «  Quel théâtre voulons-nous pour nos enfants ?... ». Interrogation à laquelle il répond lui-même : « ... Certainement pas ces farces, ces plaisanteries souvent de fort mauvais goût, mais plutôt un théâtre qui contribue à « élever le niveau »63(*)... ». Telle est la responsabilité de la critique médiatique vis-à-vis de l'abandon du réalisme farcesque.

4.2. Critique littéraire

D'emblé, le parfait littéraire moulé à l'école occidentale, éprouve pas mal de difficultés à se libérer de cette chaîne linguistique qui le lie à son ancien maitre. C'est dans ce contexte que s'aligne la suivante critique. En faveur des cannons esthétiques occidentaux, et au grand rejet de la pratique dramatique nationale Charles Binam Bikoï (1985 : 105-135)64(*) écrit : « Par essence, la littérature se veut reconstruction dialectique, esthétique de la réalité... » Or, ajoute t-il : 

... il nous est offert d'assister depuis quelques années avec la naissance d'une expression détournée du présent et sans enracinement dans un passé autre qu'ethnique, avec la naissance aussi d'un théâtre facile, plus près du vaudeville que de la littérature, puisque ce théâtre des Otsama et autres Massa Kankan ne peut même pas définir un champ linguistique qui soit intelligible au dictionnaire des nations ou tout au moins compréhensible au bon sens. 

Il est rejoint dans ses propos quelques trois ans plus tard par un autre fidèle des lettres, Albert Azeyeh soucieux bien entendu « d'élever son goût » du théâtre au-delà de ce qu'il qualifie de, mercantilisme qui consiste à entretenir de bas instincts sans aboutir à la catharsis aristotélicienne. De ce fait, sa condamnation du théâtre farcesque est sans appel il écrit notamment à ce sujet :

 ... Aujourd'hui, l'oncle Otsama et Massa Batré interposés, on tourne en ridicule l'inadaptation sociale, morale et culturelle du paysan et du sauveteur, lesquels ne se reconnaissent pas dans cette caricature outrageuse d'eux-mêmes, prennent leurs distances par le gros rire de distanciation. Aussi bien, les problèmes de dot, du tribalisme, de la corruption, loin de trouver leur solution, restent en l'état malgré le ronron des saynètes et autres sketches à succès.65(*) 

Dans le même sillage, se greffe Polycarpe Oyié Ndzié, parlant justement du : «  rire fou, c'est-à-dire le rire vide de sens » dans lequel ces créations plongent le spectateur. Jacques Raymond Fofié (2007 : 66) apporte plus de clarté dans l'analyse de ces propos. Il parle d'un : « ratage parce que non basé sur un texte ». Voilà en panoramique, ce qui est de la critique littéraire dans sa responsabilité proche ou lointaine de la chute du théâtre farcesque Camerounais. Cependant il reste une dernière catégorie de critique non négligeable.

4.3. Critique dramatique.

En plus de ce qui a déjà été évoqué ci-dessus, les dramaturges à leur tour présentent des doléances fondamentalement similaires à celles des littéraires ou des médiats. Notamment, lors que David Ndachi Tagne s'insurge contre le néologisme qu'engendre ce théâtre farcesque en disant : «... la bouffonnerie et le langage désarticulé [...] influencent les jeunes artistes et même le langage du public66(*) ». Mais, d'autre iront plus loin dans l'intransigeance vis-à-vis de cette pratique dramatique. En occurrence Joseph Kengni, sous sa posture de dramaturge exprime clairement sa position dans une interview citée par Jacques Raymond Fofié (2007 : 61)

J'ai horreur d'entendre traiter de langage dramatique camerounais le langage non dramatique camerounais. Il faudrait qu'un jour les critiques de théâtre camerounais comprennent que ces langages ne peuvent pas être appelés « langage dramatique camerounais » pour la simple raison que cela n'existe nulle part dans ces oeuvres dramatiques. C'est un langage de circonstance des hommes assoiffés d'argent ; lesquels mettent le métier des enseignants en difficulté.

A ce niveau, le langage dont le dramaturge fait référence est le mécanisme linguistique du réalisme farcesque. Car ledit mécanisme échappe en grande partie à la conformité langagière du français ou de l'anglais. Bole Butake ne manque pas à son de pointer les mêmes « tares » dans cette « dramaturgie ». Notamment il s'attaque aussi comme le reste, à l'aspect comique de ces oeuvres. En effet, dans un article il écrit: «...the so-called comic plays produced in this country usually a lot to be desired. In an attempt to cover up their ignorance the playwright-dramatists exploit the comic techniques of incongruity of language and bizarre costumes67(*)

Parmi les dramaturges ayant sérieusement sanctionnés le rire fortement inclus dans la farce se trouve, Hubert Mono Ndjana. Son désenchantement à l'égard de ce théâtre est directement relatif aux exactions de la langue lorsqu'il écrit :

Le français [...] se trouve pratiquement massacré. En même temps que les Otsama, les Kankan et les Batré amusent nos enfants en longueur de journée, ils les font également intérioriser un style d'expression qui est une injure au bon usage de la langue. [...] Nos comédiens ont pensés, presque tous, qu'on ne pouvait amuser qu'en déformant la langue.68(*)

Pour chuter à ce niveau, au regard de ce qui précède, il convient de remarquer que, le théâtre farcesque encore entendu dans cette circonstance comme réalisme farcesque, a subit une pression énorme du point de vue critique. Dans ce cas, sa mention en qualité de prémisse de la rupture se voit tout à fait justifiée. Le fait est que, les situations sus mentionnées ont progressivement depuis 1990 conduit, à la chute du théâtre farcesque camerounais à plusieurs niveaux. D'abord la chute de la création linguistique, au profit de la fidélisation du langage, non pour des fins esthétiques, mais académique. La chute du fond et de la forme, autrement dit, le style et le genre. Tout cela a vraisemblablement déblayé du terrain, favorisant en même temps, des idéologies multiformes du théâtre au Cameroun. Dans cette multitude de conception théâtrale et/ou esthétique, le point suivant tente sur la base du témoignage de quelques ténors du théâtre camerounais huit oeuvres, l'essai de classification typologique des esthétiques théâtrales entre 1990 et 2010 dans un premier temps. Dans un second, caractériser la nouvelle esthétique dominante.

B. Typologie des esthétiques à grande visibilité entre 1990 et 2010

I. La décennie 1990-2000 : de la distanciation textuelle et du naturalisme scénique

1. De la distanciation textuelle

Comme la majeure partie des pensées artistiques d'exportation, la distanciation bien que déjà présente dans la pratique théâtrale occidentale ne peut justifier sa visibilité au Cameroun qu'après 1990. Notamment à travers la publication de textes annonçant visiblement le décès du « théâtre dramatique » ou aristotélicien. Cependant que signifie distanciation ? Un principe esthétique qui selon Bertolt Brecht, vise «  l'espace médiateur entre le spectateur et le monde, la pédagogie sociale où l'individu s'interroge en permanence sur les réalités humaines69(*) ». Cependant cette définition met à couvert bon nombre d'éléments d'identification de l'esthétique de distanciation. Vaut donc mieux adopter une définition qui prend en compte les principes moteurs. De ce fait, cette étude conçoit la distanciation70(*) comme une manifestation esthétique dont la base est la narration, le spectateur un observateur, où les sentiments sont poussés jusqu'à devenir des connaissances, où l'Homme est l'objet de l'enquête, où chaque scène est indépendante en fin où l'Être humain détermine la pensée et la raison. Toutefois, en quoi les éléments esthétiques contenus dans la pratique théâtrale de 1990 à 1995 forment-ils la distanciation ? Peut être faudrait il commencer par examiner l'un des textes les plus énigmatiques de cette période ; Un Touareg s'est marié à une Pygmée : épopée pour une Afrique présente71(*) . Cependant, il semble nécessaire pour cet examen de passer par les éléments textuels mentionnés en prélude à cette étude à savoir, le paratexte autorial et éditorial, la première et la quatrième de couverture pour le premier groupe de composante matériel. Et le texte dans sa version physique (papier) pour le second groupe.

1.1. Dans les paratextes

1.1.1. Paratexte autorial

Un Touareg s'est marié à une Pygmée : épopée pour une Afrique présente, au moyen de son premier groupe d'élément matériel, livre au lecteur un certain nombre de signe et d'informations tout en s'abstenant pour d'autres.

Le paratexte autorial, destiné à livrer des informations sur l'auteur, et pouvant par ailleurs conduire à une réflexion psychosociale ou psychanalytique sur ladite oeuvre, se trouve inexistant dans notre cas d'espèce. Du point de vue sémiologique, il se dégage de cette absence omise ou volontaire deux hypothèses probables : soit l'auteur se situe dans une perspective « avant-gardiste » et défit de ce fait les lois préétablies, soit il est soumis aux contraintes de l'éditeur. La première hypothèse semble cependant se vérifier si l'on s'en tient à un certain nombre d'oeuvres du même éditeur. C'est le cas de : Un homme ordinaire pour quatre femmes particulières de Slimane Benaïssa ou, La folle du Gouverneur de Laurent Owondo et Récupération de Kossi Efoui...Ici les informations relatives à l'auteur sont clairement mentionnées dans le para texte autorial.

1.1.2. Para texte éditorial

Contrairement à ce qui précède, le paratexte éditorial est plutôt pluriel, en ceci qu'il comporte la maison d'édition, le titre de l'oeuvre, la date de parution, et pour le cas échéant, le nom des producteurs associés. En ce qui concerne la maison d'édition, une fouille minutieuse de son site72(*) internet permet de cerner simultanément, le genre littéraire le mieux développé et, les préférences dramaturgiques associées. En termes de chiffre, sur 100 éditions depuis 1988, Lansman édité 87 oeuvres dramatiques, 9 Etudes sur le théâtre et quatre essais toujours sur le théâtre. En bref, c'est un éditeur dévoué à l'art dramatique. Cependant un autre constat est fait relativement à la préférence dramaturgique. Tous ces indices loin d'un degré de signification zéro, dégage plutôt un discours qui pour être mieux appréhender, nécessite d'être combiné à d'autres éléments du texte.

Pour ce, quittons le volet paratexte, et revenons sur la première de couverture. Ici seul le titre et les graphiques en filigrane y sont examinés.

* 54 L'usage de cette expression fait référence dans le cadre de cette étude, à ce qui se conçoit, comme la manifestation esthétique dominant la sphère théâtrale nationale entre 1965 et la fin des années 80.

* 55 Dave K. Moktoï, Oncle Otsama, Jean Miché Kankan, Kouakam Narcisse, Essindi Mindja, Massa Batré, et par extension Guillaume Oyono Mbia. Certes ce dernier se distingue par le soin minutieux de la langue, mais il ne demeure pas moins vrai que le paysage, les personnages et même l'intrigue de Trois prétendants...un mari le classe dans cette catégorie.

* 56 Les pays à revenu intermédiaire bas sont ceux là dont le RIB est compris entre 481 et 1940 dollars par individu. Cette clarification est tirée de, L'économie camerounaise : pour un nouveau départ, de Touna Mama publié à Africaine d'Edition, 2008, P. 16

* 57 Les pays à revenu bas, font parti de cette catégorie dont le RIB (Revenu intérieur brut) par tête était inferieur ou égal à 480 dollars en 1987 selon le site de la banque mondiale, http://siteressources.worldbank.org/DATASTATISTICS/OGHIST.xls, cité par Touna Mama.

* 58 Cameroun les crises majeurs de la présidence Paul Biya, Paris, L'Harmattan.

* 59 Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale, 2000, Annuaire statistique du Cameroun 1999 P.146

* 60 Dr. Enoh Tanjong (chercheur), Jeanette Minnie et Hendrik Bussiek (co-rédacteurs), 2012,  Les organisations audio visuelles publics en Afrique, Johannesburg, Open society Fondations, P. 18-27. Ce document est disponible sur le site : www.afrimap. org

* 61 C'est une rubrique à caractère satirique dans le journal national d'informations. Elle fait ses débuts avec le N°4983 du mercredi 2 octobre 1991 dans un sujet : le « Ndamba » ou Football.

* 62 Roger Owona, 1987, « Théâtre : la banqueroute de l'imagination » in Cameroon Tribune N°3961,, vendredi 4 septembre 1987, Cité par Jacques Raymond Fofié, 2007, La création linguistique dramatique au Cameroun,Presse Universitaires de Yaoundé , P.19

* 63 Ibid.

* 64 « La Dimension littéraire de l'identité culturelle au Cameroun », in L'Identité culturelle camerounaise, MINFOC, Yaoundé, P.93-104, Débats, P.105-135.

* 65 Albert Azeyeh, «  Théâtre et éducation du goût : succès populaire et attente des lettres », in Menola N°0004, 1er février 1993, P. 15.

* 66 David Ndachi Tagne, 1987, interview. Cité par Jacques Raymond Fofié dans Création linguistique dramatique au Cameroun, P. 61.

* 67 Bole Butake, 1988, « Play Production in Cameroon » , in Théâtre camerounais /Cameroonian theatre, Actes du colloque de Yaoundé, Edited by Bole Butake et Gilbert Doho, Bet & Co ( Pub) Ltd, Yaoundé, Cameroon, PP. 67-79.

* 68 Hubert Mono Ndjana, 1988, « Le théâtre populaire d'aujourd'hui » in Théâtre camerounais/ Cameroonian theatre, PP. 144-157.

* 69 Bertolt Brecht, Ecrits sur le théâtre (Textes de 1930 à 1954) cité par Monique Borie, Martine de Rougemont et Jacques Scherer in Esthétique théâtrale textes de Platon à Brecht, SEDES, P.289

* 70 Cette définition est inspirée du schéma de la forme épique du théâtre, proposé par Monique Borie, Martine de Rougemont et Jacques Scherer. Ce schéma met en lumière les principaux éléments du théâtre épique autrement dit de la distanciation.

* 71 Werewere Linking, 1992, Un Touareg s'est marié à une Pygmée : épopée pour une Afrique présente, Montréal, Editions Lansman.

* 72 www.lansman.com Une étude statistique intitulée : « production dramatique contemporaine » menée par Pierre Rodrigue Smozkine en 1994, dévoile les préférences de cette st ructure d'édition.

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