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La sécurité juridique en droit administratif sénégalais

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par Abdou Ka
Université Gaston berger de saint Louis - DEA droit public 2015
  

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Paragraphe 2 : L'axe temporel de la sécurité juridique

Dans sa dimension temporelle, la sécurité juridique exige la prévisibilité et la relative stabilité de la règle juridique. Les destinataires des règles juridiques doivent être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actions. De même, ils doivent pouvoir compter sur leurs prévisions lorsqu'ils actualisent une action dans la durée. Ainsi, en droit administratif, ces exigences de prévisibilité et de stabilité sont essentiellement garanties.

D'abord, la prévisibilité des actes administratifs pose la question de la rétroactivité des actes administratifs mais aussi celle même de l'application immédiate de ceux-ci aux effets d'une situation juridique définitivement constituée.

D'une part, il convient de souligner que les règles de droit ne doivent régir que les actions futures d'où le principe de non rétroactivité des actes administratifs. En effet, les actes administratifs ne sont censés produire des effets que pour l'avenir. Déjà, l'article 02 du Code Civil pose le principe à valeur législative de non rétroactivité de la règle de droit. Dans l'arrêt Société Journal l'Aurore120(*), le juge administratif français, pour sa part, dégage un principe général du droit de non rétroactivité des actes administratifs. Cette solution jurisprudentielle a été reprise par son homologue sénégalais dans l'arrêt NdeyeBinta Diop121(*). D'ailleurs, ce principe de non rétroactivité n'a pas laissé de marbre le juge constitutionnel. Traditionnellement, le juge constitutionnel français n'admettait la valeur constitutionnelle du principe de non rétroactivité des lois qu'en matière répressive. A quelques nuances près, le juge constitutionnel sénégalais a repris la même solution. En effet, dans sa décision du 23 Juin 1993 à propos de la loi organique n°92-25 du 30 Mai 1992, il dispose que «  la non rétroactivité de la loi n'a devaleur constitutionnelle qu'en matière pénale »122(*) tout en considérant que « la modification, l'abrogation d'une loi comme la rétroactivité d'une loi nouvelle, ne peuvent remettre en cause des situations existantes, que dans le respect des droits et libertés de valeur constitutionnelle ». Toutefois, la Haute juridiction française a fait un remarquable pas en avant en considérant qu'une loi ne peut rétroagir que si cette rétroactivité est motivée par un motif d'intérêt général suffisant. Ainsi, il a entendu limiter la rétroactivité des lois fiscales, protéger l'économie des contrats légalement conclus, mais aussi renforcer son contrôle sur les lois de validation. Récemment encore, il a affiné sa jurisprudence sur la question en énonçant de manière plus précise les conditions de rétroactivité d'une disposition législative. Pour lui, « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie... »123(*).

D'autre part, la sécurité juridique des administrés impose d'aménager un régime transitoire dans le cas où l'application immédiate d'une disposition règlementaire à une situation juridique serait de nature à porter une atteinte excessive aux droits nés de cette situation juridique. Même s'il est un principe général en droit administratif que « nul n'a de droits acquis au maintien de dispositions règlementaires »124(*), il reste que certains changements dans la règlementation sont drastiquement attentatoires aux droits des administrés. C'est ainsi que, dans l'arrêt Sociétés KPMG et autres125(*), le juge administratif français pose le principe du régime transitoire. En l'espèce, saisi d'un Décret approuvant le nouveau code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes, contesté notamment en raison de son application immédiate aux contrats en cours, il considère qu'au regard des perturbations excessives apportées aux relations contractuelles en cours par les mesures incriminées, l'autorité réglementaire doit édicter « les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation ». Le juge sénégalais, dans l'arrêt Thierno Mamadou Kane et autres126(*),aurait pu, sur l'invitation des requérants, consacrer ce principe du régime transitoire, mais comme souvent il a manqué au rendez-vous. En l'espèce, les requérants sollicitaient l'annulation des arrêtés n°1050 et n°1052 du 28 janvier 2011 du Ministre de la justice et la modification de l'article 120 du Décret n°2002-1032 du 15 Octobre 2002 modifié par celui n°2009-328 du 08 Avril 2009 portant statut des notaires. Pour eux, les actes attaqués violent le principe de non rétroactivité des actes administratifs « en ce que le Décret de 1979 sous l'empire duquel ils avaient effectué leur stage en ses articles 03 et 22 repris par l'article 120 du Décret de 2002 préservait leurs droits acquis et les services qu'ils avaient accomplis antérieurement, alors que le Décret de 2009 qui régit leur situation individuelle née avant son entrée en vigueur, n'a pas prévu les mêmes mesures transitoires ». Cependant, le juge refusa de suivre ce raisonnement en considérant « qu'il s'agit d'appliquer une norme nouvelle qui a un effetimmédiat sur des situations formées antérieurement à son intervention, mais non définitivement constituées ; que cette norme qui ne vaut que pour l'avenir ne viole pas le principe de non rétroactivité ».

Les dispositions transitoires peuvent être des plus diverses. Il en est ainsi du mécanisme des délais d'adaptation à la nouvelle règlementation, de la modulation dans le temps des règles qu'elle comporte, de l'assouplissement, pour certaines catégories de destinataires, des formalités d'exécution envisagées, de l'atténuation dans certaines circonstances des sanctions éventuellement prévues et de l'aménagement d'un régime de recours. Pour Y. AGUILA, « l'exigence d'un dispositif transitoire résulte d'une balance entre l'inertie du passé et l'urgence du présent »127(*).

Ensuite, l'exigence de stabilité de la règle juridique comme composante essentielle de la sécurité juridique se manifeste concrètement par le biais du principe de l'intangibilité des droits acquis mais aussi à travers le mécanisme de protection des attentes légitimes des administrés.

Habituellement, les droits acquis se définissent au regard de la théorie du retrait des actes administratifs. Ils renvoient dans cette logique aux droits ne pouvant être remis en cause lors de l'abrogation ou du retrait des actes qui les ont posés. Toutefois, pour CARLO SANTULLI, il convient d'envisager les droits acquis en eux-mêmes, c'est-à-dire sans une quelconque référence à la théorie du retrait des actes administratifs. Pour lui, les « droits acquis sont des prérogatives attachées à des situations juridiques définitivement constituées »128(*).

En France, le Conseil d'Etat a inclus l'intangibilité des droits acquis dans les matières réservées à la loi par l'article 34 de la Constitution à travers l'arrêt Manufacture française despneus Michelin129(*). Depuis l'arrêt Dame Cachet130(*) qui aménageait le régime du retrait des actes administratifs, le juge administratif français a cherché à affiner sa jurisprudence pour une meilleure prise en compte de la sécurité juridique des administrés. C'est ainsi qu'il a opéré un revirement jurisprudentiel remarquable avec l'arrêtTernon131(*). Dans cet arrêt, il procède à un réaménagement des conditions de retrait des actes administratifs individuels créateurs de droits. En l'espèce, il dispose que le retrait d'une décision administrative individuelle, explicite et créatrice de droits, mais illégale ne peut intervenir que dans le délai de 04 mois suivant la date de prise de la décision. Dans la même logique, il alignera plus tard, avec l'arrêt Coulibaly132(*), le régime juridique de l'abrogation de l'acte administratif individuel créateur de droits sur celui du retrait.

A n'en pas douter la jurisprudence Ternon n'est pas exempt de reproches en ce que, dans sa formulation, elle frôle l'arrêt de règlement pourtant interdit au juge et qu'elle ne résout pas définitivement la question si complexe du régime de retrait des actes administratifs illégaux. A ce propos, Y. GAUDEMET dira que « si en effet l'arrêtTernon ne contredit pas la loi d'Avril 2000- et pouvait-il le faire ? -, il est une irruption du juge, avec une formulation de principe, dans la détermination du droit du retrait que la loi a marqué de sa volonté de faire » et que « c'est tout le contraire d'une unification du droit du retrait des actes administratifs illégaux à quoi on aboutit »133(*). Malgré ces limites, l'arrêtTernon reste un acquis jurisprudentiel non négligeable au regard de l'évolution de l'état du droit.

Pour le Conseil Constitutionnel français, lorsque le législateur assortit de garanties l'exercice d'une liberté, il ne peut la dépouiller de telles garanties et même, dans certains cas, il doit remplacer les garanties supprimées par des garanties équivalentes. Cette règle dite du cliquet anti-retour ne constitue-t-elle pas une garantie des droits que les citoyens ont acquis sous l'empire d'une loi. Récemment, dans sa décision du 29 Décembre 2005, il se réfère pour la première fois aux « situations légalement acquises »134(*). Poussant la logique plus loin, il considère qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions sous réserve de ne pas « porter atteinte aux situations légalement acquises... »135(*). Par cette décision, le juge constitutionnel a entendu reconnaître explicitement la valeur constitutionnelle du principe d'intangibilité des droits acquis.

En droit sénégalais, le juge constitutionnel a également admis la valeur constitutionnelle du principe d'intangibilité des droits acquis. En effet, il considère, dans sa décision du 12 Février 2005 sur la loi d'amnistie du 07 Janvier 2005, que « la constitution ni aucune norme de valeur constitutionnelle ne limitent le pouvoir du législateur d'amnistier des catégories quelconques d'infractions qu'elles soient punies de peines criminelles, correctionnelles ou contraventionnelles, ni des faits déjà amnistiés sous réserve du respect du principe de l'intangibilité des droits acquis »136(*). Pour sa part, le juge de l'administration a développé, depuis l'arrêt Samba Ndoucoumane Gueye137(*), une jurisprudence assez intéressante sur la théorie des droits acquis.

Du reste, l'exigence de sécurité juridique implique aussi la garantie des attentes légitimes des administrés. Longtemps réticent à cette idée, le Conseil d'Etat a fini par admettre que l'autorité administrative, dans son action, doit prendre en compte les espérances légitimes des administrés. Dans l'arrêt Société EPI138(*), il considère qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme. De plus, il dégage les conditions pour que le moyen tiré de la violation d'une espérance légitime soit opérant. D'abord, du côté de l'administration, il vérifie si elle justifiait ou non d'un intérêt général suffisant pour supprimer, en l'espèce, le crédit d'impôt avant son terme. Du côté du justiciable, il regarde s'il avait pu être informé à temps de ce que la suppression du crédit d'impôt allait survenir. Après l'examen de ces conditions, il décide que la suppression de cet avantage fiscal avant son terme est illégale. Ainsi, il est possible de dire qu'à travers cette jurisprudence, le juge administratif a entendu consacrer véritablement le principe de l'espérance légitime. De même, pour le juge constitutionnel français, le législateur ne peut « remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus »139(*) de situations juridiques légalement acquises.

Essentiellement, il apparait que la sécurité juridique, dans son aspect temporel, est assurée en le droit administratif sénégalais en ce que ses principes dérivés sont consacrés et disposent d'une force normative assez conséquente. Globalement, la sécurité juridique est substantiellement assurée par le biais de ses applications essentielles dans l'ordre positif. Toutefois, cette garantie de la sécurité juridique s'opère à géométrie variable.

* 120 CE,Ass., 25 Juin 1948, Société Journal l'aurore, JCP-G, 1948, II, p.4427

* 121 CE, 30 juillet 1997, NdeyeBinta Diop,Bulletins des arrêts du CE 1993-1997, p.141

* 122 CC, Décision n° 02-93 DC 23 juin 1993, Loi organique n°92-25 du 30 Mai 1992

* 123 CC Décision, n°2011-166 QPC, 23 septembre 2011, Validations législatives de procédures fiscales, Cons. 4, JORF du 24 septembre 2011, p.16016

* 124 CE, 30 Aoùt 1995, AdamaThiam, Bull. N°52, p.104

* 125 CE, Ass. 24 Mars 2006, Sociétés KPMG et autres, op. cit

* 126 CS, 12 Avril 2012, Thierno Mamadou Kane et autres, non publié

* 127 Y. AGUILA, « L'exigence de dispositions transitoires », Conclusions sur CEAss 24 Mars 2006, Sté KPMG et autres, RFDA 2006, p.463

* 128 CARLO SANTULLI, « Les droits acquis », RFDA 2001, p.87

* 129 CE,Ass., 29 Mars 1968, Manufacture française des pneus Michelin, Rec. n°64180

* 130 CE, 03 Novembre 1922,Dame Cachet, Rec. n°74010

* 131 CE, Ass., 26 octobre 2001, Ternon, Rec. n°197018

* 132 CE, 06 Mars 2009, Coulibaly, op. cit

* 133 Y. GAUDEMET, « Faut-il retirer l'arrêt Ternon ? », AJDA 2002, p.738

* 134 CC, Décision n°2005-530, DC, 29 Décembre 2005, Loi de finances pour 2006, Cons.84, JORF du 31 Décembre 2005, p.20705

* 135 CC, décision, n°2013-682, DC, 19 Décembre 2013, loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, Cons. 38, JORF 24 Septembre 2013, p.21069

* 136 CC, DC, 12 Février 2005, Loi d'amnistie du 07 Janvier 2005

* 137 CS 23 Mars 1966 Samba Ndoucoumane Gueye, Revue de la Législation et de la Jurisprudence, 1966, 7ème Vol., p.94

* 138 CE, 09 Mai 2012, Société EPI, Rec. n°308996

* 139 CC, Décision n°2013-685, 29 Décembre 2013, Loi de finances pour 2014, Cons.38, JORF du 30 Décembre 2013, p.22188

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld