WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.

( Télécharger le fichier original )
par Clémentine Pirlot
Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3. Exclusion par la culture geek

3.1 Négation voire inversion des rapports d'inégalité

Au cours des entretiens, comme dans la communauté geek en général, on retrouve une négation quasi systématique des rapports sociaux de sexe, et des inégalités dont sont victimes les femmes.

Pour Baptiste, être une fille « c'est ni un avantage ni un inconvénient c'est pareil, égalité des droits quoi. Mais il y en a je sais pour qui, y a des filles peut-être qui vont considérer ça comme un avantage. Pour moi et pour beaucoup de mes potes on s'en fout garçon, cheval, poney. Après je sais pas peut-être après si tu dis que t'es une fille que tu peux en profiter parce que c'est une école de mecs peut-être après tout. » Ce discours revient souvent, de la part des garçons mais aussi de quelques filles comme Dounia : « Moi je vois pas trop la différence. Pour les garçons ils voient la différence après je sais pas. Ils disent ouais c'est parce que t'es une fille pas du tout geek c'est normal. D'après eux c'est un avantage mais moi je trouve pas trop je vois pas la

69

différence personnellement peut-être je suis aveugle je vois pas du tout mais je vois pas trop de différence. » Etre une fille à Epitech serait donc un avantage, parce que les filles « profiteraient » de leur statut d'objet sexuel pour obtenir de meilleures notes, comme le résume Matthieu :

« La seule chose qui pourrait faire une différence ça serait si c'est une fille vachement bonne qui propose à l'assistant ouais je te fais une fellation et tu me mets un 20 ce genre de choses. Je sais qu'il y en a un qui m'a dit qu'en entretien pour être astek avec la professeure qui engage elle lui avait demandé ce qu'il ferait si quelqu'un, si une fille proposait une fellation en échange d'un 20. Et le gars lui aurait dit je prends la fellation et je lui mets -42 [la note pour tricherie]. Il fait les deux en même temps. Avec un sourire il lui met une note négative et il prend la fellation. Après c'est la seule chose qui peut différencier. »

Ce genre de discours mène à la constante décrédibilisation des compétences des filles, comme en a fait l'expérience Mélanie : « la première année on me le disait pas en face mais souvent quand j'avais une bonne note les garçons disaient c'est parce que c'est une fille. Tant que j'avais pas fait mes preuves c'est bah t'es une fille c'est pour ça que tu arrives. » Sam semble avoir une autre explication : « quand il faut passer des soutenances il y a forcément des astek qui vont les juger donc il y en a qui seront plus indulgents parce que ce sont des filles et que c'est pas forcément évident d'être une fille dans une école où il y a que des mecs. » Il explique donc ces comportements par la difficulté d'être « autre » dans cette école.

On retrouve également dans les déclarations de certaines filles sur le monde du travail, le raisonnement de l'avantage des filles. Pour Amélie, être une fille « à l'école je trouve que c'était un inconvénient, par contre en entreprise c'est un avantage. » Mélanie explique pourquoi les filles seraient avantagées :

« Epitech c'est ultra connu mais quand tu dis que tu es d'Epitech les gens sont contents mais quand t'es une fille ils apprécient encore plus parce qu'ils savent que généralement tu vas faire attention à la manière de parler tu vas faire des efforts sur ta présentation physique pour aller au contact ça va aller un peu mieux c'est des trucs bêtes. Je sais pas si c'est qu'ils veulent être plus cool ou quoi que ce soit mais vu qu'il n'y a pas beaucoup de fille et qu'ils commencent à être nombreux ils essayent d'en recruter si une fille postule ils disent oui. »

Mélanie pense qu'être une fille la favorise pour obtenir des emplois, ce qui est peut-être le cas pour elle, il est possible que certaines entreprises cherchent à recruter des filles, mais quand on regarde à l'échelle de la société ce constat est encore faux :

« Globalement cependant, la reproduction est toujours au rendez-vous. On observe en effet une domination des cas de figures où les deux sources de ségrégation pèsent dans un sens similaire (78 % des emplois). C'est le cas, par exemple, pour les ouvriers du bâtiment ou les ingénieurs de l'informatique, pour lesquels la

70

sursélection masculine dans l'appareil éducatif est renforcée ensuite. A formation identique, les garçons sont en effet privilégiés lors des embauches »(Lallement, 2006).

Il semble donc qu'en France, les inégalités dans le monde du travail soient plus sérieuses que celles du monde scolaire : « parce que le diplôme impose un minimum de normalisation dans les politiques de salaire, les discriminations d'origine scolaire ont des conséquences moins fâcheuses en termes d'inégalités entre les genres que celles imputables au jeu du marché du travail. Dans l'ensemble, les plus mauvaises conditions d'emploi imposées aux femmes l'emportent sur les avantages positifs qu'elles peuvent attendre, d'un point de vue salarial, de leurs diplômes et de leurs expériences » (Lallement, 2006). Il est donc possible qu'Amélie et Mélanie aient perçu des avantages dans le monde du travail, mais ceux-ci ne compenseraient pas les désavantages et discriminations systémiques dont sont victimes les femmes dans le monde du travail. Une étude récente39 a mis en évidence la discrimination à l'embauche à l'égard des femmes dans le monde des sciences : à CV équivalent, une candidate est perçue comme moins compétente qu'un candidat, d'après un « testing auprès de 127 professeurs en biologie, physique et chimie dans 6 universités états-uniennes ».

On peut également considérer que ces « avantages » perçus par certaines femmes dans le monde du travail reflètent une division sexuelle du travail plus subtile que d'ordinaire. Lorsque Mélanie dit que les entreprises savent que parce qu'elle est une fille elle aura une meilleure présentation, un meilleur contact et sera plus méticuleuse, on la ramène a des clichés et cela peut résulter dans certaines entreprises en une demande ou une attente d'un certain travail émotionnel et/ou de compétences considérées comme féminines sans pour autant qu'il y ait de réelle reconnaissance de ce travail. Dans un article40, une femme travaillant dans l'informatique rapporte qu'à une conférence où elle était la seule femme, un des hommes déclarait fièrement avoir embauché une femme pour la première fois. Cet homme était très content car « maintenant nous parlons vraiment entre nous ! Et nous prenons une pause déjeuner, parce qu'elle nous fait manger. C'est bien mieux qu'avant, quand on était que des mecs41 (ma traduction). » La femme en question n'avait pas été recrutée dans ce but, la description de son poste ne comportait pas « faire en sorte que tout le monde se parle » ou « faire manger les collègues » mais elle faisait quand même ce travail émotionnel, et pour l'auteure de l'article, « il est presque sûr qu'elle n'a pas été financièrement compensée pour ces aspects de son travail (alors qu'il semble que ces compétences sont bien rares parmi ses collègues), [...] le problème c'est que bien que les résultats (une meilleure communication, une meilleure présentation, une équipe plus forte) sont valorisés d'une certaine façon, ils ne sont pas valorisés d'une manière visible qui apporterait du prestige aux femmes.42 (ma

39 http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/civilisation/2170-pour-travailler-dans-un-labo-avantage-de-john-sur-jennifer 40 http://geekfeminism.org/2013/01/24/women-in-tech-and-empathy-work/

41« Now we all actually talk to each other! And we break for lunch, because she makes us eat. It's so much better than before, when it was just dudes. »

42« I feel pretty confident she was not given significant financial compensation for those aspects of her work (even though it sounds like those skills were rare gems indeed amongst her coworkers). The problem is that while the outputs (better communication, better self-care, a stronger team) are valued in their way, they aren't valued in visible ways that afford women prestige »

71

traduction) » Ce que certaines filles ont perçu comme des « avantages » peut donc être vu comme des responsabilités et compétences invisibles, qui ne figurent pas sur le contrat et qui ne sont donc pas rémunérées mais qui sont attendues des femmes par les entreprises.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein