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Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.

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par Clémentine Pirlot
Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013
  

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3.2 Forum interne et culture troll

Le forum interne, que nous avons déjà évoqué, possède de nombreuses rubriques et dans toutes, ce qui marque c'est l'absence de femmes, très très peu de femmes prennent part aux discussions (les photos s'affichent à chaque message d'élève). Alors que le forum est modéré par un administrateur d'Epitech, la misogynie, l'homophobie et même un peu de racisme subtil sont bien présents et jamais supprimés du forum. La section « délation » est la plus inattendue, de par son nom déjà, mais surtout pour ce qu'on y trouve. Le forum a des règles mais qui s'arrêtent aux portes de la section « délation » :

« Sections "test" et "delation" : « the stories and information posted here are artistic works of fiction and falsehood. only a fool would take anything posted here as fact. » ((c) moot); par conséquent, toutes les règles ci-avant n'ont pas cours dans ces deux sections du forum, toutefois nous vous demandons un peu de retenue ( notamment concernant les images ), afin que le contenu soit politiquement (presque) correct. »

Sous prétexte de fiction et d'humour, le racisme n'est plus proscrit, les insultes non plus. La misogynie et l'homophobie n'étant pas mentionnées du tout dans les règles, elles semblent n'être proscrites nulle part. La citation est particulièrement intéressante, le copyright est attribué à « moot », le créateur du site 4chan, qui est un forum anonyme anglophone très utilisé dans la communauté geek, notamment par le collectif Anonymous. Le forum dont est extraite cette citation est considéré comme « la poubelle d'internet » car il est anonyme, non modéré et n'a donc aucune limite, on y trouve du racisme, de la misogynie, de l'homophobie. Le procédé employé ici par Epitech est donc comparable à celui de 4chan, la phrase citée servant à indiquer ce qu'on y autorise, c'est à dire tout. Considérons maintenant la phrase : « the stories and information posted here are artistic works of fiction and falsehood. » Les mots artistiques et travail suggèrent que les messages postés sur ce forum demandent du travail et ont un caractère artistique, ce qui semble au mieux hypocrite, au pire offensant pour les personnes et communautés insultées sur ces forums. Avec la fin de la phrase, « only a fool would take anything posted here as fact » on atteint le summum de l'hypocrisie, en renvoyant la culpabilité sur les victimes qui, si elles se sentent offensées sont des idiotes. Cette phrase est typique de la culture « troll », analysée sur son blog par le sociologue Denis Colombi, car « on ne trouve nulle part ailleurs que dans le troll l'usage le plus systématique et le plus appuyé de l'humour comme excuse et comme justification43. » Un « troll » peut être défini comme « une personne qui participe à une discussion ou un débat (par exemple sur un forum) dans le but de susciter ou nourrir artificiellement une polémique, et plus généralement de perturber l'équilibre de la

43 http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2012/09/critique-de-la-culture-troll-1.html

communauté concernée. » Colombi remarque que la culture troll opère une « qualification des victimes du troll en responsables de leur malheur - si elles comprenaient l'humour, elles ne s'énerveraient pas, et donc ne seraient pas trollées », ce qui correspond tout à fait à notre citation de 4chan, reprise sur le forum d'Epitech.

La qualification de fiction et d'artistique du contenu permettrait donc « de se convaincre que l'on ne pense pas vraiment ce que l'on dit, et que donc on est innocent. » D. Colombi explique que la culture troll est très répandue sur internet et que le principe « don't feed the troll » est largement utilisé et « sert en fait à demander à ceux qui se sentent choqués par une déclaration à « laisser faire », et partant fait reposer sur leurs épaules, et non sur celles des trolls eux-mêmes, la responsabilité de la dérive d'une conversation, voire des insultes qu'ils reçoivent. » Le culture troll fournit en fait un mode d'emploi très simple : « il est très important de comprendre que cette culture troll est très précisément ce qui rend possible de tels débordements : elle fournit un ensemble de justifications et de bonnes raisons d'agir à ceux qui dépassent les bornes. » Dans un deuxième article44, D. Colombi décrit 4chan comme l'origine de la culture troll, car sur ce site, « le troll n'y est pas un évènement ponctuel, c'est la norme. » Si l'on prend l'exemple du message misogyne évoqué plus haut qu'un élève avait posté sur le forum délation, cet élève a suivi à la lettre la culture troll, car il a enrobé son discours misogyne dans l'apparence de la justice (s'estimant victime des femmes), et en cela exprime bien le « paradoxe entre des personnes qui se pensent provocatrices et à contre-courant, qui se présentent comme originales et observatrices, qui se drapent dans le politiquement incorrect comme position héroïque de refus des tabous et des interdits, et leurs propos qui sont d'une banalité confondante, ne faisant que reprendre les antiennes milles fois entendues du patriarcat. » L'élève en était même arrivé à recourir à la citation « magique » pour se dédouaner, quand il a déclaré que si tout ce qu'il disait n'était pas vrai, alors il fallait considérer cela comme de la fiction.

Ce type de comportements se retrouve également dans la communauté de l' « open source » (développement participatif ouvert à tou.te.s), qui réunit salarié.e.s et bénévoles, dans lequel les femmes sont encore moins nombreuses que dans le milieu du développement fermé, pourtant rémunéré pareillement. Dans un article intitulé « Open Source, Closed Minds ? »45, un développeur s'interroge : « Est-ce la nature de l'open source, son idéologie et ses valeurs, d'être intrinsèquement liée à l'isolation des personnes du projet social et collaboratif de progrès vers l'égalité ? Dans une communauté sans structure formelle pour la gouverner, il est bien plus facile d'abuser des privilèges et du pouvoir sous-jacents que la société accorde à certaines personnes. Une des formes que ce pouvoir prend est le discours déshumanisant et objectivant des personnes, qui fait appel à la « liberté d'expression » afin d'épargner au locuteur les conséquences de leur discours (ma traduction46) ». Il semble que la communauté que forment les élèves d'Epitech corresponde assez à la définition d'une

44 http://uneheuredepeine.blogspot.fr/2012/09/critique-de-la-culture-troll-2-autopsie.html

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45 http://geekfeminism.org/2013/02/04/open-source-closed-minds-a-reflection-on-joseph-reagles-free-as-in-sexist-free-culture-and-the-gender-gap/

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« communauté sans structure formelle pour la gouverner », car les rares adultes présents font partie de l'administration, qui elle-même encourage une attitude libre de tout reproche en indiquant par exemple dans le règlement que le forum « délation » fonctionne sur le même modèle que 4chan, sachant pertinemment que la plupart des élèves savent ce qu'on y trouve.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci