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Formation en informatique. Ouverture sociale et sexisme. Le cas Epitech.

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par Clémentine Pirlot
Université Paris VII Diderot - Master II Sociologie et Anthropologie option genre et developpement 2013
  

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2. Jouer le jeu de la féminité, intégrer l'infériorité

Cette stratégie est la plus flagrante chez Julie, qui est une des rares à avoir été vraiment la seule fille de sa promotion : « je ressemble à une fille, je revendique que je suis une fille et j'ai un côté superficiel qu'a une fille normale. » Julie semble avoir développé un sentiment d'infériorité qui semblait n'être jamais apparu avant dans son éducation ou sa vie: « Quai c'est vrai en effet, je suis qu'une fille. Pour un mec c'est plus simple, parce que t'arrives quand même à te retrouver certains points communs avec d'autres. Moi c'est vrai que en plus non seulement je suis une fille, j'ai pas le même âge, j'ai pas le même vécu ». Elle attribue donc ses difficultés à des carences ou différences personnelles et jamais à un système. Les termes qu'elle utilise sont les mêmes que ceux du directeur pédagogique, qui semble donc être à l'origine de ce sentiment d'infériorité et de ne pas être à sa place. Son identité de femme est relativement traditionnelle: « Comme dit ma mère, à un moment la biologie te rattrappe, tu te dis bon là faudrait peut-être que je pense à faire autre chose que l'informatique », « autre chose » étant des enfants, elle ne semble pas penser qu'elle peut concilier une carrière dans l'informatique avec des enfants, on peut donc se demander pourquoi elle a fait cinq ans d'études si elle souhaite arrêter de travailler pour avoir des enfants, mais cet « autre chose » ne signifie pas forcément qu'elle souhaite arrêter l'informatique si elle a, un jour, un enfant. On remarque également une intériorisation de la culture sexiste chez Chloé : « Je suis sortie avec ce gars c'était pas du tout fructueux il s'est foutu de ma gueule. Et puis j'en ai souffert par rapport à mon image tu vois même pas par rapport à lui moi je m'en fous de lui. Mais j'ai souffert parce que je me sentais salie tu vois. » Chloé adhère donc au mythe de la sexualité comme sale pour les femmes, et de la séduction comme guerrière, avec un gagnant et une perdante. Cette « stratégie », si on peut l'appeler ainsi, a également été remarquée par C. Zaidman chez les institutrices, pourtant majoritaires : « Les filles doivent se comporter en fonction de la façon dont « on » sait que les garçons vont réagir. Il s'agit bien alors d'intégrer une forme de soumission » (1996).

3. Dénigrer les filles, se distancier du féminin

La stratégie la plus utilisée chez les enquêtées est celle de la distanciation du féminin, qui s'accompagne d'un dénigrement de tout ce qui est féminin. En dénigrant les filles, elles pensent pouvoir partager les mêmes dominées que les hommes car elles perpétuent les stéréotypes patriarcaux des femmes qui font toujours des histoires entre elles, qui se trahissent et se critiquent constamment. Cela les aide à se sentir

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plus proches des garçons, à se sentir spéciales et désirables parce que « pas comme les autres filles ». Anissa opère une distinction entre les filles d'Epitech et les « autres » filles :

« quand je regarde mes copines par exemple qui sont en médecine ou en BTS de biologie elles me disaient il y a pas mal de jalousie, il y a pas mal de coups bas, il y a pas mal de trucs comme ça. À Epitech c'est un peu moins quand même. À Epitech entre filles, soit on est copines soit on s'en fout l'une de l'autre. Il n'y a pas vraiment de jalousie, de coups bas. Donc bizarrement le fait qu'il y a peu de filles c'est mieux. Ça prend moins la tête je trouve. Et c'est un avantage. »

Le fait qu'il n'y ait pas de coup bas entre les filles semble être contredit par ses propres déclarations sur une autre fille d'Epitech : « Quand t'es dans une école de garçons, au bout de deux semaines tu vas pas sortir avec un garçon d'Epitech. Et au bout de deux semaines casser, tu vas pas aller sortir avec un autre. Tu vas rapidement prendre une mauvaise réputation. »

Julie, elle, dit qu'elle a « vécu comme un mec » parce qu'elle n'avait pas de relation amoureuse sérieuse et qu'elle préfère aussi les « ambiances de mec » auxquelles elle est habituée dans sa famille, à l'école... Il semble qu'elle aime se démarquer car elle souligne bien sa non appartenance au genre masculin et apprécie d'être la seule « vraie fille », tout en dénigrant le féminin. Mais quand elle me parle de son enfance c'est pour me dire que son père l'emmenait pêcher et que tous ses cousins sont des hommes, « les ambiances de mecs je préfère ». Elle utilise le pronom « ça » pour parler des filles: « tu sais pas comment ça agit » « comment ça marche », ce qui est assez étrange mais cohérent avec une objectivisation des femmes internalisée. Julie semble mettre une distance entre elle et les autres filles d'Epitech Bordeaux. Athéna, entrée directement en troisième année « c'est une fille mais moins fille que moi », Mélanie, de la promotion juste après Julie « c'est un mec », « c'est une fille sans être une fille [...] elle rote, elle pète à table fin c'est vraiment un mec quoi ». Elle tient donc à se distancier à la fois des garçons ET des filles, ce qui la met dans une situation assez confuse. Dounia, quant à elle, considère qu'elle est la seule fille qui ne soit pas « geek » : « Les filles même elles c'est des geek un peu il y en a quelques unes. On se parle pas trop c'est chacune a son groupe chacune a son truc à faire. Mais moi j'avoue on est même pas 10 filles pour 200 garçons.» Marie est encore plus radicale :

« J'ai toujours été un peu entourée de garçons tout le temps en fait j'ai fait beaucoup d'activités qui étaient plus proches du milieu masculin que du milieu féminin. Au collège j'étais pas habituée j'étais mal à l'aise il y avait trop de filles on était dans des classes de 16 et il y avait trois ou quatre garçons. Je déteste ça. J'aime pas les univers de fille. Moi j'aime bien que les trucs soient clairs précis tout de suite. Les garçons voilà quoi ça se tape sur la gueule une fois et après c'est bon, bon des fois tu trouves des cas exceptionnels qui sont comment dire ...ça se taquine un peu comme les filles et là tu fais non tu dégages. »

Marie dénigre donc fortement les « univers de filles », et va même jusqu'à dénigrer tout comportement qu'elle juge féminin chez un garçon. Mélanie, elle, semble donner raison à la description que Julie fait d'elle :

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« les garçons je préfère, je m'entendais très bien avec les garçons et je pense j'ai peut-être adopté leur manière à eux je sais pas. » Mais elle aime aussi Epitech pour une raison assez surprenante : « j'aime bien parce que tu ne te prends pas la tête, tu t'habilles à l'arrache c'est bon si t'es pas maquillée c'est pas la fin du monde ils te prennent comme tu es. Alors qu'avec les filles c'est toujours des commérages c'est toujours des prises de tête alors qu'à Epitech ça j'ai jamais eu. Donc c'était plus agréable. Moi j'ai bien aimé être avec des garçons. » Il semble en effet contradictoire, quand on est hétérosexuelle comme Mélanie, de devoir bien s'habiller et se maquiller pour des filles, et de ne pas s'en préoccuper avec des garçons. D'autant plus qu'elle sort avec un garçon d'Epitech.

Chloé semble être la plus nuancée sur le sujet, car quand on lui demande ce qu'elle pense du fait qu'il y ait si peu de filles à Epitech elle répond : « étant donné que je me sens plus proche des hommes que des femmes pour moi ça me dérange pas. » Enfin, Amélie, elle, répète les mêmes stéréotypes sur les femmes :

« Moi je ne suis pas super, je suis pas super fille, enfin j'ai pas d'affinités particulières plus avec les filles. Mais moi en fait ça a été un peu un plus dans le sens où j'ai trois frères, trois grands frères, j'ai grandi dans un monde assez masculin j'ai beaucoup d'affinités avec les garçons, de manière amicale. Et du coup j'avais pas forcément envie d'aller dans une école de commerce où il n'y aurait que des filles ou une école d'infirmières ou il n'y aurait que les filles. Et je trouve qu'en fait c'est vachement plus simple d'avoir des relations professionnelles scolaires avec des garçons qu'avec des filles. C'est-à-dire que les garçons sont beaucoup plus factuels qu'émotionnels, donc c'est plus facile de les cerner en fait dans ce qu'ils veulent dire, il n'y a pas de sous-entendus. Enfin beaucoup moins en tout cas. »

Les filles seraient donc émotionnelles et peu professionnelles, ce que la réussite des filles d'Epitech contredit pourtant.

On voit clairement la différence avec le terrain de C. Zaidman (l'école primaire), où la minorité masculine arrive quand même à asseoir une domination. Les réactions des minorités numériques dépendent donc des rapports sociaux de sexe : « l'anxiété masculine face à la féminisation se manifeste comme un refus de se retrouver isolé dans cet univers différent, étranger, que serait un milieu de travail féminin. [...] Ainsi, dans certains cas, le fait même d'être minoritaire, inciterait les hommes, par un effet de compensation , à affirmer plus nettement leur désir de dominer l'espace professionnel » (1996). La réaction des filles d'Epitech est en réalité assez comparable à la réaction des institutrices, majoritaires numériquement, du terrain de C. Zaidman : « la valorisation de la mixité scolaire passe donc, pour les femmes, par le rejet partagé avec les hommes de la culture des femmes entre elles. [...] Le rejet, en tout cas verbal de la culture traditionnelle féminine semble être le prix à payer pour entrer dans une pratique relationnelle mixte (mes italiques) »(1996). Il est assez surprenant de retrouver le même comportement lorsque les femmes sont majoritaires numériquement et lorsqu'elles sont très minoritaires. Cela s'explique par la nature des rapports sociaux de sexe en France : les femmes étant des minoritaires, au sens politique, elles gardent ce comportement même lorsqu'elles sont majoritaires au sens

numérique. L'analyse de C. Zaidman résonne donc particulièrement avec le cas d'Epitech : « il nous semble que les femmes sont renvoyées à leur appartenance de sexe sans pouvoir pour autant l'assumer collectivement : pour s'affirmer comme travailleuses, comme salariées, elles doivent se démarquer d'un féminin « popote » traditionnel, trop proche des mères de famille auxquelles elles risquent d'être assimilées. Cette peur d'une dévalorisation professionnelle les soumet au regard, à la définition par les hommes, et les divise » (1996).

Dans la même veine, les recherches d'Aril Levy pour son ouvrage Female Chauvinist Pigs la mènent à une dénigration similaire du féminin par les femmes travaillant dans la « raunch culture » (pornographie, magazines masculins...). La stratégie de ces femmes étant « Why try to beat them when you can join them ? » A. Levy constate que « les femmes qui ont souhaité être perçues comme puissantes ont depuis longtemps considéré qu'il était plus efficace de s'identifier aux hommes plutôt que d'essayer d'élever le sexe féminin à leur hauteur » (ma traduction54).

L'auteure pose une question cruciale : « D'une certaine manière nous ne réfléchissons pas à deux fois avant de vouloir être « comme un homme » ou ne pas être comme une « fille féminine ». Comme si ces idées voulaient déjà dire quelque chose. » (ma traduction55).

Car au fond, la féminité et la masculinité sont des idées plutôt creuses, constituées principalement d'accessoires et de comportements. La stratégie des filles d'Epitech peut peut-être sembler bonne et est probablement une des premières qui vient à l'esprit, mais elle s'avère presque toujours contreproductive, comme l'analyse A. Levy : « le problème est que même si vous êtes une femme arrivée tout en haut et que vous êtes devenue comme un homme, vous serez toujours comme une femme. Et aussi longtemps que la féminité sera perçue comme quelque chose dont il faut s'échapper, comme inférieure à la masculinité, vous serez perçue comme telle aussi » (ma traduction56) .

Cette stratégie n'en est donc pas vraiment une, car elle n'empêche pas le sexisme et la discrimination. Faire partie du groupe dominant peut donc être tentant mais, « si vous êtes l'exception qui prouve la règle et que la règle est que les femmes sont inférieures, vous n'avez fait aucun progrès » (Levy, 2006, ma traduction57).

54« Women who've wanted to be perceived as powerful have long found it more efficient to identify with men than to try and elevate the entire female sex to their level. »

55« somehow we don't think twice about wanting to be « like a man » or unlike a « girly-girl ». As if those ideas even mean anything. »

56« There's just one thing : even if you are a woman who achieves the ultimate and becomes like a man, you will still always be like a woman. And as long as womanhood is thought of as something to escape from, something less than manhood, you will be thought less of, too. »

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57« But if you are the exception that proves the rule, and the rule is women are inferior, you haven't made any progress. »

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle