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De la gratuité sur internet. Etude de cas de Google inc.

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par Clara Pillet
CELSA - Master 2 2015
  

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3. Le produit-utilisateur au coeur d'une économie foucaldienne

Google Inc. a donc mis en place un modèle d'affaire basé sur la gratuité de ses services, et l'utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Pour Google Inc., les données sont à la fois la ressource principale de ses services, le moteur de la réalisation de son revenu et l'arme stratégique de conquête de positions concurrentielles. Il convient alors d'interroger cette troisième affirmation.

- Le sur-mesure de masse

Le fonctionnement de Google Inc. propose donc un sur-mesure de masse : avec plus de 90%52 de parts de marché dans le monde, Google Inc. possède la plus grande base utilisateur du monde. Ces produits d'adressent donc à une masse d'utilisateurs, et pourtant Google Inc. propose à chacun une expérience personnalisée. La donnée personnelle des utilisateurs en tant que trace permet de calibrer les informations sur mesure.

En effet, le numérique tend à personnaliser l'information qu'il dissémine, notamment par son architecture décentralisée. Le web donne à chacun son information, en faisant de la pertinence le seul critère valable. Cette personnalisation suppose un traçage des facteurs singuliers qui affectent l'identité.

Sackmaan, Strucker et Accorsi53 définissent trois formes de personnalisation : les services personnalisés fondés sur l'exploitation des données personnelles qui permettent une communication one-to-one comme de la recommandation, ou la facilitation d'achats selon l'historique de navigation des utilisateurs ; les services individualisés qui ne nécessitent pas d'identification de l'utilisateur mais des données de contexte comme une requête effectuée sur

51 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l'information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)

52 Chiffres Google - 2015, via Le blog du modérateur. Dernière mise à jour le 3 août 2015. Disponible : http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-google/

53 ROCHELANDET Fabrice, Economie des données personnelles de la vie privée, Ed. La Découverte, coll. Repères, Paris, 2010, p.63

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Google ; et le service universel accessible à chacun et portant sur des données individuelles émises et utilisées par les individus eux-mêmes (commentaires sur un forum) ou sur des fonctionnalités individualisables (comme la recherche sur Google), chaque utilisateur se servant du service en fonction de ses besoins à un moment donné. Google Inc. applique ainsi ces trois formes de personnalisations.

En effet, Google Inc. utilise des techniques de tracking qui consistent à pister les singularités des individus pour cibler toujours plus finement les consommateurs. Les comportements et les préférences des utilisateurs n'existent que par rapport aux autres usages, préférences ou opinions des utilisateurs. Ainsi, la personnalisation s'opère dans un contexte où la communauté est la plus importante, et on peut parler de sur-mesure de masse. Comme l'explique Louise Merzeau54, les données personnelles et personnalisées sont aujourd'hui favorisées ; le but des annonceurs et de Google Inc. n'est pas de connaître les habitudes communes à toute une masse d'individus, mais plutôt celle d'un individu en particulier pour lui proposer un message personnalisé et positif à ses attentes. Ainsi, les entreprises, grâce aux fonctionnalités publicitaires de Google Inc. ciblent les publicités de manière précise sur les internautes.

Les utilisateurs de Google sont à la recherche d'une information, et le service leur propose une information personnalisée et sur mesure. Bill Davidow parle de prison algorithmique55 pour désigner ce phénomène d'hyperpersonnalisation induit par l'utilisation des données massives. Cette prison est telle qu'elle n'est pas connue par les utilisateurs : ils ne savent pas à quelles informations ils n'ont pas accès. On peut donc parler d'un changement de paradigme, où le modèle d'affaires de Google Inc. n'est plus uniquement basé sur l'économie de l'information, mais également sur celle de l'attention.

- De l'économie de l'information à et l'économie de l'attention

Google Inc. base son modèle d'affaires sur le marché d'abondance qu'est celui de l'information. D'une part, les contenus informationnels qui sont sur le Web et que les utilisateurs recherchent, d'autre part les informations de la masse des utilisateurs de Google

54 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l'information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)

55 DAVIDOW Bill, « Welcome to Algorithmic prison », The Atlantic, le 20 février 2014. Disponible : http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/02/welcome-to-algorithmic-prison/283985/ (consulté le 13 août 2015)

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Inc. Parce que les contenus augmentent et que les prix de stockage sont en constante réduction, les prix de l'information publique, soit les contenus sur le web, tombent à des prix marginaux.

L'information n'est alors plus un bien rare et ne possède presque plus de valeur économique : l'accès à l'information est facile et simple pour tous les individus qui disposent d'un ordinateur et d'une connexion Internet. En effet, en économie, les produits fait d'idées, au lieu de matière, deviennent plus vite bon marché ; étant des bien non rivaux, qui ne se détruisent pas à l'utilisation, l'information est un bien d'abondance. Ainsi, l'information conserve un coût marginal, qui est si proche de zéro qu'il est préférable d'arrondir. En effet, si la loi veut que les prix chutent jusqu'au coût marginal, la gratuité n'est pas une option, mais un aboutissement inéluctable de l'économie. C'est la racine de l'abondance qui mène à la gratuité56. De plus, l'aspect intangible de l'information favorise sa gratuité. Étant un bien non rival, l'information devient un produit abstrait, qui semble ne rien coûter pour le consommateur. En réalité, Google Inc. a intérêt à ce que l'information soit gratuite, car « plus le coût de l'information diminue, plus l'entreprise gagne de l'argent », explique Nicolas Carr dans The Big Switch. En effet, si l'information est gratuite, les internautes vont utiliser Google pour y avoir accès, et devenir alors consommateurs des publicités.

La multiplication de l'information et son accessibilité font ainsi naître un nouveau paradigme ; c'est l'attention qui a de la valeur, et non plus l'information.

« Dans un monde riche en information, l'abondance des informations signifie une privation d'autre chose, la rareté de quoi que ce soit que l'information consomme. Ce que l'information consomme est l'attention du destinataire. Une abondance d'information crée une disette

d'attention. »57

Ainsi, l'information atteint un coût zéro, tandis que l'attention atteint un coût élevé, puisqu'elle se raréfie étant donné le nombre d'informations croissant auquel l'utilisateur a accès. C'est le contact entre l'utilisateur qui cherche de l'information et Google Inc. qui classe

56 ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l'économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 96

57 SIMON Herbert, cité par ANDERSON Chris, Free ! Entrez dans l'économie du gratuit, Ed. Pearson, coll. Economie/nouvelles technologies, 2009, p. 209

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et donne accès aux informations, qui est porteur de valeur58. La notion d'attention réfère donc au « temps de cerveau disponible », nécessaire pour que la publicité soit reçue par les consommateurs. Il convient donc de trouver des stratégies efficaces pour que l'utilisateur des services de Google Inc. soit en contact avec les publicités, et AdWords et AdSense sont des moyens efficaces de montrer de la publicité adaptée aux besoins des utilisateurs. Cependant, la notion d'économie d'attention est à questionner.

Pour que l'utilisateur de Google soit réceptif aux publicités, et y accorde son attention, l'entreprise met en place des méthodes pour collecter ses données de recherche et ses données personnelles afin de lui afficher des publicités contextuelles et adaptées. Ainsi, en mettant en place de nombreux services pour les utilisateurs, Google Inc. a accès à un ensemble d'informations qui relèvent de la sphère publique, de la sphère privée ou professionnelle et de la sphère intime des utilisateurs. Avec cette nouvelle configuration des espaces informationnels émerge une nouvelle écologie cognitive, soit « l'étude des interactions entre les déterminants biologiques, sociaux et techniques de la connaissance »59, qui consacre l'interpénétration des deux sphères : celle de la recherche d'informations publiques sur le web, et celle de la recherche d'informations concernant les données personnelles des utilisateurs et possibles consommateurs. En effet, le moteur de recherche de Google permet à la fois aux utilisateurs d'avoir accès à de l'information publique, et à la fois aux annonceurs d'avoir accès à de l'information sur leurs consommateurs. « Ainsi, les individus sont considérés comme des petits éléments dans une machine d'information, quand ils ne sont pas les seules sources ou destinations d'informations. »60 Ce changement de paradigme ouvre des espaces pour le suivi et le traçage des individus à la fois à leur insu et avec leur consentement61.

58 KESSOUS Emmanuel et REY Bénédicte, « Economie numérique et vie privée », Hermès, N°53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : http://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2009-1-page-49.htm (Consulté le 12 janvier 2015)

59 BATESON Gregory, cité par ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L'entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l'information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p..119.

60 LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014.

61 ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L'entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l'information et de la communication, C&F Editions, Paris, 2009, p.119.

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- De l'économie de l'attention à l'économie de surveillance

La publicité sur le web est partie intégrante d'une nouvelle forme d'économie, qui n'est plus l'économie de l'attention, mais l'économie de la surveillance62, qui consiste à ce que toutes les informations qui constituent les individus soient dévoilées pour permettre un ciblage et une personnalisation toujours plus accrue. Les faits et gestes des utilisateurs de Google sont constamment surveillés, et les données personnelles sont collectées pour adapter et affiner au maximum les publicités auxquelles l'utilisateur est confronté.

Les méthodes de profilage de Google Inc. peuvent être reliées à l'idée du panoptique développée par Michel Foucault dans Surveiller et Punir. En effet, Google Inc. « voit sans être vu » les comportements des utilisateurs de ses différents services, et est capable de collecter toutes les traces des utilisateurs et d'analyser leur comportements. « La surveillance prend appui sur un système d'enregistrement permanent, [É] constant et centralisé. » 63 En effet, Google Inc. enregistre de manière permanente et constante tous les comportements de ses utilisateurs, en centralisant ses données personnelles. C'est par la surveillance de ces utilisateurs et la centralisation de ces informations que Google Inc. dégage de la valeur financière. En reprenant les termes de Michel Foucault dans l'introduction de Surveiller et Punir, Google Inc. peut être décrit comme « un espace clos, découpé, surveillé en tout points » ; de la page d'accueil de Google, à la page d'un Google Doc, les espaces où l'utilisateur se sert des services de Google Inc. sont des espaces cloisonnés, et surveillés par l'entreprise. « Les moindres mouvements sont contrôlés, les événements sont enregistrés » ; chaque action, chaque clic, chaque nouvelle requête ou nouvel e-mail est enregistré par Google Inc., qui les centralise pour établir un profil presque parfait de l'utilisateur. L'espace de Google Inc. est également caractérisé par « un travail ininterrompu d'écriture qui relie le centre et la périphérie » ; le centre étant Google Inc. et la périphérie étant les annonceurs qui utilisent les services publicitaires de Google Inc., un travail d'écriture et d'analyse est constamment en marche entre ces deux acteurs, entre lesquels les utilisateurs évoluent et se comportent grâce à l'écriture.

62 SCHNEIER Bruce, « `Stalker economy' here to stay », CNN.com, le 26 novembre 2013. Disponible : http://edition.cnn.com/2013/11/20/opinion/schneier-stalker-economy/index.html (Consulté le 1er mai)

63 FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Introduction.

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De plus, les méthodes de tracking et de profilage de l'utilisateur réfèrent à un assujettissement politique et économique des individus. Grâce à l'analyse croisée de millions de requêtes, aux fonctions d'historiques de navigation et à l'analyse des données personnelles des utilisateurs, Google Inc. est capable de prédire que l'affichage de tel lien sponsorisé entraînera un clic. L'action prédictive devient un aspect incitatif pour le consommateur, le lien sponsorisé acquérant une valeur de suggestion efficace pour orienter la recherche d'information des internautes64. Ainsi, l'algorithme utilisé pour générer des revenus publicitaires devient un algorithme d'orientation65. Google Inc. « impose une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque »66 et, comme le panoptique de Michel Foucault, met en place « un ensemble de prescriptions, calculées et raisonnées, selon lesquelles on devrait [É] régler des comportements. » Ce programme de sur-mesure instauré par Google Inc. a sa « régularité propre », et la surveillance, consciente ou non, des utilisateurs instaure des comportements orientés et définis non plus par l'individu mais par Google Inc.

Ainsi, le paradigme se déplace : dans l'économie de l'attention, l'utilisateur contrôle ses agissements, et décide ou non de prendre le temps de voir les publicités selon son intérêt pour elles. Dans l'économie de surveillance, l'utilisateur subit entièrement les publicités, et son comportement est constamment surveillé et orienté pour que la décision de voir et d'agir en fonction des publicités affichées ne se fasse plus. Ainsi, l'utilisateur actif qui prend des décisions pour prêter de l'attention à telle ou telle publicité devient sujet passif et soumis aux règles imposées par Google Inc., et est produit de richesse pour les annonceurs. Jaron Lanier conclue que « Gratuit signifie inévitablement que votre vie va être décidée par quelqu'un d'autre. »67

Ainsi, la donnée personnelle, comme trace de l'utilisateur de Google Inc. prend de la valeur lorsqu'elle est associée à toutes les données personnelles qu'un utilisateur peut laisser lors de son utilisation d'Internet. Ces données sont ensuite valorisées dans un système économique où Google Inc. se place comme un intermédiaire entre les annonceurs et les utilisateurs. Une relation d'échange et de don se met en place entre l'entreprise et l'utilisateur, et on peut

64 ERTSCHEID O., GALEEZOT G & BOUTIN E., « PageRank : entre sérendipité et logiques marchandes », dans L'entonnoir : Google sous la loupe des sciences de l'information et de la communication, , C&F Editions, Paris, 2009, p.125

65 idem p.125-126

66 FOUCAULT Michel, Surveiller ou Punir, Gallimard, Paris, 1979, Préface de Gilles Deleuze.

67 LANIER Jaron, Who owns the future ?, Penguin Books, 2014.

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conclure que la donnée personnelle devient un moyen de paiement, comme dans un échange de troc. Cependant, ce système économique et symbolique complexe font de l'utilisateur un simple produit d'échange, entre Google Inc. et les annonceurs, qui se retrouve à être surveillé tout le temps et partout pour devenir rentable. Cependant, au sein de ces échanges économiques complexes, il convient d'interroger cette notion de produit et d'examiner les relations qu'entretient l'utilisateur avec l'entreprise Google Inc. Le produit pourrait-il être en même temps le producteur de la richesse et du bon fonctionnement de Google Inc. ?

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry