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Histoire du comité de lutte contre la répression au Maroc. Analyse d'une association centrée en Belgique 1972-1995.

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par ZIAD EL BAROUDI
Université Libre de Bruxelles - Master en Histoire finalité Archives et documents 2015
  

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b.4 Le face-à-face entre le Palais et les Partis politiques : 1959-1965

Depuis les gouvernements de M'barek Bekkaï, deux gouvernements se succèdent entre 1956 et 1960 : le premier de tendance droite istiqlalienne (PI du 3 décembre 1956 au 12 mai 1958) et le second de tendance gauche syndicale (UMT du 24 décembre 1958 au 27 mai 1960). Durant ces années, un premier « bras de fer » s'engage entre le Palais et les partis politiques.

Alors que les plus importants partis et syndicats (PI, PDI, PCM, UMT et UNEM) se réunissent en un premier Front de Partis coalisés (Koutlah Al Watanyya), depuis 1956, le Palais s'efforce de consolider ses positions sur le champ politique. Dès 1958, par l'intermédiaire des plus importants caïds du pays (tel Mahjoub Ahardane* et Lahcen Lyoussi*), le palais crée un « club » politique réunissant une large frange de la seigneurie féodale, traditionnelle mais peu patriote, en opposition au Front des Partis coalisés.

Ce « club » de féodaux inaugure son propre parti en 1957 : le Mouvement Populaire (MP). Le MP

se donne une doctrine politique « plus sociale, plus proche de la paysannerie et plus impliquée dans la cause berbérophile ». Ce mouvement a pour réelle tâche d'enfreindre toute tentative des partis politiques visant à pouvoir traiter d'égal à égal avec le Palais. Pour ce faire, le MP va tenter de s'appuyer sur les plus importants éléments du PI et du PDI pour consolider la position du Makhzen et, in fine, du Palais. Mais très vite, les deux ténors du Front des Partis coalisés, devenu entre-temps le Front de l'Istiqlal (FI), à savoir Allal El Fassi* et Mehdi Ben Barka*, s'emploient à renforcer les pouvoirs du Parlement en instaurant le Conseil National Consultatif (CNC) le 3 août 195654.

C'est la première et réelle expérience parlementaire dans l'histoire contemporaine du Maroc où les

partis politiques demandent des comptes au roi sur la situation générale du pays jusqu'à l'avènement d'Hassan II. En février 1958, le Maroc est secoué par une opération militaire organisée par une coalition militaire franco-espagnole contre l'ALM et le FLN dans une zone située entre le futur Sahara occidental et la Mauritanie. L'ALM et le FLN porteurs d'un projet de Maghreb Uni des Peuples déchantèrent après l'opération « Ouragan-Ecouvillon », face aux forces armées franco-espagnoles.

53 M. BENHLAL, Politique des barrages et problèmes de la modernisation rurale dans le Maghreb, in Annuaire de l'Afrique du Nord, Centre national de la recherche scientifique; Centre de recherches et d'études sur les sociétés méditerrannéenes (CRESM)(éds.), Paris, Editions du CNRS, Vol. 14, 1976, pp. 261-273.

54 Bulletin officiel du Royaume du Maroc du 17 août 1956, N°2286, Dahir n°1-56-179 du 25 hija 1375 (3 août 1956) portant institution d'un Conseil national consultatif auprès de sa Majesté. M. MONJIB, op. cit., pp. 91-95.

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Durant le mois de janvier 1959, de graves révoltes paysannes se déroulent dans la région du Rif et dans tout le nord du Maroc. Ces révoltes sont, d'une part, en rapport avec la décolonisation brutale de l'Espagne, mais aussi causées par une conjoncture de sous-développement dans cette partie du pays. En effet, l'absence d'infrastructure, l'appauvrissement de la population, il semble que le pouvoir marocain pense déjà à faire sortir cette main-d'oeuvre désoeuvrée vers l'Europe...

Toujours sur fond d'une latente crise économique, le FI programme deux plans économiques : un plan biennal pour 1958-1959 et un plan quinquennal pour 1960-1964, qui doivent résorber les échecs du premier plan (1954-1957), tout en engrangeant des réformes agraires afin d'endiguer les exodes ruraux qui sont de plus en plus massifs. A cette même période, l'aile gauche du FI en la personne de Mehdi Ben Barka* travaille sur le projet de la « Route de l'Unité »55. Les promesses vis-à-vis de ces réformes sont toujours reportées par le Palais.

Le 7 septembre 1959 émane du FI, l'Union Nationale des Forces Populaires56(UNFP). Ce parti formé autour de Mehdi Ben Barka*, Abderrahmane El Youssoufi* et Abderrahim Bouabid*, s'est doté d'abord d'une ligne politique proche du socialisme des pays du bloc soviétique, puis du socialisme apparenté au modèle « baâthiste » égyptien, mais in fine, le socialisme de l'UNFP s'apparentera aux pays des non-alignés comme la Yougoslavie, l'Inde, l'Indonésie, l'Algérie et Cuba. L'UNFP cherche un encrage au sein de l'artisanat et de la petite bourgeoisie commerçante citadine et rurale. L'UNFP travaille donc sur la constitution d'une bourgeoisie nationale capable de doter le pays d'une économie industrielle. Cette démarche complète l'implantation de l'UMT dans la classe ouvrière et de l'UNEM au sein des étudiants.

A la suite des pressions policières exercées sur les partis politiques et des fortes oppositions au Parlement, le Palais renvoie le Gouvernement à la majorité syndicale UMT. Le 27 mai 1960 est inauguré le premier Gouvernement Royal dans lequel le roi est Président et le prince héritier Vice-président57. Cette inauguration permet au monarque de remanier à sa guise les majorités gouvernementales jusqu'en 1972. A partir de cette date, le monarque organisera ses propres « majorités », ses propres « oppositions », ses propres « référendums », etc...

C'est le second « bras de fer » entre le Palais et les partis. Le 3 mars 1961, Hassan II* devient roi, il coupe l'herbe sous le pied de l'UNFP entrée dans l'opposition et dont la politique s'axait principalement sur les conditions de vie des paysans, des ouvriers et des étudiants. Mehdi Ben Barka* résumait en 1962 dans son discours de l'Option Révolutionnaire la situation sociale et politique du Maroc : « Une grande bourgeoisie qui a abdiqué ses prétentions politiques et associe son sort à celui de la semi-féodalité. Une classe ouvrière qui est la force révolutionnaire par excellence et qui doit poser en termes clairs les relations de ses tâches syndicales et de ses buts politiques. Une moyenne et petite bourgeoisie mécontente

55 M. BEN BARKA, Vers la construction d'une société nouvelle, Discours devant les cadres du parti de l'Istiqlal de Tétouan, 31 juillet 1958.

56 P. VERMEREN, Histoire du Maroc depuis l'indépendance, Paris, La Découverte (3e édition), Coll. Repères, 2010, pp. 26-31. M. MONJIB, op. cit., p. 169.

57 M. MONJIB, cit., pp. 221.

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et potentiellement révolutionnaire mais hésitant à reprendre la lutte pour achever la libération nationale. Une masse paysanne de petits fellahs et khamès sans terre qui a besoin d'une claire vision de ces tâches et d'un cadre pour organiser son action propre auprès de la classe ouvrière58».

Depuis 1956, les promesses faites par le monarque de doter le pays d'une Constitution élaborée par une Assemblée constituante n'avaient toujours pas été honorées. Ainsi le 2 juin 1961, Hassan II* promulgue sa Loi Fondamentale59. Cette Loi Fondamentale représentait une sorte de charte fondamentale palliant la carence constitutionnelle du pays. Ainsi, tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays, étaient déjà anticipés.

Le monarque cherchait par la Loi à garder le pouvoir législatif et judiciaire en renforçant l'efficacité du dahir et en reléguant au second plan toutes promulgations et propositions ultérieures des partis politiques. Le monarque jette les bases de son pouvoir absolu et sacré. Ces fondements sacrés sont les suivants : le statut inviolable de la monarchie, l'Islam comme religion d'Etat et l'intégrité territoriale. Ensuite, par cette loi, le roi cherche à isoler les partis politiques dans les différents secteurs publics. Pour ce faire, il réorganise les sharifs en congrégations (naqibs)60. Les sharifs représentent au Maroc, ce que le sociologue Henri Mendras appelle une société intermédiaire61. Il s'agit d'un corps social reliant l'autorité royale et le Makhzen d'une part et le reste de la société d'autre part. Dans l'ancien Maroc, les sharifs, comme les confréries religieuses ou les corps de métier, représentaient tantôt un contrepoids, tantôt un gage de légitimité pour le pouvoir central. Au Maroc, les sharifs sont répartis en différents ordres parmi lesquels : les sharifs relevant d'une ascendance royale, souvent rentiers. Les sharifs ne relevant pas d'une ascendance royale mais d'un saint personnage et enfin les sharifs ayant acquis un savoir ou un capital matériel suffisant pour pouvoir concourir au titre. Dans tous les cas, l'ascendance prophétique est invoquée. L'existence de ce corps social est étroitement liée au système des privilèges dans la politique marocaine. Depuis le 16e siècle, l'authenticité des sharifs était confirmée par un acte (Ijâza) statuant quant à leur prestige.

Depuis la Loi Fondamentale, leur réorganisation a pour but de distiller la culture « makhzénienne » au sein de la population. Par culture « makhzénienne », entendons une culture qui doit constamment faire l'apologie du monarque. De ce fait, ces naquibs doivent supplanter les partis politiques et investir tous les lieux publics importants au pays comme : les foires annuelles (moussems), les établissements scolaires et les administrations civiles. Le monarque reste, ainsi, l'éternel pilier absolu du système politique. Après la Loi Fondamentale, Hassan II met en place le 7 décembre 1962 la première Constitution dans laquelle il s'octroie des pouvoirs exorbitants, tout en limitant ceux du CNC62. Ainsi, la figure du roi reste

58 M. BEN BARKA, Option révolutionnaire au Maroc, Rapport au secrétariat de l'UNFP avant le 2e Congrès, Rabat, le 1er mai 1962, pp. 13.

59 Bulletin officiel du Royaume du Maroc du 9 juin 1961, N°2745, Dahir n° 1-61-167 du 17 hija 1380 (2 juin 1961) portant Loi fondamentale pour le Royaume du Maroc.

60 M. MONJIB, op. cit., pp. 339-340.

61 H. MENDRAS, Les sociétés paysannes, Paris, Folio, Coll. Histoire, 1995.

62 L. FOUGERE, La constitution marocaine du 7 décembre 1962 , in Annuaire de l'Afrique du Nord, Centre national de la recherche scientifique(éds.), Paris, Editions du CNRS, Vol.1, 1964, pp. 155-165.

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inviolable et sacrée. Il préside le Conseil des Ministres et peut adresser des messages au Parlement, à la Nation sans qu'il ne puisse y avoir un quelconque débat sur le contenu de ces messages.

L'appel au boycott des élections législatives du 17 mai 1963 par l'UNFP63, pousse Hassan II* a d'abord canaliser l'opposition. Cette tâche est assurée par son plus important conseiller (Wasif) Ahmed Réda Guédira*. Ce dernier a mis à jour le MP en créant un « Front de Défense des Institutions Constitutionnelles » (FDIC) et un « Parti Social-Démocrate »(PSD) pour rallier le FI, entre 1963 et 196464. En plus du FDIC et du PSD, Ahmed Réda Guédira* divise le bloc de la gauche et favorise un nouveau Mouvement syndical : l'Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM) et un Mouvement d'étudiants: l'Union Générale des Etudiants du Maroc (UGEM). Ces deux syndicats de droite sont rattachés au PI65.

Les arrestations et procès arbitraires déferlent contre l'UNFP, l'UMT, l'UNEM et l'ALM, alors que ce quatuor réfléchit à la construction d'un Gouvernement d'Union Nationale capable de tenir la dragée haute au Palais. En octobre 1963, éclate la Guerre des Sables entre le Maroc et l'Algérie. Cette guerre trouve son origine sur un désaccord frontalier entre les deux pays, et va permettre à Hassan II* de tenter de revivifier un certain nationalisme mais sans succès.

L'UNFP, devenu principal parti de l'opposition, tient tête à Hassan II*. Ce dernier mène un coup de filet cinglant à son encontre avec plusieurs milliers d'enlèvements le 16 juillet 1963. Toute la commission de travail du parti est arrêtée. Depuis ce coup dur porté contre « la bête noire » du Palais, l'engrenage répressif monte d'un cran. Les principaux dirigeants de l'UNFP et de l'ALM sont condamnés lors du premier grand procès politique de Rabat tenu le 14 mars 1964. Le 7 août, le Général Mohamed Oufkir* a mis en branle le pays contre un dissident armé Mohamed Agouliz* alias « Cheikh Al Arab » (le Chef des Arabes) appartenant à l'ALM66. Après cette victorieuse opération, Mohamed Oufkir* devient ministre de l'Intérieur le 20 août 1964.

Le 23 mars 1965, le Ministère de l'Enseignement publie une circulaire limitant l'âge d'intégration scolaire. Indignée par cette mesure, l'opposition appelle à la manifestation. Toute la population de Casablanca manifeste son mécontentement contre cette décision mais aussi contre le régime dans son entièreté. En réponse Hassan II* fait appel à l'armée pour soumettre les manifestants. Le bilan s'élèverait à plusieurs centaines de morts et milliers de blessés. Lors de son discours du 29 mars 1965, Hassan II* cherche à casser l'influence de la gauche politique naissante dans le corps de l'Enseignement : « Il n'y a pas de danger aussi grave pour l'État que celui d'un prétendu intellectuel. Il aurait mieux valu que vous soyez tous des illettrés (...). Je vous mets à nouveau en garde contre une éducation désorientée de cette génération future que devront épargner l'indiscipline et l'anarchie. (Il faut) décourager les trublions et préserver l'intangibilité de nos traditions, de nos tempéraments et de notre équilibre67. »

63 AT TAHRIR, Hebdomadaire de l'UNFP section des étudiants de Paris, N°6, du 7 mai 1963, pp. 2-4.

64 M. MONJIB, op. cit., pp. 305-319.

65 M. MONJIB, cit., p. 192. J-C. SANTUCCI, op. cit., p. 260.

66 M. BENNOUNA, Héros dans gloire : Echec d'une révolution 1963-1973, Casablanca, Tarik Editions, 2002, pp. 68-71.

67 Y. BELAL, Le cheikh et le calife : sociologie religieuse de l'islam politique au Maroc, Lyon, ENS Editions, 2011, p. 86.

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Le 7 juin 1965 à 20h30, Hassan II* proclame l'Etat d'Exception68. Le 29 octobre de la même année, Mehdi Ben Barka*, leader de l'opposition marocaine et figure de la Tricontinentale, est enlevé à Paris. Sa disparition monte à nouveau d'un degré l'engrenage répressif au Maroc.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams