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Histoire du comité de lutte contre la répression au Maroc. Analyse d'une association centrée en Belgique 1972-1995.

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par ZIAD EL BAROUDI
Université Libre de Bruxelles - Master en Histoire finalité Archives et documents 2015
  

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c.3 Les lieux de détentions et tortures au Maroc.

Depuis 1956, le système carcéral au Maroc se divise en plusieurs catégories. Nous avons des prisons, des centres de détentions, des postes fixes (PF) et des bagnes (ou centre secrets). Les prisons contenaient des prisonniers de droit commun et d'opinion. Réparties dans plusieurs villes telles Kénitra, Fès, Casablanca, Marrakech, Rabat et Ouarzazate, ces prisons accueillaient les détenus parfois préalablement torturés dans les centres de détentions ou les commissariats. Comme tortures

102 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°344, Documents relatifs au mouvement étudiant, UNEM : Lettre de l'UNEM section Marrakech envoyée aux CLCRM daté du 19 mars 1973.

103 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°274, Correspondance et interventions au profit de ressortissants Marocains - confidentiel : Affiche de recherche d'Houcine El Manouzi datée du 13 juillet 1975.

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fréquentes dans les centres de détention104, il y avait : l'isolement, la violence psychologique, le passage à tabac, le viol « direct » des gardiens et « indirect » par l'introduction d'une bouteille dans l'anus, la falaqua qui consiste à battre le détenu sur la plante des pieds, l'étouffement qui consiste à introduire un chiffon souillé d'urine ou d'excréments dans la bouche du détenu, la méthode de « l'avion » qui consiste à suspendre le détenu et le battre sur les poignets, le corps ou la plante des pieds, la chaise du « Perroquet » qui consiste à suspendre le détenu, les mains et les pieds attachés devant le corps et la tête tombant en arrière.

Parmi les premiers témoignages des tortures, le Comité de Paris a pris connaissance du cas d'Evelyne Serfaty*, soeur d'Abraham Serfaty*. Dans la lettre qu'elle adressa au Comité, elle raconte son calvaire passé au Commissariat de Casablanca entre le 26 septembre et le 4 octobre 1972 : « (...) Je suis introduite dans un autre bureau où se trouvent plusieurs policiers. Mon sac est entièrement vidé devant moi. Les questions et les gifles pleuvent. Puis on m'oblige à enlever ma jupe et mes chaussures. On m'attache les chevilles et les poignées ensemble avec les chiffons et des cordes. On fait passer entre eux une barre de fer que l'on pose entre deux tables. C'est là la torture du « perchoir au perroquet » déjà décrite par mon frère. On me pose un bandeau sur les yeux, un chiffon sur la bouche. On verse de l'eau sur le chiffon en me disant que si je ne parle pas on ajoutera de la javel à l'eau. C'est l'étouffement, une sensation horrible. Je suis toujours sur « le perchoir », mais c'est le supplice de l'électricité, dans les oreilles, dans le sexe, puis on m'enroule des fils autour des orteils et ce sont de terribles décharges dans tout le corps. « C'est rien me dit-on, tu verras quand on te fera ça aux seins ». (...) Entre deux tortures, les policiers me saisissent par les cheveux, me secouent, me giflent, me disent en arabe « Parle, parle ! ». Je ne parlerai pas de leurs injures, ce serait trop long. Cette fois-ci, on m'attache les chevilles et les poignées à une corde. Je n'étais plus en mesure de distinguer où était suspendue cette corde. Je sais que je tourne et qu'à chaque tour, on m'appuie fortement sur la colonne vertébrale aux creux des reins. J'ai l'impression que mes vertèbres vont se briser d'un moment à l'autre. C'est atroce. Je suis par terre, grelottante, claquants des dents. Un de mes tortionnaires me fait mettre ma jupe « pour que j'aie moins froid » ! (...) On me laisse tranquille un moment. Puis les policiers reviennent et me disent .
· « Puisque tu ne veux pas parler, on va aller chercher tes parents et les amener ici. Ils subiront le même sort que toi. (...) La nuit tombe. Les deux policiers qui prennent la relève me font marcher dans le couloir de plus en plus vite en levant et en abaissant les bras. Les deux suivants me font rester debout jusque 6 heures du matin. On me permet alors de m'asseoir, sur le sol, le dos contre le mur. (...) Un policier passe la tête par la porte et dit en ricanant .
· « Ce soir, Tribunal nocturne ! ». Vers 20 heures, les deux policiers préposés à ma garde se partagent le travail, l'un téléphone en disant .
· « Tu la veux, oui d'accord, on ne bouge pas ». L'autre traine des chaises, des bancs à grand tapage dans le bureau d'en face que je ne peux voir. A minuit, la mise en scène est terminée, mais la lumière reste encore allumée jusqu'à 6 heures du matin. (...) Je suis

104 I. LAYER, Amnesty International : La liberté d'expression et les Droits de l'Homme, l'exemple du Maroc, Mémoire en Journalisme, sous la direction de Jean-Jacques Jespers, Bruxelles, PUB, 1995, pp. 53-55.

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relâchée vers 16 heures. Les policiers me donnent l'ordre de rentrer à Casablanca sans voir personne à Rabat. Je ne sais comment j'ai pu conduite ma voiture jusqu'à Casablanca (100 Km de Rabat) (...)105. » Evelyne Serfaty est morte deux ans plus tard des suites d'une violente hépatite106.

L'expérience au centre de détention Derb Moulay Chérif à Casablanca nous est aussi racontée par Jaouad Mdidech, ancien membre frontiste entre 1973 et 1977: « Trois heures s'étaient écoulées. On cria mon numéro : « 122 ! » Je bondis de ma place comme un fou et mon coeur aussi, qui se mit à battre la chamade, à se rompre. On me conduisit directement dans la salle de torture. D'entrée de jeu, on passa à la position du Perroquet, dont j'avais beaucoup entendu parler. On me fit asseoir sur le sol toujours bandeau aux yeux, on me plia les genoux jusqu'à ce qu'ils touchent ma poitrine, comme on fait dans une posture yoga. A l'aide d'une ficelle, on me lia les mains aux pieds. Et hop ! On me souleva et déposa sur une table à l'aide d'une tringle métallique qu'on avait glissée sous les genoux. On commença à me fouetter la plante des pieds. Des coups secs qui me firent crier. (...). Car le plus atroce ne vint que quelques minutes plus tard, lorsque je sentis une main ouvrir ma bouche, s'employant à garder mes mâchoires ouvertes, et une autre me verser des jets d'eau à l'intérieur de la bouche. Je sentis deux doigts me boucher les deux fosses nasales, pour couper toute respiration. De l'eau versée dans la bouche que je ne pouvais avaler (...). Combien dura l'épreuve ? Aucune idée. En tout cas, jusqu'à que je sentisse mes os craquer à l'intérieur de ma chair (...)107».

Les centres de détention étaient donc surtout utilisés pour les tortures. Les points fixes (PF) aussi, mais à la différence des centres de tortures, les détenus ne devaient jamais réapparaître dans la vie publique. Le Maroc de Hassan II* a connu au total 5 PF108.

En complément des centres de détentions et des PF, il y a les bagnes secrets. Les bagnes secrets, toujours dans une logique de séquestration, étaient l'expression de la vengeance royale la plus aboutie. Répartis dans différentes places au Maroc, les bagnes secrets, plus que les points fixes ne devaient jamais être connus de l'opinion publique nationale et internationale. Entre 1973 et 1990, les CLCRM ont recensé cinq bagnes secrets : Tazmamart. Kelaât M'gouna, Bir Jdid, Tamattaght et Agadez109.

Tazmamart se situe entre Midelt et la région du Tafilalet. Ancienne forteresse de l'armée française, elle a été récupérée pour y séquestrer le plus secrètement possible des détenus non pas condamnés pour motifs politiques mais plus directement pour atteinte à la personne du roi. Parmi ces détenus, ils y avaient les mutins des deux coups d'Etat, mais aussi des personnes qui ont fait partie du cénacle royal comme les Frères Bourequat ou bien la famille Oufkir110.

105 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°328, Appels à la libération des détenus, Abraham Serfaty : Lettre d'Evelyne Serfaty adressée au CLCRM de Paris datée du 16 octobre 1972.

106 CH. DAURE-SERFATY, Lettre du Maroc, Paris, Stock, 2000, p. 31.

107 J. MDIDECH, La chambre noire ou Derb Moulay Chérif, Casablanca, Eddif, 2001, pp. 60-61.

108 A. BOUKHARI, Raisons d'Etats : Tout sur l'affaire Ben Barka et d'autres crimes politiques, op. cit., pp. 268-270.

109 Une carte du Maroc est reprise en annexe.

110 A ces sujets voir A. ALI BOUREQUAT, Tazmamart : Dix-huit ans de solitudes, Paris, Michel Lafon, 1993. R. MIDHAT BOUREQUAT, Mort vivant, Paris, Pygmalion, 2000. Le bagne de Tazmamart sera plus détaillé à travers les activités des CLCRM à travers cette étude.

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Nous avons tenté, à travers le deuxième chapitre, de décortiquer le système politique marocain. Fusion d'un système traditionnel multiséculaire avec le système des institutions permanentes héritées du Protectorat, le système politique contemporain marocain a été très vite concentré entre les mains d'un groupe de personnes au lendemain de l'indépendance.

En bref, le pouvoir au Maroc est représenté par le roi, les agents d'autorités du Makhzen, les fidèles acquis au roi de la classe politique et l'Etat-Major. Ces acteurs politiques tiennent fermement tous les secteurs clés de l'Etat en plus d'avoir marginalisé le Mouvement National. La politique du Palais vis-à-vis de toutes les oppositions peut se résumer aux points suivants : liquider physiquement les éléments les plus irréductibles. Arrêter, censurer, séquestrer et torturer les « têtes dures ». Effrayer par la délation et la menace les hésitants. Octroyer des privilèges aux éléments mous et opportunistes.

Qu'elles soient d'ordre politique, armées ou intégrées au cercle royal, les oppositions, dès lors qu'elles cherchent à remettre en cause le pouvoir absolu du monarque ou à entamer son prestige, subissent les foudres de ce dernier. Si, par exemple, en Belgique le roi agit sous le « contreseing » des ministres, au Maroc ce sont les ministres qui agissent sous le « contreseing » royal111.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote