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Histoire du comité de lutte contre la répression au Maroc. Analyse d'une association centrée en Belgique 1972-1995.

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par ZIAD EL BAROUDI
Université Libre de Bruxelles - Master en Histoire finalité Archives et documents 2015
  

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C. Bilans et résultats obtenus.

Au vu de l'impressionnant travail effectué par les CLCRM, dont celui de Bruxelles, que pouvons-nous dresser comme bilan ? Pouvons-nous dire que les objectifs auxquels tendait le CCRM de Bruxelles ont été atteints ? Les premiers constats sont sans aucun doute positifs. Les saisies des Institutions Européennes ont favorisé la naissance d'une nouvelle association des Droits de l'Homme le 10 décembre 1988335: l'Organisation Marocaine des Droits de L'Homme. Deux ans plus tard, et suite aux relations déjà établies avec le CLCRM de Paris, Gilles Perrault* prenait contact avec Pierre Le Grève* pour organiser un meeting sur son ouvrage « Notre Ami Le Roi »336.

Cet ouvrage a littéralement levé le tabou sur la répression politique au Maroc, si bien qu'il est interdit au Maroc depuis sa parution. « Notre Ami Le Roi » propose un récit en deux parties : une première partie consacrée à la politique marocaine depuis l'indépendance, et une seconde partie sur la mise au pas du Mouvement National par le monarque, suivie de la répression politique dont il a été aussi traité dans cette présente étude. Actuellement, « Notre Ami Le Roi » représente une première synthèse sur la répression politique au Maroc. Celle-ci énonce brièvement les activités des CLCRM.

Affiche de la conférence organisée par le CCRM de Bruxelles relative au livre de Gilles Perrault

« Notre Ami le Roi »337

332 Annales Parlementaires de Belgique, Chambre, Bulletin des questions et réponses n°217 du 21 avril 1989. Question écrite posée par José Daras au ministre de la Justice Melchior Wathelet portant sur la décoration par le Maroc de l'Administrateur général, p. 5784.

333 Idem

334 HASSAN II, Mémoire d'un Roi : Entretiens avec Eric Laurent, Paris, Plon, 1993, p. 228.

335 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°365, OMDH - Assemblée constitutive : déclaration du bureau central de l'OMDH de Rabat daté du 10 décembre 1988.

336 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°398, CCRM - Correspondances diverses de 1977 à 1994 : Lettre de Pierre Le Grève à Gilles Perrault datée du 30 septembre 1990.

337 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM de Bruxelles, janvier-février, 1991, p. 1.

108

Gilles Perrault* confirmait sa disponibilité en Belgique pour le 14 février 1991. Le CCRM de Bruxelles en profita pour louer la salle de La Madeleine338. Parallèlement à ce meeting, une nouvelle association des Droits de l'Homme vit le jour en Belgique : l'Association des Marocains en Belgique pour la Défense des Droits de l'Homme. Inquiet de son image, Hassan II* cherchait à rallier le plus possible l'opinion internationale en sa faveur. Pour se faire, il a mis sur pied sa « propre » instance des Droits de l'Homme le 20 avril 1990339: le Comité Consultatif des Droits de l'Homme (CCDH). En même temps, il levait l'interdiction de l'AMDH. Alors que les derniers mouvements de grève étaient réprimés à Tanger, Kénitra et Fès entre le 9 et le 31 décembre de la même année, le monarque organisait un cessez-le-feu avec le POLISARIO340. La signature du cessez- le-feu eut lieu le 6 septembre 1991. Peu de temps après, Hassan II* libérait plusieurs détenus politiques de Kénitra et du bagne de Tazmamart. Parmi les prisonniers et bagnards il y avait : Abraham Serfaty*, le lieutenant M'barek Touil et le capitaine Salah

338 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°81, Correspondance générale pour l'année 1991 : Lettre du CCRM de Bruxelles adressée à Freddy Thielemans datée du 2 février 1991.

339 Bulletin officiel du Royaume du Maroc du 2 mai 1990, N°4044, Dahir n° 1-90-12 du 24 ramadan 1410 (20 avril 1990) relatif au Conseil Consultatif des Droits de l'Homme

340 D. LE SAOUT et M. ROLLINDE (dir.), op. cit., pp. 127-137. P. VERMEREN, Histoire du Maroc depuis l'indépendance, op. cit., pp. 88-96.

109

Hachchad. Ce dernier écrira son témoignage dans le bagne de Tazmamart341. Toutefois, il s'agissait d'une campagne de libération mesurée. L'ASCLCRM recensait encore en avril 1992, 817 détenus politiques342.

Au vu des travaux soutenus relatifs à la dénonciation de la répression politique au Maroc, nous pouvons mettre en évidence une certaine typologie dressée par les CLCRM décrivant l'exercice de la répression politique au Maroc. Ainsi un tableau récapitulatif nous permettrait de suivre l'évolution chronologique des arrestations dans les rangs des mouvements politiques marocains et

leurs principales revendications :

Période

Mouvements politiques visés

Principales revendications

1960-1973

- UNFP

- UMT

- PCM
- ALM - UNEM

- PI

Constitution et Gouvernement

Populaire. Constitutionnalisation de la monarchie. Industrialisation du secteur économique.

Nationalisation des entreprises.
Meilleur distribution des richesses

nationales. Etablissement d'un

Plan d'Enseignement. Droits
culturels.

1973-1979

- USFP

- PLS

- flal Amam

- 23 Mars

- CDT

- UNEM

- POLISARIO

Constitution et Gouvernement

Populaire. Polarisation entre une

volonté d'une monarchie

constitutionnelle et le

républicanisme. Meilleur

distribution des richesses
nationales. Meilleur partage des

terres agricoles. Droit à
l'enseignement de qualité. Droits

syndicaux. Droit à
l'autodétermination du peuple sahraoui.

1979-1984

- USFP

- UNEM

- flal Amam

- 23 Mars

- CDT

- OADP

- PADS

- Syndicats des
Commerçants locaux

- POLISARIO

Droit à l'enseignement de qualité. Droit aux prisonniers politiques de poursuivre l'enseignement. Meilleur distribution des richesses nationales. Diminution des prix imposés par le Gouvernement.

Droits syndicaux. Droit à
l'autodétermination du peuple sahraoui.

341 A. SERHANE, Les Emmurés de Tazmamart : Mémoires de Salah et Aïda Hachad, Casablanca, Tarik Editions, Coll. Témoignages, 2004.

342 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°408, les CLCRM - Coordination européenne (7/8.121992) : Communiqué du CLCRM de Lausanne daté du 4 avril 1992.

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1984-1995

- UNEM

- CDT
- AMDH

Droit à l'enseignement de qualité. Droit aux prisonniers politiques de poursuivre l'enseignement.

 

- Mouvements islamistes :

Droit au Travail. Droits

 

jeunesses islamiques et

syndicaux. Justice sociale.

 

Justice et Bienfaisance

Reconnaissance des Droits de

 

- POLISARIO

l'Homme. Droit à

l'autodétermination du peuple sahraoui.

Le CCRM de Bruxelles a participé à une dernière mission juridique avec quelques éléments du CLCRM de Paris entre le 29 janvier et le 5 février 1992. Cette mission a été davantage une rencontre avec des membres de l'AMDH et de la toute jeune OMDH. Alors que le monarque montrait des gages d'assouplissement du système politique, le compte rendu déplorait que : « la répression continue à tous les niveaux et surtout envers les travailleurs, les paysans, les syndicalistes, les étudiants (...). Rien n'a changé dans les facteurs déterminants du système répressif : ni les raisons profondes, ni les exécutants, ni l'absence de véritables garanties pour le respect des droits de l'homme. Les événements et les méthodes déjà connus peuvent donc se répéter à l'avenir343(...). » Les organisations marocaines des Droits de l'Homme ajoutaient aussi qu' : « il n'existe aucun état de droit au Maroc. Des décisions judiciaires ne sont souvent pas appliquées par les walis (pour la délivrance de passeports par exemple) ou par les chefs d'entreprises, même publiques, lorsqu'elles sont favorables aux salariés. Les droits de la défense sont quasi inexistants, aucune sanction ne peut être prise à l'encontre des responsables d'atteintes aux droits de l'homme et les associations de défense sont constamment menacées344(...). » Par ailleurs, un rapport établi par les CLCRM lors d'une coordination organisée à Rouen entre le 7 et le 8 novembre 1992 stipulait que : « des pratiques de collaboration entre polices Françaises/Européennes et Marocaines sont évidentes (les accords de shengen vont dans ce sens)345. » En deux ans, Hassan II* a procédé à une nouvelle action politique dans laquelle il présentait, le 21 août 1992, une nouvelle révision constitutionnelle et a décidé d'octroyer sa Grâce envers les détenus politiques et les exilés marocains le 7 juillet 1994346. Entre temps le Maroc organisait le sommet du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en avril de la même année.

Se sachant malade, Hassan II* voulait aussi permettre une transition en faveur du prince héritier Mohamed dans les meilleures conditions. Des grandes figures de la dissidence marocaine décidaient de

rentrer tel Mohamed Basri*, revenu au pays en juin 1995 après 30 ans d'exil. La révision constitutionnelle octroyée par le roi cherchait aussi à définitivement à avoir les partis de gauche à ses

343 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°364, Missions du CLCRM au Maroc : Rapport établi par les CLCRM, l'AMDH et l'OMDH lors de la mission d'observation juridique passée entre le 29 janvier et le 5 février 1992, pp. 2-4.

344 Idem

345 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°82, Correspondance générale pour l'année 1992 : Communiqué du CLCRM de Lausanne relatif aux détenus politiques du Maroc daté du 12 avril 1992.

346 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°405, les CLCRM - Communiqué de presse : Discours d'Hassan II relatif à la Grâce du 7 juillet 1994.

111

côtés en vue de former un nouveau gouvernement dit « Gouvernement de l'Alternance ». La nouvelle Constitution adoptée le 13 septembre 1996 a été plébiscitée par « 99,56% » des voix et allait permettre l'installation de ce Gouvernement de tendance gauche USFP le 14 mars 1998. Ce gouvernement plaçait à sa tête une autre figure de l'opposition marocaine : Abderrahmane El Youssoufi*.

« Maroc Répression » de mai 1994 signalait la candidature du Maroc à la vice-présidence de la Commission Internationale des Droits de l'Homme déposée en mars 1993347. Le bulletin annonçait

une question posée par le député Xavier Winckel* (ECOLO) relative à la position prise par la Belgique

par rapport à une éventuelle vice-présidence assumée par le Maroc. Une question similaire a été posée par Raymonde Dury* (PSB). Le bulletin annonçait aussi la préparation d'un dossier économique sur le

Maroc, mais celle-ci ne s'est pas concrétisée. Durant les deux dernières coordinations, au Havre et à Bruxelles, les 17 et 18 décembre 1993 et le 30 mai 1994, le CCRM de Bruxelles s'était surtout consacré aux cas des détenus de Tazmamart. Les derniers fonds du Comité bruxellois ont été liquidés à cet effet348. Un ultime appel à une coordination des CLCRM fut proposé par le CCRM de Bruxelles en vue d'établir le compte rendu des activités pour l'année 1994, mais sans suite349.

Ceci nous amène à énoncer, avec les constats positifs, des constats moins favorables quant aux réalisations des buts poursuivis par le CCRM de Bruxelles. Nous avons vu tout au long de cette étude que la performance du CCRM de Bruxelles réalisée dans ces activités était due, d'une part, à son fonctionnement interne et, d'autre part, à son réseau de solidarité syndicale qui l'assistait. A partir de 1991, les dissensions parmi les membres consultatifs se manifestaient au grand jour comme en témoigne cette lettre écrite le 20 janvier par un membre consultatif demandant la suspension de la collaboration du RDM avec le CCRM de Bruxelles: « Les membres du RDM considèrent que le marchandage de certains partenaires dans les dernières réunions du CCRM de Bruxelles sur les positions de leur association, le RDM, est une atteinte grave à la liberté d'opinion et, en même temps, un chantage qu'ils n'acceptent ni ne taisent. Tant que dure l'absence du minimum de clarté des relations au sein du CCRM de Bruxelles, ce qui perpétue le climat de tension dans ses réunions, ils sont convaincus de l'impossibilité de toute clarification ou rectification en son sein. Ils appellent les concernés par ces pratiques à revoir leurs attitudes négatives à l'égard de la liberté d'opinion et également à se débarrasser de toute manoeuvre visant l'exclusion de l'opinion différente. Ceci afin de servir l'unique objet qui justifie l'existence d'un CCRM et qui constitue la base des relations en son sein, à savoir la lutte contre la répression au Maroc.350 »

Cette crise complétait une implosion interne des sections locales de l'UNEM en Europe. Nous avions vu que l'UNEM était l'un des principaux mouvements du réseau de solidarité du CCRM de Bruxelles. A la veille de son XVIe Congrès, le Conseil Fédéral de l'UNEM-Europe s'était tenu à Paris entre le 23

347 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM section Bruxelles, avril-mai, 1994, pp. 2-5.

348 M. BENTALEB (dir.), Les passeurs de la mémoire sociale 1964-2004 : 40 ans de présence marocaine en Belgique, Bruxelles ASBL Jeunesse Maghrébine - Ministère de la Culture et de l'Audiovisuelle de la Communauté française, 2008, p. 54.

349 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°85, Correspondance générale pour l'année 1995 : Lettre du CCRM de Bruxelles adressée à l'ASCLRM datée du 26 mars 1995.

350 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre du représentant du RDM adressée au CCRM de Bruxelles datée du 20 janvier 1991.

112

et le 26 décembre 1979. Etaient présentes 51 sections, dont 25 non reconnues par le Bureau Fédéral. Ce schisme interne résultait d'une mésentente relative à la possibilité ou non d'établir une alliance avec la monarchie marocaine sur la question saharienne. Parmi les sections « excommuniées » par le Bureau Fédéral se trouvait la section bruxelloise, ce dernier : « a exprimé courageusement ses positions anti-Unanimité Nationale, anti-alliance avec le pouvoir anti-national, a eu droit à toutes les attaques haineuses de la part du B.F et de ses alliés, mais il a eu le soutien de la part de la majorité des militants présents au C.F qui ont longuement applaudi le délégué légal de notre section351. »

Le retrait des mouvements politiques et syndicaux marocains ne permettait plus au CCRM de Bruxelles de continuer son travail avec la même flexibilité. Qui plus est, la Grâce royale du 7 juillet 1994 finissait par marquer un frein dans l'opposition des gauches marocaines. Ce frein de la gauche permettait aux mouvements islamistes de mieux investir l'espace social et politique marocain.

Au sein du Comité bruxellois, les membres délibératifs ne pouvaient plus s'investir aussi énergiquement, comme ce fut le cas depuis 1977. Le couple Doucet-Crolop* s'était retiré du CCRM depuis la coordination de mai 1994. Louise Lacharon* quittait le Comité Exécutif de la CGSP secteur Enseignement la même année, et Pierre Le Grève* s'investissait dans les événements du Rwanda et de l'Algérie. En outre, Pierre Le Grève* commençait la rédaction de ses mémoires. Certains membres belges actifs du comité relevant des partis politiques n'étaient plus en mesure d'assister aux réunions du CCRM. Ernest Glinne* laissait entendre dans une lettre adressée à Pierre Le Grève* qu'il souffrait de problèmes de santé352. A l'instar des mouvements marocains, les relations orageuses entre certains éléments des syndicats belges et le CCRM de Bruxelles éclataient au grand jour. Une brève allusion à une mésentente passée entre Albert Faust* et Pierre Le Grève* faisait état des méthodes « dirigistes » des deux personnages353. Plus généralement, le premier Gouvernement de Jean-Luc Dehaene (CVP du 7 mars 1992 au 23 juin 1995) ne disposait plus en son sein des personnages politiques sensibles à la répression politique au Maroc.

L'histoire du CLCRM de Bruxelles et plus largement des CLCRM de Belgique a été courte mais intense. Le Comité bruxellois s'est engagé dans plusieurs batailles menant à la lutte contre la répression politique au Maroc, contre les agissements des Amicales et, dans une moindre mesure, à un meilleur contrôle du dispositif du culte islamique en Belgique. En analysant les origines et les activités du

C LC R M de Brux elles par les contacts qui existaient entre le monde militant marocain et européen - belge dans notre cas - une question devait être omniprésente dans l'esprit du lecteur : qu'en est-il de la démocratie actuellement au Maroc ?

351 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents relatifs à la gestion interne de l'UNEM section Bruxelles : Rapport du Conseil Fédéral de l'UNEM daté du 14 janvier 1980.

352 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°85, Correspondance générale pour l'année 1995 : Lettre d'Ernest Glinne adressée à Pierre Le Grève datée de septembre 1994.

353 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°84, Correspondance générale pour l'année 1994 : Lettre de Michel Devaivre adressée à Pierre Le Grève datée du 27 août 1994.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard