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Conflits hommes-faune sauvage en Inde du sud: déterminants spatiaux et socioculturels


par Paul Badaire
Le Mans Université - Master Gestion des Territoires et Développement Local 2018
  

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8.4. La gestion des conflits hommes-animaux en périphérie de l'AWS

La gestion des conflits hommes-animaux sauvages est actuellement effectuée à deux niveaux relativement hermétiques : au niveau individuel par les habitants et au niveau de la zone du PRA par les gestionnaires de l'AWS.

Les gestionnaires de l'AWS ont mis en place plusieurs mesures de séparation des espaces humains et animaux sur toute la bordure de l'AWS avec la zone du PRA : tranchées, murs et clôtures électriques. Elles sont cependant mises à l'épreuve par l'inventivité des animaux, notamment des éléphants, et sont rapidement endommagées. Leurs coûts de mise en place et de maintenance importants limitent les capacités des autorités de l'AWS à les remettre en état promptement. Elles sont, en conséquence, inefficaces comme le montrent l'intensité et la fréquence de venues des animaux sauvages. Ils patrouillent, en outre, tous les soirs pour faire fuir les animaux et répondre aux appels des habitants.

Plusieurs actions d'augmentation des ressources alimentaires à l'intérieur de l'AWS (plantation de bambous et d'arbres fruitiers, éclaircissage de certains espaces...) ont également été menées mais se sont avérées globalement infructueuses. Des initiatives visant à fournir des moyens de subsistance alternatifs (écotourisme, emplois forestiers ponctuels...) ont également été lancées, mais leurs portées sont très limitées.

Les habitants utilisent un certain nombre de mesures pour limiter les venues des animaux sauvages (épouvantails, barrières biologiques et en bois, barrières en tissu, voir barrières en fil barbelés pour quelque uns), qui ne sont pas efficaces. Bien que très peu montent la garde régulièrement et assidûment, les résidents utilisent des méthodes auditives et visuelles pour faire fuir les animaux une fois qu'ils sont rentrés sur la parcelle, qui sont globalement efficaces. L'utilisation de chiens, pour prévenir leurs propriétaires des venues d'animaux, permet d'ailleurs certainement d'améliorer la vitesse de réaction, notamment pour les éléphants.

Ils estiment globalement que les mesures de ségrégation en bordure de l'AWS sont inefficaces et demandent en priorité la mise en place de barrières barbelées autour de leurs parcelles. Une meilleure réactivité des garde-forestiers, lorsqu'ils sont contactés en cas d'urgence, est également demandée.

La relocalisation des habitants est exclue. Moins d'un tiers des personnes interrogées, en majorité des femmes, soutienne l'élimination des sangliers problématiques. Ils montrent également une préférence claire pour un système de compensation amélioré, qui permet de

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dédommager sérieusement les dommages subis, notamment agricoles. Le fait qu'une grande partie des interviewés ait interprété la proposition d'une compensation améliorée comme un choix avec l'offre d'emplois stables confirme ainsi le désir ressenti de pouvoir vivre des revenus de la parcelle qui leur a été attribuée. À ce titre, il est dommage que le concept d'assurance collective n'ait pas pu être bien expliqué et ait été retiré du questionnaire.

Il existe, de plus, une forte volonté de pouvoir participer à une initiative de gestion collective des conflits, et au moins d'instaurer une plateforme d'échanges avec les autorités de l'AWS.

8.5. Pistes de solutions

En tenant compte des dispositions des habitants, de la nature des conflits et des particularités de la zone du PRA, plusieurs solutions sont envisageables.

Dans un premier temps, il semble essentiel d'instaurer une plate-forme d'échanges sur les conflits hommes-animaux en complément des comités d'écodéveloppement. Ceci permettrait à la fois d'obtenir des informations plus détaillées sur les conflits et leurs tenants spatio-temporels, ainsi que sur les attitudes et les perceptions des habitants, et également de servir de support pour la mise en place d'actions collectives selon les besoins et les possibilités. Ceci renforcerait le dialogue et la confiance entre les deux parties. La création d'une telle plateforme serait, de plus, facilitée par la volonté des résidents de participer plus activement.

Cela peut permettre par exemple de faciliter la maintenance des mesures de ségrégation spatiale en lisière de l'AWS. Les habitants pourraient ainsi être responsabilisés sur une portion de barrière électrique et rendre compte rapidement des défections, voire de participer à la maintenance, comme c'est le cas dans certains endroits du district voisin de Wayanad. À travers cette plateforme, des essais de mesures de réduction des conflits alternatives pourraient de plus être mis en oeuvre.

La prévention des incursions animales peut être effectuée à plusieurs niveaux.

Les mesures de ségrégation spatiale modernes sont déjà utilisées avec peu de succès par les autorités de l'AWS. Outre la participation des habitants, seule une augmentation des moyens à leur disposition permettrait d'en améliorer l'efficacité.

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Le contrôle des animaux est très difficile dans ce contexte. La loi indienne interdit toute atteinte à l'intégrité physique des animaux concernés ici6, bien que ce statut ait pu être relâché pour un temps limité dans des cas extrêmes. Par exemple, en 2016, les macaques rhésus ont été déclarés comme vermines pour 1 an dans 10 districts du nord de l'Inde, autorisant ainsi le fait de les tuer7. Ces décisions sont cependant prises au niveau juridique de l'état (l'Inde est un pays fédéral). La relocalisation des animaux problématiques est très coûteuse et n'est possible que pour les éléphants, les autres espèces étant bien trop nombreuses.

Une solution plus intéressante serait de développer les sources de nourriture dans l'enceinte de l'AWS. Les autorités de l'AWS ont déjà essayé mais les plants de bambous et d'arbres fruitiers ont été mangées ou détruites avant d'avoir atteint leur maturité. Rishi (2009) a néanmoins montré qu'il était possible de limiter les dégâts lors de la croissance des jeunes pousses en les plantant au milieu d'un couvert de lantaniers, espèce végétale invasive non comestible par les herbivores et qui est présente au sein de l'AWS.

Un aménagement du territoire offrirait une solution beaucoup plus ambitieuse mais difficile à réaliser. Cela pourrait consister à créer une zone tampon sur la partie adjacente à l'AWS de la zone du PRA. Les habitants des parcelles transformées pourraient se voir attribuer une nouvelle parcelle sur l'espace de l'Aralam Farm, qui est toujours sous contrôle gouvernemental. Ceci permettrait de fournir un espace ouvert propice aux herbivores absents de l'AWS, et ainsi réduire les pressions sur les espaces humains. Plus particulièrement, les éléphants ont montré une tendance à moins venir dans les foyers quand il y a avait plus d'espaces de végétation intermédiaire. Une zone tampon avec de tels espaces d'une dimension suffisante pourrait donc potentiellement limiter les incursions des pachydermes.

Au niveau des habitations, la plantation de cultures prisées par les animaux en bordure des parcelles pourrait en limiter les venues à l'intérieur. Surtout, l'identification de cultures non appétentes pour la faune sauvage autoriserait une agriculture plus intensive. À travers la plateforme d'échanges, les habitants pourraient être sensibilisés aux types de cultures à risque et à celles non risquées. Une forme d'agroforesterie plus rentable que les anarcadiers pourrait certainement être développée. Cependant, l'adaptabilité des animaux peut les amener à changer de régime alimentaire et il s'agit donc d'être prudent. Alors que dans cette étude, aucun raid agricole n'ait été signalé sur les hévéas, Paleeri et al. (2016) ont ainsi montré que les sambars

6 Selon The Indian Wildlife Act de 1972 ( http://envfor.nic.in/legis/wildlife/wildlife1.html, accédé le 30/05/18)

7 http://www.downtoearth.org.in/news/rhesus-macaque-declared-vermin-in-himachal-pradesh-54270 (30/05/18)

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pouvaient se nourrir de jeunes plants d'hévéas. Bal et al. (2011) ont également démontré que les éléphants dans les plantations de café en Inde du sud se nourrissaient de baies de café.

Les mesures de séparation spatiale au niveau des parcelles peuvent être améliorées. L'efficacité des barrières barbelées, qui sont très demandées mais coûteuses, mériterait dans un premier temps d'être évaluée. Il a été difficile de juger de leur utilité, car seulement quatre foyers en possédaient parmi les 84 foyers interviewés. Un certain nombre de mesure alternative et accessible a été essayé à travers le monde avec plus ou moins de succès : mur en briques faites avec du piment, dont l'odeur repousse les éléphants (Chang 'a et al., 2016), clôtures en corde en fibres de coco imbibés d'un mélange de soufre et d'huile de graisse de sangliers (Vasudeva Rao et al., 2015), utilisation de ruches d'abeilles pour décourager les éléphants (Ngama et al., 2016)...

Le système de compensation actuel est géré par l'AWS et ne permet qu'une seule indemnisation annuelle. Il est critiqué car les garde-forestiers mettent du temps à venir vérifier les dégâts et ont tendance à essayer de les minimiser. Une solution alternative serait de mettre en place une forme d'assurance collective des dégâts occasionnés par les animaux sauvages. Chen et al. (2013) proposent ainsi que les habitants volontaires payent un premium mensuel et se voient compensés en cas de dégradations agricoles, le gouvernement et les touristes, via une taxe sur les entrées dans l'AP, participant également financièrement. Une telle solution serait certainement envisageable, étant donné que l'AWS est libre de décider les prix d'entrée de l'aire protégée, et pourrait remplacer la méthode actuelle. L'amélioration du système de compensation est cependant dépendante dans un premier temps d'une réduction des venues des animaux. En effet, dans la situation présente, si de nombreuses personnes initiaient une agriculture plus intensive, les dégâts seraient certainement trop élevés pour être suffisamment compensés.

Il s'agirait aussi de proposer des moyens de subsistance alternatifs à l'agriculture pour assurer un entre-deux entre l'agriculture à risque avec les animaux et les emplois journaliers précaires et éloignés. La remontée de la filière des noix de cajou pourrait par exemple fournir des débouchés intéressants. En effet, les noix de cajou sont actuellement seulement ramassées et directement vendues à bas prix. D'autres initiatives comme la formation à des techniques et méthodes de couture pourraient également aider à diversifier les sources de revenus des habitants de la zone du PRA.

D'une manière générale, les personnes de plus de 55 ans ressentent le plus intensément les conflits, notamment de par leur dépendance plus importante à l'agriculture. Des essais de

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mesures de prévention plus efficaces devraient donc se concentrer en partie sur cette partie de la population.

La réduction de la magnitude et des impacts des conflits hommes-animaux en périphérie de l'AWS requiert certainement une combinaison de l'ensemble de ces solutions : limiter les incitations des animaux à sortir de l'AWS, limiter les incursions et les dégâts sur les parcelles, compenser les dégâts et fournir des moyens alternatifs de subsistance. L'instauration d'une plateforme d'échanges et de gestion collective des conflits permettrait de faciliter la compréhension des conflits et leurs résolutions. Le fait que les personnes déjà en contact avec l'AWS montrent une forme de tolérance supérieure incite dans tous les cas à instaurer des échanges plus importants entre l'AWS et les habitants, notamment pour les femmes et les personnes ayant une famille à charge qui semblent moins tolérants.

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9. CONCLUSION

L'établissement d'aires protégées et la mise en oeuvre de politiques de réhabilitation de populations vulnérables ont créé une situation de conflits avec les animaux sauvages en périphérie de l'Aralam Wildlife Sanctuary. Les habitants sont relativement tolérants vis-à-vis de la conservation, mais sont très touchés par ces conflits, notamment par l'impossibilité de pratiquer une agriculture plus intensive et par le sentiment d'insécurité ressenti. Ces conflits hommes-faune dans la zone du PRA sont essentiellement liés aux incursions d'herbivores sauvages (principalement éléphants, sangliers, sambars et un peu moins macaques), qui sortent de l'AWS pour rechercher de la nourriture. La mobilité de ces animaux et sa gestion sont donc au coeur du problème.

Cette étude s'est attachée dans un premier temps à déterminer les configurations spatiales et environnementales associées aux incursions de ces animaux, et par extension, favorisant les risques de conflits. L'aire de l'AWS ne correspond certainement pas à la zone vitale des animaux l'habitant. Les mesures de prévention des visites animales mises en place par les habitants ne sont pas efficaces. Des préférences alimentaires précises ont été remarquées, même si les animaux ne semblent pas venir spécifiquement pour certaines espèces végétales. Les éléphants montrent une propension à moins venir dans les espaces humains lorsque les espaces de végétation intermédiaire sont plus abondants. Les macaques s'aventurent moins à distance de la forêt. La présence d'habitations s'accompagne d'une plus faible fréquence de venues des quatre espèces animales. La présence de routes ne présente pas d'association significative avec les déplacements de la faune sauvage. Ces analyses ont cependant été limitées par le choix des variables et pourraient être affinées, notamment pour les sangliers et sambars, en intégrant une variable sur l'ampleur des dégâts causés.

Les habitants de la zone du PRA présentent globalement des attitudes positives envers les animaux et la conservation, mais souhaitent une séparation spatiale plus marquée. Ils souhaitent en priorité l'instauration de barrières barbelées autour de leurs parcelles, une amélioration du système de compensation et une meilleure réaction des autorités en cas de situations d'urgence. Ils ne sont globalement pas en situation de conflit avec les autorités de l'AWS et sont particulièrement demandeurs d'une gestion des conflits plus partagée. L'analyse des déterminants socio-culturels n'a globalement pas montré d'associations. Néanmoins, les personnes en contact avec l'AWS, notamment par des emplois ponctuels, sont plus tolérantes et ont une vision plus positive. Les personnes âgées ressentent plus fortement les conflits.

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L'amélioration de la gestion des conflits sur ce terrain requiert certainement une combinaison de mesures visant à prévenir les incursions animales (amélioration des clôtures, accroissement des ressources alimentaires dans l'AWS...) et à diminuer l'impact des dégâts sur les habitants (sources de revenus alternatives, système de compensation amélioré...). L'instauration d'une plate-forme d'échanges et de collaboration entre les gestionnaires de l'AWS et les habitants permettrait d'améliorer la compréhension des conflits, d'accroître la tolérance des résidents et de mettre en oeuvre, conjointement et plus efficacement, ces mesures de réduction des conflits.

Ce mémoire s'est attaché en priorité à étudier les conflits hommes-animaux tels qu'ils apparaissent actuellement sur ce terrain et à chercher des solutions pratiques visant à les réduire. Les thématiques de justice environnementale et de droits humains mériteraient cependant d'être approfondies. Une étude plus qualitative intégrant une dimension ethnographique et historique à travers une analyse de political ecology offrirait une meilleure compréhension de la source de ces conflits et de leurs impacts indirects sur les habitants, notamment d'un point de vue psychosocial. En outre, une approche de géographie animale rigoureuse permettrait de mieux saisir le point de vue de l'animal quand il entre en interaction avec les sociétés humaines, ce qui motive sa mobilité et comment il s'adapte à ces interactions.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo