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Conflits hommes-faune sauvage en Inde du sud: déterminants spatiaux et socioculturels


par Paul Badaire
Le Mans Université - Master Gestion des Territoires et Développement Local 2018
  

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8.2. Un problème de compétition pour l'espace du PRA et ses ressources

L'établissement d'aires protégées, dont l'accès est restreint, et les pressions anthropiques sur les forêts au Kerala ont remis en cause le mode de vie de populations à tradition forestière et les ont rendues vulnérables économiquement et culturellement.

Le PRA d'Aralam visait à fournir à ces populations vulnérables le moyen de subvenir à leurs besoins de manière autonome par l'agriculture en distribuant des parcelles de 4000m2 pour chaque famille dans un espace adjacent à l'aire protégée de l'AWS. Cette initiative a globalement été acceptée par ses bénéficiaires. Ils apprécient cet espace peu anthropisé par rapport au reste de la région, qui offre un compromis entre une vie centrée sur la forêt impossible à mener actuellement et une vie dans un espace totalement domestiqué par l'homme. Ils manifestent, de plus, un réel désir de pouvoir vivre de l'agriculture.

Cependant, la proximité à l'AWS remet en cause l'objectif de l'initiative de la PRA. Les dégradations agricoles incessantes des herbivores sauvages empêchent les habitants de cultiver intensivement leurs parcelles, et donc de pouvoir subvenir à leurs besoins à travers des cultures commerciales ou vivrières. Ces animaux, particulièrement les éléphants, créent un fort sentiment d'insécurité chez les habitants. Bien que les gestionnaires de l'AWS et l'Aralam Farm mettent en oeuvre des programmes de soutien à ces habitants, ils sont loin d'être suffisants. En

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conséquence, de nombreuses familles ont choisi de ne pas venir y vivre, et ceux qui y habitent sont contraints de rechercher des emplois journaliers, et donc précaires, à l'extérieur de la zone du PRA.

La mise en oeuvre du PRA s'est donc avérée peu réfléchie et ne favorise pas la cohabitation entre hommes et faune sauvage, alors que les autorités de gestion de l'AWS avaient conseillé de ne pas distribuer de parcelles directement adjacentes à l'AWS et de conserver plutôt cet espace pour l'Aralam Farm. Outre des inégalités d'exposition aux risques, la mise en place du PRA a créée des inégalités lors de la distribution des parcelles. Certaines personnes ont, en effet, obtenu des parcelles d'hévéas, dont l'exploitation permet d'assurer d'importants revenus et qui est peu sujette aux dommages animaux. La plupart ont cependant obtenu des anarcadiers, dont le prix des fruits commercialisables, les noix de cajou, a fortement baissé sur les 15 dernières années d'après les habitants.

Malgré la récurrence des conflits et leur impact sur la vie quotidienne, les habitants de la zone du PRA ne manifestent cependant globalement pas de sentiments agressifs envers les animaux. La majorité soutient en effet la conservation de la faune et leur accorde le droit de vivre. Bien qu'un tiers supporte l'élimination des animaux problématiques (et non pas l'ensemble de l'espèce), ceci concerne essentiellement les sangliers, dont les venues sont journalières et les ravages très conséquents, notamment sur les cultures vivrières. Le rapport que les résidents de la zone du PRA entretiennent avec les animaux se caractérise par un respect pour le droit des animaux à vivre mais aussi par un désir de séparation spatiale plus marquée.

Je m'attendais à des complaintes beaucoup plus importantes concernant l'Aralam Farm, qui représente l'héritage assimilable au PRA, et les gestionnaires de l'AWS, qui sont en charge de la gestion de la faune. De nombreuses promesses de développement d'infrastructures n'ont pas été tenues. Cependant, malgré le fait que les interviews aient intentionnellement largement débordé le cadre des questions fixées, très peu de personnes ont déploré la restriction de l'accès aux ressources de l'AWS ou ont incriminé l'AWS pour les conflits, voir remis en cause la gestion du PRA à travers l'Aralam Farm. Par exemple, seulement un peu plus d'un tiers est insatisfait avec la gestion de la faune sauvage par l'AWS alors que deux tiers des foyers estiment que la faune impacte fortement la vie quotidienne. Ces personnes insatisfaites ont essentiellement reproché aux autorités de l'AWS de ne pas assez réagir en cas d'urgence avec les éléphants. Ceci indique d'une part que les habitants semblent accepter le fait que les incursions animales soient inévitables (du moins selon les capacités de l'AWS) et d'autre part

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que le sentiment d'insécurité représente une préoccupation majeure. Le système de compensation actuel fait également l'objet de critiques.

D'une manière générale, les habitants de la zone du PRA n'ont donc pas incriminé les autres acteurs humains comme étant la cause des conflits, directement (ex. les animaux venant de l'AWS, ils pourraient être assimilés à l'AWS et à ses gestionnaires) ou indirectement (les autorités de l'AWS sont supposées prévenir les incursions animales). Le fait d'être associé avec l'AWS, par exemple lors d'emplois ponctuels, semble même s'associer d'une tolérance supérieure. Ils sont, en majorité, seulement critiques d'une partie de la gestion des conséquences de ces conflits, concernant principalement le système de compensation et les réactions aux situations d'urgences. Ils souhaitent globalement pouvoir plus interagir et collaborer avec les gestionnaires de l'AWS.

L'héritage culturel de ces populations, qui s'inscrivent plus dans une philosophie du présent, qui ont une expérience plus importante de la cohabitation avec les animaux et qui sont moins ancrés dans la matérialité que le reste de la population kéralaise, participe sans doute à favoriser la tolérance des animaux sauvages et à tempérer les sentiments d'injustice et de rancoeur qui pourraient être légitimement perçus. Beaucoup réussissant à obtenir quelques journées de travail par semaine en dehors de la zone du PRA et les parcelles offrant un revenu minimum (ex. noix de cajou), la plupart des familles est en mesure de subvenir à ses besoins essentiels.

Sur ce terrain, les conflits entre humains ne sont donc que peu prégnants, alors que les politiques de conservation de la biodiversité et de compensation des Adivasi sont en grande partie responsables de la difficile cohabitation avec les animaux sauvages. Les résidents de la zone du PRA présentent un degré de tolérance important, mais les incursions animales ont néanmoins un impact majeur sur la vie quotidienne, principalement sur la capacité à subvenir aux besoins de manière autonome et à travers le sentiment d'insécurité ressenti. Les questions de la mobilité des herbivores sauvages et de sa gestion sont donc au coeur des conflits hommes-animaux en périphérie de l'AWS.

8.3. Une mobilité des animaux peu comprise

La mobilité de la faune sauvage et les conditions l'impactant demeurent encore peu comprises (Emel et Urbanik, 2010; Poinsot, 2012). Une multitude de facteurs peut en effet influencer les déplacements des animaux. Pour comprendre comment et pourquoi ils sont sources de conflits, il s'agit de prendre en compte à la fois les dynamiques animales (leurs

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stratégies et leurs caractéristiques), les dynamiques écologiques (qui influencent la qualité et la quantité de nourriture disponibles), les activités humaines (l'utilisation des sols et les modifications du paysage) et les pratiques de gestion des conflits hommes-animaux (ex. clôtures électriques, relocalisation...) (Guerbois et al., 2012).

Les sangliers, les sambars, les éléphants et les macaques sont les principaux animaux responsables des conflits sur le terrain de la zone du PRA d'Aralam. Leurs mobilités sont essentiellement déterminées par leurs stratégies de recherche d'espèces végétales comestibles. Une étude des configurations spatiales et environnementales pouvant favoriser les incursions animales sur ce terrain a été menée afin de mieux comprendre les facteurs influençant la mobilité de ces quatre espèces.

Les animaux de l'AWS ont démontré des préférences alimentaires plutôt marquées. Ils ne semblent cependant pas rechercher un type de culture en particulier. D'une manière générale, la densité humaine augmente faiblement les risques perçus les animaux. Les routes et la distance au refuge le plus proche ne s'associent pas à une diminution des venues, sauf pour les macaques. Le lien entre la couverture des sols, qui est corrélée à la qualité et la quantité d'espèces végétales comestibles, et les raids des animaux n'est également pas significatif, excepté pour les éléphants. Ces derniers semblent ainsi s'aventurer dans les parcelles humaines lorsque les espaces de végétation intermédiaire sont faibles. Les mesures de prévention mises en place par les habitants ne sont pas efficaces pour prévenir les incursions. Néanmoins, les méthodes auditives ou visuelles visant à faire fuir les animaux sont généralement plus ou moins effectives. Les résultats de ces analyses sont donc globalement décevants, mais pourraient être améliorés (voir partie 8.1).

Le fait que les incursions soient régulières dans l'année et autant intenses peut en tous cas indiquer que l'aire de l'AWS est certainement trop réduite et pas en mesure de satisfaire les besoins alimentaires des populations animales l'habitant. Les éléphants, qui sont les principaux créateurs de brèches dans les mesures de séparation en bordure de l'AWS, semblent, en particulier, venir pour profiter d'espaces de végétation moins denses, qui ne sont pas présents dans l'AWS. Le fait qu'ils montrent une tendance à éviter les signes de présence humaine mais à venir plus fréquemment dans les parcelles habitées quand les espaces de végétation intermédiaires sont moindres va également dans ce sens.

La compréhension des tenants de la mobilité des animaux sur ce terrain demeure donc un défi majeur pour la résolution des conflits. Ceci permettrait de pouvoir concevoir des solutions adaptées selon les espèces et les moyens à disposition.

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