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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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I.5.2. Construction d'une problématique sur la confrontation des savoirs et pratiques autour du dugong

Par conséquent, si la compréhension de notre sujet par les « savoirs » et les pratiques est liée aux objectifs de la mission commandée par l'AAMP, l'IRD et le WWF-Nouvelle-Calédonie, elle est également concomitante d'une certaine anthropologie, qui est parfois mobilisée par les organismes de conservation pour attester de la « valeur patrimoniale » de l'élément naturel à protéger comme l'indique les différents articles de l'ouvrage dirigée par Juhé-Beaulaton et Cormier-Salem en 2013, Effervescence patrimoniale au Sud. Dans le domaine de la patrimonialisation, deux tendances se dégagent actuellement par soit « la remise en cause d'anciens patrimoines-territoires par l'évolution économique et sociale », soit la « construction rapide d'objet et/ou de territoires patrimonialisés par des initiatives privées : création de musées locaux, de réserves naturelles par des communautés locales » (Ibidem : 44). Nous verrons par la suite que le cas de la constitution du dugong en tant qu'« espèce emblématique » relève un peu de ces deux tendances.

Si la mise en patrimoine de la biodiversité et l'articulation entre patrimoine culturel et naturel sont des thématiques de recherche bien connues en sciences sociales, elles renvoient toutes deux à des questions d'appartenance identitaire et culturelle et prennent appui sur des concepts tels que les « savoirs locaux » et la tradition. D'après la définition de « tradition » proposée dans le Lexique, elle est un objet de la transmission : « c'est ce qu'il convient de savoir ou faire pour faire partie d'un groupe qui, ce faisant, arrive à se reconnait ou à s'imaginer une identité culturelle commune (Izard, 1991 : 710) ». Autrement dit, la tradition est un ensemble de « savoirs » qui relèvent du système interprétatif du monde engendré par un groupe particulier et dont les membres ont l'habitude de se transmettre depuis un certain temps (au moins deux générations).

De la même manière, les « savoirs et savoir-faire locaux » sont également des objets très divers de la transmission et de circulation entre les personnes, que ce soit au sein d'une même famille, entre les générations, ou encore entre les groupes sociaux. En ce sens, un savoir est résolument dynamique pour deux raisons majeures :

- il est constamment enrichi des contacts répétés avec d'autres savoirs ;

- il n'existe que s'il est partagé entre certains individus et pas par d'autres ;

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

La dernière proposition signifie qu'un savoir est le gage d'une certaine appartenance et reconnaissance culturelle ou identitaire entre les détenteurs d'un savoir similaire. En parallèle, les pratiques, au sens de « faire » et de « savoir-faire », empruntent les mêmes logiques qui sous-tendent la formation et le mouvement des savoirs. En outre, il est possible que plus un savoir est ancien et s'apparente à la tradition, plus il est susceptible de fonder une valeur ajoutée d'ordre « patrimoniale ». Cette hypothèse fait écho à la définition de « patrimoine » proposée par Valérie Boisvert (dans Cormier-Salem, 2005 : 47) en tant que « valeur attribuée à quelque chose et qui touche le domaine de l'identité et de la transmission ».

Par conséquent, ces concepts anthropologiques et méthodes d'analyse nous ont amené à porter notre attention sur les divers savoirs et pratiques liés au dugong, qui se trouvent plus ou moins engagés dans ce processus de « patrimonialisation » amorcer par le Plan d'actions dugong dans le but de favoriser la conservation de cet animal. Par « patrimonialisation » ou « mise en patrimoine », nous entendons l'« appropriation de la nature - matérielle, symbolique et culturelle - d'un élément ou d'un ensemble d'éléments de cette « nature » donnant à un environnement la spécificité d'être « patrimoine naturel » transmis de génération en génération. Ce processus, pas nécessairement consensuel, suppose de donner une valeur ajoutée à un environnement, d'en préserver un ou des éléments emblématiques, de leur reconnaître une qualité particulière et d'en assumer la pérennité » (Doyon & Sabinot, 2013 : 166). Aussi souhaitons-nous porter notre regard non pas sur le patrimoine mais plutôt sur « les processus de sa qualification » (Juhé-Beaulaton et Cormier-Salem, 2013 :14), et ce à travers l'analyse des savoirs et des pratiques différemment répartis selon les acteurs et de leur mobilisation dans le projet de conservation.

Nous avons ainsi identifié un certains nombres d'acteurs que nous avons répartis en deux groupes bien distincts en fonction des « types » de savoirs qu'ils disent mobiliser :

- les « acteurs institutionnels » partenaires ou membres du Plan d'actions dugong 2010-2015 et qui ont construit leur stratégie de conservation à partir de « savoirs scientifiques » ;

- les « acteurs locaux » présents sur les terrains qui ne sont pas officiellement liés au Plan d'actions et qui sont sensés avoir développé des « savoirs locaux » / « traditionnels » d'ordre empirique ainsi que des pratiques sociales concernant le dugong ;

Cette séparation est également bien connue de l'anthropologie du développement puisque Olivier de Sardan formule le premier principe de distinction en ces termes : « Autour des actions de développement deux mondes entrent en contact. On pourrait parler de deux cultures, deux univers de significations, deux systèmes de sens, comme on voudra [...] D'un côté, il y a la configuration de représentations des « destinataires », à savoir les « populations-cibles » [...]. De l'autre côté, il y a la configuration de représentations des institutions de développement et de leurs opérateurs » (1995 : 185).

Les deux prochaines parties de cette étude s'attacheront à comprendre comment ces types de savoirs sont susceptibles de se télescoper et / ou de se rejoindre, notamment en fonction des intentions et identités revendiquées par les différents acteurs. Puisque le

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savoir est une entité qui circule et qui évolue, les relations entre ces différents savoirs sont tout aussi dynamiques et dépendent des acteurs en présence. De plus, le monde du développement et de la conservation est une « arène » (Olivier de Sardan : 1995) où se confrontent les intérêts et les savoirs des uns et des autres afin d'acquérir ou de préserver leur contrôle ou leur influence. Nous mettons donc en lumière les relations entre les protagonistes au sein des différents groupes à partir de l'analyse des stratégies et des rapports entre les savoirs.

Enfin, nous conclurons sur une partie qui met en perspective les pratiques des acteurs « locaux » et « institutionnels » autour de la protection du dugong et leur possible articulation. Les objectifs de cette partie sont de poser la question du compromis entre les acteurs pour sauver le dugong et de recentrer notre réflexion sur l'utilisation de la valeur patrimoniale de ce mammifère. En ce sens, nous nous interrogeons sur les pratiques et les perceptions des différents groupes (« population locale », « acteurs environnementaux locaux », « acteurs institutionnels ») en matière de protection environnementale et sur la mobilisation ou non du statut « emblématique » de l'animal.

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