Les femmes déclarent que leur niveau de connaissances
vis-à-vis des plantes médicinales et de la maternité est
faible, voire très faible, avec un niveau moyen de 2,57/10. En effet,
20,40% des femmes qui déclarent que l'utilisation des plantes est
possible, ne connaissent pas les indications des usages. 34 ,18% ne connaissent
pas les situations à éviter et 34,60% ne connaissent pas les
plantes à éviter. Ceci pourrait s'expliquer par l'histoire des
plantes médicinales à la Réunion : le secret des
remèdes a longtemps été gardé dans les familles
face à l'essor de la médecine conventionnelle. De plus, cet essor
a créé une perte de confiance dans le système traditionnel
et une perte des savoirs, par manque de transmission (8). Rappelons par
ailleurs, que la médecine réunionnaise est une cohabitation entre
médecine traditionnelle et médecine conventionnelle et que le
suivi de la grossesse a été concédé à la
biomédecine (54). Le savoir des femmes concernant l'usage des plantes
chez la femme enceinte et le nouveau-né s'est alors de plus en plus
perdu. Le sujet est presque tabou, et il existe peu d'écrits, la
transmission des savoirs traditionnels étant avant tout orale et
familiale (8). Et c'est en effet ce qui ressort de notre étude :
concernant 91,70% des femmes qui estiment avoir des connaissances, celles-ci
sont issues de la famille.
Selon 47,40% des femmes ayant déclaré avoir un
niveau de connaissances concernant les plantes médicinales et la
maternité, uniquement certaines plantes peuvent être
utilisées. La période d'utilisation dépend de la nature de
la plante d'après 45,91% des femmes de cette sous population. La
littérature, bien que contre-indiquant certaines plantes et certaines
formes (les huiles essentielles par exemple) pendant la grossesse et chez le
nouveau-né, n'est pas assez riche vis-à-vis du sujet pour pouvoir
affirmer ou infirmer ces connaissances des femmes. Selon Franswa TIBERE, et
Kakouk, il y a des plantes à éviter selon le profil de la femme
ou de l'enfant. 77,04% des femmes de cette même sous population pensent
que la dangerosité des plantes vient en partie de la dose
utilisée. De plus, certaines sont jugées « trop fortes
» pour être consommées pendant la grossesse. La
littérature, là encore, n'est pas exhaustive vis-à-vis du
sujet pour pouvoir affirmer ou infirmer ces dires. En revanche les
professionnels de terrain insistent sur le fait que l'efficacité et la
toxicité des plantes dépendent de la dose utilisée. Une
sage-femme libérale, conseille par exemple aux femmes « d'essayer
de petites doses » des tisanes conseillées par la famille, et
d'observer les réactions. Franswa TIBERE, tisaneur, et Raymond LUCAS,
botaniste, expliquent que si la plante n'a pas été efficace au
bout de 3 jours, il faut changer de traitement ; il n'est pas nécessaire
d'augmenter les doses. Cette théorie semble donc donner raison aux
femmes sur le fait que l'utilisation de la phytothérapie pendant la
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grossesse est restreinte à un certain nombre de
plantes. En revanche, on ne peut généraliser les connaissances
quant à la période d'utilisation ou les effets néfastes
des plantes. Les pratiques sont à moduler, en consultant un
spécialiste, qui délivrera le traitement adapté au couple
mère-enfant.
Trois plantes sont à éviter selon les femmes :
le thym vert Thymus officinalis (cité par 36,40% de cette sous
population de femmes), l'Ananas Ananas comosus (19,40%) et
les fleurs jaunes Hypericum lanceolatum Lam (14,60%). Aucune
étude clinique à l'échelle humaine ou animale n'a
été retrouvée. Cependant, le Thym Thymus vulgaris
aurait des effets abortifs (67). La base de données HEDRINE lui
reconnait des effets anticoagulants. En 2016, l'étude de Monji F,
Adaikan P, Lau L, Bin Said B, Gong Y et. al. a montré l'effet
utérotonique de l'Ananas, qui pourrait en faire une contre-indication
pendant la grossesse, et une indication pour le déclenchement du travail
(62). L'APLAMEDOM accorde aux fleurs jaunes Hypericum lanceolatum Lam
un effet emménagogue et les contre-indique pendant la grossesse.
Devant ces résultats, et le manque de données de la
littérature, il semble en effet plus sécuritaire d'éviter
ces plantes pendant la grossesse.
En revanche, 60,70% des femmes déclarant que l'usage
des plantes médicinales est possible chez la femme enceinte et
allaitante, leur accordent des bénéfices.
Il est difficile de dégager des plantes ou des
recettes qui font l'unanimité. Certaines sont plus souvent citées
que d'autres, et en général, il s'agit de celles inscrites
à la Pharmacopée Française. Ainsi, contre les troubles
digestifs, 51 femmes sur 196 citent l'Ayapana Eupatorium triplinerve
et 65 femmes sur 196 citent le Gingembre Zingiber officinale.
L'Ayapana Eupatorium triplinerve est connue à la
Réunion pour son utilisation contre les troubles digestifs notamment
(68). Aucun effet tératogène n'a été décrit
pour l'Ayapana Eupatorium triplinerve. Il y a très peu de
données concernant les plantes, la grossesse et l'allaitement. L'usage
du Gingembre Zingiber officinale pour les nausées est reconnu
chez la femme enceinte par l'OMS. D'ailleurs, il existe des
spécialités à base de Gingembre Zingiber officinale
contre les nausées et vomissements : maternov®, ou encore
antimétil®. Par précaution (manque d'étude clinique
concernant la grossesse), l'Agence Européenne du Médicament ne
recommande pas son usage pendant la grossesse (43). Il apparait donc que les
connaissances des femmes sont justes concernant le Gingembre Zingiber
officinale; elles sont cependant à prendre avec précaution
concernant l'Ayapana Eupatorium triplinerve. La sage-femme, selon
l'article R4127-314 du Code de la Santé Publique, ne peut
délivrer de remède insuffisamment validé par les
données scientifiques (de même que tout autre professionnel de
santé est soumis à cette même obligation). Dans le cadre de
l'usage des plantes médicinales, ces données sont accessibles
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via les grandes autorités de santé et l'agence
du médicament. Aucune de ces instances ne délivre d'information
quant à l'usage de l'Ayapana Eupatorium triplinerve chez la
femme enceinte, on ne peut donc la conseiller de manière sûre,
mais elle ne fait pas l'objet de contre-indication pendant la grossesse. On
privilégiera un usage précautionneux à faible dose et de
courte durée. En revanche, l'usage du Gingembre Zingiber officinale
peut être conseillé en revendiquant l'accord de l'OMS et les
usages empiriques sécuritaires.
67 femmes sur 196 ayant déclaré que l'usage des
plantes médicinales est possible chez la femme enceinte ou allaitante,
estiment que le Framboisier Rubus idaeus est efficace pour
déclencher l'accouchement. Les études sur le Framboisier
Rubus idaeus sont de plus en plus nombreuses. Il aurait un effet
utérotonique sur les cellules de rats (26) . Il est souvent
utilisé en maternité en Australie et aux Etats Unis et vendu en
France pour cette indication. L'EMA cite une utilisation traditionnelle des
feuilles de Framboisier Rubus idaeus (pour préparer
l'accouchement chez les grecques et un peu partout en Europe et en
Amérique du Nord). Elle précise que les extraits alcooliques de
feuilles de Framboisier Rubus idaeus n'ont pas d'effets sur les
contractions utérines chez le rat, contrairement aux extraits aqueux.
Ceux-ci auraient tantôt des effets relaxants ou au contraire toniques
selon le solvant utilisé dans les études in vitro. Les
études scientifiques concernant les effets utérotoniques du
Framboisier Rubus idaeus sont encore peu claires et de médiocre
qualité pour pouvoir s'assurer de son efficacité (50). Par
ailleurs, il s'agit, pour les plantes issues de la pharmacie de Rubus
idaeus. Cependant, des discussions avec certains tisaneurs portent
à croire que le « Framboise la cour » Rubus rosifolius
serait aussi efficace pour déclencher et accélérer le
travail en fin de grossesse. Notre étude ne permet pas d'évaluer
l'efficacité du Framboisier sur la réduction du temps de travail.
Se fiant aux grandes instances de sécurité pour la santé,
la sage-femme ne peut conseiller l'usage du Framboisier de manière
sécuritaire. En revanche, il semble que la plante ait des
propriétés intéressantes dans le déclenchement du
travail, sans avoir d'effets néfastes à court terme et faible
dose ; les recherches mériteraient d'être
étayées.
D'après 70 femmes sur ces même 196 femmes, la
Cannelle « Ti Cannelle » Cinnamomum cassia serait efficace
contre les symptômes grippaux. La plante est connue pour ses
propriétés digestives, antibactériennes et antifongiques
(69). Elle est inscrite sur la liste A de la Pharmacopée
Française. Aucune donnée concernant la grossesse n'a
été retrouvée. La Verveine citronnelle Aloysia
citriodora ou Aloysia triphylla l'Herit, est citée par 62
femmes sur ces mêmes 196, pour les mêmes vertus. La plante est
citée par Kakouk pour les états grippaux : une décoction
des rameaux de feuilles séchées aiderait au
rétablissement. La plante est inscrite à la pharmacopée
française (liste A) pour ses effets contre l'anxiété et
contre les troubles gastro-
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intestinaux (56). Aucune recommandation pour la grossesse n'a
été retrouvée, cependant, l'exposition à la
Verveine Citronnelle Aloysia citriodora ou Aloysia triphylla
l'Herit pendant la grossesse ne semble pas être
tératogène chez le rat (70) d'après deux études
menées en 2016 (71). La Citronnelle Cymbopogon citratus (DC) Stapf
est citée par 70 femmes pour les mêmes
bénéfices. Elle est connue pour ses effets antibactériens
et antitussifs notamment (72), en infusion ou en aromathérapie. La
plante est inscrite sur la liste A de la Pharmacopée Française.
Aucune recommandation pour la grossesse n'a été retrouvée.
Le citron Citrus lemon est aussi cité (par 71 femmes) contre
les symptômes grippaux. D'après Jean Louis LONGUEFOSSE (64) , le
Citron, orange amer, ou Bigarade Citrus aurantifolia traite les
affections respiratoires. Le Citron Citrus Limon est connu pour
traiter les affections respiratoires sous forme d'huile essentielle. Aucune
donnée n'a été retrouvée concernant son usage sous
d'autre forme ou son usage chez la femme enceinte ou allaitante.
56 femmes sur 196 citent l'Aloes Aloe vera pour
lutter contre les masques de grossesse. Le gel d'Aloès Aloe vera
est en effet utilisé en application locale contre les troubles
cutanés notamment (73). Il n'y a pas de contre-indication du gel chez la
femme enceinte ou allaitante ; la plante peut être conseillée de
manière sécuritaire.
Enfin, 42 femmes associent au Romarin Rosmarinus
officinalis des vertus anxiolytiques. La plante est utilisée
traditionnellement contre les troubles digestifs et les douleurs musculaires et
articulaires (74). L'APLAMEDOM lui reconnait néanmoins un effet
anxiolytique (75). La plante est inscrite sur la liste A de la
Pharmacopée Française, mais elle aurait des effets embryotoxiques
(76). L'EMA déconseille son usage. On évitera de conseiller son
usage pendant la grossesse.
Concernant le nouveau-né, Lanis Foeniculum dulce
contre les coliques est citée par 47,50% des femmes. 34,30% citent
l'Ayapana Eupatorium triplinerve à cet effet. 37,40% des femmes
ont cité l'huile Ricin Ricinus communis pour purger le
nouveau-né. La littérature est pauvre concernant le sujet.
Néanmoins, il s'agit d'usages ancestraux et aucun effet
indésirable n'a été rapporté jusqu'à ce
jour. Afin de confirmer l'aspect sécuritaire des usages, d'autres
études mériteraient d'être établies.
Les connaissances actuelles sont basées sur des
données empiriques et ancestrales qui ont souvent fait leurs preuves
dans la population générale. Certaines, comme le Framboisier
Rubus idaeus, ont été étudiées chez la
femme enceinte, mais il n'y a aucune preuve rigoureuse de leur
efficacité et innocuité. Le Gingembre Zingiber officinale
et l'Aloes Aloe vera sont les seules plantes reconnues
officiellement efficaces et non toxiques pendant la grossesse. Mais de
manière plus générale, les connaissances sur les plantes
médicinales ont été appliquées à la
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femme enceinte et au nouveau-né de façon
populaire. Les restrictions éthiques des études cliniques ne
permettent pas de confirmer scientifiquement leurs bénéfices sans
innocuité pour cette population. Le corps médical ne peut se fier
à une « absence d'effets indésirables » sans
étude associée. Par ailleurs, les usages ne sont pas assez
répandus pour espérer admettre l'innocuité totale de la
phytothérapie pendant la grossesse et chez le nouveau-né. Un
usage prudent, restreint dans le temps et les doses est préconisé
pour les plantes qui sont déconseillées par les grandes instances
de santé par manque de données. Cette notion d'usage restreint
est connue par les femmes.