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L'usage de la phytothérapie chez la femme enceinte et le nouveau-né à  la Réunion.


par Adeline DESPRAIRIES
Université de La Réunion - Diplome d'Etat de Sage-femme 2020
  

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2.2 Les pratiques des femmes concernant la phytothérapie

Ø Les fréquences d'usage :

39,15% des femmes de notre échantillon ont recours aux plantes médicinales pendant la grossesse ou chez le nouveau-né. Cet usage concerne 33,23% des femmes enceintes. En 2001, c'était 20% des femmes réunionnaises qui avaient recours aux plantes pendant leurs grossesses (41). 11,57% des femmes de l'étude de E. RONGIER en 2013, a eu recours à la phytothérapie au cours de la grossesse (39). Et au niveau international, c'est près de 28.9% des femmes qui avaient recours à la phytothérapie au cours de leurs grossesses en 2013 (20). Néanmoins ce taux est peu représentatif de la réalité puisqu'il s'agit d'une moyenne des usages, tous pays confondus. Or, dans les pays en voie de développement par exemple, le taux d'usage est beaucoup plus élevé. Les taux sont plus forts à la Réunion qu'au niveau national car la phytothérapie fait partie intégrante de l'histoire même de son système de soins. De plus, les taux d'usage croissants reflètent les tendances actuelles, l'essor du retour au naturel dans tous les domaines.

Ø Les plantes utilisées :

Le Framboisier Rubus idaeus a été utilisé par 23 femmes pour déclencher le travail. Chez ces 23 femmes, la durée moyenne du travail a été de : 8 heures. La durée moyenne du travail des femmes de notre échantillon étant de 8 heures, notre étude ne confirme pas son efficacité. Concernant les autres utilisations, l'Ayapana Eupatorium triplinerve a été utilisé par 19 femmes contre les troubles digestifs, le Gingembre Zingiber officinale a été utilisé par 9 femmes pour cette même indication. Contre les symptômes grippaux, les femmes ont utilisé la Citronnelle Cymbopogon citratus (DC) Stapf (12 femmes) et la Cannelle Cinnamomum cassia (9 femmes).

Ø Le danger des usages :

Aucun effet indésirable n'a été relevé concernant ces pratiques et 73,00% des femmes ayant eu recours aux plantes pendant la grossesse ou chez leur nouveau-né, sont plutôt

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satisfaites voire tout à fait satisfaites de leurs usages. Cependant, bien qu'aucun effet indésirable n'ait été rapporté dans les études menées jusqu'à présent, l'exposition au Framboisier Rubus idaeus pendant la gestation favoriserait l'allongement de celle-ci, ce qui semble peu cohérent avec les effets utérotoniques présentés (77). De plus, le Framboisier Rubus idaeus aurait potentiellement des effets toxiques à long terme sur l'appareil reproductif chez les descendants des lignées exposées. La plante n'est pas inscrite dans la pharmacopée française et les grandes instances de santé la déconseillent chez la femme enceinte ou qui allaite. Notons cependant que l'usage qui est fait de la plante est un usage à faible dose, et sur une courte période, on pourrait alors être rassuré quant aux effets secondaires éventuels quand il s'agit d'un usage restreint dans les doses et le temps.

Les effets de la Citronnelle Cymbopogon citratus, peuvent également être discutés. L'embryo-foeto-toxicité du citral, constituant majeur de son huile a été montrée au-delà de 60mg/Kg (78). Le myrcène (composant de la Citronnelle) causerait des malformations du squelette et des avortements au-delà de 500mg/kg chez le rat (79). Mais on ne peut pas extrapoler les effets obtenus chez le rat et conclure quant aux effets chez l'Homme. D'autant plus qu'aucune étude clinique n'a été réalisé chez l'Homme et aucun effet indésirable n'a été rapporté. De plus, ces effets concernent l'usage sous forme d'huile, et non de tisanes, dans lesquelles les constituants sont en quantité bien inférieure. Par ailleurs, l'usage de celles-ci est restreint dans le temps et dans les doses, ce qui rassure quant à son potentiel toxique.

Concernant le citron, d'après Hansen D K, Juliar B, White G E et Pellicore L S, le citron, orange amer, Citrus aurantifolia n'aurait pas d'effet toxique sur le développement foetal chez le rat

(80). Traditionnellement, le jus de Citron est utilisé pour déclencher et accélérer le travail. Une étude a démontré l'effet utérotonique (sur les cellules de rats) du d et du l -limonène, hydrocarbure terpénique contenu dans des agrumes, en particulier dans le citron Citrus Limon

(81). Néanmoins, la seule présence de cette molécule, à faible dose dans le jus de citron ne suffit pas à lui attribuer un effet utérotonique. Aucune autre étude n'a été retrouvée.

Les usages des plantes se font pour 60,17% des femmes y ayant eu recours pendant la grossesse, au troisième trimestre. Bien que les études soient peu nombreuses concernant le sujet, au niveau national, l'étude de E. RONGIER va aussi dans le sens d'une utilisation restreinte des plantes au 1er trimestre (4,76% de l'échantillon) et tend plus vers une utilisation au troisième trimestre (17,00% de l'échantillon) (39). Aucune recommandation concernant la période d'usage des plantes pendant la grossesse n'a été retrouvée. Mais on peut supposer qu'au troisième trimestre, les femmes craignent moins les avortements, principal risque selon elles.

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2/3 des femmes ont pris un traitement pendant 3 jours minimum, conformément aux conseils des tisaneurs. 93,20% des femmes utilisent les plantes sous forme de tisanes. C'est en effet la forme à privilégier pendant la grossesse (33). Les plantes proviennent la plupart du temps du jardin ou des proches. Or, les botanistes nous amènent à rester vigilants quant aux « faux amis ». Certaines plantes se ressemblent, et n'ont pas les mêmes propriétés. Il y a par exemple plusieurs variétés d'Ayapana. Des confusions entre les plantes peuvent amener à des effets indésirables.

Concernant les usages chez le nouveau-né, 57 femmes ont eu ou auront recours aux plantes, pour les coliques, pour plus de la moitié d'entre elles. Lanis Foeniculum dulce est cité par 9 femmes pour cette indication. Bien que la littérature soit pauvre, il existe des spécialités pharmaceutiques à base de fenouil (Lanis) pour cette indication : la Calmosine Digestion Bio®, développée par les laboratoires Laudavie. Ainsi, les pratiques des femmes sont vérifiées. Par ailleurs, 28 femmes ne savent pas ce qu'elles administrent ou vont administrer à leur nouveau-né. Il n'est en effet pas rare que la mère ne soit pas celle qui prépare les tisanes pour le nouveau-né. L. POURCHEZ nous renseigne en effet sur le fait qu'une personne est désignée à cet effet. En général, il s'agit de la grand-mère ou de la belle-mère (8).

Les femmes se fient aux données et pratiques dans la population générale, sans prendre en compte la particularité de la femme enceinte et du nouveau-né, contrairement aux grandes instances qui restent prudentes face au manque de données. Cependant les usages sont restreints dans les doses et dans le temps (moins d'une semaine de traitement, en général 3 jours), ce qui est préconisé par les tisaneurs, bien que ceux-ci conseillent un usage encore plus restreint dans le temps. De plus, les plantes utilisées sont des plantes déconseillées par les grandes instances, mais pas contre-indiquées. Aucun effet indésirable chez l'Homme n'a été prouvé. Mais le manque de données ne nous permet pas de conclure rigoureusement, en affirmant la toxicité ou l'innocuité de l'usage qui est fait. L'absence d'effet indésirable est cependant rassurante.

Ø Les motivations des femmes :

79,90% des femmes souhaitent se soigner naturellement, et 21,60% pensent que les médicaments ne sont pas efficaces, voire sont dangereux. En effet, après plusieurs scandales pharmaceutiques dont l'affaire sur la Dépakine®, contre indiquée chez la femme enceinte depuis 2018 seulement, et l'émergence de certaines maladies, le système traditionnel reprend de l'importance aux yeux des réunionnais. Par ailleurs, 32,40% des femmes sont attachées à leurs habitudes familiales. Avant d'utiliser les plantes, 74,82% des femmes (104 femmes sur 139) demandent conseil auprès de leurs proches, qui leurs procurent d'ailleurs les plantes le plus souvent (68,34% soit 95 femmes sur 139). L'automédication et la médication par les

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proches sont employées pour traiter des petits maux naturellement, et par habitude familiale les femmes associeraient les plantes à la guérison des maux communs, comme les symptômes grippaux ou les troubles digestifs . Ce n'est cependant pas le cas selon les spécialistes qui expliquent que mêmes les plantes peuvent être dangereuses. Mais la médecine traditionnelle réunionnaise est en effet une médecine de famille ; et la médecine conventionnelle en est un complément. Mais malgré cette réticence au système conventionnel, celui-ci est encore important : c'est le dernier recours si « la maladie ne passe pas avec les plantes », mais c'est le premier recours en cas de pathologie grave, ou incurable par les plantes : « Et si ça passe pas, là on part chez le docteur. » : Et si ça ne guérit pas, on va chez le docteur. Ainsi, le professionnel soignant doit s'attendre à ce que les femmes aient déjà eu recours aux plantes avant de consulter, et prendre en compte les éventuelles interactions entre les plantes et les traitements de la médecine conventionnelle ; d'où l'importance de la base de données HEDRINE. Car ceux sont aussi ces interactions, et le manque de données s'y référant qui font l'insécurité des pratiques.

Ø Le manque d'informations au personnel soignant.

Les spécialistes sont très peu consultés : 61,15% des femmes n'informent pas leurs médecins de leurs pratiques, car « les médecins lé pas au courant... » : les médecins ne sont pas au courant. Le concept de « culture bound syndrome » est longtemps resté dans les moeurs à la Réunion. Pendant très longtemps il y avait « les maladies du médecin » et « les maladies que le médecin ne connait pas » ; d'où la séparation des deux systèmes conventionnels et traditionnels. D'ailleurs la médecine traditionnelle - pratique des esclaves - n'était pas reconnue par le monde colonial. Laurence POUCHEZ décrit le secret gardé par les réunionnais sur leurs pratiques comme, à la fois une volonté d'affirmation de son identité créole, mais aussi comme une marque du ressenti d'infériorité encore présente dans les soins (8). Beaucoup de femmes séparent encore les deux systèmes de soins et pensent que les médecins ne sont pas au courant des « bonnes pratiques » traditionnelles : « Ben les médecins lé pas au courant » : Les médecins ne sont pas au courant. Clara Robert va aussi dans ce sens en 2017 en montrant l'intérêt de mettre en place un outil d'informations sur les plantes pour les médecins généralistes (9). De plus, les femmes expriment parfois leur insatisfaction vis-à-vis du suivi impersonnel du système conventionnel. Les femmes expriment une volonté de s'affirmer dans leurs grossesses et leurs soins, en décidant personnellement de leur système de soins (65).Il en découle alors un manque d'échange avec le personnel médical. Cependant, quand le personnel médical et consulté, ses conseils sont suivis. En effet, les conseils médicaux influencent positivement les pratiques bien que cette relation soit faible (p=0,02 et r2=0,04)

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein