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Initier et accompagner un changement des pratiques professionnelles en CSAPA permettre à  l'usager de drogues d'être acteur de son projet de soin, faciliter l'instauration de l'alliance thérapeutique


par Côme du Mas des Bourboux
IRTS IFOCAS Montpellier - CAFERUIS 2022
  

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INTRODUCTION

« Je gère un centre de soins résidentiel, ex post-cure, où on ne distribue pas de matériel. Pourquoi ? Parce que je n'ai pas encore réussi à convaincre la majeure partie de l'équipe qui était là depuis des années, qui travaillait dans des logiques très abstinentielles ; et donc pour eux la RDR (Réduction des Risques) est un discours opposé à la logique abstinentielle... J'ai

réussi à leur faire accepter que les personnes puissent avoir des objectifs différenciés de l'abstinence, qu'il puisse y avoir des consommations pendant le séjour, qu'elles ne soient pas des motifs de fin de séjour, pour autant on en n'est pas encore à la distribution de matériel. » :

propos d'un chef de service en CSAPA.

Cet extrait d'un entretien que j'ai mené illustre bien la tension qui anime ce RUIS. Le réel des actions de la structure n'est pas en accord avec le prescrit. Sa volonté que la structure respecte le cadre légal et les bonnes pratiques professionnelles se heurte encore à une certaine résistance de l'équipe. Il est conscient que l'intérêt de ce changement de culture doit être argumenté, accompagné et s'inscrit dans une stratégie qu'il s'agit de mettre en oeuvre avec la temporalité adéquate.

En poste de cadre dans un Centre de Soin, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) de la région, je constate que la structure ne se conforme pas entièrement à ses obligations légales et ce malgré l'engagement professionnel de la majorité des membres de l'équipe. En effet, la loi enjoint aux CSAPA d'informer pleinement les usagers de leurs droits, devoirs et des prestations proposées par l'organisation. L'absence d'obligation d'abstinence doit être formulée. Des actions de Réduction des Risques et des Dommages doivent être mises en place. Les professionnels ont donc aussi la mission d'accompagner les usagers dans la gestion et la sécurisation de leurs consommations et leur fournir du matériel de consommation à moindre risque.

Ces obligations réglementaires ne sont pas respectées ce qui engendre des risques pour tous les acteurs : usagers, salariés, RUIS, et en définitive pour l'organisation, son image et sa pérennité. Cette culture institutionnelle, installée depuis la création de la structure doit donc être questionnée et changée en profondeur. Elle va à l'encontre des évolutions du secteur. Nous sommes passés d'une injonction thérapeutique qui fait encore écho dans la perception de certains usagers et professionnels à un accompagnement vers le rétablissement. Un chemin non linéaire où les rechutes peuvent survenir mais dans lequel le choix éclairé de l'usager doit prévaloir: aller vers un mieux-être plutôt que de mobiliser toutes les énergies sur une guérison hypothétique dont le principal indicateur serait l'abstinence totale.

Le risque majeur de cette situation est que la confiance ne s'installe pas et que la relation de soin soit impossible à mettre en place. Cette méconnaissance du cadre légal entrave la qualité de la prise en charge et ne permet pas l'accomplissement des missions obligatoires des CSAPA, dont celle de la réinsertion sociale. Ne pas donner toutes les

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 1 -

informations à l'usager, ne pas lui permettre d'être co-constructeur de son projet de soin revient, en effet, à ne pas lui permettre d'être acteur, maître de son histoire. Si les accompagnants ne lui reconnaissent pas cette place, n'élaborent pas avec lui un parcours individualisé et contractualisé, comment permettre l'instauration de l'alliance thérapeutique, seule à même de fédérer les énergies vers un rétablissement ?

De nombreux textes législatifs encadrent l'action des CSAPA. La Loi la plus récente est la Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé qui réaffirme l'obligation de Réduction des Risques et des Dommages. La loi 2002-2 du 2 janvier 2002, elle, impose un accompagnement individualisé et met l'usager et sa participation au centre des préoccupations des structures sociales et médicaux-sociales. Ces lois sont le fruit d'une longue évolution de la façon dont l'individu, usager de structure et, en l'occurrence, consommateur de substances, est appréhendé par le législateur et par les professionnels du travail social. En tant que RUIS, je veux que ces injonctions fassent sens au sein de l'équipe. C'est l'objet de la stratégie que je mets en oeuvre.

Deux obligations légales ne sont pas entièrement respectées ce qui nuit à l'efficience du parcours de l'usager dans la structure et complexifie l'instauration de l'alliance thérapeutique: l'élaboration conjointe d'un projet individuel de soin ainsi que la mise en place d'actions en RDRD, notamment la mise à disposition de matériel de consommation à moindre risque.

L'analyse de ces constats me permet de poser la problématique suivante : Comment initier et accompagner un changement des pratiques professionnelles afin de proposer un projet de soin personnalisé de qualité conforme à la législation ? Comment garantir l'instauration et le maintien de l'alliance thérapeutique ?

En tant que cadre, je fais l'hypothèse qu'initier et accompagner un changement des pratiques professionnelles est de nature à permettre l'instauration et le maintien de l'alliance thérapeutique et améliorera la qualité du parcours des usagers de ce CSAPA.

4 Dans un premier temps, je décris la structure dans laquelle j'exerce ma fonction, le public accueilli, son évolution ainsi que le cadre législatif réglementant l'action des CSAPA.

4 Dans un deuxième temps, j'analyse les éléments que je recueille grâce à la démarche méthodologique que j'ai élaborée, tant dans la structure dans laquelle je travaille que dans différents autres CSAPA.

4 Dans un troisième temps, je présente la stratégie d'actions que j'envisage de mettre en oeuvre pour initier un changement profond des pratiques professionnelles puis je décris les modalités précises de leur évaluation.

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 2 -

1 L'HÉBERGEMENT EN APPARTEMENTS THÉRAPEUTIQUES DANS UN CSAPA : DE L'ABSTINENCE AU BAS SEUIL D'EXIGENCE THÉRAPEUTIQUE

1.1 La structure et son fonctionnement

Je suis actuellement cadre dans un Centre de Soin d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). La création des CSAPA a été annoncée par la Loi du 2/01/2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. Cette loi, centrée sur l'usager, met notamment l'accent sur la nécessité de prévenir les risques sociaux et médico-sociaux. Les premiers CSAPA ont vu le jour à la suite de la Circulaire DGS/SD 6B n° 2006-119 du 10 mars 2006. Ce texte contraint les Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes (CSST) et les Centres de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA) à devenir des CSAPA. Cette fusion montre un changement dans la façon dont est appréhendée la dépendance, alcool et substances psychoactives étant dorénavant traités par des structures de même type.

Le CSAPA au sein duquel je suis cadre a été créé en 1996 sous le statut de Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes. Il s'agissait d'un Centre Thérapeutique Résidentiel (CTR), une modalité particulière de CSAPA, visant à être une passerelle entre le sevrage à l'hôpital et l'entrée en post-cure. Il n'en existait que deux en France à cette époque. Il était destiné à l'accueil collectif de 8 personnes pour des séjours de quatre semaines afin de prévenir la rechute après un sevrage. En 2005, l'Agence Régionale de Santé (ARS) a autorisé une extension de six places en appartements thérapeutiques, puis de 2 de plus en 2012.

l Une équipe pluriprofessionnelle

Selon le projet d'établissement 2018 / 2023, les missions de ce CSAPA sont: « l'accueil, l'hébergement, l'observation, l'information, l'évaluation et l'orientation médico-sociaux de toute personne majeure en prise avec des problématiques d'addiction et de dépendance (alcoolisme, toxicomanie).»

L'équipe que j'encadre est ainsi constituée : une secrétaire administrative, un médecin psychiatre, un psychologue, deux surveillants de nuit, un infirmier et 5 éducateurs spécialisés. Trois éducateurs ont la tâche d'accompagner les huit usagers du collectif et deux autres les huit usagers en appartements thérapeutiques. Un directeur dirige l'établissement ainsi que deux autres structures spécialisées dans l'addictologie. J'ai décidé de centrer ce mémoire sur les personnes hébergées en appartements thérapeutiques, car elles ont la liberté d'aller-venir. Il n'en est, pour l'instant, pas de même pour les usagers hébergés au sein du collectif; une réflexion sur cette question éthique est en cours à ce sujet.

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 3 -

l L'hébergement en appartements thérapeutiques : Une modalité particulière, un accompagnement nécessitant la prise en compte des différentes problématiques de l'usager.

L'hébergement en appartements thérapeutique est rendu possible par la circulaire CSAPA DGSM du 28/02/2008 et a notamment pour vocation d'accueillir des personnes qui souhaitent continuer un accompagnement thérapeutique engagé et souvent suivent un traitement lourd et de longue durée : Traitement de Substitution aux Opiacés (TSO), traitement contre le VIH ou le VHC1 . Ce séjour de mise à l'abri a pour but de permettre à la personne « de reconquérir son autonomie, de restaurer des liens sociaux (par exemple, à travers le partage des tâches quotidiennes dans l'appartement) et professionnels (recherche de formation, d'emploi, etc )2».

Ces personnes sont hébergées dans des studios loués à des particuliers par l'association. Parmi ces huit appartements, l'un est dédié à la Réduction des Risques et des Dommages (RDRD) à titre d'expérimentation. Les personnes qui y sont accueillies sont des consommateurs actifs de psychotropes. Dans les CSAPA, les usagers sont pris en charge avec des objectifs précis : se sevrer, faire une pause et apprendre à sécuriser ou mieux gérer leurs consommations.

l La notion de seuil, garante de la qualité du parcours

Pour ces objectifs de gestion et de sécurisation des consommations, on parle d'accueil inconditionnel ou de « bas seuil d'exigence ». L'équipe du CSAPA n'a pour le moment pas les outils pour accompagner les usagers dans ces deux objectifs que ce soit en termes de formation, de disponibilité ou de matériel de consommation à moindre risque.

Voici une définition de la notion de seuil « Les objectifs de la substitution chez les personnes héroïnomanes peuvent être de deux ordres, selon que l'on vise un soin de l'individu dépendant, ou selon que l'on vise avant tout à l'aider à gérer son comportement et à le rendre plus acceptable pour la société. A ces deux objectifs correspondent des stratégies différentes impliquant des exigences modulées permettant d'entrer dans les dispositifs et d'y rester. Le niveau de ces exigences est appelé "seuil" et conditionne l'accessibilité aux dispositifs.3 »

La sociologue Lise Dassieu explique la naissance de ce concept: « En ce qui concerne les usagers de drogues, la notion de seuil s'est également construite « par le bas » : elle apparaît au même moment que des préoccupations sur l'élargissement de l'accès aux services

1 VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine et VHC : Virus de l'Hépatite C

2 Projet d'établissement de la structure

3 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) : Lexique : seuil

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de soin vers ceux qui en étaient autrefois exclus. Le terme est introduit dans la politique française des drogues avec les mesures de réduction des risques dans les années 1990. Là encore, le bas seuil est mis en avant, puisque les nouvelles politiques, s'inspirant des expériences étrangères, se proposent de rompre avec l'exigence d'abstinence de l'ancien secteur spécialisé afin de proposer une réponse aux personnes ne souhaitant ou ne pouvant arrêter leur consommation (Coppel, 2002) 4».

Ainsi, proposer des modalités d'accueil et de soin bas-seuil implique que certains usagers continuent de consommer un ou plusieurs produits, de manière ponctuelle ou chronique. Il faut alors que l'accompagnement prenne en compte l'éventualité de ces consommations et permette de réduire autant que possible les risques afférents. Lors d'entretiens avec des usagers de la structure, j'ai constaté qu'ils continuaient majoritairement à consommer une ou plusieurs substances. Leur projet n'est pas toujours de cesser la consommation de toutes les substances.

En tant que cadre du CSAPA, je dois amener l'équipe à modifier son fonctionnement en tenant davantage compte de cet élément. Cet état de fait doit être pris en compte par les professionnels. Je me donne comme mission principale de les accompagner à adapter leurs pratiques professionnelles afin d'améliorer la qualité de la prise en soin des usagers.

l La Réduction Des Risques et des Dommages : une approche pragmatique de l'addictologie

La loi enjoint les CSAPA à entreprendre des actions de Réduction des Risques et des Dommages. La Réduction Des Risques et Des Dommages est une approche pragmatique des mécanismes de l'addiction, elle vise à réduire les risques sanitaires et sociaux liés aux consommations de psychotropes. « Elle reconnaît que l'arrêt de la consommation n'est pas possible pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire, et qu'il faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour améliorer leur qualité de vie5 ». Par ailleurs, il s'agit de prendre en compte le savoir expérientiel des usagers, de les considérer comme experts de leur situation et de mettre en valeur leur pouvoir d'agir. J'aborderai plus loin cet élément essentiel de la prise en soin.

Les résidents des appartements sont des personnes qui souhaitent: soit consolider leur sevrage, soit apprendre à sécuriser et gérer leurs consommations. Pour ces deux seuils

4 Dassieu Lise, « Les seuils de la substitution : regard sociologique sur l'accès aux traitements de substitution aux opiacés », Psychotropes,

2013/3-4 (Vol. 19), p. 149-172, 2013, p152

5 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) : L'essentiel sur ... la réduction des risques et des
dommages : une politique entre humanisme, sciences et pragmatisme, septembre 2020, p1

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d'exigence (bas seuil/gestion/sécurisation, haut seuil/abstinence), les personnes sont censées avoir déjà pris du recul par rapport à leurs consommations et être capables d'habiter un logement de manière autonome ou presque. Les professionnels sont chargés d'accompagner les personnes sur le savoir-habiter, les démarches administratives, la recherche d'emploi, la réinstauration du lien social et la coordination des soins en collaboration avec les partenaires.

Ces huit personnes sont amenées à se rendre au CSAPA pour rencontrer les professionnels et parfois pour se voir délivrer leur traitement de substitution aux opiacés ou d'autres traitements. La durée de séjour est ajustable (6 à 24 mois). La durée moyenne des séjours des sortants était de 15 mois en 2019.

Selon le projet d'établissement, pendant le premier mois, le suivi de l'équipe socio-éducative se décline à raison de deux entretiens en présentiel (visites à domicile ou entretiens dans les locaux) et d'un échange téléphonique par semaine. Une synthèse est réalisée à la fin du mois et les objectifs du séjour sont fixés, à priori, conjointement. Cette synthèse n'est pas un document contractuel, elle est rédigée par un travailleur social après l'entretien. Je souligne là un décalage préoccupant entre la loi et la réalité du terrain. Enfin, les perspectives d'orientation sont également étudiées. Par la suite, cet étayage est adapté au degré d'autonomie de la personne et des synthèses sont effectuées chaque trimestre.

1.2 Un public présentant des problématiques souvent multiples et complexes

Selon le rapport d'activité 2019, l'âge moyen des personnes accueillies était d'environ 40 ans. Il s'agissait de personnes de sexe masculin pour 69 % des effectifs, très majoritairement bénéficiaires de minimas sociaux. Certaines personnes ne disposaient d'aucun revenu. Aucune de ces personnes ne disposait de logement stable et autonome et certaines parlaient peu le français (le plus souvent des personnes issues des pays d'Europe de l'est, République Tchèque et Géorgie notamment). 61 % étaient couverts par la Couverture Maladie Universelle (CMU), devenue la Complémentaire Santé Solidaire (CSS), et certains ne disposaient d'aucune couverture sociale. Les consommations de produits psychotropes, raison de leur prise en charge, étaient dans l'ordre : cocaïne / crack, alcool et opiacés (héroïne, sulfate de morphine et autres).

Par ailleurs, actuellement, 5 usagers bénéficient de la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH). Parmi eux, 4 sont diagnostiqués comme présentant des troubles bipolaires ou psychotiques. On parle dans ce cas de pathologies duelles : « Le double diagnostic en addictologie correspond à l'association d'un trouble de l'usage de substances et

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d'un trouble psychiatrique. D'autres termes ont pu voir le jour au fur et à mesure du temps tels que « comorbidité », « co-occurrence », « pathologies duelles » ou encore plus récemment « trouble duel 6». Je reviendrai sur la prise en charge des usagers souffrants de cette pathologie en fin de partie. D'autres éléments associés peuvent impacter également la prise en soin (handicap intellectuel ou autre, isolement familial, problèmes de santé chroniques, logement, autonomie financière, maîtrise du français, etc.).

Le rapport de l'Office Français des Drogues et Toxicomanie (OFDT) de 20167 donne des statistiques moyennes de personnes hébergées dans les CSAPA en appartement thérapeutiques. Il s'agit d'hommes pour environ 75 %. 47% avaient 40 ans et plus et la tendance au vieillissement est très importante (21 % de plus de 40 ans en 2005) ce qui a des conséquences car l'âge avançant les comorbidités s'accumulent.

En tant que cadre je veille à ce que l'équipe tienne compte de la diversité du public accueilli afin de garantir aux usagers une offre de soin efficiente. Ces personnes ont toutes des trajectoires différentes mais ont presque toutes connu l'errance. Certaines disposent de revenus mais pas toutes. Il en est de même pour la couverture sociale, l'aptitude à parler français, les handicaps physiques ou psychologiques. Elles sont, ou ont été dépendantes de substances diverses et n'en sont pas au même stade de leur parcours de soin. De plus, nombre de ces personnes ne disposent d'aucune solution de sortie du dispositif.

1.3 Le cadre légal des CSAPA et l'histoire de la RDRD en quelques dates8

Pour bien saisir comment la relation de soin, de « prendre soin » peut s'installer, il est essentiel de se pencher sur l'histoire de la Réduction des Risques et des Dommages et sur le contexte juridique qui a permis aux CSAPA de voir le jour. Par la suite, je compte utiliser cette partie comme document de formation à destination des professionnels. Comprendre comment la RDRD a fini par s'imposer comme outil de dialogue et de soin peut permettre de poser les bases d'une culture commune. Par ailleurs, je me rends compte que cette liste de lois et de dates peut-être difficile à appréhender. Il s'agira de réaliser un support plus fonctionnel.

l L'origine de la RDRD : La Grande-Bretagne fait figure de précurseur en matière de RDRD. En 1926, les membres de la commission Rolleston rendent légale la prescription de

6 Boumendjel, May, et Amine Benyamina. « 15. Les « pathologies duelles » en addictologie : état des lieux et prise en charge », Michel Reynaud

éd., Traité d'addictologie. Lavoisier, 2016, p139

7 Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) : Christophe Palle, Malisa Rattanatray, Les centres de soins, d'accompagnement
et de prévention en addictologie en 2016, octobre 2018

8 Partie basée sur : Gautré, D. (2013) Une expérience de responsable d'unité d'intervention sociale en CAARUD (Mémoire de CAFERUIS non

publié -Ifocas) et sur : Alain Morel, Jean-Pierre Couteron, L'Aide-mémoire de la réduction des risques en addictologie, Paris : Dunod, 2019

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morphine et d'héroïne aux consommateurs partant du principe que la gestion ou le sevrage prend souvent 10 à 20 ans avant d'être pérenne. Cette mesure a permis de limiter l'impact social et sanitaire des consommations. Cette approche pragmatique se retrouve au milieu des années 80, quand pour lutter contre le SIDA, le gouvernement autorise la distribution de matériel d'injection et l'accès à la méthadone. On trouve d'autres exemples de politiques publiques précoces de RDRD aux Pays-bas et en Suisse.

l En France métropolitaine, avant les années 60, les consommateurs de drogues sont quasiment invisibles. Ils sont en majorité des personnes ayant commencé à consommer dans les colonies françaises.

l En 1965, le mouvement de contre-culture né aux États-Unis gagne l'Europe et avec lui l'arrivée des consommations festives de cannabis et de LSD notamment. Le début des années 70 est marqué par l'entrée de l'héroïne, des barbituriques et des amphétamines.

s La Loi de 1970 marque le début de la politique de prohibition. La Loi n°70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses marque cette époque. Ce texte considère le consommateur de drogue comme malade mais aussi comme délinquant. Depuis, toutes consommations sont passibles d'amendes voir de peines de prison. On assiste aujourd'hui à une forte remise en cause de cette loi. Comme d'autres structures en addictologie, les CSAPA, notamment ceux qui adhèrent à la Fédération Addiction, participent à cette réflexion. J'envisage d'amener l'équipe à avoir un rôle actif dans ce mouvement d'évolution des politiques publiques.

l En parallèle de la prohibition, le texte énonce le principe de l'injonction thérapeutique avec l'abstinence comme unique finalité. Les structures spécialisées en addictologie commencent alors à voir le jour. A partir de 1975, la consommation d'héroïne explose et touche désormais tous les milieux. L'épidémie de SIDA apparaît à la fin de cette décennie ; les personnes homosexuelles sont les plus touchées. J'ajoute ici que les deux sujets sont liés. Les personnes hébergées en CSAPA dans les appartements thérapeutiques souffrent de pathologies lourdes. Les maladies sexuellement transmissibles en font partie. Il s'agit là d'un autre élément de complexité à prendre en considération.

l Les consommateurs de drogues par voie-intraveineuse sont la deuxième population la plus atteinte, viennent ensuite les hémophiles et les personnes incarcérées. Parallèlement, le trafic continue de croître. Des associations de santé communautaires sont créées aux États-

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Unis en 1983, puis en France avec Aides en 1984 et Act Up en 1994 avec l'objectif de considérer les personnes concernées comme expertes de leurs pratiques et actrices de leurs projets de soin. On parle alors d'association d'auto-support. Dès 1985 des voix s'élèvent pour faciliter l'accès au matériel d'injection à moindre risque mais l'idéologie dominante considère que cela mènerait à une banalisation de la toxicomanie, à une incitation à la consommation. Autre exemple de cette vision coercitive du traitement de la dépendance, en 1985, le Ministre de la justice Albin Chalandon annonce l'ouverture de 1 600 places de prison dédiées à la désintoxication et de 2 000 places pour l'association « Le Patriarche » qui prônait un traitement dur de l'addiction. Des associations, des magistrats et des personnalités politiques s'opposent à ces projets.

l En 1986, l'association AIDES publie une brochure de RDRD : « Une seringue, ça ne se prête pas. »

l L'émergence des structures de réduction des risques a lieu hors du cadre légal. Le Décret n°87-328 du 13 mai 1987, dit Décret Barzach, autorise la vente de seringue dans les pharmacies et sans prescription. Ce texte annonce le début de la RDRD en France. La pandémie continue pourtant de s'étendre. En 1986, Médecins du Monde (MDM) ouvre un centre de dépistage anonyme et gratuit, tenu par des bénévoles. En 1988, MDM ouvre un Programme d'Échange de Seringues (PES) mobile malgré l'interdiction de distribuer des seringues dans la rue9, interdiction qui prendra fin en 1995. D'autres groupes d'auto-support d'usagers naissent également à cette période, l'association ASUD (Auto-Support des Usagers de Drogues) notamment. En 1993 des associations de militants de l'auto-support et des professionnels de la santé et de l'humanitaire montent le collectif « Limiter la casse » et publient un appel dans le Monde et Libération : « Des toxicomanes meurent chaque jour du sida, d'hépatite, de septicémie par suicide ou par overdose. Ces morts peuvent être évitées, c'est ce qu'on appelle la réduction des risques...». La conclusion de ce texte est la suivante : « L'alternative entre incarcération ou obligation de soin est une impasse. La responsabilité des pouvoirs publics est engagée comme elle le fut dans l'affaire du sang contaminé. Parce qu'une seule injection suffit pour devenir séropositif, parce que les toxicomanes sont nos enfants, nos conjoints, nos voisins, nos amis, parce qu'on ne gagnera pas contre le sida en oubliant les toxicomanes, limitons la casse ! 10». Des structures d'accueil dédiées aux consommateurs voient le jour à Paris et Marseille, les boutiques. Elles offrent aux consommateurs un accès à l'hygiène et un programme d'échange de seringue. Notons que ces structures se sont créées dans l'illégalité.

9 Histoire & Principes de la réduction des risques, entre santé publique et changement social, Issoudun, Médecins du Monde, AFD, juin 2013, p37

10 Anne Coppel, Peut-on civiliser les drogues? de la guerre à la drogue à la réduction des risques, La découverte, Alternatives sociales, 2002

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 9 -

l En 1994, lors de l'installation de la commission de réflexion sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie, Simone Veil, alors ministre de la santé se prononce clairement en faveur de la RDRD et la création de structures d'accueil « bas seuil » pour les usagers : « La réduction des risques de SIDA passe aussi par une réflexion sans tabou sur les modes de contaminations des toxicomanes : la contamination par échanges de seringues souillées, la contamination par des rapports sexuels non protégés. Nombreux sont les toxicomanes qui se piquent, nombreux sont les toxicomanes des deux sexes qui se prostituent.11 »

l Les consommations se diversifient, une prévalence qui augmente. Dès le début des années 90, l'offre de produits stupéfiants se diversifie.

D'une manière générale, le cannabis est consommé de manière exponentielle, la poly-consommation se développe. La cocaïne n'est plus cantonnée aux classes hautes de la population. Le crack (cocaïne base) fait son entrée à Paris. Les détournements de médicaments s'intensifient (Subutex®, Benzodiazépines, Kétamine, Ritaline, Morphine, etc.).

l Un cadre légal est finalement posé, les traitements de substitutions aux opiacés sont légalisés. D'autres boutiques ouvrent alors portées par SOS Drogues Internationale, MDM et AIDES. Le cadre légal évolue avec la Circulaire DGS:SP3 n° 4 du 11 janvier 1995 relative aux orientations dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes. Ce texte autorise les médecins des CSST à distribuer de la méthadone, un des traitements de substitution aux opiacés. Le Décret n°95-255 du 7 mars 1995 rend enfin légale la distribution de matériel d'injection stérile.

l Un autre TSO, la buprénorphine haut dosage (Subutex®) fait son entrée légale en France en février 1996. Les médecins généralistes ont le droit de la prescrire.

l La RDRD entre dans la législation française. La Circulaire DIV/DPT-LSSP/MILDT n° 2001-14 du 9 janvier 2001 relative à la politique de la ville et à la politique de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances officialise la RDRD comme une politique qui : « qualifie l'ensemble des informations, des aides et des prises en charge proposées aux consommateurs de substances psychoactives et notamment aux usagers de drogue intraveineuses, pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux liés à leur consommation ». Je note ici que dans l'esprit de la loi l'information des usagers constitue la priorité.

11 Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, sur les réflexions à mener et les mesures prises en matière de lutte contre la toxicomanie, Paris les 9 mars et 5 mai 1994

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 10 -

l La loi 2002-2 impose un accompagnement individualisé. La Loi du 2/01/2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale annonce la mise en place future des CSAPA. L'article L.312-1, alinéa 9 du CASF définit ces établissements: « Les établissements ou services qui assurent l'accueil et l'accompagnement de personnes confrontées à des difficultés spécifiques en vue de favoriser l'adaptation à la vie active et l'aide à l'insertion sociale et professionnelle ou d'assurer des prestations de soins et de suivi médical, dont les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie et les appartements de coordination thérapeutique »

l Ce texte préconise aussi dans son article 5 de conduire des : « Actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge ». Il est donc ici question de prévention. Le lien avec les conduites addictives est clair.

l La notion de droit des usagers, absente de la loi du 30 juin 1975, est introduite. Elle affirme ainsi dans sa section 2 que les usagers ont droit à une : «Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.12 »

Cette obligation a pour but de favoriser l'instauration d'un dialogue sincère et véritable entre professionnels et usagers dans les structures sociales et médico-sociales. Ce dialogue est une composante essentielle du traitement des consommations dans les structures en addictologie. C'est la condition d'une alliance thérapeutique durable, une notion que je définirai plus loin notamment au regard des recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l'Agence Nationale de l'Évaluation et de la qualité des Établissements et Services sociaux et Médico-sociaux (ANESM ) intitulées : « les attentes de la personne et le projet personnalisé » et publiées en 2008.

Ainsi, la Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rend obligatoire le projet personnalisé. Il doit être élaboré dans les 6 mois suivant l'admission au sein d'un établissement ou d'un service social et médico-social.

12 Article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 11 -

l L'ouverture des CSAPA et CAARUD : la Loi santé de 2004. La Loi n° 2004-806 du 9 août 2004, dite Loi santé, citée précédemment, marque l'entrée concrète et opérationnelle de la RDRD dans le cadre juridique. Ce texte prévoit l'ouverture des CAARUD (Centres d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues). Ces structures à « bas seuil d'exigence » remplacent les « boutiques ». Les professionnels des CAARUD ne se limitent pas à l'accueil, l'accès à l'hygiène et au matériel d'injection, ils mènent des actions d'« Aller vers », dans la rue, les squats, les terrains, en milieu festif, etc. Les premiers CSAPA ouvrent en 2006.

l Le décret n° 2005-347 du 14 avril 2005 définit les objectifs de la RDR, dont le premier : « prévenir les infections sévères, aiguës ou chroniques, en particulier celles liées à l'utilisation commune du matériel d'injection ». Il énonce une liste de modalités d'interventions dont « la distribution et la promotion du matériel d'hygiène et de prévention ».

l La RDRD devient une obligation légale pour les CSAPA. Le Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007 relatif aux missions des CSAPA vient modifier le Code de la Santé Publique. Ainsi, l'article D. 3411-2 précise que les CSAPA doivent assurer « La réduction des risques associés à la consommation de substances psychoactives ».

l La Circulaire n° DGS/M/2008/79 du 28 février 200813 relative à la mise en place des CSAPA et à la mise en place des schémas régionaux médico-sociaux d'addictologie stipule que « les CSAPA doivent assurer la prise en charge et la réduction des risques ». Par ailleurs, les CSAPA « doivent mettre à disposition de leurs usagers des outils de réduction des risques ». Il s'agit ici de lutter contre l'overdose, les contaminations par le VHC, le VIH et plus largement contre les comorbidités entraînées par des pratiques à risques. La mission de RDRD des CSAPA « a pour but, non seulement de limiter les risques sanitaires et sociaux liés à l'usage de substances psychoactives, mais aussi de contribuer au processus de soin, au maintien et à la restauration du lien social. » Cette mission est rendue obligatoire.

l Le contexte récent est marqué par de fortes évolutions. La Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (Art. L. 3411-8.-I du code de la santé publique) vient promouvoir les actions de RDRD : « la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classées comme stupéfiants. »

En atteste les points 3 et 4 :« 3° « Promouvoir et distribuer des matériels et produits de santé

13 Extrait en annexe 1

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 12 -

destinés à la réduction des risques ; 4° Promouvoir et superviser les comportements, les gestes et les procédures de prévention des risques. »

Selon l'article L. 3411-6 : les CSAPA « assurent obligatoirement des missions d'accompagnement médico-psycho-social, de soins, de réduction des risques et des dommages et de prévention individuelle et collective. »

l C'est cette loi qui autorise aussi l'expérimentation des salles de consommation à moindre risque. Deux salles ouvrent cette année : une à Paris et la seconde à Strasbourg. « Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) visent un double objectif : améliorer la santé publique comme la tranquillité publique. « Elles sont un élément d'une palette très large d'accompagnement et de soins pour des usagers de drogues qui s'injectent...très marginalisés et pour lesquels ce dispositif est une première étape d'entrée dans le parcours de réduction des risques et de soin ....14». Elles deviennent les Haltes Soin Addiction en 2021.

l En 2019, la Haute Autorité de Santé (HAS) publie une Recommandation de Bonne pratique concernant la RDRD et les CSAPA. En voici un extrait : « tout au long de l'accompagnement, lorsque des consommations ou des pratiques à risque sont évoquées auprès de tout professionnel de l'équipe, informer la personne des modalités de mise à disposition de matériel et d'éducation aux pratiques à moindre risque par le CSAPA ». Ce texte préconise notamment l'inscription de la RDRD dans le projet d'établissement et l'emploi de travailleurs-pairs. Ces recommandations constituent un levier pour accompagner un changement des pratiques et peuvent être utilisées à des fins d'évaluation interne de la qualité.

l La politique de RDRD a démontré son efficacité puisque la prévalence des nouveaux cas de VIH parmi les consommateurs de drogues injecteurs a fortement baissé. Elle est passée de près de 1750 en 1995 à 38 en 2016 selon l'Office Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT)15. En 2018, 8 millions de seringues ont été distribuées par les CAARUD contre 3,8 millions en 2008 toujours selon l'OFDT. L'offre thérapeutique des antidotes aux opioïdes en France s'est récemment développée avec l'autorisation de mise sur le marché de la Naloxone prête à l'emploi en 2019. Un antidote qui permet de maintenir la personne en overdose éveillée en attendant les secours. Notons que depuis quelques années des associations distribuent du matériel de consommation par voie postale gratuitement, l'association SAFE notamment.

l La RDRD est entrée dans la pratique et constitue un élément essentiel de la prise en charge de l'addiction ; elle est déterminante dans la politique de santé publique actuelle.

14 www.drogues.gouv.fr : Salles de consommation moindre risque, 13/11/2018

15 www.ofdt.fr : Évolution du nombre de nouveaux cas de sida liés à l'usage de drogues par voie injectable depuis 1995

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 13 -

1.4 Les enjeux du soin dans les CSAPA : instauration et maintien de l'alliance thérapeutique

« - Dans les premiers entretiens, est ce que tu as été tranquillisé sur cette question, est-ce
qu'on t'a dit que si jamais...le parcours de soin en addictologie c'est un chemin qui n'est pas
droit..On t'a parlé de la possibilité que tu fasses des rechutes ? Que tu perdrais pas forcément
ton appartement ?
- On me l'a pas dit. On ne me l'a pas dit comme ça et même si on me l'a dit, j'avais tendance à
pas le croire. À me dire, oui on me dit ça pour me rassurer mais à pas faire confiance en fait. À
me dire, on va te dire ça par ce qu'on voit que tu es peut-être pas très bien alors on va pas
encore plus t'enfoncer. Dans la défiance, un peu. Mais je le suis de moins en moins.
- D'où l'importance de bâtir une relation de partenariat !
- Oui, oui, mais c'est ça que j'ai compris pleinement maintenant et qui fait que le travail est plus
important, est plus sincère... Mais il m'a fallu du temps pour faire confiance aussi. »
Entretien avec un usager du CSAPA

Cet échange illustre bien le déficit d'information qui a marqué le début de la prise en charge de cet usager. C'est pourtant dans les premières semaines que la prise de risque est la plus importante. C'est aussi à ce moment que les liens de confiance devraient se nouer. Je relève aussi que la difficulté à créer la relation s'explique en partie par des représentations mutuelles sur lesquelles il s'agit de travailler en équipe.

l De la notion d'abstinence à celle du rétablissement :

La politique publique de soin en addictologie a longtemps été marquée par le « triangle d'or » décrit par Alain Ehrenberg : « l'abstinence comme idéal normatif, la désintoxication pour ceux qui ont subi l'attrait des paradis artificiels, l'éradication des drogues de la société comme horizon politique. 16». La loi de santé publique du 31 décembre 1970 en est l'illustration. Elle fait entrer dans la législation l'injonction thérapeutique, une mesure visant à lutter contre les troubles de l'ordre public et les troubles psychopathologiques liés à la consommation de stupéfiant. L»abstinence est le seul projet valable, le consommateur est délinquant et l'État est garant du soin comme du châtiment. L'usager de drogue est privé de toute initiative, son savoir expérientiel n'est pas pris en compte et le soin se conçoit uniquement de manière descendante. Cet état d'esprit reste dominant jusqu'à l'explosion de l'épidémie du VIH au début des années

16 Ehrenberg Alain. Comment vivre avec les drogues ? Questions de recherche et enjeux politiques. In: Communications, 62, 1996. Vivre avec les drogues. p6

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 14 -

90. Cette époque, marquée par la naissance des groupes d'auto-support et de la réduction des risques et des dommages, voit l'émergence d'une nouvelle vision du soin en addictologie : le rétablissement.

La notion de rétablissement vient de la psychiatrie et s'est progressivement développée dans de nombreux pays comme base de la politique publique en matière de santé mentale. Le concept est repris en France dans le Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale qui donne la priorité à « l'organisation du parcours de santé et de vie de qualité et sans rupture, notamment pour les personnes souffrant de troubles psychiques graves et s'inscrivant dans la durée, en situation ou à risque de handicap psychique, en vue de leur rétablissement et de leur inclusion sociale.». Le soin devient « prendre soin », un échange, la maladie mentale une expérience qui doit être prise en compte pour que la personne recouvre son « pouvoir d'agir ». Le savoir expérientiel des patients est valorisé car il est la source de son rétablissement et pourra servir aux autres patients. Ce concept a d'ailleurs été l'origine de l'émergence de nouveaux métiers : travailleurs-pairs et médiateurs de santé pairs17.

s Une définition de l'alliance thérapeutique :

Ce qui est recherché alors dans le soin c'est l'échange sincère et durable entre soignants et soignés, une réelle alliance thérapeutique. Le concept d'alliance thérapeutique vient aussi de la psychiatrie, en voici une définition : « un accord commun, plus ou moins explicite entre deux protagonistes d'ordre intellectuel et affectif. Ce terme peut évoquer celui de lien à ceci près que dans le cadre du soin il s'agit plus d'un accord mutuel dans un cadre professionnel envers une prise en charge pour le recouvrement d'un mieux-être. 18» Il s'agit d'un accord qui passe par la collaboration et la confiance. L'établissement d'un lien sincère est donc la condition du soin. L'empathie, le non-jugement, le maintien du lien sont pour le soignant à la base de cette alliance.

Ces concepts ont rapidement été utilisés en addictologie. D'abord car nombre de patients en addictologie souffrent de pathologies duelles. Ensuite, car la notion de rétablissement oblige les soignants à prendre en compte la complexité du vécu de l'usager en vue de son insertion dans la vie citoyenne. Le soin en addictologie est donc nécessairement pluri-disciplinaire. D'ailleurs le mot soignants est entendu ici comme tout professionnel de la structure qu'il soit infirmier, psychiatre, médecin, psychologue ou travailleur social.

17 Voir partie 3.2.C du plan d'action

18 Bachelart, M. (2012). 26. L'alliance thérapeutique. Dans : Antoine Bioy éd., L'Aide-mémoire de psychologie médicale et de psychologie du soin: En 58 notions (pp. 161-168). Paris: Dunod, p 161

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Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 16 -

Le passage suivant illustre bien la diversité des problématiques auxquelles doivent faire face usagers et professionnels.

« Je vais le dire en entier, c'est un poème. C'est un trouble bipolaire affectif de type anxio-
dépressif à récurrence sévère et généralisée. Ça veut dire qu'en fait je n'ai pas d'épisode
maniaque. Je peux faire un léger épisode hypomane si je prends une substance ou quoi mais
c'est hypomane, c'est pas maniaque. Par contre je suis de type anxio-dépressif. »
Un usager de CSAPA en soin pour addiction à l'alcool et la cocaïne.

Le soin en addictologie est aussi partenarial, les patients étant suivis avant et après leur passage au sein de CSAPA par d'autres structures (cliniques, CHU, CAARUD, accueils de jour, etc.). Parfois, les patients sont suivis pendant leur hébergement en CSAPA. C'est le cas de cet usager. Dans ce cas, la coordination entre les équipes est primordiale, une réflexion éthique sur le secret partagé est alors à mener.

Ainsi, les CSAPA doivent mettre à disposition du matériel de consommation à moindre de risque, et entreprendre des actions de RDRD, quelles que soient les drogues et les modes de consommation. C'est une obligation légale. Les professionnels de ces structures doivent également prendre le temps d'élaborer avec les usagers un projet de soin individualisé. C'est l'esprit de la loi de 2002-2 qui met la question du droit et du respect de l'usager au coeur du fonctionnement des structures sociales et médico-sociales.

Comme nous allons le voir dans la partie suivante, la structure dans laquelle je suis en poste ne respecte pas entièrement ces deux injonctions.

En tant que responsable d'unité d'intervention sociale, c'est mon rôle d'accompagner ce changement et de mettre en place les outils permettant le rétablissement des usagers pris en charge.

2 LA MISE EN PLACE DE L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE, UN ENJEU FRAGILISÉ PAR LE NON RESPECT DE LA LOI

L'objectif de la prise-en-soin en CSAPA est le rétablissement. Cette notion n'est pas forcément appréhendée de la même manière par les professionnels. Évaluer l'aptitude de l'usager à l'autonomie avec comme unique grille de référence les représentations personnelles et donc subjectives des « soignants » est une entreprise risquée et potentiellement dommageable pour l'usager.

Je constate qu'il manque ici une grille d'évaluation des compétences des individus à gérer la vie courante, à utiliser de manière efficiente les dispositifs de droit commun, le soin, etc. L'absence d'indicateurs objectivables du rétablissement fait défaut. Je souligne, qu'en position de chef de service, je me dois d'évaluer la qualité des interventions auprès des usagers et notamment l'évolution de leur capacité d'autonomie.

4 Ne pas reconnaître l'individu comme co-constructeur de son projet de soin, ne pas mener une réelle stratégie de RDRD entrave l'instauration de l'alliance thérapeutique.

Il manque une définition claire des objectifs du séjour. Sans cette étape, il devient difficile pour moi et pour les membres de l'équipe, de décider du moment opportun pour envisager et préparer correctement la sortie du dispositif. Sans cette étape, évaluer la qualité du parcours est une tâche ardue voire impossible.

L'atteinte d'un certain rétablissement passe par l'existence d'une réelle mise en oeuvre de la RDRD et par l'information exhaustive sur les droits des usagers, dont la non-obligation d'abstinence. La co-construction et la contractualisation du projet de soin sont aussi des conditions de l'efficience du parcours de l'individu. L'absence de mise en oeuvre de ces éléments entrave l'instauration et le maintien de l'alliance thérapeutique. Mon expérience de chef de service m'a permis de constater des écarts vis-à-vis de ces obligations légales.

Mon objectif est de permettre à l'usager d'être pleinement acteur de son projet de soin et ainsi de rendre possible l'alliance thérapeutique. Cela suppose non seulement que l'usager soit considéré comme acteur mais aussi se sente assez en confiance pour occuper cette place.

Encore une fois, il est impératif qu'en fin de parcours, la personne accompagnée gagne en autonomie et puisse accéder aux dispositifs de droits commun dans les domaines de la santé, l'emploi et logement. C'est la mission obligatoire d'intégration sociale des CSAPA. Il arrive pourtant que les usagers quittent le dispositif car le temps imparti (maximum deux ans)

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 17 -

Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS - session 2022 - 18 -

est écoulé, ou parce que leur situation vis-à-vis du droit rend leur intégration sociale plus difficile à mettre en oeuvre (cas de ressortissants européens sans droits aux prestations sociales par exemple).

4 Un accompagnement, des objectifs multiples : Les usagers intègrent la structure avec plusieurs objectifs en plus de soigner leur(s) addiction(s). En atteste ce passage d'une lettre de demande d'admission :

« Mon projet repose, comme l'indique le rapport complété par le thérapeute, sur le soin. En effet
il est primordial de reprendre et poursuivre le suivi médico-psychologique.
J'ai donc besoin d'un cadre thérapeutique sécurisant et d'assistance dans mes démarches
quant à trouver un logement...J'ai besoin de vos conseils sur le plan social et sur mes droits.
En bref, j'ai besoin de retrouver un semblant de vie sociale. »
Un usager du CSAPA

Cette personne est infirmière, avait un logement, un emploi, des relations sociales, un conjoint. Elle s'est trouvée en grande difficulté à cause de son addiction et de ses troubles psychologiques. Sa demande est une prise en charge globale de sa situation en vue d'un mieux-être.

Je remarque qu'à l'heure actuelle, le CSAPA dans lequel je suis cadre intermédiaire ne met pas en oeuvre toutes les actions nécessaires pour l'assurer d'un parcours de qualité. Dans cette partie, je m'attacherai à présenter les résultats de mon investigation :

4 Je décrirai la méthodologie utilisée.

4 J'analyserai les dysfonctionnements fonctionnels et organisationnels, ainsi que les écarts avec le cadre réglementaire, qui nuisent à la qualité du parcours de l'usager dans la structure. Je repérerai les leviers qui pourront aider à la construction de mon plan d'action.

4 J'identifierai les freins et risques du côté des usagers de la structure.

4 J'effectuerai la même analyse auprès des professionnels de la structure (cadre, travailleurs sociaux, psychologue, médecin et infirmier).

4 Je repérerai les risques pour la structure ainsi que pour le cadre que je suis.

4 En conclusion de cette partie, j'énoncerai les objectifs stratégiques. Ils constitueront la base d'un plan d'action qu'il s'agira de discuter en équipe pluri-disciplinaire avec le soutien de la direction et du pôle qualité de l'association.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault