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Socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: etude du cas des «woro-woro» de yopougon (abidjan, cote-d'ivoire)


par Yerehonon Jean Zirihi
Université Alassane Ouattara (Ex Université de Bouaké) - Doctorat  2015
  

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2.3.2 Le woro-woro ou la «banalisation» du travail de

bureau?

Il y a de cela quelques décennies en Côte d'Ivoire, dans l'imaginaire populaire, le travail salarié ou «travailler dans bureau» était le seul associé symboliquement, à la réussite sociale. Par voie de conséquence, toute analyse en termes de «réussite» tenait compte de cette forme unique de travail, le «travail salarié» dont la perte était vécue dans la communauté comme un drame existentiel. À cet effet, Laurent Bazin et Roch Gnabéli, dans «Le travail salarié, un modèle en décomposition?» décrivent le rôle de l'emploi salarié dans la construction des statuts sociaux comme résultant des pesanteurs coloniales

«Le salariat s'est progressivement imposé en Côte-d'Ivoire comme une forme de travail de référence. Il renvoie à tout un faisceau de normes qui permettent de le définir comme un modèle. Au travailleur salarié (et à ceux qui exercent une profession libérale), on attribue une capacité potentielle d'intervention financière supérieure a priori à celle des autres travailleurs. La population salariale (à laquelle on peut

59 Durant les années 1970, l'offre publique de transport (la SOTRA et les taxis compteurs) a constitué à Abidjan un modèle extrême où la société publique (SOTRA) était puissante et bien organisée (parc de plus d'un millier d'autobus, durée de vie des véhicules de 7 à 10 ans ...) selon un schéma moderniste proche des entreprises de transport européenne.

60 Généralement, le coût du trajet est connu des usagers.

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adjoindre les personnes exerçant une profession libérale) est donc pensée comme une catégorie sociale à part: l'emploi salarié confère d'emblée un statut social [...] Dans les conceptions des administrateurs, jusqu'aux années trente, il n'y avait guère que deux catégories sociales: les paysans et les évolués auxiliaires de l'administration et des entreprises privées européennes» (Bazin and Gnabéli 1997)

À l'inverse, le travail dit informel ou être «planteur» était perçu comme un statut peu valorisant pour l'individu ou comme le signe d'un échec social. Mais face à la crise et au chômage galopant, les populations, quelle que soit leur appartenance sociale, n'hésitent plus à investir les activités qui jusque là étaient considérées comme insignifiantes et ne peuvent permettre à ceux qui les exercent de gagner leur vie. La crise a suscité chez les Ivoiriens un éveil de l'esprit d'initiative. On assiste à un changement profond de mentalité, à une mutation sociale lente, mais effective et régulière de la société ivoirienne. C'est ainsi que le secteur des transports collectifs privés et notamment le woro-woro, à l'instar de toutes les activités relevant du secteur dit informel considéré dans l'imaginaire populaire ivoirien comme le refuge des étrangers, des marginaux, des démunis, est de plus en plus investi par toutes les couches urbaines touchées par la crise.

La prise de conscience que l'emploi salarié et l'activité dite informelle ont une fonction identique et peuvent participer à la valorisation et à l'intégration sociale de l'individu, pousse désormais les populations à corriger leur représentation du travail. Jadis le secteur des transports était délaissé par les nationaux à l'exception de ceux des régions septentrionales de la Côte d'Ivoire communément appelés Dioula (Aka 1988; Kassi 2007). Aujourd'hui, on note une forte présence d'Ivoiriens de toutes les régions dans les activités de woro-woro comme l'indique Sidibé Sékou Amadou, président du comité de lutte pour l'insertion des taxis intercommunaux dans les propos suivants.

«Il y a 21000 voitures banalisées en Côte d'Ivoire. 90 % de ces véhicules à des nationaux et à des ex-combattants. Contrairement aux taxis compteurs. Il y a 5000 taxis compteurs qui sont la propriété des Chinois et le reste détenu par les Libanais et Peuhls». Le Mandat, n°882 du lundi 03 septembre 2012, p. 8.

126

La montée en puissance des woro-woro se situe dans un contexte où les pesanteurs socio-culturelles liées au salariat, au travail de bureau s'estompent au profit du travail tout cours. Au discours de valorisation d'une société ivoirienne ostentatoire où la valeur de la personne passe par ses biens d'éclat et par sa capacité à posséder des objets qualifiants: voiture de marque, cigare, habits chers, maison luxueuse, succède un discours de valorisation de travail non salarié, une vie de débrouille. Ainsi, la valorisation du travail à travers le credo «gagner son pain à la sueur de son front» a permis d'élever au rang de vertus la témérité, l'opportunisme et la perspicacité dans un monde de compétition. En moins de deux décennies les woro-woro se sont imposés jusqu'à devenir un des principaux types de transport public de la ville (Adoléhoumé 2000). L'activité génère un nombre important d'emplois précaires, pénibles, constamment exposés aux dangers et à la pollution de la circulation. Ces emplois s'adressent en priorité aux couches les plus défavorisées de la population aux perspectives professionnelles limitées, mais aussi à celles secouées par la crise. Le tableau suivant nous indique les motivations de certains entrepreneurs du secteur que nous avons rencontrés.

Tableau 7: Motivations des entrepreneurs employés dans le secteur des
transports collectifs d'Abidjan

Motivations Taux

Gagner honnêtement ma vie

38 %

Faire face aux difficultés de la vie

31%

Ne pas chômer et aider mes parents

10%

Apprendre à conduire

12 %

Avoir arrêté mes études

9%

Total

100

Source: nos entretiens

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand